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Rapport où le comité demande à être informé de l’évolution de la situation - Rapport No. 381, Mars 2017

Cas no 3003 (Canada) - Date de la plainte: 08-JANV.-13 - Clos

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Allégations: Les organisations plaignantes affirment que le gouvernement de l’Ontario a porté atteinte au droit dont disposent les enseignants et le personnel de soutien du secteur de l’éducation publique de choisir leurs représentants, de mener librement un véritable processus de négociation collective et d’organiser des grèves légales

  1. 140. La plainte figure dans une communication en date du 8 janvier 2013 transmise par le Congrès du travail du Canada (CTC) au nom de la Fédération des enseignantes et des enseignants de l’élémentaire de l’Ontario (FEEO), et dans une communication du Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP) en date du 9 décembre 2014. La Fédération canadienne des enseignantes et des enseignants (FCE) et l’Internationale de l’éducation (IE) se sont respectivement associées à la plainte les 17 et 25 janvier 2013.
  2. 141. Le gouvernement du Canada a transmis les observations du gouvernement de la province de l’Ontario dans des communications en date des 20 septembre 2013 et 10 février 2015.
  3. 142. Le Canada a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948. Il n’a ratifié ni la convention (no 98) sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949, ni la convention (no 151) sur les relations de travail dans la fonction publique, 1978, ni la convention (no 154) sur la négociation collective, 1981.

A. Allégations des organisations plaignantes

A. Allégations des organisations plaignantes
  1. 143. Dans une communication en date du 8 janvier 2013, le CTC indique que la FEEO est l’agent négociateur des quelque 76 000 enseignants, enseignants suppléants, éducateurs de la petite enfance et autres professionnels de l’éducation employés dans les écoles publiques élémentaires de langue anglaise de l’Ontario. Bien que le droit de négociation pour les enseignants et les enseignants suppléants relève de l’organisation provinciale, la FEEO dispose de sections locales pour chaque conseil scolaire de district et a mis en place des unités de négociation pour les autres employés du secteur de l’éducation qu’elle représente.
  2. 144. Le CTC explique qu’en Ontario la négociation collective pour les enseignants est régie par les dispositions de la loi sur l’éducation et de la loi de 1995 sur les relations de travail, tandis que, pour les autres employés du secteur de l’éducation, elle n’est régie que par la loi sur les relations de travail. En vertu des dispositions légales, les conseils scolaires de district sont les employeurs des membres de la FEEO et chacun d’entre eux négocie séparément une convention collective avec l’agent négociateur représentant chaque unité de négociation.
  3. 145. L’organisation plaignante indique que des négociations volontaires centralisées au niveau provincial ont été organisées pour les périodes 2004-2008 et 2008-2012. Ces négociations ont donné lieu à la conclusion d’un accord-cadre entre la FEEO et l’Ontario Public School Board’s Association (OPSBA) (Association des conseils scolaires publics de l’Ontario). Cet accord-cadre a constitué la toile de fond des négociations menées au niveau local. Afin que les parties puissent bénéficier d’un financement versé par la province, les conventions locales devaient inclure de nombreuses dispositions prévues dans cet accord-cadre. Les parties étaient toutefois libres de ne pas inclure ces dispositions. Toutes les conditions d’emploi devaient être établies par voie de négociation menée au niveau local, figurer dans les conventions locales, et être ratifiées par l’agent négociateur et par les employeurs du conseil scolaire afin d’avoir force obligatoire. Cela a donné lieu à certaines disparités locales au sein des conventions collectives et, par le passé, certains conseils scolaires locaux ont déclaré qu’ils ne souhaitaient pas être liés par les conventions négociées au niveau provincial par l’OPSBA. En grande majorité, les parties ont toutefois suivi le modèle provincial, puisque son adoption entraînait l’octroi de fonds supplémentaires.
  4. 146. Le CTC indique également que, dans l’ensemble de la province de l’Ontario, les dernières conventions collectives applicables aux enseignants de l’élémentaire et du secondaire, ainsi qu’au personnel de soutien, sont parvenues à expiration le 31 août 2012. Le CTC déclare qu’il n’est pas rare que les sections locales de la FEEO et les conseils scolaires poursuivent les négociations bien après l’expiration d’une convention collective, et que la loi sur les relations de travail dispose que, si une convention est parvenue à expiration et qu’une nouvelle convention collective n’a pas été établie, les conditions et dispositions de la convention caduque demeurent applicables.
  5. 147. Le CTC allègue que, en février 2012, la FEEO et d’autres syndicats du secteur de l’éducation ont été informés du fait que le ministère de l’Education avait, de manière unilatérale, planifié des réunions distinctes avec chaque syndicat afin d’entamer le prochain cycle de négociation. Lors de la première réunion provinciale, le ministère a soumis à la FEEO une liste de «paramètres» non négociables à inclure dans un nouvel accord-cadre provincial (connu sous le nom de «table provinciale de discussion» (TPD)). Les paramètres prévoyaient notamment: une durée obligatoire des conventions collectives fixée à deux ans; une augmentation des salaires de zéro pour cent pendant deux ans; le remplacement des gratifications de retraite et des systèmes de congés de maladie prévus dans les conventions collectives par un nouveau plan à court terme; une réévaluation des grilles des salaires des enseignants en vue de leur restructuration; et un gel de la revalorisation des salaires des enseignants en fonction de l’expérience et de la qualification, pour une durée de deux ans.
  6. 148. Selon le CTC, la FEEO a clairement indiqué au gouvernement provincial que ces paramètres étaient inacceptables et qu’elle souhaitait élargir le champ des négociations afin de trouver d’autres moyens de dégager des économies. La FEEO a également cherché à savoir s’il convenait de mener les négociations avec le gouvernement provincial, l’OPSBA ou les conseils scolaires individuels; si toute convention conclue avec le gouvernement provincial ou les conseils scolaires aurait force obligatoire; quel était le lien entre ces négociations provinciales et la négociation collective prévue par la loi sur les relations de travail, et si, dans le cas où des accords de concession seraient accordés au niveau provincial, de tels accords pourraient être négociés au niveau local. Toutefois, en l’absence de réponses claires à ces questions, la FEEO a décidé de ne pas prendre part aux négociations provinciales et d’exercer son droit, établi par la loi sur les relations de travail, la Charte des droits et libertés et le droit international, de négocier localement avec chaque employeur tout en respectant les paramètres financiers que le gouvernement de l’Ontario chercherait à imposer aux parties.
  7. 149. Selon le CTC, au cours des mois qui ont suivi, le gouvernement de l’Ontario a continué de faire pression sur la FEEO afin qu’elle retourne à la table centrale des négociations, en s’adressant directement à ses membres sur YouTube et sur les réseaux sociaux pour convaincre les enseignants de se «rallier» à ces négociations, et en menaçant d’imposer les conditions susmentionnées au moyen de la législation dans le cas où un accord ne pourrait être obtenu. La FEEO n’a cessé de déclarer qu’elle était disposée à discuter avec le gouvernement provincial, sous réserve qu’aucune condition préalable ne lui soit imposée et que les parties aient la possibilité de soulever certaines préoccupations et de les soumettre au débat.
  8. 150. Le CTC indique que d’autres syndicats du secteur de l’éducation, tels que l’Association des enseignantes et des enseignants catholiques anglo-ontariens (AEECAO), ont accepté de négocier avec le gouvernement provincial. Le 5 juillet 2012, l’AEECAO et le gouvernement provincial ont annoncé qu’ils avaient conclu un protocole d’entente sur certaines questions. Le CTC a indiqué que, conformément aux paramètres financiers susmentionnés, le protocole d’entente modifiait radicalement le régime de congés de maladie pour les enseignants, qui existait depuis des décennies, supprimait certaines prestations pour les retraités, limitait d’autres droits en matière de congés, diminuait les ressources financières allouées à la formation professionnelle des enseignants de l’élémentaire, et prévoyait un gel des salaires pour une durée de deux ans. Les autres dispositions concernaient, entre autres, une procédure visant à pourvoir les postes d’enseignants suppléants à long terme et les postes d’enseignants vacants à partir d’une liste préétablie, et des propositions visant à modifier le régime de retraite des enseignants. D’autres syndicats ont conclu des accords similaires avec le gouvernement provincial. Toutefois, malgré ses efforts visant à convaincre les syndicats d’enseignants de conclure des accords de même nature que ceux obtenus avec l’AEECAO, le gouvernement n’est pas parvenu à établir d’accords avec la FEEO, la Fédération des enseignantes et enseignants des écoles secondaires de l’Ontario (FEESO) et le SCFP.
  9. 151. Le CTC indique que, le 16 août 2012, le ministère de l’Education a transmis aux médias et aux partis d’opposition un projet de loi, conçu comme une loi sur le «retour au travail» de nature préventive, avant qu’un conseil scolaire local n’ait organisé de grève ou n’ait menacé de le faire. La FEEO n’a pas été consultée au sujet du projet de loi et n’en a reçu aucun exemplaire. La loi 115 a été présentée à l’Assemblée législative de l’Ontario en première lecture le 27 août 2012. Elle a été soumise en deuxième lecture le 28 août 2012, puis en troisième lecture le 10 septembre 2012. Le 11 septembre 2012, la loi donnant la priorité aux élèves a été adoptée par l’Assemblée et a reçu la sanction royale.
  10. 152. L’organisation plaignante allègue que la loi donnant la priorité aux élèves établissait une période de restriction durant laquelle ses dispositions s’appliquaient aux conseils scolaires, à leurs employés, aux agents négociateurs et aux conventions collectives dans le secteur de l’éducation. Cette période de restriction couvrait une période de deux ans et, pour la plupart des employés, a commencé le 1er septembre 2012. La loi donnant la priorité aux élèves disposait que la période de restriction pouvait être prolongée d’une année par règlement, portant sa durée potentielle à trois ans. Elle énonçait également une prescription obligatoire, selon laquelle des conditions «essentiellement identiques» à celles énoncées dans le protocole d’entente conclu avec l’AEECAO («les conditions exigées») devaient être adoptées et incluses dans toutes les conventions collectives de la FEEO pendant la période de restriction, sauf si le Cabinet provincial modifiait ces conditions. Comme indiqué précédemment, ces conditions prévoyaient notamment des dispositions gelant la rémunération durant la période de restriction, supprimant l’accumulation de crédits de congés de maladie, réduisant le nombre de jours de congé de maladie, imposant jusqu’à trois jours de congés sans solde la seconde année, modifiant les prestations de retraite, supprimant ou limitant les jours de congé et réduisant le financement alloué à la formation professionnelle des enseignants de l’élémentaire. La loi donnant la priorité aux élèves fixait à deux ans la durée des conventions collectives. En vertu de cette loi, les conseils scolaires ne pouvaient à aucun moment accorder une rémunération visant à compenser une rémunération non versée pendant la période de restriction sous l’effet de la loi, et ce, quelle que soit l’évolution de la situation économique. Dans la pratique, l’autorité confiée au ministre et au Cabinet par la loi leur a permis de contrôler à la fois le processus de négociation et son issue, ainsi que le droit de grève. Elle a permis à ces acteurs d’imposer sans restriction des conventions collectives et des conditions aux agents négociateurs, empêchant ainsi les parties de convenir et de mettre en œuvre des conditions d’emploi résultant d’une négociation collective menée librement et de bonne foi. Par ailleurs, en vertu de la loi, toutes les conventions collectives négociées et ratifiées au niveau local pendant la période de restriction devaient être approuvées par le ministre de l’Education afin de prendre effet. La loi donnant la priorité aux élèves permettait au ministre de décider de la date d’entrée en vigueur de la convention collective approuvée, date pouvant survenir jusqu’à trois mois après la soumission de la convention en vue de son approbation. Cette période pouvait être prorogée sans restriction par une ordonnance du Cabinet. Pendant cette période, les conditions applicables avant la négociation de la nouvelle convention collective demeuraient en vigueur, sous réserve des conditions exigées qu’imposait la loi pendant la période de restriction.
  11. 153. Le CTC indique que, lors du processus d’approbation, le ministre pouvait également donner son avis au Cabinet au sujet de la compatibilité de la convention avec les conditions exigées. Dans de tels cas, le Cabinet était habilité à inclure des conditions «compatibles» dans les conventions collectives, à ordonner que l’une quelconque des conditions prévues dans une convention collective soit déclarée nulle, à exiger que les parties négocient une nouvelle convention collective, ou à prendre toute autre mesure estimée nécessaire par le Cabinet selon les circonstances. Le CTC allègue que, dans l’absolu, cet état de fait habilitait le Cabinet à réécrire les conventions collectives en fonction de «l’avis» du ministre et n’imposait aucune limite à l’étendue de ces interventions.
  12. 154. Le CTC allègue par ailleurs que la loi donnant la priorité aux élèves interdisait aux agents négociateurs d’employés de déclarer ou d’autoriser une grève légale ou de menacer de le faire. Bien que le droit de grève n’ait pas été expressément interdit, le Cabinet pouvait, suivant l’avis du ministre, mettre fin à une grève ou interdire une telle opération à l’avenir. Sur la base de l’avis fourni par le ministre, le Cabinet était en mesure d’imposer des conventions collectives si les parties ne «semblaient» pas en mesure de régler une convention collective avant le 31 décembre. En outre, selon le CTC, la loi donnant la priorité aux élèves imposait des limites à la compétence et à l’indépendance des arbitres et de la Commission des relations de travail de l’Ontario, puisqu’elle prévoyait que les sentences d’arbitrage devaient inclure les conditions exigées et ne devaient pas être incompatibles avec celles-ci, mais aussi que les sentences d’arbitrage incompatibles avec ces conditions étaient réputées inopérantes dans la mesure de l’incompatibilité. En vertu de la loi donnant la priorité aux élèves, les arbitres et la Commission des relations de travail de l’Ontario n’étaient pas compétents pour se prononcer sur la constitutionnalité de la loi, d’un règlement ou d’un décret pris en vertu de la loi ou sur leur compatibilité avec le Code des droits de la personne de l’Ontario.
  13. 155. L’organisation plaignante estime que, en promulguant cette loi, le gouvernement de l’Ontario a porté gravement atteinte aux composantes essentielles de la liberté syndicale et, dans les faits, a privé les employés de leur droit de choisir leurs représentants, entravé le libre exercice de la négociation collective et supprimé le droit fondamental de grève sans le remplacer par un processus d’arbitrage juste et impartial. Le CTC estime que ces mesures dépassent largement la limite de l’acceptable et du raisonnable pendant une période de stabilisation. Par ailleurs, le CTC allègue que le gouvernement provincial n’a pas mené de consultations ouvertes, significatives et complètes, à la fois avant de présenter un projet de loi qui a modifié les modalités de négociation existantes, mais aussi pendant le processus législatif.
  14. 156. Dans une communication en date du 9 décembre 2014, le SCFP formule des allégations similaires et demande à s’associer à la plainte déposée par le CTC. En outre, le SCFP indique que, le 31 décembre 2012, il a conclu un protocole d’entente avec le ministère de l’Education. Bien que certaines améliorations et modifications aient été apportées au protocole d’entente de l’AEECAO, la loi donnant la priorité aux élèves a servi de trame dans les négociations. Le SCFP indique que si ce protocole d’entente n’avait pas été adopté, le gouvernement provincial aurait simplement imposé les conditions prévues par la loi et que, à ce titre, le protocole d’entente ne constituait pas une convention négociée librement.
  15. 157. Le SCFP indique également que, le 3 janvier 2013, le ministère de l’Education avait annoncé que le gouvernement abrogerait la loi donnant la priorité aux élèves, puisque celle-ci était dépassée. Le 5 janvier 2013, le SCFP a ratifié son protocole d’entente avec le ministère de l’Education et en a recommandé l’adoption par ses unités de négociation locales. Bien que le protocole d’entente n’ait pas été négocié librement, le SCFP indique que, s’il ne l’avait pas adopté, les conventions collectives imposées aux syndicats n’étant pas parvenus à conclure un accord auraient également été imposées à ses propres unités de négociation. Au 14 janvier 2013, toutes les unités de négociation de la SCFP avaient ratifié des conventions collectives locales conformes au protocole d’entente. Le 21 janvier 2013, le gouvernement a formellement annoncé qu’il abrogerait la loi donnant la priorité aux élèves. Si toutes les sections locales du SCFP ont ratifié le protocole d’entente, un certain nombre de conseils scolaires ne l’ont pas fait. Par conséquent, en vertu d’une ordonnance du conseil en date du 21 janvier 2013, des conventions collectives ont été imposées à 39 unités de négociation du SCFP. Le 23 janvier 2013, la loi donnant la priorité aux élèves a été abrogée. Le SCFP souligne que, nonobstant son abrogation, la loi est restée en vigueur sous la forme des conventions collectives imposées conformément à ses propres dispositions.
  16. 158. Dans une communication en date du 19 octobre 2016, le CTC a transmis une lettre de la FEEO, dans laquelle celle-ci indiquait que, malgré l’abrogation de la loi et l’issue favorable de la contestation déposée devant la Cour supérieure de l’Ontario, les droits dont jouissaient ses membres avant l’imposition de la législation n’ont pas encore été rétablis. La FEEO ajoute que de nombreux droits qui avaient été négociés des dizaines d’années auparavant ont été supprimés, que les réparations n’ont pas encore été déterminées et qu’il n’existe aucune échéance pour la conclusion de ces discussions. La FEEO souhaite donc maintenir sa plainte contre le gouvernement.

B. Réponse du gouvernement

B. Réponse du gouvernement
  1. 159. Dans une communication en date du 20 septembre 2013, le gouvernement du Canada a transmis une réponse du gouvernement de l’Ontario concernant les allégations formulées dans le présent cas. Dans sa réponse, le gouvernement provincial demande au comité de repousser l’examen du présent cas et souligne: 1) que la loi donnant la priorité aux élèves a été abrogée; 2) qu’il a mené activement des consultations exhaustives avec les parties prenantes (dont les syndicats) afin de proposer un nouveau modèle de négociation collective pour le secteur de l’éducation; 3) qu’il a conclu, avec les syndicats concernés par cette loi, des protocoles d’entente modifiant les conditions imposées par la loi; et 4) que la loi a fait l’objet d’une contestation constitutionnelle devant la Cour supérieure de l’Ontario, dans laquelle la principale question était de savoir si la loi avait porté atteinte à la liberté d’association prévue à l’article 2(d) de la Charte canadienne des droits et libertés.
  2. 160. Dans une communication en date du 10 février 2015, le gouvernement indique que la procédure interne déposée devant la Cour supérieure a été suspendue sur accord des parties, afin d’attendre l’issue de trois dossiers en cours d’examen par la Cour suprême du Canada, lesquels, selon les parties, sont pertinents dans le cadre de la procédure interne. Compte tenu de cet ajournement, le gouvernement demande à nouveau au comité de repousser l’examen du présent cas. Le gouvernement indique également que des consultations ont été menées à bien auprès des parties prenantes du secteur de l’éducation (y compris les syndicats, les fédérations d’enseignants et les associations d’administrateurs), et que la loi 122 de 2014 sur la négociation collective dans les conseils scolaires est entrée en vigueur en avril 2014. Cette législation établit un nouveau cadre juridique applicable à la négociation collective dans le secteur de l’éducation en Ontario, en mettant en place un processus de négociation à deux niveaux et en définissant clairement les rôles de toutes les parties.

C. Conclusions du comité

C. Conclusions du comité
  1. 161. Le comité note que, dans une communication en date du 8 janvier 2013, le CTC allègue que le gouvernement de l’Ontario a porté atteinte à la liberté syndicale des enseignants et du personnel de soutien du secteur de l’éducation publique, en particulier au droit dont ils disposent de choisir leurs représentants, de mener librement un véritable processus de négociation collective et d’organiser des grèves légales. Le comité observe par ailleurs que des allégations de même nature ont été formulées par le SCFP dans une communication en date du 9 décembre 2014.
  2. 162. Le comité note que les violations alléguées font notamment référence aux mesures ci-après, prises par le gouvernement provincial: 1) l’imposition de paramètres dans lesquels devait s’inscrire la négociation collective dans le secteur de l’éducation publique et la manière dont ces paramètres ont été imposés; 2) la conclusion du protocole d’entente de l’AEECAO, qui a considérablement limité les droits et prestations existants et que le gouvernement provincial a essayé d’imposer aux autres syndicats du secteur; 3) à défaut de ce qui précède, l’adoption, le 11 septembre 2012, de la loi donnant la priorité aux élèves, qui a eu pour effet d’imposer le protocole d’entente de l’AEECAO aux syndicats, lesquels n’en avaient pas accepté volontairement les conditions; et 4) l’absence de consultation des syndicats en amont et au cours du processus législatif.
  3. 163. Le comité note que la loi donnant la priorité aux élèves a été abrogée le 23 janvier 2013. Il observe également que certaines conventions collectives conclues ou imposées dans le cadre de cette loi demeurent en vigueur.
  4. 164. Le comité observe par ailleurs que, le 20 avril 2016, la Cour supérieure de justice de l’Ontario a examiné les faits ayant conduit à l’adoption de la loi donnant la priorité aux élèves et a statué que:
    • [134] [...] entre l’automne 2011 et l’adoption de la loi donnant la priorité aux élèves, l’Ontario a porté atteinte au droit dont disposent les requérants en vertu de la Charte des droits et libertés de mener un véritable processus de négociation collective.
    • [135] L’examen du processus au regard de la Charte et des droits qui y sont inscrits met en évidence des lacunes considérables dans la façon dont il a été mené. De par sa nature même, il ne pouvait donner lieu à de véritables négociations collectives. La province a mis au point ce processus de manière unilatérale. L’Ontario a établi des paramètres lui permettant de réaliser les restrictions financières qu’il avait fixées, et a ensuite mis en place un régime qui limitait la capacité des autres parties à prendre véritablement part au processus de négociation collective.
  5. 165. Le comité note également que la Cour supérieure a étudié l’affirmation selon laquelle la loi donnant la priorité aux élèves avait eu pour effet de supprimer le droit de grève et selon laquelle cet état de fait constituait une entrave considérable à la négociation collective. La cour a conclu que:
    • [187] [...] les restrictions au droit de grève ne sauraient être examinées sans tenir compte des conséquences qu’a entrainées la loi donnant la priorité aux élèves dans son ensemble sur la liberté syndicale. La législation prévoyait la conformité des conventions aux dispositions établies dans le protocole d’entente de l’AEECAO. Dès lors que l’Ontario a déclaré que cette loi constituait une «feuille de route» pour toutes les autres conventions, les requérants n’ont pu mener un véritable processus de négociation collective. L’adoption de la loi donnant la priorité aux élèves a clairement montré que de telles négociations n’auraient pas lieu: les accords devaient être soit «essentiellement semblables» aux conditions du protocole d’entente de l’AEECAO, soit «essentiellement identiques» à ces conditions s’ils n’étaient pas conclus avant le 31 août 2012. Enfin, si les accords n’étaient pas conclus avant le 31 décembre 2012, des accords pouvaient être et ont été imposés. La capacité de l’Ontario (du lieutenant gouverneur en conseil) d’interdire une grève n’a fait que condamner définitivement la possibilité, pour les requérants, d’intervenir contre les mesures prises par le gouvernement et de s’associer pour promouvoir les objectifs de leurs membres. S’il «semblait» que les requérants n’étaient pas en mesure de conclure, avec leurs employeurs respectifs (les conseils scolaires), un accord respectant l’exigence de conformité au protocole d’entente de l’AEECAO, ou s’ils n’étaient pas parvenus à un accord, l’Ontario avait la capacité, en vertu de cette prescription, de supprimer au 31 décembre 2012 le dernier outil à la disposition des requérants dans le cadre de la négociation collective, à savoir le droit de grève. Dans les faits, une fois qu’une convention avait été imposée, les dispositions de la loi sur les relations de travail s’appliquaient: si une convention collective était établie, il était interdit de faire grève tant que celle-ci demeurait en vigueur. Le fait qu’aucune ordonnance interdisant l’organisation d’une grève n’ait été émise n’entre pas en ligne de compte. L’ordonnance d’interdiction que pouvait émettre le lieutenant-gouverneur en conseil avait une portée considérable, et pouvait concerner l’arrêt effectif du travail comme le fait d’«encourager» une grève ou de «menacer de le faire». Il s’agissait d’une restriction évidente à toute mesure visant à soutenir une grève. [...]
  6. 166. Le comité note que la cour a statué que les mesures prises par le gouvernement de l’Ontario, visées par les allégations formulées dans le présent cas, contrevenaient à l’article 2(d) de la Charte des droits et libertés (paragr. 210 de la décision) et que la justification des atteintes à la liberté syndicale des requérants n’avait pas été démontrée conformément à l’article 1 de la Charte des droits et libertés (paragr. 271 de la décision).
  7. 167. Le comité observe que, dans une communication en date du 19 octobre 2016, le CTC indique que la FEEO souhaite maintenir sa plainte en raison du fait que de nombreux droits qui ont été négociés des dizaines d’années auparavant ont été supprimés, que les recours n’ont pas encore été déterminés et qu’il n’existe aucune échéance pour la conclusion de ces discussions.
  8. 168. A cet égard, le comité observe que la question des recours a été évoquée mais n’a fait l’objet d’aucune décision par la cour:
    • [2] [...] Dès le commencement, les parties ont indiqué que, pour l’heure, ils avaient convenu de demander à la cour d’examiner uniquement l’éventualité d’une violation de l’article 2(d) de la Charte des droits et libertés et, si tel était le cas, de déterminer si cette atteinte était justifiée conformément à l’article 1. La question des réparations, si celle-ci se pose, sera discutée entre les parties après qu’une décision aura été prononcée et, si nécessaire, après que la présente cour aura entendu d’autres plaidoiries.
  9. 169. Le comité note en particulier les observations ci-après formulées par le juge:
    • [273] Comme il a été précisé en introduction, il ne m’a pas été demandé de déterminer de réparation à cette date. Je tiens néanmoins à formuler les observations suivantes: les présentes requêtes concernent un aspect de notre législation complexe et en évolution constante. Ces requêtes ont été déposées moins d’un an après que la Cour suprême du Canada a statué que le droit à un processus véritable de négociation collective constituait un droit non pas dérivé, mais direct et immédiat. Toutes les parties concernées sont en quête de réponses convenables à des questions complexes. Il demeure que l’Ontario s’est trouvé, et se trouve peut-être encore, dans une situation financière difficile. Cette situation nous concerne tous. L’Ontario a décidé qu’il lui fallait agir. Le problème que posent les faits qui se sont produits réside dans le processus adopté, et non dans le résultat final. Il est possible que, si le processus avait respecté convenablement les droits syndicaux, les conséquences financières et économiques auraient été semblables ou identiques au résultat obtenu.
    • [274] Selon la jurisprudence, et comme je l’ai indiqué en introduction, il convient de chercher à rétablir l’équilibre des forces dans la relation entre employeurs et employés. Si la décision rendue dans le présent cas examine les mesures prises par l’Ontario, la quête de l’équilibre, elle, concerne les deux parties.
    • [276] Cette quête d’un équilibre convenable trouvera son aboutissement dans la mise en place d’un processus de négociation collective qui soit positif, juste et constructif. Les attitudes conflictuelles et agressives qui se sont manifestées durant toute la procédure se sont apaisées. Les deux parties ont apporté leur contribution. L’Ontario et les requérants entretiennent une relation continue. A cette date (sans avoir entendu de plaidoirie), je ne saurais envisager les bienfaits d’une réparation coûteuse ou trop pénalisante. Se pourrait-il qu’une telle solution avantage l’une des parties au détriment du processus dans son ensemble ? C’est ce que nous devons déterminer.
    • [277] Je demande aux avocats de prendre en compte ces perspectives dans toute discussion qu’ils pourraient mener.
  10. 170. Compte tenu de ce qui précède, le comité prie le gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour s’assurer que le gouvernement de l’Ontario engage un dialogue avec les organisations plaignantes afin de déterminer des réparations appropriées face à la violation de leurs droits syndicaux et de ceux de leurs membres. Il prie le gouvernement de le tenir informé des progrès accomplis à cet égard.
  11. 171. S’agissant des allégations selon lesquelles la loi donnant la priorité aux élèves a été adoptée sans consultation préalable des syndicats, le comité observe que ce fait semble être étayé par les éléments de preuve fournis au comité et à la Cour supérieure de justice de l’Ontario par les organisations plaignantes, et que ces allégations ne sont pas réfutées par le gouvernement. A cet égard, le comité a souligné à de multiples reprises l’intérêt d’une consultation des organisations d’employeurs et de travailleurs lors de l’élaboration et de la mise en œuvre d’une législation touchant leurs intérêts. Il considère qu’il est essentiel que l’introduction d’un projet de loi affectant la négociation collective ou les conditions d’emploi soit précédée de consultations complètes et approfondies avec les organisations de travailleurs et d’employeurs concernées. [Voir Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale, cinquième édition, 2006, paragr. 1072 et 1075.] A l’avenir, le comité attend du gouvernement de l’Ontario qu’il engage, au tout début du processus, des consultations approfondies et franches avec les organisations de travailleurs et d’employeurs concernées au sujet de toute question ou de tout projet de législation ayant une incidence sur les droits syndicaux.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 172. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d’administration à approuver la recommandation suivante:
    • Encouragé par les faits nouveaux de ce cas, le comité prie le gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour s’assurer que le gouvernement de l’Ontario:
      • – Engage un dialogue avec les organisations plaignantes afin de déterminer des réparations appropriées face à la violation de leurs droits syndicaux et de ceux de leurs membres. Il prie le gouvernement de le tenir informé des progrès accomplis à cet égard.
      • – Engage, à l’avenir et au tout début du processus, des consultations approfondies et franches avec les organisations de travailleurs et d’employeurs concernées au sujet de toute question ou de tout projet de législation ayant une incidence sur les droits syndicaux.
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