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Rapport intérimaire - Rapport No. 386, Juin 2018

Cas no 3219 (Brésil) - Date de la plainte: 19-MAI -16 - Clos

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Allégations: Les organisations plaignantes dénoncent l’exclusion injustifiée du SINTHORESP de la représentation des travailleurs des établissements de restauration rapide de l’Etat de São Paulo ainsi que la condamnation de cette organisation à une amende pour avoir demandé en justice le versement de cotisations syndicales

  1. 121. La plainte figure dans une communication conjointe du Syndicat des travailleurs des hôtels, bars et établissements assimilés de São Paulo et sa région (SINTHORESP), de la Confédération des travailleurs du tourisme et de l’hôtellerie (CONTRATUH) et de la Nouvelle centrale syndicale des travailleurs (NCST) en date du 1er décembre 2015 ainsi que dans des communications additionnelles du SINTHORESP en date des 16 septembre et 7 décembre 2016 et du 17 mars 2017.
  2. 122. Le gouvernement a transmis ses observations dans une communication en date du 5 mai 2017.
  3. 123. Le Brésil n’a pas ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, mais a ratifié la convention (no 98) sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949, et la convention (no 154) sur la négociation collective, 1981.

A. Allégations des organisations plaignantes

A. Allégations des organisations plaignantes
  1. 124. Dans leur communication de décembre 2015, les organisations plaignantes allèguent que la condamnation du SINTHORESP à une forte amende pour avoir engagé des actions judiciaires fait obstacle à l’accès de cette organisation syndicale à la justice et porte atteinte à la liberté syndicale. Les organisations plaignantes allèguent en particulier que: i) le SINTHORESP a été condamné le 24 septembre 2015 par le 75e tribunal du travail de São Paulo à une amende de 100 000 réaux (environ 31 000 dollars des Etats-Unis) pour avoir, dans le cadre d’actions en justice séparées, demandé à plusieurs établissements de la chaîne McDonald’s (ci-après dénommée la «chaîne de restauration rapide») de lui verser les cotisations syndicales qui lui étaient dues; ii) le montant de l’amende est exorbitant si on le compare à la somme sur laquelle portait l’action en justice intentée par le syndicat (4 324 réaux); iii) cette amende a pour objectif de soumettre l’action du syndicat au contrôle de l’Etat, ce qui constitue un acte arbitraire contraire à l’article 3, paragraphe 2, de la convention no 87, qui interdit toute intervention des autorités publiques dans les activités des organisations syndicales; iv) est légitime l’initiative du syndicat ayant consisté à demander, dans le cadre d’actions en justice séparées, à chacun des établissements de la chaîne de restauration rapide dans la mesure où chacun est géré de manière autonome, le versement de la cotisation syndicale obligatoire; v) les actions en justice intentées par l’organisation, qualifiées de «harcèlement procédural» ayant valu une amende au SINTHORESP, sont en réalité l’expression de l’action syndicale que le syndicat mène pour défendre et améliorer les conditions de travail des employés du secteur de la restauration en général, et du secteur de la restauration rapide en particulier, comme le démontrent par exemple les initiatives prises par le syndicat pour éliminer les «contrats zéro heure» dans la chaîne de restauration rapide; vi) l’amende infligée au SINTHORESP est donc en contravention directe avec l’obligation faite aux autorités étatiques en général et au pouvoir judiciaire en particulier de protéger la liberté syndicale.
  2. 125. Dans ses communications additionnelles, l’organisation plaignante indique que l’amende infligée par le pouvoir judiciaire s’inscrit dans un contexte plus large de défiance des entreprises et de l’Etat envers le SINTHORESP. Elle affirme à cet égard que: i) les décisions judiciaires l’ont privée du droit de représenter les travailleurs des établissements de restauration rapide de l’Etat de São Paulo au profit d’une organisation syndicale proche des employeurs, à savoir le Syndicat des travailleurs des établissements de restauration rapide de la ville de São Paulo (SINDIFAST); ii) cette situation concerne uniquement l’Etat de São Paulo, le SINTHORESP étant toujours reconnu dans le reste du pays comme le syndicat représentant les travailleurs des restaurants, y compris ceux du secteur de la restauration rapide; iii) l’exclusion du SINTHORESP de la représentation des travailleurs des établissements de restauration rapide de l’Etat de São Paulo est révélatrice de la protection accordée par les autorités publiques à la chaîne de restauration rapide et s’explique par l’importance des intérêts économiques en jeu dans la mesure où l’Etat concerné concentre 40 pour cent des restaurants de la chaîne sur le territoire national; iv) les travailleurs des établissements de restauration rapide, qui sont les premiers intéressés, n’ont pas été consultés sur le choix de l’organisation syndicale appelée à les représenter; v) le gouvernement n’a pris aucune mesure pour faciliter les consultations entre les différents syndicats afin de trouver une solution juste à ce conflit de représentation.
  3. 126. Les organisations plaignantes ajoutent que: i) en conséquence de la création du syndicat d’entreprise SINDIFAST et de l’éviction consécutive du SINTHORESP en tant que syndicat habilité à représenter les travailleurs des établissements de restauration rapide de l’Etat de São Paulo, le SINDIFAST a engagé deux actions en justice, l’une devant les tribunaux du travail et l’autre devant les tribunaux ordinaires, pour obtenir du SINTHORESP le versement rétroactif des cotisations syndicales correspondant aux établissements de restauration rapide; ii) dans l’attente des décisions judiciaires pertinentes, les comptes bancaires du SINTHORESP sont bloqués, ce qui interdit le paiement des salaires des 800 fonctionnaires du syndicat et la fourniture de services aux travailleurs membres et représentés; iii) les sommes demandées par le SINDIFAST s’élèvent à plusieurs millions et, si elles étaient confirmées par la justice, cela mettrait en péril l’existence même du SINTHORESP et l’empêcherait de défendre les plus de 200 000 travailleurs du secteur qui font appel quotidiennement à ses services; iv) tous les éléments qui précèdent démontrent la volonté du gouvernement et des employeurs d’affaiblir, par la division syndicale, un des plus grands syndicats du secteur au niveau mondial.

B. Réponse du gouvernement

B. Réponse du gouvernement
  1. 127. Dans une communication en date du 5 mai 2017, le gouvernement transmet les éléments communiqués par le Tribunal supérieur du travail du Brésil. En ce qui concerne l’aspect de la plainte relatif à l’amende infligée au SINTHORESP pour harcèlement judiciaire, le Tribunal supérieur du travail indique que: i) les faits allégués ne portent atteinte à aucune norme nationale ou internationale en matière de liberté syndicale; ii) le SINTHORESP a engagé un nombre incalculable d’actions en justice en vue d’obtenir auprès d’établissements commerciaux le statut de bénéficiaire exclusif des cotisations syndicales obligatoires; iii) toutes les décisions judiciaires rendues aboutissent à la conclusion que les entreprises considérées n’entraient pas dans le champ d’action du SINTHORESP et que les cotisations syndicales obligatoires étaient versées aux organisations syndicales appropriées; iv) alors que le SINTHORESP multipliait les recours malgré les décisions de justice déjà rendues dans des affaires antérieures, les tribunaux, conformément à la législation brésilienne, ont établi que les actions en justice de l’organisation plaignante étaient entachées de mauvaise foi; v) l’amende de 100 000 réaux (environ 31 000 dollars E. U.) infligée par les tribunaux au SINTHORESP est proportionnée aussi bien à la gravité du comportement de l’organisation syndicale qu’à la valeur économique de l’objet de l’action en justice engagée, qui dépassait les 4 millions de réaux; vi) le montant de l’amende ne met pas en péril l’existence du syndicat et ne réduit pas non plus sa capacité d’action dans la mesure où ses ressources économiques lui permettent d’exécuter la décision judiciaire; vii) compte tenu de l’organisation du système judiciaire brésilien, l’organisation plaignante avait à sa disposition plus de dix voies de recours judiciaire contre la décision incriminée; viii) l’organisation plaignante disposait de tous les moyens pour se défendre et la décision incriminée respecte l’ensemble des droits de la défense et n’est entachée d’aucune irrégularité; ix) la justice n’a commis aucune ingérence dans les activités du SINTHORESP puisque c’est ce dernier qui a sollicité l’intervention des tribunaux par ses actions judiciaires; x) l’amende infligée pour usage manifestement incorrect des voies de recours judiciaires par l’organisation plaignante démontre que la loi est applicable à tous les sujets de droit.

C. Conclusions du comité

C. Conclusions du comité
  1. 128. Le comité note que le présent cas porte sur la situation dans l’industrie de la restauration rapide d’un syndicat du secteur de la restauration – le SINTHORESP – qui dans le contexte du mécanisme légal d’«encadrement syndical» a perdu le droit de représenter les travailleurs des établissements de fast-foods de l’Etat de São Paulo. Le comité note que, dans ce contexte, le syndicat allègue que: i) l’exclusion, par les autorités publiques, du SINTHORESP de la représentation des travailleurs des restaurants en question est injustifiée; ii) l’amende infligée par les tribunaux pour «harcèlement judiciaire» suite aux nombreux recours formés par le syndicat pour obtenir des établissements de restauration rapide de l’Etat de São Paulo qu’ils continuent de lui verser les cotisations syndicales viole la liberté syndicale de cette organisation.
  2. 129. En ce qui concerne l’allégation selon laquelle l’organisation plaignante serait exclue de manière injustifiée de la représentation des travailleurs des établissements de restauration rapide de l’Etat de São Paulo, le comité note que l’organisation allègue que: i) elle a été évincée, par voie de justice, par le SINDIFAST, syndicat considéré comme proche des intérêts des employeurs; ii) cette situation, qui concerne uniquement l’Etat de São Paulo, est révélatrice de la protection que les autorités publiques accordent à une chaîne de restauration rapide en particulier et s’explique par l’importance des intérêts économiques en jeu puisque cet Etat concentre 40 pour cent des restaurants de cette chaîne sur le territoire national; iii) les travailleurs des établissements de restauration rapide n’ont pas été consultés sur le choix de l’organisation syndicale chargée de les représenter; iv) le gouvernement n’a pris aucune mesure pour faciliter les consultations entre les différentes organisations syndicales afin de trouver une solution équitable à ce conflit de représentation; v) au contraire, le SINDIFAST a engagé une action en justice dont l’objet se chiffre en millions pour obtenir du SINTHORESP le versement rétroactif des cotisations syndicales correspondant aux établissements de restauration rapide, ce qui pourrait mettre en péril l’existence de ce syndicat sectoriel; vi) tous les éléments qui précèdent démontrent la volonté du gouvernement et des employeurs d’affaiblir, par la division syndicale, un des principaux syndicats du secteur au niveau mondial.
  3. 130. Le comité note avec regret qu’à ce jour le gouvernement n’a pas communiqué ses observations sur cet aspect de la plainte qui s’inscrit dans le contexte du mécanisme légal d’«encadrement syndical», en vertu duquel un seul syndicat est habilité à représenter les travailleurs dans un secteur et sur un territoire déterminés. A cet égard, le comité rappelle qu’il s’est prononcé depuis longtemps sur le système d’unicité syndicale en vigueur au Brésil, soulignant que l’imposition légale du monopole syndical n’est pas compatible avec les principes de la liberté syndicale et exhortant par conséquent le gouvernement à aligner la législation nationale sur ces décisions. [Voir par exemple 325e rapport, cas no 2099, paragr. 193.] Le comité a rappelé également de manière générale que les travailleurs et les employeurs devraient en pratique pouvoir choisir librement quelles organisations les représentent dans les négociations collectives, et que sont compatibles avec la convention no 98 tant le système du négociateur unique (l’organisation la plus représentative) que celui d’une délégation composée de toutes les organisations ou seulement des plus représentatives en fonction de critères clairs définis au préalable pour déterminer les organisations habilitées à négocier. [Voir Compilation des décisions du Comité de la liberté syndicale, sixième édition, 2018, paragr. 1359 et 1360.] Tout en soulignant l’importance des éléments susmentionnés pour les systèmes de relations collectives de travail en général et pour le système brésilien en particulier, le comité prie le gouvernement de transmettre dans les meilleurs délais ses observations sur les allégations de l’organisation plaignante relatives à son exclusion de la représentation des travailleurs des établissements de restauration rapide de l’Etat de São Paulo, y compris des informations sur les procédures et décisions ayant conduit à ladite exclusion. Le comité demande également à l’organisation plaignante de fournir de plus amples informations sur son degré de représentativité dans l’Etat de São Paulo en général et dans les établissements de restauration rapide de cet Etat en particulier ainsi que des informations actualisées sur l’action en justice que le SINDIFAST aurait intentée contre le SINTHORESP.
  4. 131. En ce qui concerne la contestation de l’amende infligée par les tribunaux au SINTHORESP pour harcèlement judiciaire, le comité note que l’organisation allègue: i) que le 75e tribunal du travail de São Paulo l’a condamnée le 24 septembre 2015 à une amende de 100 000 réaux (31 000 dollars E.-U.) pour avoir demandé, au moyen d’ actions en justice séparées, que plusieurs établissements d’une entreprise de restauration lui versent les cotisations syndicales qui lui étaient dues; ii) que le montant de l’amende est exorbitant et a pour objectif de soumettre l’action du syndicat au contrôle de l’Etat; iii) que la multiplicité des actions s’explique par le fait que chaque établissement de la chaîne est géré de manière autonome; iv) que les nombreuses actions en justice engagées par le SINTHORESP, considérées par le pouvoir judiciaire comme du harcèlement judiciaire, constituent en réalité l’expression de l’action menée par le SINTHORESP pour les besoins de la défense et de l’amélioration des conditions de travail des employés des établissements de restauration rapide, et que l’existence du syndicat serait mise en péril par la création de syndicats proches des employeurs. Le comité note par ailleurs que le gouvernement transmet la réponse du président du Tribunal supérieur du travail, selon lequel: i) le SINTHORESP a engagé un nombre invraisemblable d’actions en justice en vue d’obtenir auprès des établissements commerciaux le statut de bénéficiaire exclusif des cotisations syndicales obligatoires; ii) toutes les décisions judiciaires rendues aboutissent à la conclusion que les entreprises considérées n’entraient pas dans le champ d’action du SINTHORESP et que les cotisations syndicales obligatoires étaient versées aux organisations syndicales appropriées; iii) devant la répétition d’actions en justice identiques, les tribunaux ont établi que les actions en justice de l’organisation plaignante étaient entachées de mauvaise foi et que l’organisation doit respecter la loi comme tous les autres sujets de droit; iv) l’amende de 100 000 réaux est proportionnée à la gravité du comportement de l’organisation syndicale, et son montant ne met pas en péril l’existence de cette dernière; v) le droit à une procédure régulière et les droits de la défense ont été respectés et le syndicat avait à sa disposition de multiples possibilités pour contester la décision incriminée.
  5. 132. Le comité rappelle que la liberté syndicale n’implique pas seulement le droit, pour les travailleurs et les employeurs, de constituer librement des associations de leur choix, mais encore celui, pour les associations professionnelles elles-mêmes, de se livrer à une activité licite de défense de leurs intérêts professionnels. [Voir Compilation, op. cit., paragr. 716.] Le comité souligne que, pour ces raisons, les organisations professionnelles doivent disposer d’un libre accès à la justice pour pouvoir défendre leurs intérêts et ceux de leurs membres sans craindre des conséquences négatives susceptibles de dissuader des recours ultérieurs devant les tribunaux. Tout en prenant note de l’observation du Tribunal supérieur du travail selon laquelle les organisations syndicales doivent respecter la loi comme les autres sujets de droit, le comité observe que, dans le présent cas, il ne dispose pas d’éléments suffisants pour déterminer l’existence éventuelle d’une restriction à la liberté syndicale.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 133. Au vu des conclusions intérimaires qui précèdent, le comité invite le conseil d’administration à approuver la recommandation suivante:
    • Tout en rappelant l’importance qu’il attache à ce que les travailleurs puissent choisir librement l’organisation qui les représente, le comité prie le gouvernement de lui communiquer dans les plus brefs délais ses observations sur les allégations de l’organisation plaignante relatives à son exclusion de la représentation des travailleurs des établissements de restauration rapide de l’Etat de São Paulo, y compris des informations sur les procédures et décisions ayant conduit à ladite exclusion; le comité demande également à l’organisation plaignante de fournir de plus amples informations sur son degré de représentativité dans l’Etat de São Paulo en général et dans les établissements de restauration rapide de cet Etat en particulier ainsi que des informations actualisées sur l’action en justice que le SINDIFAST aurait intentée contre le SINTHORESP.
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