Allégations: Les organisations plaignantes dénoncent l’action pénale engagée contre le président de la CEDOCUT et actuel président du FUT suite à sa participation à des manifestations, ainsi que l’absence de dialogue social sur un projet de réforme de la législation du travail
- 274. La plainte figure dans une communication en date du 5 février 2020 de la Confédération équatorienne des organisations classistes unitaires de travailleurs (CEDOCUT) et du Front unitaire des travailleurs (FUT).
- 275. Le gouvernement de l’Équateur a fait part de ses observations concernant les allégations dans une communication en date du 24 avril 2020.
- 276. L’Équateur a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, et la convention (no 98) sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949.
A. Allégations des organisations plaignantes
A. Allégations des organisations plaignantes- 277. Dans leur communication du 5 février 2020, la CEDOCUT et le FUT dénoncent l’action pénale intentée contre M. Manuel Mesías Tatamuez Moreno, président de la CEDOCUT et actuel président du FUT, suite aux manifestations qui ont eu lieu dans le pays entre le 3 et le 13 octobre 2019. Les organisations plaignantes dénoncent également l’absence de dialogue social sur un projet de réforme de la législation du travail élaboré par le gouvernement.
- 278. Les organisations plaignantes indiquent qu’en octobre 2019 le Président de l’Équateur a, par décret exécutif no 883, mis un terme aux subventions à l’essence, ce qui a entraîné une augmentation du prix de l’essence «extra», la plus utilisée dans le pays, d’un peu plus de 0,50 dollar É.-U. par gallon.
- 279. Les organisations plaignantes affirment que le syndicat des transporteurs a appelé à un débrayage, bloquant ainsi les routes et les rues dans tout le pays, ce qui a ouvert la voie à une série de manifestations en Équateur, au cours desquelles des affrontements ont eu lieu entre la police prétendant maintenir l’ordre public et des milliers de manifestants indignés par des mesures économiques qui affectaient considérablement leur vie quotidienne. Les organisations plaignantes indiquent qu’au fil des jours des centaines de membres de communautés autochtones et de travailleurs sont venus à Quito se joindre à ces manifestations.
- 280. Les organisations plaignantes déclarent en outre que: i) avant l’adoption des mesures économiques, prévues dans le décret no 883, le gouvernement avait annoncé en avril 2019 l’élaboration d’un programme de réformes de la législation du travail propres à favoriser la flexibilité, prévoyant notamment la création d’une nouvelle modalité contractuelle (le contrat d’entrepreneuriat), ainsi que l’élimination de la retraite payée par l’employeur, appelée à être remplacée par une contribution mensuelle liée au temps de travail; ii) le gouvernement avait engagé un dialogue sur ce programme de réformes uniquement avec les organisations soutenant sa politique conjoncturelle, sans consulter les dirigeants des principales centrales syndicales du pays; iii) à cela s’ajoutait l’instabilité professionnelle des fonctionnaires du secteur public, conséquence du recours à des contrats de services occasionnels; et iv) face à l’absence de dialogue, les centrales syndicales avaient prévu, en avril 2019, une grève nationale pour faire pression sur le gouvernement et attirer ainsi son attention.
- 281. Les organisations plaignantes affirment que, dans ce contexte, et face aux mesures économiques adoptées par le gouvernement avec l’appui du Fonds monétaire international, les secteurs sociaux, les organisations autochtones, les organisations syndicales et les organisations du transport ont manifesté au mois d’octobre 2019, déclenchant une grève nationale. Se référant à un rapport de la Commission interaméricaine des droits de l’homme faisant état d’un usage excessif de la force de la part des forces de sécurité pour contenir les manifestations, les organisations plaignantes affirment que la grève nationale a fait l’objet d’une vaste répression et que de nombreuses personnes ont trouvé la mort au cours d’affrontements entre les manifestants et la police équatorienne, tandis que des centaines d’autres ont été blessées ou arrêtées.
- 282. Les organisations plaignantes déclarent que l’Équateur a traversé une grave crise et que le gouvernement a décrété l’état d’urgence dans tout le pays en réponse aux manifestations. Elles allèguent que le Président de la République, qui avait pourtant initialement refusé d’établir des contacts avec les organisations, n’a eu d’autre choix que d’engager un dialogue par l’intermédiaire de l’Organisation des Nations Unies (ONU) et de mettre fin au conflit, abrogeant le décret exécutif no 883 et adoptant d’autres mesures bénéficiant à l’ensemble du pays. À cet égard, les organisations plaignantes font référence au rôle joué par les centrales syndicales dans leur appel au dialogue avec le gouvernement.
- 283. Les organisations plaignantes allèguent qu’à la suite du conflit, le gouvernement n’a pas reconnu les accords conclus par l’intermédiaire de l’ONU et a déposé une plainte pénale contre les dirigeants du mouvement d’octobre 2019 – aussi bien les dirigeants syndicaux que les dirigeants autochtones – pour enlèvement de membres de la force publique dans l’enceinte d’un lieu public où se déroulait une audience autochtone, à laquelle assistaient des milliers de personnes, rejointes par les dirigeants syndicaux venus soutenir les objectifs de la grève nationale qui avait été convoquée avant le mois d’octobre.
- 284. Les organisations plaignantes dénoncent en particulier le fait que M. Manuel Mesías Tatamuez Moreno, président de la CEDOCUT et actuel président du FUT, a reçu une demande d’information datée du 24 octobre 2019, en relation avec la plainte pénale susmentionnée. Elles signalent également que le 7 janvier 2020, il a été notifié à M. Tatamuez Moreno de se présenter devant le procureur pour donner sa version des faits. Il a nié avoir pris part à l’enlèvement de quiconque ni avoir eu connaissance d’une quelconque intention d’enlever un policier ou un journaliste présent sur place, expliquant qu’il avait participé à une manifestation pacifique. Selon les organisations plaignantes, le but de cette action du gouvernement est d’empêcher les dirigeants syndicaux de continuer à lutter contre les politiques de réforme de la législation du travail dans le pays, ce qui constitue un acte antisyndical qui va à l’encontre des dispositions des articles 1, 8 et 11 de la convention no 87 et des articles 1, 2 et 4 de la convention no 98. Elles affirment que le gouvernement a violé ces conventions en s’immisçant dans le système de justice pénale dans le but de limiter, par la peur et l’intimidation, l’exercice des droits syndicaux en général, et la liberté d’expression des centrales syndicales en particulier.
- 285. Les organisations plaignantes allèguent en outre que, s’agissant du projet de réforme de la législation du travail susmentionné, le gouvernement a manqué à son devoir de servir d’agent de communication entre les partenaires sociaux. À cet égard, les organisations plaignantes: i) affirment que le gouvernement a tenu des réunions de validation des politiques de l’État uniquement avec les organisations syndicales liées aux entreprises publiques qui dépendent de l’État, sans aucune représentation des travailleurs du secteur privé, ce qui dénote l’absence de climat de dialogue social; ii) demandent à prendre connaissance du projet de réforme de la législation du travail avant sa présentation imminente à l’Assemblée nationale.
B. Réponse du gouvernement
B. Réponse du gouvernement- 286. Dans sa communication en date du 24 avril 2020, le gouvernement indique que l’argumentation de la présente plainte repose en grande partie sur le contexte de la promulgation du décret exécutif no 883 du 1er octobre 2019. Il précise que ce décret a été promulgué en raison de la nécessité latente de réformer le règlement de substitution pour la réglementation des prix des produits dérivés des hydrocarbures, conformément aux décisions économiques prises par le gouvernement de l’Équateur, lesquelles visent à fixer de nouveaux prix des combustibles en fonction de la réalité économique du pays en vue de préserver les intérêts de l’État et d’éviter le trafic de combustibles. Le gouvernement indique qu’il est de notoriété publique que l’adoption de cette décision a entraîné une série de manifestations contre cette résolution.
- 287. Le gouvernement indique qu’en conséquence le président de l’Équateur a déclaré, le 3 octobre 2019, par décret exécutif no 884, l’état d’urgence sur tout le territoire national en raison des circonstances de graves troubles internes, les grèves survenues dans différentes parties du pays ayant perturbé l’ordre public, empêchant la circulation normale des véhicules et provoquant des situations de violence manifeste qui ont mis en danger la sécurité et l’intégrité des personnes. Conformément aux dispositions de l’article 1 dudit décret exécutif, il a aussi mis en garde contre une possible radicalisation des mobilisations sur tout le territoire national, différents groupes continuant à appeler à des journées de protestation continue et indéfinie.
- 288. Le gouvernement explique que l’article 3 du décret exécutif no 884 a suspendu sur tout le territoire national l’exercice du droit à la liberté d’association et de réunion, en stricte relation avec les motifs de l’état d’urgence et de la sécurité de l’État, tout en observant les principes de proportionnalité, de nécessité et d’adéquation et dans le respect total des autres garanties constitutionnelles. Le gouvernement signale que cette suspension visait à limiter la création de regroupements permanents – jour et nuit – dans les espaces publics, en vue d’éviter qu’il soit porté atteinte aux droits du reste de la population.
- 289. Le gouvernement signale également que, suite aux manifestations qui ont duré plusieurs jours dans le pays et au dialogue engagé entre le gouvernement et les dirigeants de la Confédération des nationalités autochtones de l’Équateur, du Conseil des peuples et organisations indigènes évangéliques de l’Équateur et de la Confédération nationale des organisations paysannes, indigènes et noires, le Président de l’Équateur a, par décret exécutif no 894 du 14 octobre 2019, décidé d’annuler le décret exécutif no 883, mettant ainsi fin aux manifestations sur le territoire équatorien.
- 290. Sur ce point, le gouvernement affirme que, conformément à ses propres décisions, le comité n’est pas compétent pour traiter les allégations de nature purement politique et que, dans le présent cas, aucun élément ne permet d’établir qu’il y a eu violation des droits du travail ou des droits syndicaux de quelque membre de la CEDOCUT ou du FUT que ce soit.
- 291. Quant à un prétendu projet de précarisation du travail mentionné par les organisations plaignantes, le gouvernement souligne que: i) l’une des politiques prévues par le gouvernement, qui s’inscrit dans le cadre de la promotion de l’emploi, consiste à inclure une modalité de contrat d’entrepreneuriat pour les entreprises récemment créées, qui engloberait tous les droits du travail déjà reconnus aux travailleurs, en vue de dynamiser l’emploi dans le pays; ii) la retraite financée par l’employeur serait maintenue, l’État étant garant des droits; et iii) les contrats de services occasionnels relèvent du régime de travail prescrit par la loi organique du service public depuis sa publication le 6 octobre 2010, et ils constituent un type de contrat visant à satisfaire les besoins temporaires des organisations dans le secteur public.
- 292. Le gouvernement poursuit en indiquant que le projet de réforme de la législation du travail mentionné par les organisations plaignantes n’a pas été soumis à l’Assemblée nationale de l’Équateur et que des dialogues sociaux se sont tenus de manière continue avec des représentants des employeurs et des travailleurs, et notamment de la CEDOCUT et du FUT. Il soutient que les organisations plaignantes sont en désaccord uniquement parce que le projet n’a pas été officiellement porté à la connaissance de leurs représentants, ce qui ne reflète pas la réalité, étant donné que le ministère du Travail a tenu des tables rondes, y compris avec les organisations plaignantes, et qu’il a communiqué sur ce projet via les médias.
- 293. Le gouvernement ajoute que, étant donné que les allégations des organisations plaignantes se réfèrent à un projet de loi sans valeur juridique, le comité n’a pas de motif suffisant pour se prononcer sur la question. Le gouvernement indique en outre que les affirmations des organisations plaignantes ne reflètent pas la réalité de la réforme de la législation du travail lancée par le ministère du Travail. Il signale que, dans le but de favoriser la promotion de l’emploi pour réduire le taux de chômage et de sous-emploi, il a examiné plusieurs propositions à l’époque. Or, il souligne à nouveau que ces propositions n’ont pas été soumises à l’Assemblée nationale.
- 294. À propos de l’enquête du procureur sur un présumé délit d’enlèvement reproché à M. Tatamuez Moreno, le gouvernement souligne que, dans le cadre de l’état constitutionnel de droit, les fonctions de l’État sont dûment séparées et indépendantes. Par conséquent, c’est au procureur général qu’il appartient d’exercer l’action publique, a fortiori en cas de plainte, conformément à l’article 421 du Code organique intégral pénal (COIP).
- 295. Le gouvernement indique que, sur la base des déclarations des associations plaignantes, il ressort que le procureur général, en vertu de ses compétences et attributions, mène une enquête préliminaire sur les faits survenus dans le cadre des manifestations sociales d’octobre 2019 afin de réunir les éléments de preuve à charge et à décharge, qui permettront au procureur de décider de retenir ou non le chef d’accusation. Selon le gouvernement, il a été notifié à M. Tatamuez Moreno de donner sa version des faits librement, volontairement et sans prêter serment, en tant que personne pouvant clarifier les faits, conformément à l’article 582 du COIP. Pour ces considérations, et conformément aux dispositions de l’article 584 du COIP, l’enquête préliminaire sera classée comme confidentielle.
- 296. Le gouvernement précise que le fait qu’une personne expose sa version devant un procureur dûment désigné ne signifie pas qu’elle est considérée comme suspecte ou qu’elle fera l’objet de poursuites. Il affirme aussi, sans préjudice de ce qui précède, avoir été le garant des droits à la liberté syndicale, qui n’ont aucun rapport avec une plainte déposée pour le présumé délit d’enlèvement.
- 297. S’agissant des articles des conventions nos 87 et 98 invoqués par les organisations plaignantes, le gouvernement déclare que ces dernières prétendent à tort qu’il y a eu ingérence de la part du gouvernement dans l’enquête pénale. Il soutient qu’il n’existe aucun élément de preuve susceptible d’induire l’existence d’une quelconque action qui aurait pu porter atteinte aux droits de M. Tatamuez Moreno en sa qualité de dirigeant syndical. Il indique aussi qu’il apparaît très clairement qu’il n’a pas été porté préjudice aux droits syndicaux par le biais de la législation nationale.
- 298. Le gouvernement conclut en réitérant que les revendications des organisations plaignantes ne portent pas sur des violations des droits syndicaux, mais qu’elles se fondent au contraire sur des aspects purement politiques, qui ne relèvent pas de la compétence du comité.
C. Conclusions du comité
C. Conclusions du comité- 299. Le comité note que, dans le présent cas, les organisations plaignantes dénoncent l’action pénale engagée contre le président de la CEDOCUT et actuel président du FUT suite à sa participation à une réunion publique dans le cadre de manifestations populaires, ainsi que l’absence de dialogue social sur un projet de réforme de la législation du travail dans le pays.
- 300. Le comité prend note de la chronologie des faits rapportés tant par le gouvernement que par les organisations plaignantes, à savoir: en avril 2019, le ministère du Travail s’est entretenu avec plusieurs représentants des employeurs et des travailleurs au sujet d’un projet de réforme de la législation du travail, et le FUT envisageait à ce moment-là une grève nationale pour faire pression sur le gouvernement et attirer ainsi son attention face à l’absence alléguée de dialogue social, en vue de travailler ensemble sur lesdites réformes. Le 1er octobre 2019, le gouvernement a promulgué le décret exécutif no 883 pour réformer le règlement de substitution pour la réglementation des prix des produits dérivés des hydrocarbures, ce qui a entraîné une hausse des prix des combustibles. En réponse à ce décret et à d’autres mesures adoptées par le gouvernement, une série de manifestations ont eu lieu entre le 3 et le 13 octobre 2019. Le 3 octobre 2019, en raison des circonstances de graves troubles internes et de paralysie dans différentes parties du pays, le Président de l’Équateur a déclaré, par le décret exécutif no 884, l’état d’urgence sur tout le territoire national, suspendant ainsi l’exercice du droit à la liberté d’association et de réunion. Le 14 octobre 2019, à la suite d’un dialogue facilité par l’ONU, le gouvernement a abrogé le décret exécutif no 883 en adoptant le décret exécutif no 894, mettant ainsi fin aux manifestations. Suite au conflit, une plainte pénale a été déposée contre plusieurs dirigeants d’organisations autochtones et contre M. Tatamuez Moreno, président de la CEDOCUT et actuel président du FUT, pour enlèvement de membres de la force publique dans l’enceinte d’un lieu public. Le 24 octobre 2019, M. Tatamuez Moreno a reçu une demande d’information dans le cadre de l’enquête préliminaire menée par le procureur général. Le 7 janvier 2020, il lui a été notifié de se présenter devant le procureur général pour donner sa version des faits.
- 301. Le comité note tout d’abord la déclaration du gouvernement selon laquelle les revendications des organisations plaignantes se fondent sur des aspects purement politiques, qui ne relèvent pas de la compétence du comité, et que la plainte ne fait pas état de raisons permettant d’établir qu’il y a eu atteinte aux droits du travail ou aux droits syndicaux de quelque membre de la CEDOCUT ou du FUT que ce soit. Tout en notant que l’énoncé de la plainte déposée comporte des appréciations d’ordre général de la politique menée par le gouvernement, le comité fait observer que: i) les actions de protestation auxquelles ont participé les organisations de travailleurs et à la suite desquelles M. Tatamuez Moreno a fait l’objet d’une plainte pénale portaient sur des mesures susceptibles de porter atteinte aux intérêts des travailleurs du secteur des transports et au niveau de vie des travailleurs des autres secteurs; et ii) les allégations spécifiquement formulées dans le présent cas (plainte relative à une action pénale considérée comme intimidante à l’encontre d’un dirigeant syndical et plainte relative à la prétendue absence de consultation des organisations plaignantes sur un projet de réforme de la législation du travail) portent sur la liberté syndicale. Par conséquent, le comité se concentrera sur l’examen des allégations susmentionnées.
- 302. S’agissant de la plainte pénale engagée le 24 octobre 2020 contre le président de la CEDOCUT et actuel président du FUT pour enlèvement de membres de la force publique dans l’enceinte d’un lieu public, le comité note que, selon les organisations plaignantes: i) M. Tatamuez Moreno n’a pris part à aucun enlèvement ni eu connaissance d’une quelconque intention d’enlever un policier ou un journaliste; et ii) l’action pénale dont fait l’objet M. Tatamuez Moreno est liée à sa présence à une réunion ayant regroupé de nombreux participants et lors de laquelle les organisations syndicales ont, pour défendre leurs revendications, apporté leur soutien aux organisations autochtones. Le comité note que les organisations plaignantes allèguent en particulier que: i) il y a eu ingérence du gouvernement dans l’action pénale dont fait l’objet M. Tatamuez Moreno; et ii) ladite ingérence a pour but d’empêcher les dirigeants syndicaux de poursuivre leur lutte contre les politiques de réforme de la législation du travail dans le pays. Le comité note que le gouvernement signale pour sa part que, dans le cadre de l’état constitutionnel de droit, les fonctions de l’État sont dûment séparées et indépendantes, et qu’il n’y a pas eu ingérence de sa part dans l’enquête pénale du procureur général sur les faits survenus dans le cadre des manifestations sociales d’octobre 2019. Il prend également note de l’affirmation du gouvernement selon laquelle le fait qu’une personne expose sa version devant un procureur dûment désigné ne signifie pas qu’elle est considérée comme suspecte ou qu’elle fera l’objet de poursuites, et qu’il n’y a eu aucune action qui aurait porté atteinte aux droits de M. Tatamuez Moreno en sa qualité de dirigeant syndical. Le comité prend dûment note de ces éléments. Il constate que la plainte pénale susmentionnée est liée à la participation de M. Tatamuez Moreno à une manifestation dans le cadre des protestations d’octobre 2019. Observant qu’il n’a toujours pas reçu d’informations détaillées sur les faits spécifiques ayant motivé la plainte, le comité rappelle que les principes de la liberté syndicale ne protègent pas des abus qui consistent en des actes de caractère délictueux dans l’exercice d’une action de protestation et que, si des personnes menant des activités syndicales ou exerçant des fonctions syndicales ne peuvent prétendre à l’immunité vis-à-vis de la législation pénale ordinaire, l’arrestation ou l’inculpation de syndicalistes doivent s’appuyer sur des exigences légales qui ne portent pas elles-mêmes atteintes aux principes de la liberté syndicale. [Voir Compilation des décisions du Comité de la liberté syndicale, sixième édition, 2018, paragr. 224 et 133.] Par conséquent, le comité prie le gouvernement de le tenir informé du résultat de l’examen de la plainte pénale visant M. Tatamuez Moreno, et veut croire que, dans le cadre de l’examen de ladite plainte, les autorités compétentes tiendront pleinement compte des décisions susmentionnées sur la liberté syndicale.
- 303. S’agissant de l’absence alléguée de dialogue social sur un projet de réforme de la législation du travail d’avril 2019 concernant la création d’une nouvelle modalité contractuelle (le contrat d’entrepreneuriat) et de la retraite payée par l’employeur, le comité note que les organisations plaignantes: i) allèguent que le gouvernement a engagé un dialogue sur ce programme de réformes uniquement avec les organisations qui soutiennent sa politique conjoncturelle, sans consulter les dirigeants des principales centrales syndicales du pays; et ii) demandent à prendre connaissance du projet de réforme de la législation du travail avant sa présentation imminente à l’Assemblée nationale. Le comité note que le gouvernement indique pour sa part que: i) le ministère du Travail a tenu des tables rondes, y compris avec les organisations plaignantes, et a communiqué sur ce projet via les médias; ii) les projets de réforme n’ont pas été soumis à l’Assemblée nationale; et iii) le comité n’a pas de motif suffisant pour se prononcer sur un projet de réforme n’ayant pas force de loi, au sujet duquel les organisations plaignantes ont présenté non pas des allégations précises et détaillées, mais des argumentations qui ne reflètent pas la réalité de la réforme de la législation du travail lancée par le ministère du Travail.
- 304. Tout en rappelant que, lorsqu’il est saisi d’allégations précises et détaillées concernant un projet de loi, le fait que ces allégations se rapportent à un texte n’ayant pas force de loi ne devrait pas, à lui seul, empêcher le comité de se prononcer sur le fond des allégations présentées [voir 376e rapport, cas no 2970, paragr. 465], le comité fait observer que, dans le présent cas, les indications spécifiques des organisations plaignantes ne se rapportent pas à la teneur d’un projet, mais à l’absence supposée de dialogue social sur ledit projet.
- 305. À cet égard, le comité relève le caractère contradictoire des versions présentées par les organisations plaignantes et par le gouvernement quant à la tenue de consultations. Il rappelle également qu’il a appelé l’attention du gouvernement sur l’importance d’une consultation préalable des organisations d’employeurs et de travailleurs avant l’adoption de toute loi dans le domaine du droit du travail. [Voir Compilation, paragr. 1540.] Notant que les aspects du projet de réforme relatifs au contrat d’entrepreneuriat ont donné lieu à la création d’un régime contractuel spécial pour les entrepreneurs en vertu de la loi organique de l’entrepreneuriat et de l’innovation, publiée le 28 février 2020, le comité veut croire que le gouvernement veillera à ce que les futurs projets de réforme de la législation du travail soient élaborés en consultation avec toutes les organisations représentatives de travailleurs et d’employeurs concernées. .
Recommandations du comité
Recommandations du comité- 306. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d’administration à approuver les recommandations suivantes:
- a) Le comité prie le gouvernement de le tenir informé du résultat de l’examen de la plainte pénale visant M. Manuel Mesías Tatamuez Moreno et veut croire que, dans le cadre de l’examen de ladite plainte, les autorités compétentes tiendront pleinement compte des décisions sur la liberté syndicale mentionnées dans les décisions du présent cas.
- b) Le comité veut croire que le gouvernement veillera à ce que les futurs projets de réforme de la législation du travail soient établis en consultation avec toutes les organisations représentatives de travailleurs et d’employeurs concernées.