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Rapport définitif - Rapport No. 384, Mars 2018

Cas no 3204 (Pérou) - Date de la plainte: 17-DÉC. -14 - Clos

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Allégations: L’organisation plaignante allègue que la violence dans le secteur de la construction s’est exacerbée à la suite d’actions menées par les centrales syndicales au détriment d’organisations non affiliées à ces centrales; elle allègue aussi le refus de négocier un cahier de revendications et la suspension par voie administrative de l’enregistrement des organisations syndicales

  1. 473. La plainte figure dans une communication de la Fédération unitaire des travailleurs de la construction civile et des activités connexes du Pérou (FUTCCASP) datée du 25 août 2014.
  2. 474. Le gouvernement a envoyé ses observations dans une communication datée du 17 décembre 2014.
  3. 475. Le Pérou a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, et la convention (no 98) sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949.

A. Allégations de l’organisation plaignante

A. Allégations de l’organisation plaignante
  1. 476. Dans sa communication du 25 août 2014, l’organisation plaignante indique qu’elle représente des milliers de travailleurs du secteur de la construction depuis 2011 et se présente comme une organisation indépendante, affiliée à aucune centrale syndicale du pays (Confédération des travailleurs du Pérou (CTP) et Confédération générale des travailleurs du Pérou (CGTP)), car elle s’oppose à la manière dont celles-ci sont dirigées. Elle allègue que la violence et l’insécurité qui règnent dans le secteur de la construction se sont exacerbées à la suite d’une campagne de dénigrement menée par ces centrales syndicales au détriment des organisations qui ne leur sont pas affiliées.
  2. 477. L’organisation plaignante estime que la violence dans le secteur de la construction est utilisée de manière téméraire par la Fédération des travailleurs de la construction civile du Pérou (FTCCP) et par les centrales syndicales pour nuire aux syndicats et fédérations qui ne partagent pas leurs orientations syndicales, afin de préserver l’unicité syndicale dont elles bénéficiaient jusqu’il y a plus de dix ans. Plus précisément, elle allègue que la FTCCP et les centrales syndicales profitent du fait d’être représentées au sein des directions de certaines entités (dont le Service national de formation pour l’industrie de la construction (SENCICO) et le Comité national de gestion du Fonds pour la construction de logements et de centres de loisirs destinés aux travailleurs de la construction civile (CONAFOVICER)) pour privilégier leurs affiliés au détriment de ceux d’autres organisations syndicales. En ce qui concerne le SENCICO, l’organisation plaignante allègue que, bien qu’elle ait conclu avec celui-ci un accord-cadre pour la formation et la certification de ses affiliés le 20 mars 2014, ces activités de formation n’ont pas encore commencé à la date de soumission de la présente plainte, car, selon les informations qui lui ont été communiquées, un accord spécifique est nécessaire pour cela et doit être approuvé par la direction du SENCICO, qui n’a pas justifié le retard excessif pris dans cette procédure. S’agissant du CONAFOVICER, l’organisation plaignante allègue que la FTCCP et la CGTP contrôlent les fonds de cette entité, empêchent les travailleurs et dirigeants syndicaux qui ne font pas partie de leur structure syndicale d’y accéder librement et refusent les demandes formulées par l’organisation plaignante en faveur de ses membres ou pour solliciter l’usage des infrastructures des centres de loisirs, privilégiant les demandes de leurs affiliés.
  3. 478. L’organisation plaignante allègue aussi que des représentants du gouvernement, dans le cadre d’une entente secrète avec les dirigeants des centrales syndicales, ont publiquement fait part de leur volonté d’annuler l’enregistrement des organisations non affiliées à ces centrales. Elle ajoute que, en vertu du décret suprême no 007-2014-TR (portant modification du décret suprême no 006-2013 relatif à l’enregistrement des organisations syndicales dans le secteur de la construction civile), l’autorité administrative du travail est habilitée à suspendre l’enregistrement des organisations syndicales lorsque, à partir de faits notoires et évidents, il est établi que l’objectif de celles-ci est devenu illicite, même si le pouvoir judiciaire ne s’est pas prononcé sur le caractère illicite des faits en question. L’organisation plaignante indique que c’est au pouvoir judiciaire qu’il revient de déterminer si un fait donné est illicite et que les fonctionnaires du ministère ne sont ni compétents pour le faire ni habilités par la Constitution du Pérou à se prononcer à cet égard. Elle considère en outre que cette norme est arbitraire et discriminatoire, car la compétence extraordinaire accordée aux fonctionnaires du ministère ne s’applique qu’aux organisations syndicales créées à partir de janvier 2004 et prend fin le 31 décembre 2015, sans qu’aucun motif ne justifie ces modalités.
  4. 479. Par ailleurs, l’organisation plaignante allègue que, pour la quatrième année consécutive, la Chambre péruvienne de la construction (CAPECO) a refusé de négocier un cahier de revendications national et que, à chaque fois, le ministère du Travail a estimé que le refus de la CAPECO était fondé. Selon l’organisation plaignante, la CAPECO a fait valoir qu’une procédure de négociation collective était en cours avec la FTCCP depuis des années et que cette procédure s’appuierait sur une décision rendue par le Tribunal constitutionnel en 2003 (STC no 261-2003-AA/TC). L’organisation plaignante souligne que cette décision a été rendue dans un contexte très différent de l’actuel et que le tribunal constitutionnel s’était alors prononcé en faveur d’un cahier national unique par branche d’activité et opposé au cahier par projet que souhaitait instaurer le gouvernement en place. Elle défend le cahier de revendications unique à l’échelle nationale, justifié par les caractéristiques particulières du secteur qui rendent impossible la négociation de revendications par projet, mais exige d’être représentée à la table des négociations du cahier unique, à laquelle devraient s’asseoir, selon elle, des représentants de toutes les organisations syndicales représentatives des travailleurs.

B. Réponse du gouvernement

B. Réponse du gouvernement
  1. 480. Dans sa communication du 17 décembre 2014, le gouvernement transmet des informations fournies par la CAPECO et le secrétariat général du ministère de l’Intérieur. S’agissant des allégations relatives à la violence dans le secteur de la construction, le gouvernement mentionne un rapport établi par le secrétariat général du ministère de l’Intérieur dans lequel il est indiqué que la police nationale lutte contre les actes de violence et les délits commis dans le secteur de la construction civile, parmi lesquels des actions coercitives menées par des dirigeants syndicaux à l’encontre d’employeurs, des conflits intersyndicaux pour prendre le contrôle des chantiers sur un territoire donné et des pratiques consistant à enregistrer des organisations syndicales et à feindre de défendre les intérêts des travailleurs pour exiger des versements aux employeurs, à de prétendus dirigeants syndicaux et aux travailleurs. Le gouvernement précise que la police se contente d’enquêter sur ces délits et de remettre les résultats de son travail au procureur pour que celui-ci engage les poursuites nécessaires.
  2. 481. Le gouvernement souligne aussi que la mise en place du Registre national des travailleurs de la construction civile (RETCC) et du Registre national des chantiers de construction civile (RENOCC) a pour objet de garantir les droits des travailleurs et d’éliminer les actes de violence sur les chantiers de construction civile, car ces registres permettent de recueillir des informations sur les travaux de construction en cours et de coordonner les actions visant à prévenir les situations de violence lors de l’embauche des travailleurs dans ce secteur. Le gouvernement indique que l’inscription au RENOCC s’applique à toutes les entreprises prestataires de services et sous-traitantes qui réalisent des travaux de construction dont les coûts sont supérieurs à 50 unités fiscales (UIT), et que cette inscription se fait de manière automatique et gratuite au moyen d’une application informatique agréée par le ministère du Travail et de la Promotion de l’emploi.
  3. 482. En ce qui concerne le supposé refus de la CAPECO de négocier un cahier de revendications, celle-ci indique qu’aucun accord n’a été conclu avec l’organisation plaignante pour négocier au niveau de la branche d’activité et que c’est pour cette raison que, à chaque fois que la FUTCCASP a soumis un cahier de revendications à ce niveau, un recours en annulation a été déposé auprès de l’autorité administrative du travail. La CAPECO insiste sur le caractère libre et volontaire de la négociation collective et fait valoir que, conformément aux dispositions de la loi sur les relations collectives du travail, les parties doivent convenir du champ des négociations et que, dans ce cas, il n’existe aucun accord avec l’organisation plaignante permettant d’engager une négociation au niveau de la branche d’activité. Elle indique également que, à plusieurs occasions, le Tribunal constitutionnel a déclaré que la négociation par branche d’activité dans le secteur de la construction civile était du ressort de la CAPECO et de la FTCCP, car celles-ci menaient des négociations depuis des années, avant et après l’entrée en vigueur de la loi sur les relations collectives du travail (le gouvernement cite en exemple une décision de la deuxième chambre du Tribunal constitutionnel rendue le 26 mars 2003).

C. Conclusions du comité

C. Conclusions du comité
  1. 483. Le comité observe que, dans le présent cas, l’organisation plaignante (FUTCCASP) allègue que: i) le climat de violence qui règne dans le secteur de la construction civile s’est exacerbé à la suite d’une campagne de dénigrement menée par les centrales syndicales au détriment des organisations qui ne leur sont pas affiliées; ii) l’autorité administrative du travail est habilitée à suspendre l’enregistrement des organisations syndicales, même si aucune décision de justice n’a été prise à cet égard; iii) pour la quatrième année consécutive, la CAPECO a refusé de négocier un cahier de revendications présenté par la FUTCCASP.
  2. 484. Le comité prend tout d’abord note de l’allégation générale de l’organisation plaignante selon laquelle le climat de violence et d’insécurité qui règne dans le secteur de la construction s’est exacerbé à la suite d’une campagne de dénigrement menée par la FTCCP et les centrales syndicales du pays (CGTP et CTP) au détriment des organisations syndicales qui ne leur sont pas affiliés. Plus précisément, l’organisation plaignante allègue que: i) la FTCCP et les centrales syndicales profitent du fait d’être représentées au sein des directions de certaines entités (dont le SENCICO et le CONAFOVICER) pour privilégier leurs affiliés au détriment de ceux d’autres organisations syndicales; ii) des représentants du gouvernement, dans le cadre d’une entente secrète avec les dirigeants des centrales syndicales, ont publiquement fait part de leur volonté d’annuler l’enregistrement des organisations non affiliées à ces centrales; iii) en vertu du décret suprême no 007 2014 TR, l’autorité administrative du travail est habilitée à suspendre l’enregistrement des organisations syndicales lorsque, à partir de faits notoires et évidents, il est établi que l’objectif de celles-ci est devenu illicite, même si le pouvoir judiciaire ne s’est pas prononcé sur le caractère illicite des faits en question.
  3. 485. En ce qui concerne le climat de violence qui règne dans le secteur de la construction, le comité prend note des indications du gouvernement selon lesquelles la police nationale lutte contre les actes de violence et les délits commis dans ce secteur, dont des activités d’extorsion pratiquées par des groupes mafieux et de prétendus syndicats et des problèmes engendrés par des conflits intersyndicaux. Etant donné qu’il examine déjà la problématique de la violence dans le secteur de la construction civile dans le cadre du cas no 2982, le comité fera porter son examen du présent cas sur les allégations plus concrètes susmentionnées.
  4. 486. Pour ce qui est de l’allégation selon laquelle la FTCCP et les centrales syndicales profitent du fait d’être représentées au sein des directions du SENCICO et du CONAFOVICER pour privilégier leurs affiliés au détriment de ceux d’autres organisations syndicales, tout en constatant que le gouvernement ne fournit pas de réponse sur ce point, le comité observe qu’il s’agit d’une allégation de nature intersyndicale et que l’organisation plaignante n’a pas présenté les informations et précisions nécessaires pour étayer le caractère antisyndical de cette question. Rappelant que les rivalités entre syndicats n’entrent pas, en principe, dans le champ d’application des conventions relatives à la liberté syndicale, le comité ne poursuivra pas l’examen de cette allégation.
  5. 487. En ce qui concerne l’allégation selon laquelle des représentants du gouvernement, dans le cadre d’une entente secrète avec les dirigeants des centrales syndicales, ont publiquement fait part de leur volonté d’annuler l’enregistrement des organisations non affiliées à ces centrales, le comité constate que le gouvernement n’a pas fourni de réponse sur ce point. Il observe également que, si les articles de presse annexés à la communication de l’organisation plaignante font ressortir une volonté du gouvernement d’annuler l’enregistrement des faux syndicats qui servent de façade à des extorqueurs et à des assassins, il n’apparaît pas que le gouvernement agit dans le cadre d’une entente avec les centrales afin de nuire aux organisations qui ne leur sont pas affiliées. Par conséquent, le comité ne poursuivra pas l’examen de cette allégation.
  6. 488. Le comité prend également note de l’allégation selon laquelle, en vertu du décret suprême no 007-2014-TR (portant modification du décret suprême no 006-2013 relatif à l’enregistrement des organisations syndicales dans le secteur de la construction civile), l’autorité administrative du travail est habilitée à suspendre l’enregistrement des organisations syndicales lorsque, à partir de faits notoires et évidents, il est établi que l’objectif de celles-ci est devenu illicite, même si le pouvoir judiciaire ne s’est pas prononcé sur le caractère illicite des faits en question. A cet égard, le comité note que le gouvernement se contente d’indiquer dans sa réponse que la mise en place du RETCC et du RENOCC a pour objet de garantir les droits des travailleurs et d’éliminer les actes de violence sur les chantiers de construction civile, car ces registres permettent de recueillir des informations sur les travaux de construction en cours et de coordonner les actions visant à prévenir les situations de violence lors de l’embauche des travailleurs dans ce secteur.
  7. 489. Le comité observe que la troisième disposition complémentaire du décret susmentionné prévoit expressément que: i) de manière exceptionnelle et avec l’unique objectif de garantir la sécurité dans le secteur de la construction civile, l’autorité administrative du travail peut suspendre l’enregistrement d’une organisation syndicale lorsque, à partir de faits notoires et évidents, il est établi que l’objectif de cette organisation est devenu illicite; ii) l’autorité administrative du travail dispose d’un délai maximal de dix jours pour demander à l’organe juridictionnel compétent la dissolution judiciaire de l’organisation syndicale et solliciter, conjointement à cette demande, une mesure conservatoire visant à maintenir la suspension en cours; iii) la suspension de l’enregistrement prend fin si, une fois écoulé le délai de dix jours, la demande de dissolution judiciaire ou de mesure conservatoire correspondante n’a pas été déposée; iv) la suspension administrative de l’enregistrement prend également fin dès que la décision du refus d’imposer une mesure conservatoire est notifiée; v) cette compétence administrative est extraordinaire, ne s’applique qu’aux organisations syndicales créées à partir de janvier 2014 et prend fin le 31 décembre 2015.
  8. 490. Compte tenu du caractère exceptionnel du pouvoir de l’autorité administrative du travail de suspendre les enregistrements syndicaux afin de garantir la sécurité dans un secteur caractérisé par la violence et l’existence de groupes délictueux et de faux syndicats (situation examinée par le comité dans le cadre du cas no 2982), et étant donné que la mesure est limitée dans le temps et doit être confirmée par l’organe juridictionnel, le comité considère que le décret en question présente suffisamment de garanties pour assurer le respect de la liberté syndicale. Par conséquent, le comité ne poursuivra pas l’examen de cette allégation.
  9. 491. S’agissant du refus de la CAPECO de négocier un cahier national de revendications présenté par l’organisation plaignante, le comité note que cette dernière fait valoir que, si elle défend le cahier de revendications unique à l’échelle nationale, justifié par les caractéristiques particulières du secteur, elle estime que des représentants de toutes les organisations syndicales représentatives des travailleurs devraient s’asseoir à la table des négociations. A cet égard, le comité prend note des indications du gouvernement selon lesquelles: i) le texte unique codifié de la loi sur les relations collectives du travail (qui comprend le décret-loi no 25593 et la loi no 27912) prévoit que le niveau de négociation soit fixé d’un commun accord, c’est-à-dire qu’il doit exister un accord pour engager la négociation à un niveau déterminé; ii) étant donné que la négociation doit être libre et volontaire, la CAPECO n’est pas dans l’obligation de négocier avec l’organisation plaignante; iii) la CAPECO est convenue de négocier uniquement avec la FTCCP, en vertu de plusieurs décisions du Tribunal constitutionnel dans lesquelles il est indiqué qu’elle est tenue de négocier le cahier de revendications du secteur de la construction avec cette organisation syndicale.
  10. 492. A cet égard, le comité rappelle que, pour qu’un syndicat d’une branche d’activité puisse négocier une convention collective, il devrait suffire que ledit syndicat démontre être suffisamment représentatif. Dans le présent cas, tout en constatant que ni l’organisation plaignante ni le gouvernement ne fournissent d’informations sur le niveau de représentativité des différentes organisations syndicales du secteur de la construction civile, le comité prend note du fait que l’organisation plaignante n’affirme pas être l’organisation la plus représentative du secteur et ne remet pas en question le niveau de représentativité de la FTCCP, avec laquelle négocie la CAPECO. Par conséquent, le comité ne poursuivra pas l’examen de cette allégation.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 493. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d’administration à décider que ce cas ne requiert pas un examen plus approfondi.
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