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Rapport définitif - Rapport No. 389, Juin 2019

Cas no 3250 (Guatemala) - Date de la plainte: 11-AVR. -16 - Clos

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Allégations: L’organisation plaignante allègue que la réforme du ministère public menée en 2016 viole les principes de la liberté syndicale et de la négociation collective, car elle établit des incompatibilités entre la fonction de fonctionnaire du ministère public et celle de dirigeant syndical et enfreint plusieurs clauses de la convention collective de travail de cette institution

  1. 388. La plainte figure dans deux communications du Mouvement syndical, indigène et paysan guatémaltèque (MSICG) en date des 11 avril 2016 et 6 février 2018.
  2. 389. Le gouvernement a fait parvenir ses observations dans deux communications en date des 17 juillet 2017, 15 novembre 2018 et 1er mai 2019.
  3. 390. Le Guatemala a ratifié la convention (nº 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, la convention (nº 98) sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949, et la convention (nº 154) sur la négociation collective, 1981convention (nº 154) sur la négociation collective, 1981.

A. Allégations de l’organisation plaignante

A. Allégations de l’organisation plaignante
  1. 391. Dans ses communications en date des 11 avril 2016 et 6 février 2018, le MSICG allègue que plusieurs dispositions du décret no 18-2016, en vertu duquel le gouvernement a adopté une série de réformes de la loi organique du ministère public (décret no 40-94), violent les principes de la liberté syndicale et de la négociation collective, ainsi que les conventions de l’OIT ratifiées par le Guatemala à cet égard. L’organisation plaignante allègue en premier lieu que, bien que la création de l’Unité spéciale du ministère public chargée d’enquêter sur les délits commis contre des syndicalistes ait donné lieu à de nombreuses communications du gouvernement à l’OIT, dans la pratique cette unité n’aurait été dotée ni du personnel qualifié, ni de l’infrastructure, ni des conditions nécessaires pour garantir son bon fonctionnement. En outre, l’organisation plaignante indique que l’article 18 du décret no 18-2016, qui modifie l’article 30 de la loi organique du ministère public, définit la structure du ministère public et établit 22 bureaux de section, aucun n’étant consacré aux délits commis contre des syndicalistes, ce qui, à son avis, signifie que les carences et faiblesses actuelles de cette unité découlent d’une absence de volonté de l’Etat, puisque l’adoption de la réforme précitée offrait une bonne occasion de créer un bureau spécialisé dans les délits commis contre des syndicalistes.
  2. 392. En outre, l’organisation plaignante déclare que cette réforme serait incompatible avec le principe de la liberté syndicale et affecterait de manière disproportionnée les organisations syndicales, leurs dirigeants et leurs affiliés, car les pouvoirs publics seraient de nouveau privés de mécanismes réels de contrepoids permettant de limiter ou d’éviter l’arbitraire de ces derniers, et certaines dispositions seraient discriminatoires à l’égard des dirigeants syndicaux.
  3. 393. L’organisation plaignante allègue d’une part que les réformes de la loi organique du ministère public mises en œuvre par le décret no 18-2016, qui ont supprimé le Conseil du ministère public de la structure organique de ce dernier, auraient doté le procureur général de larges pouvoirs de décision et explique que, avant sa suppression, le Conseil du ministère public était un organe collégial chargé: i) de ratifier, de modifier ou d’invalider les instructions émises par le procureur général, lorsqu’elles faisaient l’objet d’une opposition conformément à la procédure établie par cette loi, ainsi que les autres instructions établies conformément au règlement disciplinaire, les mutations et les remplacements (art. 18, 68 et 72 du décret no 40-94); ii) d’accepter ou de rejeter la proposition du procureur général relative à la définition de la structure opérationnelle et territoriale du ministère public (art. 18 du décret no 40 94); iii) de proposer la nomination des procureurs de district et de section, des procureurs et des assistants-procureurs conformément à la réglementation de la profession au sein du ministère public (art. 18 du décret no 40-94); et iv) de connaître des recours formés contre les actions et sanctions disciplinaires prises à l’encontre des membres du ministère public, privant le Procureur général de son pouvoir discrétionnaire sur la réglementation de la profession et les sanctions précitées (art. 53, 63 et 64 du décret no 40 94).
  4. 394. L’organisation plaignante allègue d’autre part que, avant l’adoption de la réforme, lorsque le ministère public souhaitait avoir accès à des informations sensibles ou intervenir d’une manière ou d’une autre dans la sphère privée des particuliers, il devait demander l’autorisation d’un juge chargé d’établir l’existence d’éléments permettant de conclure à une intrusion raisonnable. Toutefois, l’article premier du décret no 18-2016, qui modifie l’article 6 de la loi organique du ministère public, impose à tout fonctionnaire et à tout organe administratif de l’Etat ainsi qu’à ses organes décentralisés d’apporter leur collaboration au ministère public et de lui fournir tout document demandé, écartant ainsi tout contrôle du caractère raisonnable, et souligne que, en cas d’absence de coopération, le ministère public peut même intenter des poursuites pénales.
  5. 395. L’organisation plaignante estime donc que cette réforme constituerait un sérieux revers sur le plan des droits humains, car l’attribution de larges pouvoirs de décision au procureur général et la suppression du contrôle du caractère raisonnable présenteraient un risque pour les organisations qui, à un moment donné, pourraient avoir des intérêts contraires à ceux du gouvernement et du ministère public, lesquels ont commis à plusieurs reprises des actes de répression à l’encontre de la liberté syndicale de leurs travailleurs. En outre, l’organisation plaignante considère que de telles conditions faciliteraient le contrôle exercé par le procureur général sur les activités des syndicats, l’utilisation de leurs ressources et même les communications entre leurs dirigeants et leurs affiliés, étant donné que des intrusions pourraient se produire sans qu’il soit nécessaire d’ouvrir une enquête pénale, le ministère public inspectant et contrôlant ses propres actions.
  6. 396. En outre, l’organisation plaignante allègue que l’article 52 du décret no 18-2016 , qui modifie l’article 77 b) 2) de la loi organique du ministère public, établit des incompatibilités entre la fonction de membre du ministère public et celle de dirigeant ou conseiller syndical, limitant ainsi de manière discriminatoire l’accès de toute personne exerçant ces fonctions à l’emploi au sein du ministère public. Selon l’organisation plaignante, la réglementation de la profession au sein du ministère public couvre les postes de procureurs, les postes techniques, administratifs et opérationnels ainsi que l’accès à l’emploi et les perspectives d’avancement, de sorte que, dans la pratique, cette disposition impliquerait la perte d’emploi ou le report des possibilités d’avancement au sein du ministère public de tout dirigeant ou conseiller syndical.
  7. 397. L’organisation plaignante indique que, à la suite de la publication du décret précité, le Syndicat des travailleurs de la Direction des enquêtes criminelles du ministère public (SITRADICMP), organisation affiliée à l’organisation plaignante, a déposé devant la Cour constitutionnelle un recours en inconstitutionnalité générale totale contre le décret no 18-2016, qui a été déclaré irrecevable le 10 janvier 2018. L’organisation plaignante allègue ce qui suit concernant cette décision: i) le magistrat chargé de l’affaire entretiendrait un rapport étroit avec le milieu gouvernemental; ii) la Cour constitutionnelle omet fréquemment de se prononcer sur le fond des affaires dans lesquelles des violations manifestes de la Constitution ont été constatées; iii) les juridictions supérieures ont recours de manière récurrente à un mécanisme visant à discréditer les revendications syndicales en faisant valoir l’argument, toujours subjectif, selon lequel l’obligation d’expliquer les vices d’inconstitutionnalité allégués n’a pas été respectée; et iv) dans son recours en inconstitutionnalité, le syndicat a exposé de manière motivée et fondée les motifs pour lesquels les lois contestées violaient les dispositions constitutionnelles et les principes de la liberté syndicale et de la négociation collective; toutefois, la cour n’aurait pas retenu les revendications syndicales au motif que l’organisation syndicale n’avait pas réussi à expliquer les vices d’inconstitutionnalité exposés.
  8. 398. Enfin, l’organisation plaignante allègue que le décret abrogerait certaines clauses de la convention collective de travail en vigueur conclue entre le ministère public et le syndicat des travailleurs du ministère public, violant ainsi le droit à la négociation collective libre et volontaire. A cet égard, l’organisation plaignante affirme premièrement que le décret priverait les travailleurs de la possibilité de contester devant le Conseil du ministère public, c’est-à-dire devant un organe distinct de celui ayant prononcé la sanction, les décisions de licenciement, de mutation et de suspension prononcées par le procureur général. Cette disposition serait donc contraire à l’article 12 de la convention collective qui prévoit que les droits actuellement reconnus en vertu de la loi ou de la convention collective constituent des garanties minimales qui ne peuvent être revues à la baisse pour quelque raison que ce soit, ainsi qu’à l’article 70 de la convention collective qui prévoit une possibilité de recours devant le Conseil du ministère public contre les décisions du procureur général relatives aux sanctions disciplinaires et aux mutations. De même, l’article 34 c) du décret no 18-2016 prévoit une suspension de travail sans salaire allant de vingt et un à quatre-vingt-dix jours en cas de faute très grave, une sanction beaucoup plus lourde que celle de quinze jours maximum prévue par la loi organique du ministère public. Ainsi, cette réforme régressive non seulement abrogerait l’article 12 de la convention collective, mais aussi serait contraire aux dispositions de la convention (nº 95) sur la protection du salaire, 1949. L’organisation plaignante allègue en outre que l’article 32 du décret prévoit que le délai pour engager une action disciplinaire passerait à six mois pour les fautes légères à un an pour les fautes graves et à deux ans pour les fautes très graves, et que le délai pour imposer la sanction disciplinaire passerait à cinq ans, modifiant ainsi de manière manifeste les délais de prescription prévus aux articles 64 et 65 de la convention collective de travail. Ces articles prévoyaient en effet que le délai de prescription du droit de l’employeur de prononcer une sanction contre un travailleur ayant commis une faute était de vingt jours et limitaient à dix-huit mois le délai pour imposer une sanction disciplinaire. L’organisation plaignante allègue enfin que l’article 34 du décret dispose qu’une sanction prononcée pour faute grave ou pour trois fautes légères bloque l’avancement et limite temporairement l’éligibilité à des bourses ou à d’autres postes au sein de l’institution tant que la mention n’a pas été supprimée du dossier du travailleur ayant fait l’objet de la sanction, ce qui abrogerait l’article 65 de la convention collective de travail en vertu duquel les conséquences d’une sanction disciplinaire ne peuvent pas aller au-delà de la sanction elle-même et cette dernière n’emporte donc aucune perte de droits accordés en application de la convention.

B. Réponse du gouvernement

B. Réponse du gouvernement
  1. 399. Dans ses communications du 17 juillet 2017 et du 15 novembre 2018, le gouvernement transmet ses observations sur le présent cas. Le gouvernement rappelle qu’en 2011 l’Unité spéciale du ministère public chargée d’enquêter sur les délits commis contre des syndicalistes, rattachée au bureau de section pour les droits de l’homme, a été créée afin que des experts mènent des enquêtes sur les délits commis contre les organisations syndicales. Il indique également que, si cette unité était composée de 5 personnes à l’origine, elle en compte désormais 19 réparties entre 3 agences, l’une connaissant des cas de morts violentes de syndicalistes et les autres connaissant des délits de non-exécution d’ordonnances. Le gouvernement rappelle en outre que, en 2015, le ministère public a adopté l’instruction générale no 1-2015 sur la conduite d’enquêtes et l’engagement de poursuites effectives concernant les délits commis contre des syndicalistes, des membres d’organisations de travailleurs, des travailleurs ainsi que d’autres défenseurs des droits du travail et syndicaux afin de donner au personnel des lignes directrices générales en matière de poursuites pénales visant des délits commis contre des syndicalistes.
  2. 400. Le gouvernement déclare en outre que le comité devrait s’abstenir d’examiner la plainte, étant donné que: i) à la lecture du contenu de la plainte, il n’apparaît pas clairement qu’il existe des restrictions au droit d’organisation, ni des allégations d’ingérence dans le fonctionnement de l’organisation, ni d’interdiction ou de restriction excessive du droit de grève; ii) le comité a estimé précédemment qu’il lui appartient seulement de se prononcer sur les allégations concernant les programmes et processus de restructuration ou de rationalisation économique, qu’ils impliquent ou non des réductions de personnel ou des transferts d’entreprises ou des services du secteur public au secteur privé, dans la mesure où ils ont donné lieu à des actes de discrimination et d’ingérence antisyndicaux, allégations qui ne sont pas avancées dans le présent cas; iii) le comité n’a pas compétence pour examiner des allégations relatives aux conditions générales de travail, à la sécurité sociale ou au licenciement de travailleurs de manière générale; iv) la réforme de la loi organique du ministère public aurait tenu compte des dispositions de la Constitution du Guatemala, des principes du droit du travail, des dispositions réglementaires en vigueur au sein de l’institution et de la convention collective de travail conclue entre le ministère public et le syndicat des travailleurs du ministère public; et v) le décret no 18-2016 visé dans le présent cas a pour objet le renforcement du ministère public et n’aurait aucun rapport avec les affaires syndicales, car il n’existe aucun lien de causalité permettant de démontrer que des actes portant atteinte à la liberté syndicale ou au droit d’association ont été commis.
  3. 401. Dans sa communication du 1er mai 2019, le gouvernement transmet les informations fournies par le ministère public du Guatemala. S’agissant de l’allégation selon laquelle les ressources et le personnel nécessaires au bon fonctionnement de l’Unité spéciale du ministère public chargée d’enquêter sur les délits commis contre des syndicalistes n’auraient pas été alloués à cette dernière, le gouvernement indique que, depuis 2011, année de création de cette unité, le budget consacré au renforcement de ses ressources humaines, à son mobilier et à son matériel a été multiplié par cinq, passant de 868 216,96 quetzales en 2011 à 1 929 491,10 quetzales en 2014, 2 101 065,42 quetzales en 2016 et 4 178 537,85 quetzales en 2017 (soit 545 821,51 dollars E.-U. en 2017).
  4. 402. S’agissant de la réforme de la loi organique du ministère public, le gouvernement déclare ce qui suit: i) cette réforme a engendré des changements importants dans différents secteurs institutionnels afin de renforcer le ministère public et les compétences professionnelles des ressources humaines; ii) il était particulièrement important de consolider les dispositions réglementaires relatives au régime disciplinaire, car elles étaient disséminées dans différents textes, et notamment dans les conventions collectives de travail conclues dès la création du ministère public avec le syndicat de ce dernier; iii) en vertu de l’article 60 de la loi organique du ministère public, le système disciplinaire de la magistrature du ministère public est réglementé conformément aux principes de légalité, de l’autorité de la chose jugée, de l’indépendance de la procédure disciplinaire, du droit à la défense et de la proportionnalité; iv) la réforme a permis de créer trois systèmes disciplinaires différents dans le cadre desquels les fautes commises par les procureurs et le personnel administratif, technique et d’appui sont jugées, le conseil disciplinaire étant l’organe compétent pour prononcer des sanctions contre les procureurs ayant commis des fautes; v) la réforme a fait apparaître des motifs justifiant la révocation du Procureur général de la République, qui pâtissait de l’absence de réglementation adéquate et créait un vide juridique; et vi) s’agissant de l’allégation de concentration des pouvoirs au sein du ministère public, ce dernier exerce ses attributions en vertu des pouvoirs que lui confèrent la Constitution, les lois, notamment la loi organique du ministère public, ainsi que les traités et conventions internationaux.
  5. 403. S’agissant de l’allégation selon laquelle l’article 52 du décret no 18-2016 introduirait une incompatibilité, le gouvernement renvoie au dossier no 4134-2016 de la Cour constitutionnelle, qui a déclaré irrecevable le recours en inconstitutionnalité totale contre le décret no 18-2016 déposé par le SITRADICMP. Le gouvernement indique que, dans sa décision, la Cour constitutionnelle a considéré que «les requérants […] se sont contentés d’indiquer que le décret no 18-2016 adopté par le Congrès de la République du Guatemala, portant réforme de la loi organique du ministère public, décret no 40-94 adopté par le Congrès de la République du Guatemala, violait les articles 1, 2, 3, 4, 5, 12, 17, 22, 24, 30, 44, 46, 102, 103, 106, 113, 140, 141, 152, 153, 154, 175, 202, 211 et 251 de la Constitution politique de la République du Guatemala» et que «la Cour constitutionnelle ne peut subroger la volonté de la plaignante». Le gouvernement considère donc que: i) l’omission des requérants a conduit la Cour constitutionnelle à ne pas se prononcer sur le fond de l’affaire, étant donné que la seule citation des dispositions constitutionnelles ne saurait remplacer le raisonnement permettant d’établir la violation constitutionnelle alléguée; et ii) du fait de l’absence de raisonnement juridique et comparatif entre les dispositions constitutionnelles qui auraient été violées et les dispositions contestées, les revendications des requérants ont été considérées par la cour comme insuffisantes et dépourvues de contenu logique et juridique pour appuyer leur thèse, puisqu’ils s’étaient contentés de qualifier et d’exposer de manière subjective ce qui, de leur point de vue, portait atteinte à leurs intérêts en présentant une série de situations, certaines de caractère factuel, d’autres hypothétiques, sur lesquelles ils fondaient apparemment les vices exposés.

C. Conclusions du comité

C. Conclusions du comité
  1. 404. Le comité observe que, dans le présent cas, l’organisation plaignante allègue que plusieurs dispositions du décret no 18-2016, qui modifie la loi organique du ministère public, violeraient les principes de la liberté syndicale et de la négociation collective, ainsi que les conventions de l’OIT ratifiées par le Guatemala à cet égard. Le comité note que les allégations de l’organisation plaignante portent en particulier sur: i) l’absence d’allocation de ressources et de personnel nécessaires au bon fonctionnement de l’Unité spéciale du ministère public chargée d’enquêter sur les délits commis contre des syndicalistes; ii) la suppression du Conseil du ministère public et l’élargissement connexe des prérogatives du procureur général en matière disciplinaire; iii) l’élargissement des prérogatives du ministère public, qui n’est plus tenu de demander l’autorisation d’un juge avant de mener certaines enquêtes; iv) l’établissement d’une incompatibilité entre la fonction de membre du ministère public et celle de dirigeant ou conseiller syndical; et v) le non-respect de plusieurs clauses de la convention collective de travail en vigueur au sein de cette institution.
  2. 405. Le comité prend note que le gouvernement considère pour sa part que la plainte présentée par l’organisation plaignante ne devrait pas être examinée, étant donné que le décret susmentionné, adopté aux fins du renforcement du ministère public, n’a aucun rapport avec les affaires syndicales et ne contient aucune violation du droit d’association ou de négociation collective, puisqu’il a été établi conformément aux réglementations nationales et internationales en vigueur et à la convention collective de travail conclue entre le ministère public et le syndicat du ministère public. Le comité prend note également des indications du gouvernement selon lesquelles le recours en inconstitutionnalité totale contre le décret no 18-2016 présenté par un syndicat affilié à la fédération plaignante devant la Cour constitutionnelle a été jugé irrecevable au motif que les revendications des requérants ont été considérées par la cour comme insuffisantes et dépourvues de contenu logique et juridique pour appuyer leur thèse, car les requérants se seraient contentés de qualifier et d’exposer de manière subjective ce qui, de leur point de vue, portait atteinte à leurs intérêts.
  3. 406. S’agissant de l’allégation relative à l’absence de volonté du gouvernement d’allouer les ressources et le personnel nécessaires au bon fonctionnement de l’Unité spéciale du ministère public chargée d’enquêter sur les délits commis contre des syndicalistes, le comité rappelle que cette question est examinée dans le cadre du cas no 2609 et que des recommandations ont déjà été formulées à cet égard [voir notamment 387e rapport, novembre 2018, paragr. 414], raison pour laquelle le comité continuera d’examiner cette question dans le cadre du cas mentionné.
  4. 407. S’agissant de la suppression du Conseil du ministère public et de l’élargissement connexe des prérogatives du procureur général en matière disciplinaire, le comité prend note des allégations de l’organisation plaignante selon lesquelles: i) le Conseil du ministère public était l’organe chargé de ratifier, de modifier ou d’invalider les instructions émises par le procureur général en matière disciplinaire et de connaître des recours formés contre les actions et sanctions disciplinaires prises à l’encontre des membres du ministère public; ii) les réformes de la loi organique du ministère public, qui auraient supprimé le Conseil du ministère public de la structure organique de ce dernier, auraient éliminé tout mécanisme réel de contrepoids permettant de limiter ou d’éviter l’arbitraire du procureur général en matière disciplinaire; et iii) cette réforme affecterait en particulier les syndicats, leurs dirigeants et leurs affiliés, car ils seraient privés de la possibilité de contester les sanctions disciplinaires devant un organe distinct. Le gouvernement estime pour sa part que: i) les allégations de l’organisation plaignante ne permettent pas d’établir un lien de causalité pour démontrer que des actes portant atteinte à la liberté syndicale ou au droit d’association ont été commis; ii) la réforme a permis de consolider les dispositions réglementaires relatives au régime disciplinaire qui étaient disséminées dans différents textes, et notamment dans les conventions collectives de l’institution; iii) trois systèmes disciplinaires différents ont été établis; et iv) en vertu de l’article 60 de la loi organique du ministère public, le système disciplinaire de la magistrature du ministère public est réglementé conformément aux principes de légalité, de l’autorité de la chose jugée, de l’indépendance de la procédure disciplinaire, du droit à la défense et de la proportionnalité. Le comité observe que les allégations formulées par l’organisation plaignante se limitent à indiquer que les prérogatives élargies dont le procureur général est doté pourraient constituer un risque pour les organisations syndicales, mais ne présentent pas d’éléments concrets suffisants permettant d’établir le caractère et les effets antisyndicaux des dispositions visées. Compte tenu de ce qui précède, le comité ne poursuivra pas l’examen de cette allégation.
  5. 408. S’agissant de l’allégation relative à l’élargissement des prérogatives du ministère public, qui n’est plus tenu de demander l’autorisation d’un juge avant de mener certaines enquêtes, le comité prend note que, selon l’organisation plaignante: i) avant l’adoption de la réforme, lorsque le ministère public souhaitait intervenir d’une manière ou d’une autre dans la sphère privée des particuliers, il devait demander l’autorisation d’un juge chargé d’établir l’existence d’éléments permettant de conclure à une intrusion raisonnable; ii) l’article premier du décret no 18-2016 supprime tout contrôle du caractère raisonnable et impose à tout fonctionnaire et à tout organe administratif de l’Etat, ainsi qu’à ses organes décentralisés, d’apporter leur collaboration au ministère public et de lui fournir tout document demandé; et iii) en supprimant tout contrôle du caractère raisonnable, le ministère public ou le gouvernement pourraient s’ingérer facilement dans la gestion des syndicats et dans la sphère privée de leurs membres, et l’organisation plaignante souligne que ces institutions ont commis à plusieurs reprises des actes de répression à l’encontre de la liberté syndicale de leurs travailleurs. Le comité prend également note des observations du gouvernement selon lesquelles: i) le décret no 18-2016 a pour objet le renforcement du ministère public et n’aurait aucun rapport avec les affaires syndicales; et ii) le ministère public exerce ses attributions en vertu des pouvoirs que lui confèrent la Constitution, les lois, notamment la loi organique du ministère public, ainsi que les traités et conventions internationaux. Le comité souligne qu’il n’est pas compétent pour se prononcer sur la délimitation des compétences respectives du ministère public et des tribunaux et que l’organisation plaignante ne présente pas d’éléments concrets permettant d’établir le caractère et les effets antisyndicaux de l’élargissement des prérogatives du ministère public; par conséquent, il ne poursuivra pas l’examen de cette allégation.
  6. 409. En ce qui concerne le caractère présumé antisyndical de l’article 52 du décret no 18-2016, le comité observe que cette disposition modifie l’article 77 de la loi organique du ministère public comme suit:
    • Article 77: Incapacités ou incompatibilités.
      • […]
      • b) Est incompatible avec la fonction de membre du ministère public:
        • 1) Toute fonction élective ou candidature à une telle fonction.
        • 2) Tout autre emploi ou fonction public ou privé rémunéré et tout autre emploi, fonction de direction et de conseil dans des institutions politiques, des syndicats ou des entités qui reçoivent, administrent ou font usage de ressources publiques ou de biens publics ou qui font partie de l’administration publique sans relever du ministère public, ou toute autre entité à but politique ou tout ministre de toute religion ou de tout culte [...].
  7. A cet égard, le comité prend note que, d’après les allégations de l’organisation plaignante: i) cette disposition établit que le fait d’occuper un poste de direction ou de conseil dans un syndicat constitue un motif d’incompatibilité avec la fonction de membre du ministère public, de sorte que, dans la pratique, cette disposition emporterait la perte d’emploi ou le report des possibilités d’avancement au sein du ministère public de toute personne visée; ii) un syndicat affilié à l’organisation plaignante a déposé devant la Cour constitutionnelle un recours en inconstitutionnalité générale totale contre le décret no 18-2016, qui a été déclaré irrecevable le 10 janvier 2018; et iii) le magistrat chargé de l’affaire aurait rejeté le cas en invoquant de prétendus vices de forme sans se prononcer sur le fond de l’affaire. Le comité observe que, bien que le gouvernement fasse référence à la décision rendue par la Cour constitutionnelle, qui a déclaré irrecevable le recours en inconstitutionnalité totale contre le décret no 18-2016, il ne se prononce pas sur l’allégation relative au caractère antisyndical de l’article 52 dudit décret. Le comité observe en outre qu’il ressort de la décision rendue le 10 janvier 2018 que la Cour constitutionnelle ne s’est pas prononcée sur le fond de l’affaire et n’a donc pas examiné les effets que ledit décret pourrait avoir sur la liberté syndicale. Le comité constate que l’article 52 du décret no 18-2016 établit expressément une incompatibilité entre la fonction de «membre du ministère public» et les fonctions de «direction et de conseil dans des […] syndicats […] ne relevant pas du ministère public», incompatibilité qui n’était pas prévue dans la loi précédente. Tout en observant que la portée exacte, tant sur le plan personnel que matériel, de l’incompatibilité n’est pas définie précisément dans l’article 52 du décret no 18-2016 et que le gouvernement n’a pas fourni de précisions à cet égard, le comité rappelle que nul ne devrait faire l’objet de discrimination dans l’emploi en raison de son affiliation ou de ses activités syndicales légitimes, présentes ou passées. [Voir Compilation des décisions du Comité de la liberté syndicale, sixième édition, 2018, paragr. 1074.] A la lumière de ce qui précède et soulignant l’existence de la Commission nationale tripartite des relations de travail et liberté syndicale créée en 2018, le comité prie le gouvernement de soumettre au débat tripartite la portée exacte de l’article 77 de la loi organique du ministère public tel qu’amendé par l’article 52 du décret no 18-2016 afin de garantir sa pleine compatibilité avec les principes de la liberté syndicale et d’assurer, en particulier, les droits des membres du ministère public de s’organiser et de pouvoir prendre part à la vie syndicale, tant au niveau de leur organisation de base qu’à celui des fédérations ou confédérations auxquelles leur syndicat pourrait être affilié.
  8. 410. Enfin, s’agissant des allégations relatives à la prétendue abrogation, en vertu du décret no 18-2016, de certaines clauses de la convention collective de travail en vigueur, le comité note que l’organisation plaignante affirme que les garanties établies par la convention collective en lien avec le régime disciplinaire seraient touchées, en particulier en ce qui concerne: i) les délais pour engager une action disciplinaire et imposer une sanction; et ii) les effets de la sanction sur les droits acquis des travailleurs. Le comité note que, pour sa part, le gouvernement indique que la réforme a permis de consolider les dispositions relatives au régime disciplinaire, qui étaient disséminées dans plusieurs textes de loi, et notamment dans les conventions collectives de travail signées par l’institution, et que le décret no 18-2016 a tenu compte du contenu des conventions collectives mentionnées. Le comité observe également que le gouvernement ne se réfère pas dans sa réponse aux allégations détaillées de violation de clauses précises de la convention collective contenues dans la plainte. Tout en rappelant que les accords doivent être obligatoires pour les parties et que les autorités publiques devraient promouvoir la libre négociation collective et ne pas empêcher l’application des accords collectifs librement conclus, cela étant d’autant plus vrai lorsque ces mêmes autorités agissent à titre d’employeurs ou se sont portées garantes de l’application des accords, en les contresignant [voir Compilation, op. cit., paragr. 1334 et 1480], le comité veut croire que, dans le contexte de l’application du décret no 18-2016, le ministère public respectera, en droit et en pratique, la convention collective de l’institution.

Recommandations du comité

Recommandations du comité
  1. 411. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d’administration à approuver les recommandations suivantes:
    • a) Soulignant l’existence de la Commission nationale tripartite des relations de travail et liberté syndicale créée en 2018, le comité prie le gouvernement de soumettre au débat tripartite la portée exacte de l’article 77 de la loi organique du ministère public tel qu’amendé par l’article 52 du décret no 18-2016 afin de garantir sa pleine compatibilité avec les principes de la liberté syndicale et d’assurer, en particulier, les droits des membres du ministère public de s’organiser et de pouvoir prendre part à la vie syndicale, tant au niveau de leur organisation de base qu’à celui des fédérations ou confédérations auxquelles leur syndicat pourrait être affilié.
    • b) Le comité veut croire que, dans le contexte de l’application du décret no 18-2016, le ministère public respectera, en droit et en pratique, la convention collective de l’institution.
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