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Rapport où le comité demande à être informé de l’évolution de la situation - Rapport No. 384, Mars 2018

Cas no 3240 (Tunisie) - Date de la plainte: 15-AOÛT -16 - En suivi

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Allégations: L’organisation plaignante dénonce des entraves au libre exercice du droit syndical dans certaines entreprises, son exclusion du dialogue social national, et le manquement du gouvernement à mettre en place des instances de dialogue social prévues dans le Code du travail

  1. 527. L’Union des travailleurs de Tunisie (UTT) a présenté sa plainte dans une communication en date du 15 août 2016.
  2. 528. Le gouvernement a envoyé ses observations dans une communication en date du 29 mai 2017.
  3. 529. La Tunisie a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, la convention (no 98) sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949, ainsi que la convention (no 135) concernant les représentants des travailleurs, 1971.

A. Allégations de l’organisation plaignante

A. Allégations de l’organisation plaignante
  1. 530. Dans une communication en date du 15 août 2016, l’UTT déclare avoir été constituée en mai 2011 en vertu du pluralisme syndical prôné par la Constitution du pays. Elle fait état de 1 500 organisations syndicales affiliées, réparties dans toutes les régions et tous les secteurs d’activité. L’UTT estime ainsi le nombre de ses adhérents à 150 000, représentant 6,5 pour cent de la population active.
  2. 531. Dans sa plainte, l’UTT dénonce de manière générale des entraves à l’exercice de la liberté syndicale à l’encontre d’organisations affiliées dans des entreprises, notamment l’exercice du droit d’information, du droit de réunion et du droit de négociation collective. L’organisation plaignante indique en outre que, contrairement aux autres organisations syndicales, ses dirigeants syndicaux se voient refuser la mise en disponibilité syndicale pourtant prévue dans des règlements intérieurs. A l’appui de ses allégations, l’UTT fournit copie de dispositions du statut des agents de l’Office de la marine marchande et des ports, ainsi que du statut des agents de l’Office des céréales, qui prévoient que, «lorsqu’un agent est nommé délégué permanent d’un des syndicats auquel adhère le personnel, il est mis, à la demande de ce syndicat, en détachement pendant toute la durée de son mandat qui lui est confié. Durant son détachement, il conserve son droit à l’avancement […]».
  3. 532. Plus spécifiquement, l’organisation plaignante allègue le licenciement abusif de dirigeants syndicaux par l’entreprise «Carthage Cement» (ci-après «l’entreprise»). Ainsi, le secrétaire général du syndicat de base relevant de l’UTT au niveau de l’entreprise, nommément M. Faiçal Zoghbi, a été licencié par la direction le jour même où cette dernière a été informée de la constitution du syndicat. L’organisation plaignante dénonce les faits suivants à l’encontre de M. Zoghbi: i) la direction de l’entreprise le prive de la voiture de service mise à sa disposition le jour où elle est informée de la constitution du syndicat (18 décembre 2015); ii) la direction de l’entreprise décide de le muter dans d’autres fonctions le même jour; et iii) la direction de l’entreprise décide de le licencier le 21 décembre 2015 en dépit du fait que, quelques jours auparavant (19 décembre 2015), son supérieur hiérarchique lui avait accordé son congé annuel. L’UTT dénonce également des intimidations à l’encontre de travailleurs membres du syndicat.
  4. 533. Par ailleurs, l’UTT rappelle que, en vertu de l’article 355 du Code du travail il est prévu la constitution d’une commission nationale du dialogue social dont les prérogatives seraient, entre autres, de déterminer la représentativité des organisations syndicales en cas de différend au sujet du caractère le plus représentatif d’une ou de plusieurs organisations syndicales (art. 39 du code). L’UTT déclare que cette commission n’a jamais été constituée et que le gouvernement tire avantage de cette situation pour justifier de reconnaître le caractère représentatif uniquement à l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) et à l’Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat (UTICA), et ainsi d’exclure toutes les autres organisations représentatives légalement constituées du dialogue social. L’UTT indique que la commission nationale du dialogue social serait le cadre approprié pour gérer la nouvelle situation de pluralisme syndical depuis 2011.
  5. 534. Enfin, l’UTT dénonce le fait qu’elle n’a toujours pas reçu la part qui lui revient du Fonds public de développement économique au même titre que les autres organisations syndicales patronales, cela en vertu de l’article 58 de la loi des finances du 25 décembre 1974.
  6. 535. En conclusion, l’UTT demande au Comité de la liberté syndicale de rappeler au gouvernement ses engagements internationaux en matière de liberté syndicale, de droit de négociation collective et de protection des représentants des travailleurs. Le gouvernement devrait également être requis de prendre les mesures nécessaires pour cesser les entraves à l’exercice de la liberté syndicale et pour engager enfin un dialogue social inclusif avec toutes les organisations syndicales légalement constituées.

B. Réponse du gouvernement

B. Réponse du gouvernement
  1. 536. Le gouvernement a fourni ses observations en réponse aux allégations de l’UTT dans une communication en date du 29 mai 2017. S’agissant des allégations de mesures antisyndicales à l’encontre du secrétaire général du syndicat de base de l’UTT dans une entreprise de cimenterie, le gouvernement indique avoir sollicité des informations directement auprès de l’entreprise. Dans sa réponse, l’entreprise indique que M. Zoghbi était un agent commercial qui a fait l’objet d’un transfert dans un autre service au mois de décembre 2015. Ce dernier, ayant refusé de pourvoir son nouveau poste, a été convoqué en conseil de discipline en janvier 2016. Le conseil a décidé son licenciement. Le gouvernement précise que l’entreprise n’a pas sollicité l’autorisation du directeur général des services de l’inspection du travail et de la conciliation pour licencier M. Zoghbi, délégué syndical, conformément à l’article 166 du Code du travail. En vertu de cette dernière disposition du Code du travail, le directeur général des services de l’inspection du travail et de la conciliation doit émettre un avis motivé dans un délai n’excédant pas dix jours à compter de la date de sa saisine. En cas de non-respect de cet avis, le licenciement devient arbitraire quant à la forme. A cet égard, le gouvernement indique que M. Zoghbi a saisi la justice pour contester son licenciement.
  2. 537. S’agissant des allégations de l’organisation plaignante sur les manquements présumés du gouvernement en matière de respect des engagements internationaux et du Code du travail, le gouvernement indique que, en vertu de l’article 170 du Code du travail, l’inspection du travail est chargée de: i) veiller à l’application des dispositions légales, réglementaires et conventionnelles organisant les relations du travail ou qui en découlent; ii) fournir des informations et des conseils techniques aux employeurs et aux travailleurs sur les moyens les plus efficaces d’appliquer la législation du travail; iii) porter à l’attention des autorités compétentes toute déficience ou tout abus qui n’est pas spécifiquement couvert par les dispositions légales en vigueur; iv) établir des statistiques concernant les conditions de travail et d’emploi dans tous les secteurs d’activité sous son contrôle (art. 179 du Code du travail); et v) assister les gouverneurs dans leur mission de conciliation (art. 172 du Code du travail). L’inspection du travail est également chargée de traiter les conflits individuels et de superviser la conciliation entre les partenaires sociaux, afin d’encadrer ces conflits et d’assurer le suivi des structures du dialogue social au sein de l’entreprise, dans le but d’œuvrer à surmonter les difficultés auxquelles font face les partenaires sociaux. La loi ne prévoit pas en revanche que l’inspection intervienne dans le processus des élections syndicales qui est une fonction propre aux représentants des syndicats.
  3. 538. Le gouvernement indique par ailleurs que le ministère des Affaires sociales traite tous les partenaires sociaux sur un pied d’égalité dans le respect des principes de la liberté syndicale, y compris la pluralité syndicale. Dans ce contexte, le ministère des Affaires sociales travaille avec tous les partenaires sociaux afin d’établir un système de détermination de la représentativité syndicale qui fasse l’objet d’un consensus entre toutes les parties et qui soit compatible avec la spécificité de la réalité économique et sociale ainsi qu’avec le système des relations professionnelles en Tunisie. Ce processus de détermination bénéficie de l’appui du BIT. A cet égard, suite à la création d’une commission tripartite à cet effet, un accord a été trouvé afin de: i) déterminer les modalités du système de représentativité syndicale (représentativité absolue ou relative; différents niveaux (national, régional, sectoriel et institutionnel)); ii) fixer des critères objectifs et précis de détermination de la représentativité des organisations syndicales; iii) spécifier les compétences des organisations syndicales selon le degré de leur représentativité; iv) spécifier les différentes facilités accordées aux organisations syndicales en fonction de leur représentativité; v) déterminer l’organe chargé d’évaluer le degré de représentativité des organisations syndicales; et vi) déterminer l’organe compétent pour les recours relatifs aux résultats de l’évaluation de la représentativité syndicale.
  4. 539. Le gouvernement ajoute que la question de la détermination de la représentativité syndicale fera également l’objet d’un examen par le Conseil national du dialogue social dont la loi relative à son établissement a été récemment soumise au Parlement.

C. Conclusions du comité

C. Conclusions du comité
  1. 540. Le comité note que le présent cas concerne des allégations d’entraves au libre exercice du droit syndical dans une entreprise, d’exclusion de l’organisation plaignante des consultations tripartites nationales, et de manquement du gouvernement à son obligation de mettre en place des instances de dialogue social prévues dans le Code du travail.
  2. 541. Le comité note les allégations de caractère général de l’UTT concernant des entraves à l’exercice de la liberté syndicale à l’encontre d’organisations affiliées, notamment l’exercice du droit d’information, du droit de réunion et du droit de négociation collective. Le comité prend note de l’indication plus spécifique de la situation de dirigeants syndicaux dans l’entreprise, notamment du secrétaire général du syndicat de base relevant de l’UTT, M. Faiçal Zoghbi, qui aurait subi des mesures discriminatoires depuis le jour où la direction a été informée de la constitution du syndicat: i) confiscation de sa voiture de service; ii) mutation dans d’autres fonctions; et iii) licenciement abusif. Le comité note la réponse du gouvernement qui a sollicité des informations directement auprès de l’entreprise. Le gouvernement indique que M. Zoghbi était un agent commercial qui a fait l’objet d’un transfert dans un autre service au mois de décembre 2015. Ce dernier, ayant refusé de pourvoir son nouveau poste, a été convoqué en conseil de discipline en janvier 2016 puis licencié. Le comité note en outre l’indication du gouvernement selon laquelle l’entreprise n’aurait pas sollicité l’autorisation du directeur général des services de l’inspection du travail et de la conciliation, comme l’exige l’article 166 du Code du travail, et que M. Zoghbi a saisi la justice pour contester son licenciement. A cet égard, le comité observe que, aux termes de l’article 166 du Code du travail, tout licenciement d’un délégué titulaire ou suppléant du personnel, envisagé par l’employeur doit être soumis par celui-ci à l’inspection du travail territorialement compétente, et qu’est considéré abusif le licenciement intervenu sans respect de la procédure prévue ou lorsqu’il intervient contrairement à l’avis de l’inspecteur du travail, sauf s’il est établi auprès des tribunaux compétents l’existence d’une cause réelle et sérieuse justifiant ce licenciement. L’article 166 dispose en outre que l’employeur et le travailleur concernés conservent leur droit de recourir aux tribunaux compétents.
  3. 542. Le comité estime utile de rappeler qu’un des principes fondamentaux de la liberté syndicale est que les travailleurs doivent bénéficier d’une protection adéquate contre tous actes de discrimination tendant à porter atteinte à la liberté syndicale en matière d’emploi – licenciement, transfert, rétrogradation et autres actes préjudiciables –, et que cette protection est particulièrement souhaitable en ce qui concerne les délégués syndicaux, étant donné que, pour pouvoir remplir leurs fonctions syndicales en pleine indépendance, ceux-ci doivent avoir la garantie qu’ils ne subiront pas de préjudice en raison du mandat syndical qu’ils détiennent. Le comité a estimé que la garantie de semblable protection dans le cas de dirigeants syndicaux est en outre nécessaire pour assurer le respect du principe fondamental selon lequel les organisations de travailleurs ont le droit d’élire librement leurs représentants. [Voir Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale, cinquième édition, 2006, paragr. 799.] Le comité, notant l’indication selon laquelle M. Zoghbi a saisi la justice pour contester son licenciement, prie le gouvernement de le tenir informé des résultats du recours en justice et des suites données. Compte tenu du laps de temps écoulé depuis les faits dénoncés, le comité appelle l’attention sur le fait qu’assurer une protection adéquate contre les actes d’ingérence et de discrimination antisyndicale impose que soient instituées des procédures de recours rapides et, en cas d’infraction constatée, que soient prononcées des sanctions suffisamment dissuasives.
  4. 543. En ce qui concerne les allégations de l’organisation plaignante selon lesquelles les dirigeants syndicaux se voient refuser la mise en disponibilité syndicale pourtant prévue dans certains statuts d’agents ou dans les règlements intérieurs des entreprises, le comité est d’avis qu’un refus systématique d’accorder un détachement de représentation prévu dans les statuts en vigueur sans motif raisonnable n’est pas propice à l’instauration de relations professionnelles harmonieuses et devrait donc être évité. S’agissant de l’octroi de temps libre aux représentants des travailleurs, le comité rappelle que l’octroi de facilités aux représentants des organisations d’agents publics, dont entre autres l’octroi de temps libre, a pour corollaire la garantie d’un fonctionnement efficace de l’administration ou du service intéressé.
  5. 544. Par ailleurs, le comité note l’indication de l’UTT selon laquelle l’absence d’une commission nationale du dialogue social, prévue aux termes de l’article 355 du Code du travail, qui aurait pour prérogatives, entre autres, de trancher en cas de différend sur la représentativité des organisations syndicales, servirait de prétexte au gouvernement pour reconnaître le caractère représentatif uniquement à l’UGTT et à l’UTICA, et pour exclure toutes les autres organisations représentatives légalement constituées du dialogue social, à tous les niveaux. Le comité note que le gouvernement déclare traiter tous les partenaires sociaux sur un pied d’égalité dans le respect des principes de la liberté syndicale, y compris la pluralité syndicale. Selon le gouvernement, le ministère des Affaires sociales travaille avec tous les partenaires sociaux afin d’établir un système de détermination de la représentativité syndicale qui fasse l’objet d’un consensus entre toutes les parties et qui soit compatible avec la spécificité de la réalité économique et sociale ainsi qu’avec le système des relations professionnelles en place. Ce processus de détermination bénéficie de l’appui du BIT. Un accord a été trouvé afin de: i) déterminer les modalités du système de représentativité syndicale (représentativité absolue ou relative; différents niveaux (national, régional, sectoriel et institutionnel)); ii) fixer des critères objectifs et précis de détermination de la représentativité des organisations syndicales; iii) spécifier les compétences des organisations syndicales selon le degré de leur représentativité; iv) spécifier les différentes facilités accordées aux organisations syndicales en fonction de leur représentativité; v) déterminer l’organe chargé d’évaluer le degré de représentativité des organisations syndicales; et vi) déterminer l’organe compétent pour les recours relatifs aux résultats de l’évaluation de la représentativité syndicale. Le gouvernement ajoute que le Parlement a été saisi d’un projet de loi portant établissement d’un Conseil national du dialogue social qui examinera également la question de la représentativité syndicale.
  6. 545. Le comité renvoie aux divers cas concernant la Tunisie qu’il a examinés au cours de ces dernières années et à ses recommandations de longue date adressées au gouvernement de prendre toutes les mesures nécessaires pour fixer des critères clairs et préétablis de la représentativité syndicale en consultation avec les partenaires sociaux (voir cas nos 2994 et 3095). Tout en appréciant les informations fournies une fois encore sur les mesures prises à cet égard avec l’assistance technique du Bureau, le comité attend cependant du gouvernement qu’il achève les consultations tripartites engagées dans les meilleurs délais. Le comité insiste de nouveau sur la nécessité d’assurer que ces consultations sont inclusives en s’efforçant d’élargir leur champ à toutes les organisations syndicales et patronales concernées, cela afin de prendre en considération les divers points de vue. Le comité estime également que ce n’est qu’à cette condition que des privilèges éventuellement consentis envers certaines organisations vis-à-vis des autres – basés sur une représentativité clairement établie – seront compris et acceptés. Le comité attend du gouvernement qu’il fasse état de progrès tangibles dans un proche avenir.
  7. 546. Le comité prend note des allégations de l’UTT selon lesquelles celle-ci n’aurait toujours pas reçu la part qui lui reviendrait du Fonds public de développement économique, au même titre que les autres organisations syndicales et patronales, cela en vertu de l’article 58 de la loi des finances du 25 décembre 1974. Le comité prie le gouvernement de fournir ses commentaires à cet égard.

Recommandations du comité

Recommandations du comité
  1. 547. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité demande au Conseil d’administration d’approuver les recommandations suivantes:
    • a) Le comité prie le gouvernement de le tenir informé des résultats du recours en justice de M. Zoghbi contre la mesure de licenciement dont il a fait l’objet en janvier 2016, et des suites données.
    • b) Le comité attend du gouvernement qu’il achève les consultations tripartites engagées pour fixer des critères clairs et préétablis de la représentativité syndicale. Le comité insiste de nouveau sur la nécessité d’assurer que ces consultations sont inclusives en s’efforçant d’élargir leur champ à toutes les organisations syndicales et patronales concernées, cela afin de prendre en considération les divers points de vue. Le comité attend du gouvernement qu’il fasse état de progrès tangibles dans un proche avenir.
    • c) Le comité prie le gouvernement de fournir ses commentaires en réponse aux allégations de l’UTT selon lesquelles celle-ci n’aurait toujours pas reçu la part qui lui reviendrait du Fonds public de développement économique, cela en vertu de l’article 58 de la loi des finances du 25 décembre 1974.
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