ILO-en-strap
NORMLEX
Information System on International Labour Standards

Rapport intérimaire - Rapport No. 386, Juin 2018

Cas no 3271 (Cuba) - Date de la plainte: 21-DÉC. -16 - Actif

Afficher en : Anglais - Espagnol

Allégations: Attaques, harcèlement et persécution de syndicalistes indépendants, se traduisant par des détentions, des agressions et des licenciements, entre autres actes de discrimination et d’ingérence antisyndicale commis par les autorités publiques, ainsi que reconnaissance officielle d’une centrale syndicale unique contrôlée par l’Etat et absence de négociation collective et de reconnaissance juridique du droit de grève

  1. 214. La plainte figure dans des communications de l’Association syndicale indépendante de Cuba (ASIC) datées du 21 décembre 2016 et des 3 janvier, 7 février, 30 mars et 3 avril 2017.
  2. 215. Le gouvernement a envoyé ses observations dans une communication du 29 septembre 2017.
  3. 216. Cuba a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, et la convention (no 98) sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949, ainsi que la convention (no 135) concernant les représentants des travailleurs, 1971.

A. Allégations de l’organisation plaignante

A. Allégations de l’organisation plaignante
  1. 217. Dans ses communications du 21 décembre 2016 et des 3 janvier, 7 février, 30 mars et 3 avril 2017, l’ASIC dénonce de nombreux actes concrets de discrimination et d’ingérence antisyndicale commis par les autorités (y compris des cas de harcèlement, de persécution, de détention et d’agression) à l’encontre de militants syndicaux indépendants, allègue que le gouvernement ne reconnaît qu’une seule centrale syndicale et fait valoir l’absence de négociation collective et de reconnaissance juridique du droit de grève dans le pays.
  2. 218. L’ASIC indique qu’elle a été créée le 26 octobre 2016, en remplacement de la Coalition syndicale indépendante de Cuba (CSIC). Elle transmet une copie des documents attestant de sa création et de sa composition, ainsi que de sa déclaration de principes et de ses statuts, dans lesquels il est énoncé que l’ASIC résulte de la fusion du Conseil unitaire des travailleurs de Cuba (CUTC), de la Confédération des travailleurs indépendants de Cuba (CTIC) et de la Confédération ouvrière nationale indépendante de Cuba (CONIC). Dans sa déclaration de principes, l’ASIC défend le principe de l’autonomie syndicale dans le cadre d’un Etat de droit, promeut le plein respect des normes internationales du travail de l’OIT, affirme ne pas participer ou être associée à des activités politiques ou partisanes et souligne combien il est important de nouer des liens de fraternité et de solidarité avec les travailleurs du reste du monde, quelle que soit leur idéologie ou leur religion. Ses statuts prévoient, parmi les objectifs de l’ASIC, le regroupement des syndicats indépendants du pays et la dénonciation des violations des normes internationales. Ils énoncent, parmi les devoirs des membres de l’association, la lutte pour les revendications et les avantages sociaux des travailleurs. L’ASIC donne également des indications précises sur son organigramme et ses dirigeants élus et souligne qu’elle est représentée dans toutes les provinces du pays.
  3. 219. L’ASIC allègue que le gouvernement ne reconnaît qu’une seule centrale syndicale dans le pays, à savoir la Centrale des travailleurs de Cuba (CTC), contrôlée par l’Etat et le Parti communiste. Elle indique que le Code du travail maintient en l’état le monopole de la CTC, sous une formulation implicite. Elle estime que le texte du Code du travail prévoit un respect officiel des normes internationales, mais qu’il ne correspond en rien à la réalité du monde du travail à Cuba. L’ASIC souligne à cet égard que l’article 13 du Code du travail prévoit que les travailleurs aient le droit de s’associer volontairement et de constituer des organisations syndicales «conformément aux principes unitaires fondateurs». Elle considère également que la loi no 118, qui régit les investissements étrangers, et les normes relatives à la zone spéciale de développement Mariel (ZEDM) sont contraires aux principes de la liberté syndicale. Dans ce contexte, l’ASIC allègue que les forces de police et les services de sécurité de l’Etat, ainsi que les personnes qui exercent l’autorité sur le lieu de travail, répriment de manière implacable toute manifestation revendicative menée de manière autonome et indépendante, qu’elle soit individuelle ou collective, et refusent de reconnaître toute représentation autre que celle du syndicalisme officiel.
  4. 220. A cet égard, l’ASIC présente dans sa plainte un récit détaillé d’attaques et d’actes d’ingérence et de discrimination syndicale commis par les autorités à l’encontre de militants syndicalistes indépendants et souligne que, par conséquent, ces derniers se sont vus contraints de mener leurs activités dans un contexte extrêmement hostile et répressif. Parmi les attaques alléguées, l’organisation plaignante évoque l’arrestation de syndicalistes, des menaces de sanctions pénales, des agressions physiques et une violation de domicile, des poursuites à l’encontre de dirigeants et leur condamnation, des licenciements et des détentions de courte durée (mais systématiques), l’interdiction de se déplacer, ainsi que le recours à des procédés tels que la menace constante d’emprisonnement, la saisie de biens syndicaux ou le licenciement de travailleurs en raison de leurs activités syndicales, y compris leur simple participation à des cours de formation syndicale. Les allégations concrètes de l’ASIC sont résumées ci-après:
    • a) Le 6 novembre 2015, M. Kelvin Vega Rizo, secrétaire du Syndicat indépendant des travailleurs du secteur minier, affilié à la CTIC, a été licencié de l’ancienne usine de nickel «René Ramos Latour», où il était plombier depuis plus de vingt-trois ans. Selon M. Vega Rizo, des agents du Département de sécurité de l’Etat (DSE) ont ordonné aux dirigeants de l’usine de le licencier après sa participation à un cours de formation syndicale dispensé à l’Université des travailleurs d’Amérique latine (UTAL), à Panama.
    • b) Le 9 décembre 2015, des agents de la police politique secrète vêtus en civil ont arrêté M. Osvaldo Arcis Hernández, syndicaliste indépendant et membre du syndicat indépendant d’Escambray, dans la commune de Trinidad et l’ont placé en garde à vue. Neuf jours plus tard, M. Arcis Hernández a été jugé dans le cadre d’une procédure judiciaire extrêmement sommaire et condamné à deux ans d’emprisonnement, accusé d’un présumé délit de dangerosité sociale. Les autorités ne lui ont pas permis de choisir un avocat pour sa défense et lui ont assigné un avocat commis d’office. Avant son arrestation, il avait fait l’objet d’agressions physiques et d’avertissements, par l’intermédiaire desquels il avait été menacé d’emprisonnement s’il ne mettait pas fin à ses activités syndicales indépendantes. Il a été relâché le vendredi 19 août 2016 sous liberté conditionnelle et informé qu’il serait de nouveau emprisonné s’il poursuivait ses activités.
    • c) Le 6 janvier 2016, les forces conjointes du ministère de l’Intérieur et du DSE ont perquisitionné le domicile de M. Bárbaro Tejeda Sánchez, syndicaliste indépendant, à Holguín. Les gendarmes ont minutieusement fouillé l’immeuble et saisi un ordinateur portable, un téléphone portable, un dispositif de mémoire flash et un appareil photo et ont refusé de présenter un mandat de perquisition. Le gouvernement n’a pas répondu à la réclamation présentée par le syndicaliste.
    • d) M. Pavel Herrera Hernández, syndicaliste indépendant, a été victime d’actes de répression répétés commis par des agents du DSE. Ces actes se sont notamment traduits par une surveillance permanente de tous ses mouvements, des détentions arbitraires de courte durée (accompagnées de menaces de licenciement en cas de poursuite de ses activités contestataires) et une expulsion de son poste de travail. Le 8 avril 2016, il a été démis de ses fonctions de docker, qu’il exerçait depuis plus de huit ans, car la direction lui reprochait des absences injustifiées, notamment les 9 et 22 mars 2016, jours au cours desquels il avait été arrêté par des agents du DSE sur le chemin entre son domicile et son lieu de travail (le 22 mars, dernier jour de la visite du Président des Etats-Unis, il a été maintenu en garde à vue).
    • e) Avant et pendant la visite du Président des Etats-Unis, plusieurs militants de la CTIC ont été arrêtés, menacés et agressés: i) le 12 mars 2016, M. Alexis Gómez Rodríguez, secrétaire général du Syndicat des travailleurs de la restauration, a été arrêté par des agents du DSE et des policiers, alors qu’il quittait son domicile pour rejoindre son lieu de travail, et placé en garde à vue. Il a été libéré après 20 h 30 et sommé de rester chez lui pendant la visite du Président américain; ii) le 17 mars 2016, M. Iván Hernández Carrillo, secrétaire général de la CTIC, a été arrêté à Colón par près d’une dizaine de policiers qui l’ont mis au sol et rué de coups de pied, ont endommagé ses vêtements et ses chaussures et l’ont placé de force dans une cellule. Un avertissement a ensuite été émis à son encontre pour un acte supposé de trouble à l’ordre public, et l’intéressé a été libéré après le versement d’une amende. Le jour suivant, M. Hernández Carrillo a de nouveau été arrêté et averti qu’il était soumis à une restriction de déplacement pendant la visite du Président des Etats-Unis; et iii) d’autres militants syndicaux ont fait l’objet d’un avertissement officiel et d’une interdiction de quitter leur domicile, notamment MM. Emilio Gottardi Gottardi et Raúl Zerguera Borrell.
    • f) Le 31 juillet 2016, lors de son retour à Cuba après un voyage de travail, M. Iván Hernández Carrillo (secrétaire général de l’ASIC) a été arrêté de force à l’aéroport, placé en garde à vue, accusé d’un délit présumé de désobéissance et, le jour suivant, remis en liberté sans inculpation. Bon nombre de ses affaires personnelles avaient été fouillées, abîmées ou volées, y compris une radio, 15 disques contenant les conventions de l’OIT et d’autres documents de cette institution, ainsi que des chandails et des décalcomanies considérés par le régime comme relevant de la «propagande ennemie». Face à cette situation, des organismes internationaux ont publiquement exigé la fin de ces abus, notamment la Fédération américaine du travail et Congrès des organisations industrielles (AFL-CIO), la Fédération internationale des droits de l’homme et la Commission interaméricaine des droits de l’homme.
    • g) Le 20 septembre 2016, plusieurs militants syndicaux de la CONIC, du CUTC et de la CTIC ont été arrêtés ou retenus à leur domicile par les forces de la police politique pour les empêcher de tenir une réunion pacifique dont l’objectif était de créer une grande coalition syndicale indépendante. Se trouvaient parmi les personnes détenues: i) M. Alejandro Sánchez Zaldívar, secrétaire général du CUTC, arrêté tôt le matin alors qu’il quittait son domicile, transféré dans des locaux de l’autorité judiciaire et interrogé par des agents du DSE avant d’être relâché loin de son domicile; ii) Mme Ariadna Mena Rubio, membre de la CTIC, placée en garde à vue et libérée huit heures plus tard après un interrogatoire poussé; iii) Mme Hilda Aylin López Salazar, membre de la CONIC, conduite dans les locaux de la troisième unité policière de La Havane et soumise à un interrogatoire sévère; et iv) MM. Aimée de las Mercedes Cabrera Álvarez (CUTC), Reinaldo Cosano Alén (CONIC) et Víctor Manuel Domínguez García (Centre national de formation syndicale (CNCS)), qui ont été menacés d’arrestation s’ils quittaient leur domicile.
    • h) Le 22 septembre 2016, M. Felipe Carrera Hernández, militant de la CTIC, a été arrêté à son domicile par des agents de la police nationale et transféré dans les locaux d’une unité de police, où il a été interrogé pendant deux heures par des officiers de la police politique secrète vêtus en civil au sujet de ses activités syndicales et professionnelles. Il a été libéré après avoir fait l’objet de graves menaces.
    • i) Le 7 novembre 2016, M. Emilio Gottardi Gottardi, militant de l’ASIC, a été arrêté par des agents du DSE et de la police à la sortie de son domicile, interrogé et menacé en raison de ses activités de formation syndicale, puis libéré en milieu de journée.
    • j) Le 14 décembre 2016, des agents de police se sont présentés au domicile de plusieurs membres de l’ASIC à La Havane (MM. Pedro Scull, Aimée Cabrera et Alejandro Sánchez) pour les informer qu’une réunion prévue par le secrétariat de l’ASIC n’était pas autorisée et leur demander de prévenir M. Iván Hernández Carrillo, secrétaire général de l’association (qui réside dans la ville de Colón, à environ 127 kilomètres de La Havane), qu’il serait incarcéré s’il se rendait à la capitale. Un des agents de police en question a indiqué à M. Alejandro Sánchez qu’«il appliquait des ordres venus directement de Raúl Castro et consistant à ne plus tolérer les activités de l’opposition».
    • k) Le 27 décembre 2016, M. Mateo Moreno Ramón, syndicaliste indépendant, a été interpelé dans la rue par deux agents de la police politique secrète qui cherchaient à l’intimider et à obtenir des informations sur ses activités syndicales.
    • l) La nuit du 28 décembre 2016, M. Iván Hernández Carrillo, secrétaire général de l’ASIC, alors qu’il rentrait chez lui à Colón depuis La Havane accompagné de Mme Caridad Burunate Gómez, membre du mouvement «Damas de blanco», a été victime d’une tentative de vol avec violence et d’une brutale agression à laquelle ont participé quatre agents de la police politique secrète, identifiés par la suite. A une date ultérieure, les deux militants ont été détenus, soumis à une fouille corporelle minutieuse et à une fouille de leurs affaires personnelles, puis libérés sans inculpation. Dans l’après-midi de ce même jour, M. Felipe Carrera Hernández, militant syndical, a été arrêté puis libéré deux heures plus tard.
    • m) Le 30 décembre 2016, M. Emilio Alberto Gottardi Gottardi, délégué provincial de l’ASIC à La Havane, a reçu la visite à son domicile de deux agents de la police politique secrète vêtus en civil, qui l’ont mis en garde quant à ses activités et lui ont fait savoir que ses déplacements seraient limités pendant les fêtes de fin d’année.
    • n) Le 22 janvier 2017, les autorités migratoires, se prévalant d’une supposée réglementation migratoire, ont émis une interdiction de voyager à l’intention de M. Raúl Domingo Zerguera Borrell, syndicaliste qui avait été invité à l’UTAL pour assister à un séminaire sur l’actualité et l’avenir de l’organisation des travailleurs dans l’économie informelle. Le syndicaliste a été sommé avec un ton menaçant de quitter les lieux par, semble-t-il, un agent de la police politique secrète et a été arrêté à son retour à La Havane, où il a été retenu pendant une heure dans une caserne du centre de la ville.
    • o) Dans la matinée du 30 janvier 2017, le logement de M. Carlos Roberto Reyes Consuegras, syndicaliste indépendant, a été perquisitionné de manière inopinée par les forces conjointes du ministère de l’Intérieur et du DSE, qui ont minutieusement fouillé les lieux et saisi deux ordinateurs portables, un appareil photo, une machine à écrire, un téléphone portable, ainsi que plusieurs textes de réclamation adressée à l’Etat ainsi que d’autres documents de l’organisation. A l’issue de la perquisition, le syndicaliste a été arrêté et détenu pendant six heures dans des locaux du ministère de l’Intérieur, dans la commune de Cruces, où il a été soumis à un interrogatoire sévère. Il a été interrogé sur ses activités syndicales ainsi que sur les services de conseil juridique en matière de travail qu’il fournit gratuitement aux citoyens pour les aider à rédiger des réclamations en vertu du droit constitutionnel. Les autorités ont engagé des poursuites judiciaires contre le syndicaliste pour un présumé délit d’usurpation de fonctions publiques, passible d’une à trois années de privation de liberté, selon les informations qui lui ont été communiquées. Il a finalement été libéré et informé qu’il faisait l’objet d’une restriction de déplacement jusqu’à la tenue de l’audience de jugement le concernant.
    • p) Le 5 février 2017, M. Iván Hernández Carrillo, secrétaire général de l’ASIC, a été agressé, puis détenu après avoir essayé de prendre des photos pendant l’arrestation par des agents des services de la sécurité de l’Etat de sa mère, Mme Asunción Carrillo Hernández, membre du mouvement «Damas de blanco». Il a été menotté et transféré au commissariat de police de Colón. Il a été libéré quatre heures plus tard après s’être vu imposer une amende, accusé d’actes présumés de trouble à l’ordre public et avoir fait l’objet d’un avertissement.
    • q) Le 23 février 2017, il a été interdit à MM. Lázaro Ricardo Pérez (membre de la direction de l’ASIC) et Hiosvani Pupo, syndicalistes indépendants, de se rendre à La Havane et, ainsi, de participer à des réunions de l’ASIC.
    • r) Le 28 mars 2017, des agents des services de sécurité de l’Etat et des policiers ont perquisitionné le domicile de M. Yoanny Limonta García, journaliste syndical indépendant. Après une fouille minutieuse de son domicile, M. Limonta García a été arrêté et transféré au poste de police municipal, où il a été interrogé, puis libéré, après avoir été averti qu’il serait incarcéré s’il poursuivait ses activités.
    • s) Le 29 mars 2017, M. Iván Hernández Carrillo, secrétaire général de l’ASIC, a été arrêté au cours de son déplacement à La Havane et placé dans une petite cellule où il est resté enfermé pendant dix heures, dans des conditions d’hygiène déplorables, sans inculpation. Selon le mandat d’arrêt, le fait qu’il soit considéré comme un opposant justifiait son arrestation. M. Iván Hernández Carrillo a finalement été libéré, mais la police a confisqué ses documents d’identité.
  5. 221. Enfin, l’ASIC allègue l’absence de négociation collective et de reconnaissance juridique du droit de grève.

B. Réponse du gouvernement

B. Réponse du gouvernement
  1. 222. Dans sa communication du 29 septembre 2017, le gouvernement transmet ses observations concernant la plainte. Il précise que sa réponse a été rédigée en consultation avec la CTC et l’Organisation nationale des employeurs cubains, organisations représentatives des travailleurs et des employeurs, et qu’une copie de la plainte a été remise à ces organisations.
  2. 223. Premièrement, le gouvernement affirme que les allégations présentées dans la plainte sont fausses et relèvent de campagnes de manipulation politique organisées et financées depuis l’étranger pour discréditer le pays. Il dénonce la pratique inacceptable consistant à essayer de tirer parti des organes de contrôle de l’OIT à des fins politiques.
  3. 224. Deuxièmement, le gouvernement affirme que l’ASIC n’est pas une organisation syndicale et souligne à cet égard que: i) l’ASIC n’a pas pour objectif de promouvoir ou de défendre les intérêts des travailleurs; ii) l’ASIC ne compte sur le soutien réel d’aucun collectif de travail et ne regroupe pas des travailleurs cubains; et iii) les supposés dirigeants militants mentionnés dans la plainte ne représentent pas des collectifs de travail et ne sont pas eux-mêmes des travailleurs, étant donné qu’ils ne sont pas liés par une relation de travail à des entités ou des employeurs à Cuba et ne sont donc ni concernés par les activités de l’OIT ni visés par le droit du travail (le gouvernement considère que l’OIT a défini l’existence d’une relation de travail comme une condition indispensable à l’application des normes relatives au travail). Le gouvernement estime que, étant donné qu’elles ne sont liées par aucune relation de travail et ne font partie d’aucun collectif de travail, ces personnes n’ont pas été élues par des travailleurs pour les représenter, condition prévue à l’article 3 de la convention no 135 pour se voir reconnaître le statut de représentant. Le gouvernement allègue que ces personnes sont au service des individus qui les financent depuis l’extérieur, avec l’objectif de troubler l’ordre interne établi par la loi, dans le cadre de programmes étrangers visant à provoquer un changement de régime. A cet égard, le gouvernement indique que les supposés dirigeants de l’ASIC sont financés par le Groupe international pour la responsabilité sociale des entreprises de Cuba, lui-même financé par l’organisation américaine National Endowment for Democracy. Ainsi, le gouvernement présente des exemples d’activités et des indications concernant plusieurs des personnes mentionnées dans la plainte, notamment des voyages à l’étranger pour recevoir des fonds et des instructions, la commission de délits de droit commun de diverses natures, la présentation de plaintes pour des questions non liées au travail, l’absence de relation de travail ou l’application de mesures disciplinaires à leur encontre pour des violations répétées de la législation du travail ou pour déclaration d’inaptitude au travail.
  4. 225. Troisièmement, le gouvernement réfute l’idée selon laquelle les travailleurs cubains ne bénéficieraient pas des garanties nécessaires pour exercer leurs droits au travail et leurs droits syndicaux. Il indique à cet égard que la CTC et 16 syndicats nationaux de branche affiliés à cette confédération représentent les intérêts de 3 249 988 membres (96,4 pour cent des travailleurs) et bénéficient de toutes les garanties nécessaires pour mener leurs activités syndicales, notamment le fait que les syndicats ne sont pas tenus de s’enregistrer pour être reconnus. Ainsi, le gouvernement affirme que le champ d’application des droits syndicaux est pleinement conforme aux conventions nos 87, 98 et 135 de l’OIT et est bien plus vaste que dans d’autres pays. Cette situation se traduit par la reconnaissance du droit des travailleurs à s’associer volontairement et à créer des organisations syndicales, conformément aux principes unitaires fondateurs, à leurs statuts et à leurs règlements, ainsi que par le rôle privilégié que jouent les organisations syndicales dans la vie politique du pays (le gouvernement rappelle que la CTC est habilitée à présenter des propositions de loi) et par la protection pénale des syndicats, qui se caractérise par des sanctions sévères à l’encontre de toute personne qui chercherait à entraver le plein exercice des droits au travail. Le gouvernement souligne également que les relations de travail dans le cadre de modalités d’investissement étranger sont régies par les dispositions de la législation nationale en vigueur et que les travailleurs de ce secteur ont, comme le reste des travailleurs cubains, le droit à la création de syndicats et à la négociation collective et qu’ils exercent largement ce droit. Ainsi, le gouvernement indique que le décret-loi no 313 de 2013 relatif à la ZEDM prévoit que les concessionnaires et les utilisateurs de cette zone doivent respecter les dispositions en matière de travail et de sécurité sociale en vigueur dans le pays, de telle sorte que, depuis la création de la zone, il existe des organisations syndicales au sein de la ZEDM (le gouvernement rappelle qu’aucun des dirigeants ou militants syndicaux présumés mentionnés dans la plainte n’est lié par une relation de travail à cette zone et ne peut donc représenter les travailleurs concernés).
  5. 226. Quatrièmement, le gouvernement affirme qu’il n’existe aucune loi ou disposition juridique qui proscrive le droit de grève dans le pays et que la législation pénale ne prévoit pas de peines sanctionnant l’exercice de ce droit. Il indique qu’il appartient aux organisations de décider de leur action à cet égard.
  6. 227. Cinquièmement, le gouvernement fait valoir que: i) il est faux d’affirmer que des détentions ou des arrestations arbitraires ou temporaires sont pratiquées dans le pays (le gouvernement indique que les détentions ont lieu dans le cadre de la procédure pénale en vigueur et dans le strict respect des larges garanties d’une procédure régulière reconnues par l’ordre juridique interne, conformément aux normes internationales); ii) les militants ou dirigeants syndicaux ne sont victimes ni d’actes de torture ni de menaces, ni de harcèlement dans le pays (la torture a été interdite à Cuba depuis le triomphe de la révolution en 1959); et iii) les institutions et forces de l’ordre intérieur exercent leurs activités dans le strict respect de la légalité et n’ont pas pour pratique de réprimer, d’intimider, de harceler, de torturer ou de maltraiter la population (l’impunité n’a pas sa place, et il existe des procédures et des recours permettant de sanctionner tout agent ou autorité qui abuserait de son pouvoir).
  7. 228. Sixièmement, le gouvernement indique qu’il n’existe aucun consensus ou obligation internationale concernant l’instauration d’un mouvement unifié ou du pluralisme syndical et que les organes de contrôle de l’OIT ont estimé que l’unité syndicale établie volontairement par les travailleurs ne pouvait pas être interdite et devait être respectée. A cet égard, il souligne que la reconnaissance dans la pratique de la CTC, créée en 1939, compte tenu de sa supériorité numérique et de sa représentativité historique, est pleinement conforme aux conventions de l’OIT. Cette reconnaissance se traduit par la possibilité pour la CTC de représenter les travailleurs dans le cadre de négociations collectives, au cours de consultations avec le gouvernement et pour la désignation de délégués auprès d’organismes internationaux.
  8. 229. Septièmement, le gouvernement nie l’absence de conventions collectives de travail dans le pays ou le fait qu’elles ne seraient pas effectives. Il fait savoir à cet égard que 7 161 conventions collectives de travail sont en vigueur et couvrent environ 2 946 983 travailleurs. Le gouvernement précise que, au moyen de ces conventions collectives, l’organisation syndicale et l’employeur conviennent des conditions de travail, ainsi que de leurs droits et obligations réciproques, et que, pour être valables, les conventions collectives doivent être examinées et approuvées par les assemblées de travailleurs.
  9. 230. Huitièmement, le gouvernement nie avoir provoqué des licenciements massifs ou de les provoquer actuellement. Il indique que, à la fin de l’année 2016, 4 591 100 travailleurs occupaient un emploi (71 pour cent dans le secteur étatique et 29 pour cent dans le secteur non étatique) et que le taux de chômage était de 2,4 pour cent.
  10. 231. Neuvièmement, le gouvernement affirme que les supports ou documents contenant les conventions et recommandations de l’OIT ne sont ni saisis ni détruits (au contraire, le gouvernement fait en sorte de généraliser et de promouvoir la connaissance générale de ces instruments).

C. Conclusions du comité

C. Conclusions du comité
  1. 232. Le comité observe que la plainte porte principalement sur de nombreuses allégations d’attaques, de harcèlement et de persécution de syndicalistes indépendants, se traduisant par des détentions et des agressions, entre autres actes de discrimination et d’ingérence antisyndicale commis par les autorités publiques. En outre, l’organisation plaignante allègue la reconnaissance d’une centrale syndicale unique contrôlée par l’Etat et l’absence de négociation collective et de reconnaissance juridique du droit de grève.
  2. 233. Le comité observe que le gouvernement remet en question le fait que l’ASIC soit une organisation de travailleurs et que les personnes présentées dans la plainte comme des militants syndicaux soient des représentants de travailleurs. A cet égard, tout en notant que le gouvernement nie le fait que l’ASIC ait pour objectif de défendre les intérêts des travailleurs (et allègue que celle-ci vise à troubler l’ordre interne établi par la loi), le comité observe que, dans sa déclaration de principes constitutive, l’ASIC défend l’autonomie syndicale dans le cadre d’un Etat de droit, a pour objectif de promouvoir le plein respect des normes internationales du travail de l’OIT et affirme ne pas participer ou être associé à des activités politiques ou partisanes. Il observe également que, sans ses statuts, l’ASIC indique avoir notamment pour objectifs l’unification des syndicats indépendants et la dénonciation des violations des normes internationales du travail. Il est en outre indiqué dans ses statuts que les membres de l’ASIC ont pour devoir de lutter pour les revendications et les avantages sociaux des travailleurs. Par conséquent, si le comité observe, d’une part, que le gouvernement remet en question l’action et la représentativité de l’ASIC (la qualifiant d’organisation d’opposition politique et non de défense ou de représentation des travailleurs), il prend dûment note, d’autre part, des activités que, selon l’ASIC, ses dirigeants mènent pour promouvoir les principes de la liberté syndicale (par l’intermédiaire des exemples et des situations concrètes décrites dans les allégations d’attaques et d’actes de discrimination faisant suite à la conduite d’activités syndicales dans différentes localités du territoire national) et, en ce qui concerne les documents fondateurs et réglementaires de l’ASIC, observe que les éléments contenus dans la déclaration de principes et les statuts susmentionnés relèvent du champ d’action et de la définition d’une organisation de travailleurs.
  3. 234. Le comité note également que l’ASIC résulte de la fusion d’organisations dont certaines avaient présenté des plaintes antérieures, dans lesquelles elles alléguaient aussi leur non-reconnaissance par les autorités et l’intervention de celles-ci dans leur libre fonctionnement (par exemple, il convient de rappeler que, en ce qui concerne le CUTC, une des trois organisations fondatrices de l’ASIC, le comité a demandé au gouvernement d’en assurer le libre fonctionnement et de veiller à ce que les autorités s’abstiennent de toute intervention tendant à restreindre les droits fondamentaux de cette organisation [voir 320e rapport, Cuba (mars 2000), cas no 1961, paragr. 625]).
  4. 235. Le comité note par ailleurs que le gouvernement nie le fait que les dirigeants auxquels fait référence l’organisation plaignante puissent être considérés comme des représentants des travailleurs (estimant que, étant donné qu’elles n’ont ne sont liées par aucune relation de travail et ne font partie d’aucun collectif de travail, ces personnes n’ont pas été élues par des travailleurs pour les représenter). A cet égard, tout en observant que les affirmations des parties divergent, le comité doit rappeler que: sont considérés comme des représentants des travailleurs tant les représentants élus que les représentants syndicaux (c’est à dire les personnes nommées ou élues par les syndicats ou leurs affiliés); la liberté syndicale est un droit pour tous les travailleurs, et non uniquement pour ceux relevant d’une relation de travail spécifique, et que les travailleurs et leurs organisations doivent avoir le droit d’élire leurs représentants en toute liberté, de telle sorte que l’absence ou la fin d’une relation de travail ne devrait pas forcément avoir d’incidence sur le statut et les fonctions des représentants des organisations de travailleurs, sauf si les statuts de ces dernières en disposent ainsi (le contraire permettrait de porter atteinte au dit droit, en privant les organisations concernées de leur direction par le licenciement de leurs représentants, et, à cet égard, le comité observe que les allégations de harcèlement et de persécution énoncées dans la plainte portent notamment sur des licenciements antisyndicaux).
  5. 236. Sur la base de ce qui précède, le comité prie le gouvernement de garantir la reconnaissance de l’ASIC, ainsi que son libre fonctionnement et l’exercice de ses activités syndicales, conformément aux principes de liberté syndicale.
  6. 237. En ce qui concerne les allégations d’attaques, de harcèlement et de persécution de syndicalistes indépendants, se traduisant par des détentions, des agressions et des licenciements, ainsi que d’autres actes de discrimination antisyndicale, le comité observe que le gouvernement affirme que, de manière générale, les détentions ou arrestations arbitraires ou temporaires ne sont pas pratiquées dans le pays, que les militants ou dirigeants syndicaux ne sont victimes ni d’actes de torture ni de menaces, ni de harcèlement, et que les institutions et forces de l’ordre intérieur exercent leurs activités dans le strict respect de la légalité et n’ont pas pour pratique de réprimer, d’intimider, de harceler, de torturer ou de maltraiter la population. Le gouvernement indique également que la liberté syndicale est pleinement respectée dans le pays et que l’activité syndicale y est protégée, notamment par la législation nationale. Le comité regrette que, outre ces affirmations d’ordre général, le gouvernement n’apporte pas de réponses concrètes aux nombreuses allégations graves et détaillées formulées à plusieurs reprises par l’organisation plaignante. Le comité doit rappeler à cet égard que, lorsqu’elles sont saisies de plaintes en discrimination antisyndicale, les instances compétentes doivent mener immédiatement une enquête et prendre les mesures nécessaires pour remédier aux conséquences des actes de discrimination antisyndicale qui auront été constatés. Il rappelle aussi le principe selon lequel les droits des organisations de travailleurs et d’employeurs ne peuvent s’exercer que dans un climat exempt de violence, de pressions ou menaces de toutes sortes à l’encontre des dirigeants et des membres de ces organisations, et qu’il appartient aux gouvernements de garantir le respect de ce principe. [Voir Compilation des décisions du Comité de la liberté syndicale, sixième édition, 2018, paragr. 1159 et 84.] Le comité prie le gouvernement, à la lumière des décisions en application des principes de la liberté syndicale susmentionnées, de veiller à ce qu’une enquête soit menée sur toutes les allégations relatives à des attaques et à d’autres formes de discrimination antisyndicale formulées dans la plainte, de faire en sorte, si ces allégations sont avérées, que les sanctions dissuasives et les mesures compensatoires correspondantes soient prises et de fournir au comité des informations détaillées à cet égard et sur le résultat (avec copie des décisions ou jugements rendus) de toute procédure administrative ou judiciaire ayant trait aux allégations en question, y compris celles engagées contre les syndicalistes susmentionnés, ainsi que sur les supposées poursuites judiciaires engagées à l’encontre de M. Reyes Consuegras.
  7. 238. S’agissant de l’allégation relative à l’absence de négociation collective dans le pays, le comité observe que, selon le gouvernement, 7 161 conventions collectives de travail sont en vigueur dans le pays et couvrent environ 2 946 983 travailleurs. En l’absence d’informations plus précises de l’organisation plaignante pour étayer son affirmation générale concernant l’absence de négociation collective dans le pays, le comité ne poursuivra pas l’examen de cette allégation.
  8. 239. En ce qui concerne l’allégation concernant la non-reconnaissance du droit de grève par la loi, le comité observe que le gouvernement affirme qu’il n’existe aucune loi ou disposition juridique proscrivant le droit de grève, que la législation pénale ne prévoit pas de peines sanctionnant l’exercice de ce droit et qu’il appartient aux organisations de décider de leur action à cet égard. Le comité prie le gouvernement de l’informer sur l’exercice du droit de grève dans la pratique, y compris sur toute discrimination ou préjudice en matière d’emploi qui pourrait avoir été appliqué aux travailleurs pour avoir exercé ce droit pacifiquement.
  9. 240. S’agissant de l’allégation concernant la reconnaissance officielle d’une centrale syndicale unique contrôlée par l’Etat, le comité observe que la commission d’experts a noté avec satisfaction que, conformément aux recommandations des organes de contrôle à cet égard, la référence faite à la CTC dans le Code du travail a été supprimée. Ainsi, le nouveau Code du travail ne fait référence à aucune centrale syndicale. Le comité note également que, selon le gouvernement, la reconnaissance dans la pratique de la CTC, créée en 1939, s’explique par sa représentativité historique et sa nette supériorité numérique. Dans ces conditions, le comité souhaite souligner l’importance accordée aux conclusions précédentes – en particulier à la lumière des allégations formulées dans le présent cas –, dans lesquelles le comité a rappelé que l’octroi de droits exclusifs à l’organisation la plus représentative ne devrait pas cependant signifier que l’existence d’autres syndicats auxquels certains travailleurs concernés souhaiteraient s’affilier soit interdite. Les organisations minoritaires devraient être autorisées à exercer leurs activités et à avoir au moins le droit de se faire les porte-parole de leurs membres et de les représenter. [Voir Compilation, op. cit., paragr. 1388.]
  10. 241. Enfin, compte tenu des allégations des parties qui remettent en question l’indépendance des organisations de travailleurs dans le pays, le comité tient à rappeler l’importance qu’il accorde à la résolution concernant l’indépendance du mouvement syndical, adoptée par la Conférence internationale du Travail en 1952, dont le contenu souligne l’importance de préserver, dans chaque pays, la liberté et l’indépendance du mouvement syndical afin de mettre ce dernier en mesure de remplir sa mission économique et sociale indépendamment des changements politiques qui peuvent survenir.

Recommandations du comité

Recommandations du comité
  1. 242. Au vu des conclusions intérimaires qui précèdent, le comité invite le Conseil d’administration à approuver les recommandations suivantes:
    • a) Le comité prie le gouvernement de garantir la reconnaissance de l’ASIC, ainsi que son libre fonctionnement et l’exercice de ses activités syndicales, conformément aux principes de liberté syndicale.
    • b) Le comité prie le gouvernement, à la lumière des décisions en application des principes de liberté syndicale mentionnées dans ses conclusions, de veiller à ce qu’une enquête soit menée sur toutes les allégations relatives à des attaques et à d’autres formes de discrimination antisyndicale formulées dans la plainte, de faire en sorte, si ces allégations sont avérées, que les sanctions dissuasives et les mesures compensatoires correspondantes soient prises, et de fournir au comité des informations détaillées à cet égard et sur le résultat (avec copie des décisions ou jugements rendus) de toute procédure administrative ou judiciaire ayant trait aux allégations en question, y compris celles engagées contre les syndicalistes susmentionnés, ainsi que sur les supposées poursuites judiciaires engagées à l’encontre de M. Reyes Consuegras.
    • c) Le comité prie le gouvernement de l’informer sur l’exercice du droit de grève dans la pratique, y compris sur toute discrimination ou préjudice en matière d’emploi qui pourrait avoir été appliqué aux travailleurs pour avoir exercé ce droit pacifiquement.
© Copyright and permissions 1996-2024 International Labour Organization (ILO) | Privacy policy | Disclaimer