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Rapport où le comité demande à être informé de l’évolution de la situation - Rapport No. 384, Mars 2018

Cas no 3229 (Argentine) - Date de la plainte: 15-JUIL.-16 - Cas de suivi fermés en raison de l'absence d'informations de la part du plaignant ou du gouvernement au cours des 18 mois écoulés depuis l'examen de ce cas par le Comité.

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Allégations: Commission d’un certain nombre d’actes (refus de dialogue, remplacement de travailleurs, déductions de salaire, déclaration d’illégalité d’une grève et application de mesures antisyndicales) dans le cadre d’actions collectives menées dans le secteur de l’enseignement public de la province de Terre de Feu

  1. 99. La plainte figure dans des communications du Syndicat unifié des travailleurs de l’éducation fuégienne (SUTEF) et de la Centrale des travailleurs de l’Argentine - Autonome (CTA Autonome) en date des 22 juin et 1er décembre 2016.
  2. 100. Le gouvernement a fait parvenir ses observations par une communication datée de mai 2017.
  3. 101. L’Argentine a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, la convention (no 98) sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949, la convention (no 151) sur les relations de travail dans la fonction publique, 1978, et la convention (no 154) sur la négociation collective, 1981.

A. Allégations des organisations plaignantes

A. Allégations des organisations plaignantes
  1. 102. Dans leurs communications datées des 22 juin et 1er décembre 2016, le Syndicat unifié des travailleurs de l’éducation fuégienne (SUTEF) et la Centrale des travailleurs de l’Argentine - Autonome (CTA Autonome) allèguent la commission d’un certain nombre d’actes (refus de dialogue, remplacement de travailleurs, déductions de salaire, déclaration d’illégalité d’une grève et application de mesures antisyndicales) dans le cadre d’actions collectives menées dans le secteur de l’enseignement public de la province de Terre de Feu.
  2. 103. Les organisations plaignantes déclarent que, les 8 et 9 janvier 2016, le corps législatif de la province de Terre de Feu a approuvé plusieurs projets de loi soumis par l’exécutif entré en fonction le 17 décembre 2015. Les lois ainsi adoptées déclaraient l’état d’urgence dans le système de prévoyance sociale et instauraient des mesures connexes visant la sécurité sociale et ses organismes dans la province, telles que la modification du régime applicable aux travailleurs. Selon les organisations plaignantes, ces différentes mesures ont fait perdre aux enseignants jusqu’à 9,14 pour cent de leur rémunération (salaire nominal net) en imposant le versement de contributions extraordinaires (allant de 1 à 4,5 pour cent ) pour la durée de l’état d’urgence (deux ans prorogeables de deux années supplémentaires), en relevant de trois points (soit de 13 à 16 pour cent) le montant des contributions ordinaires et en modifiant au désavantage des travailleurs les conditions objectives d’accès à la retraite.
  3. 104. A la suite de l’entrée en vigueur des lois susmentionnées, toutes les organisations de fonctionnaires de la province se sont manifestées, le 1er mars 2016, afin de pouvoir s’entretenir avec les autorités de l’exécutif et du législatif. Le gouverneur a refusé de recevoir les représentants syndicaux. Une réunion s’est tenue le jour suivant entre les travailleurs et un parlementaire de la majorité, à son invitation, mais s’est révélée infructueuse. Des actions directes ont dès lors commencé à être menées à l’appel de tous les syndicats et ont continué de l’être pendant une centaine de jours en l’absence de toute réponse de la part des autorités de l’exécutif et du législatif. L’exécutif a refusé d’ouvrir le dialogue en vue de l’élaboration d’un projet de loi visant à abroger ou à remplacer les lois contestées. Quant aux autorités législatives, elles n’ont même pas accepté de discuter en commission de la révision ou modification partielle de ces lois. Le conflit a perduré faute de toute possibilité de dialogue.
  4. 105. Les organisations plaignantes soutiennent que le gouvernement a décidé de régler le conflit au moyen de mesures attentatoires à la liberté syndicale. A cet égard, elles indiquent que, le 20 avril 2016, le ministère de l’Education a pris l’arrêté no 823/16 qui, sur la base d’un décret portant déclaration d’un état d’urgence administrative (décret no 462/16 du 22 mars 2016), prévoyait, au mépris du droit interne et du droit international, que les travailleurs grévistes pourraient être remplacés (jusqu’à leur retour éventuel) par du personnel temporaire. Les organisations plaignantes rappellent que l’enseignement ne saurait justifier l’adoption de mesures de ce type, car il ne constitue pas un service essentiel, et allèguent le non-respect des mécanismes applicables conformément à la législation nationale pour déterminer dans une situation concrète qu’un service public est essentiel. Les organisations plaignantes rappellent aussi qu’une grève peut être menée pour une raison étrangère à la négociation collective, par exemple pour faire valoir des droits bafoués par des mesures législatives. De plus, les organisations plaignantes affirment que les jours de grève ont été déduits des salaires, faisant perdre aux travailleurs jusqu’à 80 pour cent de leur rémunération, alors même que la grève n’avait pas été déclarée illégitime. Elles précisent à cet égard qu’une procédure (affaire no 8999) est pendante devant les tribunaux.
  5. 106. Les organisations plaignantes affirment également que l’arrêté no 16/16 du sous-secrétariat au Travail, qui déclarait que la grève était illégale au motif que son objet n’entrait pas dans le champ du droit collectif du travail, entendait réduire une grève à des questions pour lesquelles l’employeur est celui qui est compétent quant à la réponse à apporter aux doléances, ce qui, pour les organisations plaignantes, ne fait aucun sens, car bon nombre des grèves légitimes auxquelles les syndicats appelleraient seraient alors illégales. Les organisations plaignantes rappellent que les actions menées à l’appel du SUTEF visaient à contester des changements préjudiciables aux conditions de vie, d’emploi et de protection sociale des travailleurs.
  6. 107. Selon les organisations plaignantes, les autorités refusent tout dialogue social, que ce soit sur les questions d’ordre législatif évoquées plus haut ou sur des questions relatives au travail. A cet égard, les organisations plaignantes allèguent que, jamais durant toute l’année 2016, les autorités n’ont consenti à participer à des discussions paritaires sur les salaires, les conditions d’emploi et d’autres questions (les organisations plaignantes mentionnent l’arrêté no 109/2016 du sous-secrétariat au Travail, qui porte clôture et archivage des procédures liées aux réunions paritaires, et l’arrêté no 3379/16 du ministère de l’Education, qui porte suppression des congés syndicaux accordés aux enseignants qui prennent part à des travaux menés dans un cadre paritaire).
  7. 108. Toujours selon les organisations plaignantes, les autorités refusent également tout dialogue sur la situation des travailleurs des ateliers culturels. Les organisations plaignantes affirment que, après le changement d’exécutif, les autorités ont supprimé tous les ateliers culturels à compter de janvier 2016, faisant ainsi perdre leur emploi aux travailleurs concernés. Les organisations plaignantes allèguent que ces travailleurs se trouvent dans une situation précaire en matière d’emploi. Elles soutiennent que le SUTEF, agissant en sa qualité de syndicat représentant les intérêts des travailleurs du secteur de la culture (étant donné que ce secteur fait partie de l’éducation non formelle, conformément à l’article 97 de la loi provinciale no 1018 sur l’éducation), a sollicité la mise en place d’une commission de négociation dont les membres seraient chargés de négocier collectivement le cadre réglementaire de l’activité des travailleurs des ateliers culturels pour mettre fin à leur précarité professionnelle. A cet égard, les organisations plaignantes allèguent que les autorités n’ont pas agi de bonne foi au vu des faits suivants: le secrétariat à la Culture a refusé de prendre part à des négociations, au mépris de l’arrêté no 1/16 du sous-secrétariat au Travail (autorité provinciale chargée des négociations collectives avec les enseignants), qui ordonnait l’ouverture de négociations entre le SUTEF et le secrétariat à la Culture; et la nouvelle réunion convoquée par le ministère du Travail avait été reportée à la demande du secrétariat à la Culture. Selon les organisations plaignantes, face au conflit qui faisait rage non seulement avec les travailleurs des ateliers culturels, mais aussi avec la grande majorité des fonctionnaires, le secrétariat à la Culture a procédé à la réintégration de ces travailleurs, mais ce processus a été entaché d’irrégularités discriminatoires, et les travailleurs qui ont été réintégrés ne l’ont pas été sur la base de critères objectifs.
  8. 109. Les organisations plaignantes affirment aussi que les autorités provinciales ont commis des actes de persécution antisyndicale en adoptant trois ensembles de mesures. A cet égard, les organisations plaignantes soutiennent que l’administration a entrepris des démarches afin de faire lever l’immunité syndicale (et pouvoir ainsi procéder au licenciement) de 17 travailleurs délégués des enseignants au motif de leur participation à des activités syndicales. Selon les organisations plaignantes, ces démarches ont abouti concernant déjà 10 de ces 17 travailleurs (s’agissant toutefois de 2 de ces 10 travailleurs, la première notification et la procédure subséquente ont été déclarées nulles et non avenues, et le processus est donc à refaire). Pour ce qui est des 7 autres travailleurs, des recours sont pendants (l’immunité syndicale n’a pas été levée du fait de l’effet suspensif desdits recours).
  9. 110. Les organisations plaignantes dénoncent les procédures pénales ci-après engagées contre des travailleurs délégués des enseignants: i) l’affaire no 1642 (recours no 213/2016), qui s’est soldée par la condamnation de neuf délégués à des peines allant de huit mois d’emprisonnement à deux ans d’emprisonnement avec sursis, pour les faits survenus le 23 mai 2013 dans le cadre d’actions collectives (un recours extraordinaire est pendant devant le Tribunal suprême de la province); et ii) l’affaire no 33186/2016, dans laquelle trois délégués du SUTEF ont été poursuivis pour des faits liés à la dispersion violente, par la force publique, d’une manifestation pacifique menée durant quatre-vingt-dix jours devant le siège du gouvernement. Les organisations plaignantes allèguent que le juge d’instruction s’est livré à des actes de harcèlement à l’encontre de ces délégués et, dans son ordonnance du 26 août 2016, leur reprochait d’avoir commis des faits constitutifs de résistance à l’autorité et de dommages corporels et matériels, entre autres infractions. Le verdict, que les organisations plaignantes jugent non valide au motif que deux des trois juges n’ont pas motivé leur vote, a fait l’objet d’un recours, qui est encore pendant.
  10. 111. Enfin, les organisations plaignantes se disent victimes de pratiques antisyndicales, à savoir: a) le durcissement des conditions d’emploi de leurs dirigeants, notamment en matière salariale (une procédure est en cours suite au dépôt par le SUTEF, le 11 novembre 2016, d’une plainte pour pratique déloyale); b) l’interférence dans les activités syndicales et la restriction de celles-ci résidant dans le refus d’octroi de crédits d’heures; et c) la suppression des congés syndicaux et l’interdiction de tenir des réunions ou assemblées sur les lieux de travail.
  11. 112. Les organisations plaignantes sollicitent la mise en place d’un mécanisme de dialogue propre à canaliser le conflit.

B. Réponse du gouvernement

B. Réponse du gouvernement
  1. 113. Dans sa communication de mai 2017, le gouvernement transmet les observations des autorités provinciales concernées sur les allégations formulées par les organisations plaignantes.
  2. 114. Dans leurs observations préliminaires, les autorités provinciales soutiennent que certaines des questions soulevées par les organisations plaignantes ne sont pas admissibles, car sans rapport avec la liberté syndicale et la négociation collective.
  3. 115. Ensuite, les autorités provinciales affirment que la plainte pour violation du droit de négociation collective n’est pas recevable. Selon elles, le SUTEF a provoqué le conflit afin de pouvoir négocier collectivement l’abrogation ou la modification totale ou partielle des lois contestées. Les autorités provinciales estiment par conséquent que le conflit n’entrait pas dans le champ de la négociation collective avec l’employeur, car son objet ne relevait pas de la compétence de l’exécutif ni ne correspondait aux possibilités de négociation collective. Les autorités provinciales estiment également que les lois qui ont fait naître le conflit n’entrent pas non plus dans le champ de la négociation collective, en ce qu’elles ne portent pas sur des questions liées aux conditions d’emploi et s’inscrivent strictement dans le seul cadre de la législation sur la sécurité sociale.
  4. 116. Les autorités provinciales affirment en outre que les allégations de violation des droits (précarité présumée) des travailleurs des ateliers culturels devraient être considérées comme infondées. Elles estiment effectivement que les questions visées en l’espèce intéressent peut-être les syndicats, mais ne relèvent pas de la compétence du comité. Cela étant, elles fournissent des explications complémentaires concernant la situation. Ainsi, les autorités provinciales déclarent tout d’abord que le statut syndical du SUTEF vaut pour «les enseignants qui prêtent leurs services aux écoles publiques», mais pas pour les travailleurs des ateliers culturels, qui n’apportent pas leurs services aux écoles publiques ni au ministère de l’Education (mais au secrétariat à la Culture), de sorte que le SUTEF ne peut pas les représenter. Les autorités provinciales déclarent ensuite que les décisions qu’elles ont prises visaient à améliorer la gestion des ateliers culturels en révisant le cadre normatif à l’issue d’un examen complet, des irrégularités ayant été constatées dans l’application dudit cadre, à renforcer la structure administrative et technique, ainsi que la transparence, l’efficience et l’efficacité, et à faciliter l’accès par la population. Les autorités provinciales donnent des renseignements détaillés sur la manière dont elles ont procédé pour ce faire et jugent totalement fausse l’affirmation selon laquelle la réintégration des travailleurs s’est effectuée selon des modalités discriminatoires et arbitraires (elles font observer qu’un grand nombre des travailleurs qui s’étaient plaints de ne pas avoir été réintégrés l’ont finalement été).
  5. 117. Dans leurs observations préliminaires, les autorités provinciales soutiennent aussi que les organisations plaignantes n’ont communiqué aucun renseignement sur les actes de violence qui ont été commis dans le cadre des actions collectives menées et qui ont motivé l’ouverture, y compris devant la justice pénale, de plusieurs procédures judiciaires encore pendantes. Le ministère fuégien du Travail, de l’Emploi et de la Sécurité sociale affirme que le conflit, qui a duré près de cent jours, a empêché et perturbé non seulement les activités d’enseignement, mais aussi l’activité du gouvernement, car la protestation avait pris ses quartiers tout autour du siège du gouvernement provincial, empêchant ainsi les fonctionnaires d’y accéder. Le ministère affirme également que les manifestants ont fait montre d’une violence disproportionnée ainsi que de comportements antidémocratiques et ont commis des actes criminels, et il rapporte à titre d’illustration les faits suivants: i) la route nationale no 3, seule voie d’accès terrestre à la ville d’Ushuaia, a été coupée au mépris des injonctions répétées de la justice (plusieurs procédures pénales ont en conséquence été engagées); ii) le 12 avril 2016, en vue de couper l’approvisionnement en combustibles de la province, des manifestants ont bloqué l’accès à un dépôt de combustibles en mettant le feu à des matériaux en bois, ce qui a gravement mis en péril la sécurité publique; iii) à ces actes se sont ajoutés des manifestations empreintes de menace et d’intimidation comme signalé dans le cadre de plusieurs affaires pénales, divers actes de sabotage et de vandalisme de biens publics, et des agressions telles que celles perpétrées dans la sphère publique à l’encontre du vice-gouverneur; et iv) au sein des établissements scolaires, les travailleurs qui tentaient de s’acquitter de leur tâche ont été non seulement menacés, mais aussi blessés. Les autorités provinciales estiment que de tels actes de violence sont incompatibles avec les principes de la liberté syndicale.
  6. 118. Concernant les allégations de refus de dialogue et de remplacement de travailleurs, selon les autorités provinciales, en dépit du caractère non pacifique des actions syndicales qui étaient menées et face au conflit qui faisait rage, le gouvernement provincial a invité les syndicats à participer à des discussions paritaires afin de pouvoir aborder avec eux la question du conflit en tant que question relative aux conditions d’emploi des travailleurs entrant dans le champ de la négociation collective. Cela lui a toutefois été impossible à cause du refus opposé par le SUTEF, qui ne voulait aborder que des questions sans rapport avec la négociation collective et n’était pas d’accord de renoncer à poursuivre l’épreuve de force. Le gouvernement provincial a par conséquent dû prendre les mesures qui s’imposaient pour protéger les droits des enfants scolarisés dans le public, si bien qu’après avoir laissé s’écouler cinquante jours, il a décidé d’instaurer un programme de rattrapage de cours, à titre exceptionnel et provisoire. Les autorités provinciales affirment que ce programme ne visait aucunement à remplacer les grévistes. Au contraire, face aux dégâts sociaux que le conflit était en train de provoquer en perdurant, l’objectif était d’atténuer les conséquences préjudiciables sur les enfants en établissant des services minima. Selon les autorités provinciales, voyant le conflit se prolonger, les autorités judiciaires de la province ont exigé de l’exécutif qu’il envisage de mettre en place des services minima afin de limiter les dégâts qui étaient en train de se produire. En adoptant le programme de rattrapage de cours contesté par les organisations plaignantes, les autorités provinciales ont estimé que les critères fixés par le comité étaient réunis dans le cas de la grève qui touchait le secteur de l’éducation, car si ce secteur ne saurait être considéré comme un secteur essentiel au sens strict du terme, lorsqu’un conflit perdure, le fait d’établir des services minima, compte tenu en particulier du principe de l’intérêt supérieur des enfants, n’est aucunement attentatoire à la liberté syndicale. Les autorités provinciales soutiennent que le programme de rattrapage de cours résultait d’une situation exceptionnelle, qui résultait elle-même non seulement de la grève, mais aussi de l’état critique dans lequel se trouvait le système éducatif de la province. Selon les autorités provinciales, ce programme ne visait pas à remplacer les grévistes, étant donné que les enseignants nouvellement recrutés étaient investis d’une mission différente (donner les cours qui ne l’avaient pas été, en tant que ressources humaines supplémentaires propres à garantir le droit à l’éducation). Ces enseignants ont donc continué de s’acquitter de cette mission après la réintégration des travailleurs grévistes et même durant un certain temps après la fin du conflit. Le programme en question a également été prolongé, car la situation n’avait pas encore pu être ramenée à la normale du fait du grand nombre de jours de cours qui avaient été perdus.
  7. 119. Concernant les déductions effectuées sur les salaires pour les jours de grève, les autorités provinciales rappellent que le comité a estimé que les déductions de ce type ne sont pas contraires aux principes de la liberté syndicale, que la Commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations n’a pas critiqué les législations d’Etats Membres qui prévoient des déductions de salaire en cas de participation à une grève, et que la réglementation et la jurisprudence argentines tiennent compte de ces principes et disposent que, en cas de non-prestation de services consécutive à des mesures d’action directe, l’employeur a le droit de procéder aux déductions correspondantes. A cet égard, les autorités provinciales indiquent que le recours en amparo déposé par le SUTEF a été rejeté en première instance.
  8. 120. Concernant la déclaration d’illégalité de la grève, les autorités provinciales disent ne pas ignorer la position du comité selon laquelle la décision de déclarer une grève illégale ne devrait pas appartenir à un organe administratif, mais affirment que la décision rendue en l’espèce n’était pas antisyndicale. A cet égard, elles affirment également ce qui suit: i) en plus d’interrompre les cours durant plus de trois mois, la grève a presque entièrement paralysé l’activité de l’administration et du gouvernement, ce qui a forcé l’exécutif à adopter le décret no 462/16 du 22 mars 2016 portant déclaration d’un état d’urgence administrative; ii) l’épreuve de force menée par le SUTEF le 18 mai 2016 a été déclarée illégale par arrêté du ministère fuégien du Travail, de l’Emploi et de la Sécurité sociale (arrêté no 16/6), au motif que les griefs correspondants étaient sans rapport avec les relations du travail et débordaient le cadre d’un conflit du travail, autrement dit au motif que le conflit était quant à son objet étranger aux relations travailleurs-employeurs dans la mesure où il ne résultait d’aucun grief tenant aux conditions d’emploi ou de travail auquel l’exécutif provincial puisse porter remède en sa qualité d’employeur; iii) conformément à la jurisprudence et à la doctrine, une épreuve de force ne peut être menée que dans le seul cadre d’un conflit exclusivement contractuel lié aux relations du travail, de sorte que le recours en amparo déposé par le SUTEF a été rejeté en première instance au motif que la grève résultait d’une volonté de contester des lois, et pas d’un conflit avec l’Etat employeur; iv) un jour seulement, sur les plus de cent jours qu’a duré la grève menée par les manifestants et les syndicats en faisant un usage généralisé de la violence, était visé par la déclaration d’illégalité; et v) cette déclaration n’a donné lieu à aucune mesure de représailles ou autre (elle n’emportait aucune conséquence juridique effective).

C. Conclusions du comité

C. Conclusions du comité
  1. 121. Le comité observe que la plainte porte sur un certain nombre d’actes (persécution et discrimination antisyndicales consécutives à des actions collectives, refus de dialogue, remplacement de travailleurs, déductions de salaire et déclaration d’illégalité d’une grève), qui auraient été commis dans le cadre d’un conflit collectif dans le secteur de l’enseignement public de la province de Terre de Feu.
  2. 122. Le comité prend note des allégations des organisations plaignantes selon lesquelles, en réponse à des actions syndicales menées dans le cadre d’un conflit lié à l’adoption de mesures législatives concernant le système de sécurité sociale, les autorités ont commis des actes de persécution antisyndicale en intentant des actions judiciaires, dont des actions pénales et des actions visant à faire lever l’immunité syndicale de dirigeants aux fins de leur licenciement. Le comité observe cependant que les autorités provinciales allèguent la commission de nombreux actes de violence antidémocratiques et même délictueux dans le cadre d’actions syndicales collectives, et que ces actes ont donné lieu à plusieurs procédures, y compris pénales, qui sont encore pendantes. Il rappelle que le seul fait de participer à un piquet de grève et d’inciter fermement, mais pacifiquement, les autres salariés à ne pas rejoindre leur poste de travail ne peut être considéré comme une action illégitime. Il en va toutefois autrement lorsque le piquet de grève s’accompagne de violences ou d’entraves à la liberté de travail par contrainte exercée sur les non-grévistes, actes qui, dans beaucoup de pays, sont punis par la loi pénale. [Voir Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale, cinquième édition, 2006, paragr. 651.] Soulignant que le droit de grève n’est pas absolu et que les actes allégués par le gouvernement, tels que l’usage de la violence, le sabotage, les dommages causés aux biens publics et les menaces sérieuses à la sécurité publique seraient, s’ils étaient avérés, au-delà des limites de la protection offerte par ce droit, le comité prie le gouvernement de le tenir informé de l’issue des procédures judiciaires engagées à l’encontre de syndicalistes.
  3. 123. Le comité observe qu’un élément central de la présente plainte est l’allégation selon laquelle, durant le conflit lié à la législation sur la sécurité sociale, les autorités ont refusé d’engager le dialogue avec les organisations syndicales concernées, en particulier le SUTEF, et ont empêché la tenue en 2016 de réunions paritaires visant à négocier des questions relatives aux conditions de travail. Le comité note que les autorités provinciales contestent s’être opposées au dialogue et affirment au contraire que, au moment du conflit et en dépit de la commission de nombreux actes de violence, elles ont invité les organisations concernées à participer à des discussions paritaires afin d’aborder avec elles des questions ayant trait au travail. Selon les autorités provinciales, les efforts déployés pour régler le conflit par la voie de la négociation collective sont toutefois restés vains faute de coopération de la part du SUTEF, qui ne voulait aborder que la question de la législation sur la sécurité sociale. A cet égard, le comité constate ce qui suit: les autorités provinciales estiment que l’objet du conflit – lié à cette législation – que les organisations plaignantes ont fait naître ne relève pas de la compétence du comité et n’entre pas dans le champ de la négociation collective avec l’employeur; et, toujours selon les autorités provinciales, la mesure réclamée par les organisations plaignantes (abrogation ou modification des lois contestées) n’est pas du ressort de l’exécutif ni ne relève des possibilités de négociation collective. Toujours sur la même question, le comité observe que les organisations plaignantes ne demandent pas au comité d’examiner les lois qu’elles contestent ni de trancher la question du droit à la négociation collective sur ces lois, mais sollicitent la mise en place d’un mécanisme de dialogue pour régler le conflit, en rappelant à cet égard que les lois susmentionnées ont été proposées et approuvées par l’exécutif lui-même. Tout en rappelant qu’il n’est pas compétent pour examiner la teneur de lois sur la sécurité sociale et qu’il reconnaît le droit des Etats de légiférer en la matière, le comité rappelle également que, si le refus d’autoriser ou d’encourager la participation des organisations syndicales à l’élaboration des lois ou règlements nouveaux affectant leurs intérêts ne constitue pas nécessairement une infraction aux droits syndicaux, le principe de la consultation ou de la collaboration entre les pouvoirs publics et les organisations d’employeurs et de travailleurs aux échelons industriel et national mérite qu’on y attache la plus haute importance. A cet égard, le comité a appelé l’attention sur les dispositions de la recommandation (nº 113) sur la consultation aux échelons industriel et national, 1960. Le comité a également tenu à souligner l’intérêt d’une consultation des organisations d’employeurs et de travailleurs lors de la préparation et de la mise en œuvre d’une législation touchant leurs intérêts. [Voir Recueil, op. cit., paragr. 1077 et 1072.] Le comité constate avec regret que, comme l’indiquent les informations lui ayant été communiquées, le gouvernement, à savoir l’entité qui a élaboré et soumis les projets de loi, n’a pas consulté au préalable les partenaires sociaux sur des questions – réformes et mesures extraordinaires liées à la sécurité sociale, dont le relèvement des cotisations et la modification des conditions d’accès à la retraite – touchant directement les intérêts des travailleurs. Ayant dûment noté que les autorités provinciales insistent sur le fait que le dialogue social constitue pour elles une priorité, le comité invite le gouvernement à demander auxdites autorités de mettre en place un dispositif de dialogue social avec les organisations de travailleurs concernées visant à établir des mécanismes de consultation des partenaires sociaux dans le cadre de la préparation et de la mise en œuvre de dispositions législatives touchant leurs intérêts, et de régler toute question encore en suspens, en particulier concernant la promotion de la négociation collective sur les conditions de travail et d’emploi. Le comité prie le gouvernement de le tenir informé à cet égard.
  4. 124. Concernant les allégations des organisations plaignantes ayant trait aux travailleurs des ateliers culturels (précarité en matière d’emploi, licenciements, non-réintégration et tentatives infructueuses de négociation collective), le comité observe que les autorités provinciales jugent ces allégations infondées, au motif qu’elles portent sur des questions relatives au travail qui ne relèvent pas de la compétence du comité. A cet égard, le comité rappelle que, s’il ne lui appartient pas de se prononcer sur les conditions d’emploi des travailleurs concernés, il est compétent pour examiner la question de la jouissance et de l’exercice par ces derniers des droits de liberté syndicale et de négociation collective. Selon les organisations plaignantes, les autorités auraient empêché les travailleurs des ateliers culturels de mener des négociations collectives par l’intermédiaire du SUTEF, car elles ne se seraient pas présentées aux réunions de la commission établie à cette fin. A cet égard, le comité constate ce qui suit: i) selon les autorités provinciales, le statut syndical qui est reconnu au SUTEF vaut pour la représentation du personnel enseignant des écoles publiques et la réalisation de négociations en son nom, et les travailleurs des ateliers culturels ne font pas partie de ce personnel; et ii) les organisations plaignantes affirment que: a) le SUTEF est le syndicat qui représente les intérêts de ces travailleurs, car la législation considère que les travailleurs de la culture font partie du système d’éducation non formelle; b) se fondant sur la législation, le SUTEF a demandé à l’autorité compétente en matière de négociations collectives de mettre en place une commission de négociation; et c) le secrétariat à la Culture a refusé de participer à des négociations, au mépris d’un arrêté du sous-secrétariat au Travail ordonnant l’ouverture de négociations entre le SUTEF et le secrétariat à la Culture. Bien qu’il ne dispose pas des éléments dont il aurait besoin pour pouvoir se prononcer sur ce désaccord entre les parties, le comité observe que le droit de négociation collective qui est celui du groupe de travailleurs concerné n’est en rien remis en question, et il prie le gouvernement de demander aux autorités compétentes d’engager une négociation collective au sujet des travailleurs des ateliers culturels.
  5. 125. Concernant l’allégation selon laquelle des travailleurs ont été remplacés comme suite à la grève, le comité note que, selon les autorités provinciales: i) le recrutement d’enseignants supplémentaires visait non pas à remplacer certains travailleurs, mais à assurer des services minima (les autorités provinciales affirment avoir pris cette décision en se fondant sur les principes du comité concernant la possibilité d’établir de tels services dans le secteur de l’enseignement en cas de grève de longue durée – au moment où la décision susmentionnée a été adoptée, la grève durait depuis cinquante jours (et s’est prolongée d’autant); et ii) en raison des circonstances exceptionnelles auxquelles devait faire face le système éducatif, les enseignants supplémentaires recrutés ont poursuivi leur mission après la réintégration des travailleurs grévistes et même durant un certain temps après la fin du conflit. Le comité rappelle que des services minima peuvent être établis dans le secteur de l’enseignement en pleine consultation avec les partenaires sociaux dans les cas de grève de longue durée. [Voir Recueil, op. cit., paragr. 625.]
  6. 126. Concernant les allégations de déductions de salaire, le comité rappelle que les déductions de salaire pour les jours de grève ne soulèvent pas d’objections du point de vue des principes de la liberté syndicale. [Voir Recueil, op. cit., paragr. 654.]
  7. 127. Concernant les allégations selon lesquelles la grève a été déclarée illégale par décision administrative, le comité note que, selon les autorités provinciales: i) la décision en question a été prise concernant un seul jour (parmi la centaine que la grève a duré, et face à l’épreuve de force qui paralysait presque entièrement l’activité du gouvernement), et la déclaration d’illégalité n’emportait aucune mesure de représailles ou autre ni aucune autre conséquence juridique; et ii) l’épreuve de force du 18 mai 2016 a été déclarée illégale au motif que l’objet du conflit était étranger aux relations du travail dans la mesure où il ne résultait d’aucun grief tenant aux conditions d’emploi ou de travail auquel l’exécutif provincial puisse porter remède en sa qualité d’employeur. A cet égard, le comité tient à rappeler que la décision de déclarer la grève illégale ne devrait pas appartenir au gouvernement mais à un organe indépendant des parties, et que le droit de grève ne devrait pas être restreint aux seuls différends de travail susceptibles de déboucher sur une convention collective particulière: les travailleurs et leurs organisations doivent pouvoir manifester, le cas échéant, dans un cadre plus large leur mécontentement éventuel sur des questions économiques et sociales touchant aux intérêts de leurs membres. [Voir Recueil, op. cit., paragr. 531.]

Recommandations du comité

Recommandations du comité
  1. 128. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d’administration à approuver les recommandations suivantes:
    • a) Le comité invite le gouvernement à demander aux autorités provinciales compétentes de mettre en place un dispositif de dialogue social avec les organisations de travailleurs concernées afin, conformément aux principes de la liberté syndicale, de régler les questions relatives à la promotion de la négociation collective sur les conditions de travail et d’emploi et l’exercice du droit de grève dans le secteur de l’enseignement. Le comité prie le gouvernement de le tenir informé à cet égard.
    • b) Soulignant que le droit de grève n’est pas absolu et que les actes allégués par le gouvernement, tels que l’usage de la violence, le sabotage, les dommages causés aux biens publics et les menaces sérieuses à la sécurité publique seraient, s’ils étaient avérés, au-delà des limites de la protection offerte par ce droit, le comité prie le gouvernement de le tenir informé de l’issue des procédures judiciaires (actions pénales et levée de l’immunité syndicale) à l’encontre des syndicalistes dans le contexte des événements survenus lors des actions collectives mentionnées dans la plainte.
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