Allégations: L’organisation plaignante allègue que, par des déclarations publiques de son Premier ministre, le gouvernement du Québec a entravé des activités licites de défense des intérêts des travailleurs et a manqué à son obligation de respecter et de promouvoir la liberté d’association et la reconnaissance effective du droit de négociation collective
- 406. La plainte figure dans une communication en date du 10 juin 2019, transmise par le Syndicat des Métallos. Le Congrès du travail du Canada (CTC), IndustriALL Global Union et la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ) ont appuyé la plainte dans des communications datant respectivement du 18 juin et du 17 juillet 2019.
- 407. Le gouvernement du Canada a fait parvenir les observations du gouvernement du Québec datées du 23 décembre 2019 dans une communication en date du 9 janvier 2020.
- 408. Le Canada a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, et la convention (no 98) sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949.
A. Allégations de l’organisation plaignante
A. Allégations de l’organisation plaignante- 409. Dans sa communication en date du 10 juin 2019, l’organisation plaignante allègue que, par des déclarations publiques de son Premier ministre exprimées entre le 1er avril et le 3 juin 2019, le gouvernement du Québec a entravé des activités licites de défense des intérêts des travailleurs et a manqué à son obligation de respecter et de promouvoir la liberté d’association et la reconnaissance effective du droit de négociation collective.
- 410. L’organisation plaignante explique qu’Aluminerie de Bécancour, Inc. (ci-après «l’entreprise»), est un employeur exerçant ses activités de production d’aluminium de première fusion dans un établissement situé dans la ville de Bécancour (province de Québec). L’entreprise est détenue par deux entreprises multinationales, soit Alcoa (74,9 pour cent) et Rio Tinto (25,1 pour cent). Elle emploie dans son établissement plus de 1 200 salariés, au nombre desquels environ 1 030 sont des salariés syndiqués visés par trois conventions collectives. En 2018, le principal propriétaire de l’entreprise a enregistré un chiffre d’affaires pour tous ses établissements de 13,4 milliards de dollars américains.
- 411. L’organisation plaignante explique aussi que l’United Steelworkers (appelé au Québec le Syndicat des Métallos) regroupe environ 800 000 membres sur le continent nord-américain dont 60 000 travailleurs et travailleuses au Québec répartis dans plus de 600 milieux de travail. Le Syndicat des Métallos, section locale 9700 (ci-après «le Syndicat»), est le représentant légal reconnu de l’ensemble des salariés syndiqués de l’entreprise en question dans le cadre de la négociation visant le renouvellement des trois conventions collectives échues depuis le 22 novembre 2017.
- 412. Selon l’organisation plaignante, le 22 décembre 2017, alors que les négociations allaient bon train, l’entreprise a décidé de rompre les pourparlers en déposant une offre finale et globale visant le renouvellement des conventions collectives afin qu’elle soit présentée aux salariés pour un vote. Les 9 et 10 janvier 2018, l’offre a été présentée aux salariés syndiqués en assemblée et a été rejetée. Le 11 janvier 2018, l’entreprise a alors décrété un lock-out, privant ainsi de leur emploi tous les salariés syndiqués de l’entreprise. Malgré sa décision de fermer immédiatement deux des trois séries de cuves de son aluminerie, l’entreprise a tout de même continué à fonctionner, du moins partiellement, en utilisant les services de cadres ainsi que, en contravention avec les dispositions légales applicables, de briseurs de grève.
- 413. Selon l’organisation plaignante, alors que les lois applicables au Québec obligent l’entreprise à négocier de bonne foi, cette dernière a plutôt cherché à imposer de façon inflexible ses conditions et positions visant à dégrader les conditions de travail des salariés syndiqués. Non seulement l’entreprise a retiré son offre de décembre 2017, mais elle a également informé le Syndicat qu’elle reniait toutes les ententes convenues à l’issue des négociations tenues antérieurement au lock-out. De ce fait, les offres subséquentes présentées au Syndicat se sont avérées plus désavantageuses que celle déjà refusée, l’entreprise exigeant de nombreuses nouvelles concessions du Syndicat.
- 414. L’organisation plaignante allègue que l’équilibre dans le rapport de force des négociations était de surcroît gravement atteint en raison d’avantages octroyés à l’entreprise par une société mandataire du gouvernement du Québec, Hydro-Québec (ci-après «la société d’État»). En effet, un décret du gouvernement du Québec fixe les tarifs et conditions du contrat de distribution d’électricité entre l’entreprise et la société d’État. Ce décret octroie à l’entreprise des tarifs préférentiels en contrepartie de son obligation d’acheter un certain volume réservé d’électricité. Toutefois, il y est spécifiquement stipulé qu’elle est exonérée de cette obligation en cas de force majeure, cette notion y étant définie comme incluant le lock-out. Contrairement aux autres situations de ce genre, le décret n’impose pas à l’employeur l’obligation d’agir raisonnablement dans le but de limiter les effets du lock-out. Ainsi, le gouvernement du Québec, par l’entremise du contrat liant son mandataire, la société d’État, à l’entreprise en question, a, uniquement pour l’année 2018, financé le conflit de travail décrété par l’employeur pour 165 millions de dollars canadiens.
- 415. L’organisation plaignante affirme qu’elle a sollicité le gouvernement du Québec pour qu’il parvienne à convaincre l’entreprise, qui contrevenait à ses obligations légales du pays d’accueil, de revenir à la table de négociations. En raison de l’importance du conflit de travail et de ses impacts sur l’économie entière de la région où se situe l’entreprise, le gouvernement, par l’entremise de son chef et représentant officiel, le Premier ministre du Québec, a tenu, le 1er avril 2019, de courtes rencontres privées avec les parties, mais séparément. Au moment de cette rencontre, le lock-out décrété par l’entreprise dure depuis près de quinze mois.
- 417. L’organisation plaignante allègue que le Premier ministre du Québec, à titre de chef et représentant officiel du gouvernement, a manqué à ses obligations stipulées dans la Déclaration de l’OIT relative aux principes et droits fondamentaux au travail (1998) et la Déclaration de principes tripartite sur les entreprises multinationales et la politique sociale (Déclaration sur les entreprises multinationales), ainsi que dans la convention no 87, notamment celles de s’abstenir de toute intervention de nature à entraver les activités licites de défense des intérêts d’une organisation de travailleurs. Selon l’organisation plaignante, le gouvernement a également omis de se conformer à son obligation de respecter et de promouvoir la liberté d’association et la reconnaissance effective du droit de négociation collective d’une organisation de travailleurs, ce qui inclut la possibilité de revendiquer elle-même, librement et avec des chances égales, les meilleurs salaires et conditions de travail possibles.
- 418. Selon l’organisation plaignante, à l’époque où le Premier ministre a rencontré en privé les parties pour la première et unique fois, une tentative de reprise des négociations était tout de même envisagée, avec l’objectif d’en arriver à une entente négociée. Or plutôt que de corriger la situation de déséquilibre causée notamment par l’exemption qu’il accorde à l’entreprise pour son contrat d’électricité avec la société d’État, l’organisation plaignante affirme que le gouvernement a tout simplement saboté la tentative de reprise de négociation collective. Elle estime que les déclarations du Premier ministre ont certainement incité l’entreprise, lors de la rencontre du 3 avril 2019, à cristalliser sa position et à rejeter totalement la proposition qu’elle avait soumise le 21 mars 2019, et ce sans ouvrir la porte à de nouvelles négociations. Selon elle, le gouvernement a ainsi contrevenu à son obligation de prendre toutes mesures nécessaires et appropriées en vue d’assurer aux travailleurs le libre exercice du droit syndical énoncé à l’article 11 de la convention no 87.
- 419. L’organisation plaignante allègue que le gouvernement du Québec a voulu la discréditer en laissant entendre à l’opinion publique que les retombées négatives du conflit de travail étaient et seraient uniquement imputables à ses prétendues demandes déraisonnables. Non seulement elle considère qu’une telle affirmation est fausse mais, au surplus, elle soutient que ses revendications visaient spécifiquement à garantir le maintien d’emplois bien rémunérés face à des demandes patronales toujours plus invasives en matière de sous traitance. Selon elle, le gouvernement ne peut s’immiscer et entraver une négociation collective en manipulant des faits en faveur d’une partie alors qu’il est sollicité dans le but de corriger un déséquilibre émanant de règles qu’il a décrétées. Alors que le salaire annuel ne faisait pas partie des enjeux de la négociation intervenue entre les parties, les libérations syndicales et le régime de retraite faisaient de leur côté l’objet d’importantes demandes de concessions de la part de l’entreprise à l’égard desquelles elle avait déjà fait de sérieux compromis. L’organisation plaignante estime que le représentant du gouvernement ne peut la taxer publiquement d’exagération à l’égard de revendications inexistantes sans manquer à ses obligations relatives à la liberté d’association et la reconnaissance effective du droit de négociation collective. Le Syndicat affirme que le gouvernement du Québec a grandement diminué le rapport de force devant prévaloir entre les parties et a ainsi volontairement entravé l’exercice du droit reconnu par l’article 3 de la convention no 87. Les forces en présence dans la négociation collective s’en sont trouvées conséquemment fortement déséquilibrées au profit de l’entreprise.
- 420. Selon l’organisation plaignante, en dépit du fait que l’entreprise n’a jamais, ni publiquement ni dans le cadre de la négociation, discuté de transférer hors du pays son exploitation, le gouvernement du Québec a laissé planer cette possibilité en requérant des compromis du Syndicat afin d’éviter «de tout perdre» dans un contexte où le coût de la main-d’œuvre aux États-Unis serait moindre. Or, au contraire, l’entreprise en question est l’établissement appartenant au propriétaire majoritaire en Amérique du Nord où les coûts de main-d’œuvre sont les moins élevés par tonne d’aluminium produite. D’autre part, le gouvernement a également suggéré aux salariés de concéder, notamment malgré l’absence de demande de l’employeur à ce sujet, des diminutions de salaire. Ce faisant, le Premier ministre a incité l’entreprise, qui n’a jamais requis de telles concessions, à diminuer considérablement les conditions de travail de ses salariés.
B. Réponse du gouvernement
B. Réponse du gouvernement- 421. Dans sa communication en date du 9 janvier 2020, le gouvernement du Canada fait parvenir les observations du gouvernement du Québec en date du 23 décembre 2019. Le gouvernement du Québec soumet que les déclarations visées par la plainte n’ont pas porté atteinte aux droits des travailleurs et de leurs organisations et ne constituent pas des manquements à ses obligations prévues dans les conventions internationales applicables en l’espèce. Il estime qu’il a respecté les principes établis par l’OIT, dont la liberté syndicale, et soumet que la plainte n’appelle pas un examen plus approfondi.
- 422. Le gouvernement du Québec explique que la liberté syndicale et la liberté d’association sont exprimées, au Canada, de façon constitutionnelle à l’alinéa 2 d) de la Charte canadienne des droits et libertés et, au Québec, de façon quasi constitutionnelle, à l’article 3 de Charte des droits et libertés de la personne. Ce droit se caractérise par la libre adhésion d’un travailleur à un syndicat de son choix, par le droit à la négociation collective ainsi que le droit à la grève. L’alinéa 2 d) de la Charte canadienne protège le droit de s’associer en vue de réaliser des objectifs relatifs au travail au moyen d’un processus véritable de négociation collective qui offre aux employés une liberté de choix et une indépendance suffisantes pour leur permettre de décider de leurs intérêts collectifs et de les défendre. La liberté de choix requise par la Charte canadienne à des fins de négociation collective correspond à celle qui permet aux employés de participer véritablement au choix des objectifs collectifs que devra poursuivre leur association. L’indépendance exigée par la Charte canadienne à des fins de négociation collective se définit comme celle qu’assure une correspondance entre les activités de l’association et les intérêts de ses membres. Un processus de négociation n’aura pas un caractère véritable s’il empêche les employés de poursuivre leurs objectifs. La Cour suprême du Canada a toutefois précisé que:
- «L’alinéa 2 d) de la Charte ne protège pas tous les aspects de l’activité associative liée à la négociation collective. Il protège uniquement contre les «entraves substantielles» à l’activité associative […] En conséquence, l’État doit s’abstenir d’empêcher un syndicat d’exercer une véritable influence sur les conditions de travail par l’entremise d’un processus de négociation collective menée de bonne foi». (Health Services and Support – Facilities Subsector Bargaining Assn. c. Colombie-Britannique, 2007)
- Le gouvernement du Québec souligne d’ailleurs que, selon la Cour suprême du Canada, il faut présumer que la Charte canadienne accorde une protection au moins aussi grande que les instruments internationaux ratifiés par le Canada en matière de droits de la personne. En cas de violation de ces garanties constitutionnelles ou quasi constitutionnelles, les parties peuvent recourir aux mécanismes de réparation prévus par les chartes devant un tribunal compétent.
- 423. En droit québécois, le Code du travail représente la législation d’application générale encadrant le droit d’association. L’article 3 du code exprime la capacité pour les salariés de constituer des associations, de changer de représentant et d’établir ou de modifier des objectifs relatifs aux conditions de travail. Cet article doit donc se lire comme une suite des garanties de liberté d’association offertes par les chartes canadienne et québécoise. L’exercice collectif de la liberté syndicale et de la liberté d’association est également protégé par le code. L’article 12 empêche les parties de «dominer, entraver ou financer la formation ou les activités d’une association de salariés» ou d’employeurs. Les articles 52 et 53 traitent de la protection de cette liberté au cours du processus de négociation, du caractère libre et volontaire de cette négociation, ainsi que de l’obligation de négocier de bonne foi. Dans le but d’aider les parties à conclure des ententes ou à trouver un dénouement lors de négociations infructueuses, le ministre du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale (ci après «le Ministre») possède le pouvoir, en vertu des articles 54, 74 et 77 du code, de nommer un conciliateur ou un arbitre. Le premier paragraphe de l’article 13 de la loi sur le ministère du Travail permet également au Ministre de désigner une personne pour aider les parties, notamment dans leurs négociations.
- 424. Le gouvernement du Québec fournit un rappel chronologique des faits entourant le conflit de travail dans ce cas:
- 425. Selon le gouvernement du Québec, il convient de replacer dans leur contexte certaines déclarations du Premier ministre du Québec que l’organisation plaignante fait valoir afin d’étayer ses arguments. Le gouvernement du Québec souligne que, comme le rappelle elle même l’organisation plaignante, c’est elle qui a sollicité la participation du gouvernement du Québec dans la résolution du conflit de travail chez l’entreprise en question. Cette demande a été réitérée par les travailleurs et travailleuses lock-outés qui se sont déplacés, à pied, jusqu’à l’Assemblée nationale pour demander la participation du Premier ministre aux négociations entre l’employeur et le Syndicat. Enfin, l’opposition officielle et la cheffe du deuxième groupe d’opposition à l’Assemblée nationale ont également appelé le Premier ministre du Québec à mettre fin au conflit de travail. Le gouvernement du Québec soumet que les déclarations visées par la plainte constituent des réponses à des questions posées soit lors de la période de questions et réponses orales à l’Assemblée nationale, soit par des journalistes. Elles sont la conséquence logique et prévisible de cette demande de l’organisation plaignante qui ne peut, a posteriori, en dénoncer l’existence même.
- 426. Le gouvernement du Québec estime que les déclarations doivent aussi être comprises dans le contexte des autres déclarations du Premier ministre et de celles des autres membres du gouvernement. En février et mars 2019, alors que les partis de l’opposition réclamaient à l’Assemblée nationale l’intervention du Premier ministre dans le conflit de travail, le Ministre a répété à plusieurs reprises l’importance de laisser les parties négocier par elles mêmes le règlement de leurs différends tout en rappelant leur devoir de négocier de bonne foi:
- «Nous ne devons pas assumer le fardeau de régler, ce sont les parties qui doivent négocier […] le renouvellement de leur convention collective. […] Nous n’avons nullement l’intention de nous immiscer dans les droits de direction d’un employeur. Nous n’avons pas nullement aussi l’intention de nous immiscer dans le pouvoir décisionnel de la partie syndicale.» (Québec, Assemblée nationale, Journal des débats, 42e lég, 1re session, 25 (27 mars 2019))
- 427. Le gouvernement indique en outre que le Premier ministre et le Ministre ont demandé aux deux parties de faire des concessions afin de favoriser le règlement des différends entre elles. En définitive, le Premier ministre a rappelé que, malgré ses déclarations publiques, il appartient aux parties à un conflit de travail dans le secteur privé de prendre leurs propres décisions et de régler leurs différends:
- «[…] il m’est arrivé de parler de certains employeurs pour dire que, dans certains cas, ils exagèrent. Je vais continuer de le faire. Quand un syndicat exagère, je pense que c’est mon devoir de le dire. Par contre, dans une entreprise privée, ça sera aux travailleurs, aux employés de décider. C’est un conflit privé, donc les employés auront à voter s’ils acceptent ou non la proposition de l’employeur. Donc en bout de ligne, ce sont les employés qui vont décider, mais je pense que de donner une indication, c’est le rôle d’un gouvernement.» (Québec, Assemblée nationale, Journal des débats, 42e lég, 1re session, 37 (1er mai 2019))
- «[...] c’est un conflit privé. En bout de ligne, ça sera aux employés de décider s’ils acceptent, oui ou non, l’offre patronale. Mais j’ai dit ce que j’en pensais et je souhaite, Monsieur le Président, que ce conflit soit réglé le plus rapidement possible.» (Québec, Assemblée nationale, Journal des débats, 42e lég, 1re session, 53 (11 juin 2019))
- 428. En ce qui a trait aux déclarations visées par la plainte, le gouvernement du Québec soumet qu’elles ne sont pas des «interventions», au sens du paragraphe 2 de l’article 3 de la convention no 87, et ne sont pas de nature à limiter ou entraver l’exercice légal du droit prévu au premier paragraphe de l’article 3 de la convention no 87. Il affirme que, bien que dans son sens usuel, une déclaration puisse constituer une «intervention», le paragraphe 2 de l’article 3 de la convention no 87 ne vise à prohiber que celles qui sont «de nature à limiter le droit prévu au paragraphe 1 ou à en entraver l’exercice légal». À cet égard, il souligne qu’il n’a aucunement limité ni entravé les activités choisies et menées par le Syndicat pendant le conflit de travail, dont notamment: plusieurs marches; une manifestation devant l’Assemblée nationale; la participation à plusieurs rencontres syndicales internationales; et la publication de nouvelles syndicales sur Internet. Selon le gouvernement, des déclarations publiques non contraignantes s’éloignent significativement de l’interprétation donnée dans le cadre de l’OIT au mot «intervention». Il indique que l’objet de l’article 3 de la convention no 87 peut être recherché dans les rapports préparatoires à l’adoption de cette convention. Ces remarques, lesquelles permettent de bien saisir l’objet du paragraphe 2 de l’article 3 de la convention no 87, assimilent la notion d’«intervention» aux seules mesures législatives et autres mesures qui empêchent les organisations de se gouverner à leur guise. En outre, le gouvernement affirme que le Comité de la liberté syndicale n’a jamais qualifié d’«interventions» des déclarations publiques non contraignantes d’un gouvernement ou d’un membre de gouvernement.
- 429. Le gouvernement du Québec soumet que les déclarations visées par la plainte respectent la liberté d’association et la liberté syndicale, ainsi que le droit syndical et le droit à la libre négociation collective. Il soutient que les déclarations survenues après la rencontre du 3 avril 2019 ne peuvent avoir incité l’entreprise à cristalliser sa position et à rejeter totalement la proposition du Syndicat puisqu’elles sont survenues postérieurement à cette décision. Selon le gouvernement du Québec, présumer qu’un employeur qui a volontairement décrété un lock-out treize mois plus tôt pourrait rejeter une proposition du Syndicat uniquement en raison de déclarations publiques n’ayant pas le pouvoir de lier les parties relève également de la spéculation. Il estime que les deux déclarations préalables au 3 avril 2019 ne peuvent avoir affaibli un rapport de force bâti pendant les treize mois précédents et saboté la tentative de reprise des négociations par ailleurs encouragée par le gouvernement.
- 430. Le gouvernement du Québec indique qu’il a rencontré les dirigeants du Syndicat seulement lorsque ceux-ci en ont fait la demande, qu’il a été à l’écoute des demandes du Syndicat, que ce dernier a assuré être satisfait, et que c’est seulement lorsqu’il a demandé aux deux parties de faire des compromis afin d’en arriver à un règlement négocié que le Syndicat s’est dit déçu et l’a critiqué. Faisant référence à de précédentes conclusions du comité, le gouvernement soutient que le fait pour un ministre d’exhorter les partenaires sociaux, dans le cadre de l’encouragement et de la promotion du plein développement et de l’utilisation des mécanismes de négociation collective, à trouver une solution mutuellement acceptable à un conflit collectif n’est pas contraire aux conventions nos 87 et 98.
- 431. Le gouvernement du Québec affirme que son rôle, dans le cadre d’une négociation collective dans le secteur privé, consiste à mettre en place un processus favorable à la négociation collective et à s’abstenir de toute intervention de nature à limiter ou à entraver l’exercice légal de la liberté syndicale, dont le droit d’organiser ses activités et de formuler son programme d’action. En l’espèce, il faudrait que les déclarations visées par la plainte entravent de façon substantielle la capacité des employés de participer au choix des objectifs collectifs que poursuit le Syndicat ainsi que la correspondance entre les activités de l’association et les intérêts de ses membres pour que l’on conclue qu’il y a atteinte au droit de négocier collectivement protégé par la liberté d’association en vertu de l’alinéa 2 d) de la Charte canadienne. Le gouvernement du Québec soumet que les plaignants ne parviennent pas à démontrer que les déclarations visées par la plainte atteignent le niveau d’une telle entrave.
- 432. Le gouvernement du Québec indique que, tout au long du conflit de travail, il a favorisé la libre négociation et la mise en place d’un environnement sain de négociation en fournissant, lorsque les parties en ont fait la demande, des services de médiation volontaires. Selon lui, toutes les occasions possibles ont été données aux parties pour négocier librement pendant tout le temps nécessaire et avec le concours de services volontaires de médiation et de conciliation. Il a enjoint les parties à retourner à la table de négociations, à adopter une attitude d’ouverture, à faire des concessions et à s’entendre sur de nouvelles conventions collectives pour mettre fin à un conflit de travail long et préjudiciable aux intérêts des travailleurs, de l’employeur et de la société québécoise. De plus, il souligne que sa participation s’est limitée à satisfaire aux demandes conjointes des parties.
- 433. Le gouvernement du Québec indique que les déclarations visées par la plainte n’ont jamais eu pour objectif de soumettre les plaignants à quelque forme de pression, d’intimidation, de harcèlement, de menace ou à les discréditer. Elles constituent des réponses à des questions posées à l’Assemblée nationale et par des médias d’information. Ces réponses visaient à informer la population québécoise à propos d’une situation d’intérêt public et à favoriser la négociation entre les parties en vue de trouver une solution mutuellement acceptable au conflit de travail.
- 434. Le gouvernement du Québec souligne qu’aucune mesure législative n’a été prise par lui concernant le conflit de travail en question et aucune demande ou plainte n’a été portée devant les tribunaux judiciaires et administratifs du Québec concernant les déclarations publiques visées. Enfin, les parties au conflit de travail se sont entendues librement et ont conclu de nouvelles conventions collectives en juillet 2019.
- 435. En ce qui concerne la Déclaration de l’OIT relative aux principes et droits fondamentaux au travail, le gouvernement du Québec fait référence à la Conférence internationale du Travail, qui a indiqué qu’elle n’a pas la portée d’un instrument normatif, n’ajoute pas aux obligations existantes des États Membres, ne constitue pas une interprétation de la Constitution ayant valeur juridiquement obligatoire pour les États Membres, et ne vise nullement à les assujettir à de nouveaux engagements. Le gouvernement du Québec estime ainsi qu’elle ne peut fonder de façon autonome une obligation susceptible de violation, et qu’un raisonnement similaire doit être adopté à l’égard de la Déclaration sur les entreprises multinationales. Le gouvernement du Québec réitère toute l’importance qu’il attache aux principes, dont la liberté syndicale, contenus autant dans la Constitution que dans les conventions, les recommandations et les déclarations de l’OIT. Cependant, il convient, selon le gouvernement, d’accorder à chaque instrument de l’OIT les attributs et les conséquences juridiques que les États Membres ont voulu leur accorder.
- 436. En ce que concerne la Déclaration sur les entreprises multinationales, le gouvernement du Québec soumet que les déclarations visées par la plainte ne légitiment pas des pratiques qu’elle condamne. D’abord, il soutient que ces allégations ne réfèrent ni à la liberté syndicale, ni à un principe du droit de l’OIT, ni à un droit des travailleurs ou des associations de travailleurs, ni à une quelconque obligation qui lui incombe. Il affirme cependant qu’il n’attache pourtant pas moins d’importance aux principes énoncés dans la déclaration susmentionnée du fait de leur nature déclaratoire et les respecte de son plein gré. Il explique que la première allégation des plaignants, concernant le transfert de l’exploitation d’une entreprise hors du pays, réfère au paragraphe 59 de la Déclaration sur les entreprises multinationales. À cet égard, le gouvernement du Québec soumet qu’il n’a jamais souhaité que l’entreprise transfère hors du Québec son exploitation et que, au contraire, il a répété à de multiples reprises qu’il souhaite favoriser la création et le maintien au Québec d’emplois bien rémunérés comme ceux des travailleurs de l’entreprise. En réponse à la seconde allégation, relative à l’offre du meilleur salaire possible, le gouvernement du Québec indique qu’une lecture complète du paragraphe 41 de la Déclaration sur les entreprises multinationales révèle que, lorsqu’il existe des employeurs comparables dans le pays d’accueil, ce qui est le cas en l’occurrence, les salaires, prestations et conditions de travail offerts devraient s’accorder à ceux-ci sans être moins favorables pour les travailleurs.
- 437. Enfin, le gouvernement du Québec souligne que les parties au conflit de travail se sont entendues librement sans qu’aucune mesure législative ne soit prise par le gouvernement du Québec, et ce tout au long du conflit de travail qui a duré plus de dix-huit mois. De plus, aucune demande ou plainte n’a été déposée devant les tribunaux judiciaires et administratifs du Québec concernant les déclarations visées par la plainte. Le gouvernement du Québec soumet, en l’espèce, que la décision de l’organisation plaignante de ne pas se prévaloir des recours disponibles au Québec relativement aux déclarations visées par la plainte doit être prise en considération par le Comité de la liberté syndicale.
- 438. En conclusion, le gouvernement du Québec affirme que les déclarations visées par la plainte n’ont pas porté atteinte au principe de la liberté syndicale ni aux droits et libertés des travailleurs et de leurs organisations. Il soutient qu’il n’a pas manqué à ses obligations prévues dans la Constitution et les conventions de l’OIT et qu’il a respecté, promu et mis en œuvre les principes de la liberté syndicale, de la reconnaissance effective du droit de négociation collective et de la liberté d’association. Le gouvernement du Québec estime que la plainte n’appelle pas un examen plus approfondi et invite le comité à en informer le Conseil d’administration.
C. Conclusions du comité
C. Conclusions du comité- 439. Le comité note que, dans le présent cas, l’organisation plaignante, le Syndicat des Métallos, allègue que, par des déclarations publiques de son Premier ministre, le gouvernement du Québec a entravé des activités licites de défense des intérêts des travailleurs et a manqué à son obligation de respecter et de promouvoir la liberté d’association et la reconnaissance effective du droit de négociation collective.
- 440. Le comité note que l’organisation plaignante allègue une violation de la Déclaration de l’OIT relative aux principes et droits fondamentaux au travail et que le gouvernement du Québec, pour sa part, affirme qu’elle n’a pas la portée d’un instrument normatif et n’ajoute pas aux obligations existantes des États Membres. Le comité rappelle que son mandat n’est pas lié à la Déclaration de 1998 de l’OIT – qui comporte ses propres mécanismes de suivi – mais découle plutôt directement des buts et objectifs fondamentaux énoncés dans la Constitution de l’OIT. [Voir Compilation des décisions du Comité de la liberté syndicale, sixième édition, 2018, paragr. 13.] Les mêmes considérations s’appliquent à la Déclaration de principes tripartite de l’OIT sur les entreprises multinationales et la politique sociale. C’est dans cet esprit que le comité entend poursuivre l’examen de la présente plainte.
- 441. Le comité prend note de la chronologie suivante des événements selon les informations fournies par l’organisation plaignante et le gouvernement. Le 22 novembre 2017, les conventions collectives conclues entre l’entreprise et le Syndicat sont arrivées à échéance. Le 22 décembre 2017, l’entreprise a rompu les négociations et déposé une offre finale et globale visant le renouvellement des conventions collectives. Les 9 et 10 janvier 2018, l’offre a été présentée aux salariés syndiqués en assemblée et a été rejetée. Le 11 janvier 2018, l’employeur a décrété un lock-out. Le 9 février 2018, la ministre responsable du travail a rencontré les parties concernées et a procédé à la nomination d’un médiateur spécial à la fin avril. Le 1er octobre 2018, un nouveau gouvernement est porté au pouvoir suite à des élections générales; un nouveau ministre du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale est nommé dans les semaines qui suivent. Le 5 octobre 2018, le médiateur spécial a annoncé la suspension des négociations, compte tenu des positions très éloignées de l’employeur et du Syndicat. À la fin octobre et au début novembre 2018, le Ministre a rencontré la partie patronale, la partie syndicale et les hauts dirigeants séparément. Au début de novembre 2018, un conseil de médiation a été mis sur pied par le Ministre afin d’aider les parties à conclure leurs conventions collectives. En janvier 2019, le Ministre a formé un groupe de travail afin de recenser tous les services susceptibles de soutenir les parties dans la résolution de leurs différends. À la fin de février 2019, le Ministre a rencontré à nouveau séparément les parties et il a indiqué son intention de déposer une hypothèse de règlement; le Syndicat a alors demandé à rencontrer le Premier ministre. Le 1er mars 2019, des travailleurs en lock-out ont manifesté devant les bureaux du Premier ministre, du Ministre et de deux députés. En mars 2019, l’entreprise a soumis une offre écrite au Syndicat qui a été refusée par ses membres; une contre-offre a alors été déposée par le Syndicat à l’employeur. Le 1er avril 2019, le Premier ministre a rencontré les parties patronale et syndicale séparément. Le 3 avril 2019, l’employeur a indiqué qu’il considérait que la contre-proposition du Syndicat n’était pas acceptable. Le 17 avril 2019, le Ministre a soumis une hypothèse de règlement aux parties. À la fin d’avril 2019, le Ministre a rencontré chacune des parties séparément. Le 26 juin 2019, l’employeur a déposé une offre globale et finale, incluant un protocole de retour au travail au Syndicat. Le 2 juillet 2019, les membres du Syndicat, réunis en assemblée générale, ont voté en faveur de l’offre patronale. Le retour au travail a débuté le 26 juillet 2019.
- 442. Le comité note que l’organisation plaignante indique que, à au moins neuf reprises, entre le 1er avril et le 3 juin 2019, le gouvernement du Québec, par l’intermédiaire de son Premier ministre, a pris parti publiquement pour l’entreprise: i) en déclarant que les positions qu’elle a adoptées dans le cadre de la négociation l’opposant à l’entreprise multinationale étaient déraisonnables et exagérées; ii) en diffusant des informations inexactes quant aux enjeux de la négociation entre les parties; et iii) en suggérant explicitement que le Syndicat devrait se voir attribuer la responsabilité des pertes d’emplois et des retombées négatives sur la région advenant une possible fermeture de l’entreprise. Selon le Syndicat de Métallos, ces déclarations ont eu pour effet de le discréditer auprès de l’opinion publique et de déséquilibrer le rapport de force dans le processus de négociation collective au profit de l’entreprise. L’organisation plaignante considère que ces déclarations constituent des ingérences dans l’exercice des activités du Syndicat.
- 443. Le comité note que, selon le gouvernement du Québec, qui ne les nie pas, les déclarations visées par la plainte ne sont pas des «interventions», au sens du paragraphe 2 de l’article 3 de la convention no 87. Le gouvernement indique que: i) ces déclarations constituent des réponses à des questions posées soit à l’Assemblée nationale, soit par des journalistes; ii) le Premier ministre et le Ministre ont demandé aux deux parties de faire des concessions afin de favoriser le règlement des différends entre elles; et iii) toutes les occasions possibles ont été données aux parties pour négocier librement pendant tout le temps nécessaire et avec le concours de services volontaires de médiation et de conciliation. Le comité note également que le gouvernement souligne que les parties au conflit de travail se sont éventuellement entendues librement sans qu’aucune mesure législative ne soit prise et que, selon lui, il est spéculatif de présumer que l’employeur pourrait rejeter une proposition du Syndicat uniquement en raison de déclarations publiques n’ayant pas le pouvoir de lier les parties. Le comité note en outre l’indication du gouvernement du Québec selon laquelle aucune plainte n’a été portée devant les tribunaux du Québec concernant les déclarations publiques visées, malgré le fait que la liberté syndicale et la liberté d’association soient protégées, au niveau national, par la Charte canadienne des droits et libertés, la Charte des droits et libertés de la personne et le Code du travail.
- 444. Le comité observe les efforts du gouvernement du Québec pour soutenir et encourager les parties à résoudre leur différend, notamment en prévoyant le concours de conciliateurs et de médiateurs pour parvenir à la conclusion d’un accord négocié sans avoir recours à une mesure législative. Il rappelle que, de manière générale, le fait pour un ministre d’exhorter les partenaires sociaux, dans le cadre de l’encouragement et de la promotion du plein développement et de l’utilisation des mécanismes de négociation collective, à trouver une solution mutuellement acceptable au conflit collectif en cours n’est pas contraire aux conventions nos 87 et 98. [Voir Compilation, sixième édition, 2018, paragr. 1468.] Cependant, le comité n’a pas la capacité ni les moyens d’évaluer la signification et l’impact des déclarations publiques alléguées dans ce cas et ne poursuivra donc pas son examen.
Recommandation du comité
Recommandation du comité- 445. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d’administration à décider que ce cas n’appelle pas un examen plus approfondi.