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Rapport où le comité demande à être informé de l’évolution de la situation - Rapport No. 396, Octobre 2021

Cas no 3386 (Kirghizistan) - Date de la plainte: 29-JUIN -20 - En suivi

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Allégations: Les organisations plaignantes allèguent que, s’il est adopté, le projet de loi sur les syndicats violerait les droits à la liberté syndicale et à la négociation collective. Elles allèguent en outre des actes d’ingérence et des pressions exercées sur la FPK et sur ses dirigeants

  1. 453. La plainte figure dans une communication du Syndicat des travailleurs des mines et de la métallurgie du Kirghizistan (GMPK) datée du 29 juin 2020. IndustriALL Global Union et le Syndicat des travailleurs de l’industrie agroalimentaire de la République kirghize se sont associés à la plainte et ont donné des informations complémentaires dans des communications datées, respectivement, du 18 août et du 9 décembre 2020. La Fédération des syndicats du Kirghizistan (FPK) s’est associée à la plainte dans une communication datée du 15 février 2021 et a également donné des informations complémentaires dans une communication datée du 10 juin 2021.
  2. 454. Le gouvernement n’ayant pas répondu, le comité a dû ajourner l’examen du cas à deux reprises. À sa réunion de mai-juin 2021 [voir 395e rapport, paragr. 7], le comité a lancé un appel pressant au gouvernement indiquant que, conformément à la règle de procédure établie au paragraphe 17 de son 127e rapport, approuvé par le Conseil d’administration, il pourrait présenter un rapport sur le fond de l’affaire à sa prochaine réunion, même si les informations ou observations demandées n’étaient pas reçues à temps. À ce jour, le gouvernement n’a envoyé aucune information.
  3. 455. Le Kirghizistan a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, et la convention (no 98) sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949.

A. Allégation des organisations plaignantes

A. Allégation des organisations plaignantes
  1. 456. Dans leurs communications en date des 29 juin, 18 août et 9 décembre 2020, et des 15 février et 10 juin 2021,le GMPK, IndustriALL Global Union, le Syndicat des travailleurs de l’industrie agroalimentaire de la République kirghize et la FPK ont soumis deux séries d’allégations: 1) violation de la liberté syndicale et du droit de négociation collective, si le projet de loi sur les syndicats actuellement examiné au Parlement est adopté; 2) ingérence des autorités publiques dans la gouvernance et les affaires internes de la FPK et de ses organisations affiliées, et pressions exercées sur leurs dirigeants.

    Projet de loi sur les syndicats

  1. 457. Les organisations plaignantes allèguent que le projet de loi sur les syndicats en cause a été préparé par des députés, sans consultations ni discussions avec les syndicats et les organisations d’employeurs. Le projet de loi a été soumis au Parlement le 27 mai 2019, a été renvoyé en deuxième lecture le 30 avril 2020, est passé en deuxième lecture le 6 novembre 2020, a été adopté en troisième lecture le 31 mars 2021 et envoyé au Président pour signature. Le 6 avril 2021, un rassemblement de travailleurs a eu lieu devant la Maison du gouvernement, siège du bureau du Président. La délégation de manifestants a été reçue par des représentants du Cabinet présidentiel qui ont promis de porter toutes les informations objectives à l’attention du Président. Le Président n’a pas signé le projet de loi, l’a renvoyé devant le Parlement accompagné de ses objections en donnant instruction de créer une commission de conciliation composée de représentants du Conseil des ministres, des associations d’employeurs et des syndicats pour qu’ils s’entendent sur le contenu du projet de loi.
  2. 458. Les organisations plaignantes estiment que le projet de loi contrevient à la Constitution nationale et aux normes internationales du travail, en particulier aux conventions nos 87 et 98 et que, s’il est adopté, il porterait gravement atteinte à la liberté syndicale au Kirghizistan et sonnerait le glas de la démocratie et de l’indépendance syndicales. Les organisations plaignantes soulèvent, notamment, les questions suivantes.
  3. 459. Les organisations plaignantes indiquent que le projet de loi accorde le droit de constituer un syndicat et de s’y affilier seulement à des personnes qui ont atteint l’âge de 14 ans et qui exercent une activité professionnelle, privant ainsi les étudiants et les retraités de ce droit.
  4. 460. Les organisations plaignantes allèguent en outre que l’article 7 du projet de loi réglemente en détail les règles internes, les activités et le fonctionnement des organisations de travailleurs, ainsi que le contenu et la structure des statuts syndicaux. Les organisations plaignantes allèguent à cet égard que les dispositions proposées vont au-delà des prescriptions formelles et entravent sérieusement la constitution et le développement de syndicats en imposant une hiérarchie rigide dans laquelle toute organisation syndicale, depuis les syndicats constitués sur les lieux de travail jusqu’aux syndicats de branche, devrait être affiliée à une structure ou association syndicale plus importante, et tous les syndicats devraient être affiliés à une association syndicale nationale. Par ailleurs, pour la définition d’une association syndicale nationale, le projet de loi fait directement référence à la FPK. Le fonctionnement des syndicats en dehors de la structure prescrite n’est pas permis. En conséquence, le projet de loi impose un système syndical unique comme étant le seul autorisé. Les organisations affiliées rendent compte de leurs activités à la fédération qui contrôle celles-ci. La fédération est habilitée à approuver les statuts des organisations qui lui sont affiliées, lesquels doivent s’aligner sur les statuts de la FPK. Les statuts des syndicats de premier degré affiliés aux associations syndicales sectorielles et territoriales ne doivent pas aller à l’encontre des statuts des associations correspondantes. Les organisations syndicales à tous les niveaux sont obligées, dans les six mois suivant l’entrée en vigueur du projet de loi, de se réorganiser et de modifier leurs statuts. Le non-respect des prescriptions de la loi entraîne la dissolution du syndicat et le transfert de ses avoirs à la FPK (article 35).
  5. 461. Les organisations plaignantes soulignent en outre que le projet de loi prescrit la procédure à suivre pour l’élection d’un président de la fédération, fixe la durée de son mandat et présente une liste définitive de motifs de relèvement de ses fonctions. Par exemple, le président de la Fédération peut être démis de son poste pour avoir acquis une autre nationalité. De plus, le projet de loi impose une limite d’âge aux membres du conseil de la fédération et son président doit être âgé de 35 à 60 ans. Le projet de loi contient également des listes détaillées et définitives des tâches et des fonctions des associations syndicales sectorielles et territoriales et de leurs filiales régionales.
  6. 462. Les organisations plaignantes soulignent également que l’article 29 du projet de loi impose une nouvelle obligation de publier dans les médias un rapport annuel sur les activités économiques et financières des syndicats. Elles expliquent que, actuellement, les syndicats, comme les autres organisations commerciales ou non commerciales, doivent soumettre des rapports aux autorités fiscales de l’État, au Fonds social et aux organismes statistiques.
  7. 463. Les organisations plaignantes croient que l’adoption du projet de loi risque de compromettre la participation du Kirghizistan au programme SPG+ de l’Union européenne, dont le pays bénéficie depuis le début de 2016 et qui donne aux producteurs le droit d’exporter en Europe environ 6 000 produits de base totalement exonérés de droits de douane. Les échanges commerciaux entre le Kirghizistan et l’Europe se chiffrent à environ 1 milliard de dollars des É.-U. par an, dont environ 100 millions de dollars É.-U. en exportations en vertu du programme SPG+. L’une des conditions du programme SPG+ est le respect des obligations prescrites par 27 conventions internationales en matière de droits de l’homme, de bonne gouvernance, de normes du travail et de l’environnement.
  8. 464. Les organisations plaignantes indiquent que le gouvernement du Kirghizistan a présenté son évaluation du projet de loi le 4 juillet 2019. De l’avis du gouvernement, un certain nombre de dispositions proposées vont à l’encontre de plusieurs textes de loi qui priment sur la loi sur les syndicats. Selon les organisations plaignantes, certains des arguments avancés par le gouvernement se rapportent à des violations potentielles du droit à la liberté syndicale garanti par la convention no 87. À cet égard, les organisations plaignantes indiquent que le gouvernement a exprimé, entre autres, sa préoccupation concernant le monopole apparent conféré par la loi à la FPK; la réglementation détaillée de questions liées à la gouvernance interne des syndicats (leur organisation, leur composition, leurs structures et leur mode de fonctionnement); et la prescription selon laquelle les statuts des organisations syndicales locales et de premier degré affiliées à des associations syndicales sectorielles et territoriales ne devraient pas aller à l’encontre des statuts des associations correspondantes, et selon laquelle les statuts des organisations membres de la FPK ne devraient pas aller à l’encontre des statuts de la FPK. S’agissant de cette dernière, les organisations plaignantes indiquent que, de l’avis du gouvernement, la procédure d’enregistrement deviendrait compliquée pour les syndicats et l’autorité d’enregistrement si celle-ci devait vérifier la conformité non seulement à la législation en vigueur, mais également aux statuts des organisations syndicales de niveau supérieur auxquelles les organisations en cause sont affiliées. Les organisations plaignantes indiquent que, jusqu’à maintenant, le Parlement n’a pas pris en compte la position du gouvernement.
  9. 465. Les organisations plaignantes expliquent que le projet de loi fait l’objet de lobbying de la part de la Commission parlementaire sur les affaires sociales, l’éducation, les sciences, la culture et les soins de santé, qui est présidée par Mme Gulkan Moldobekova, l’épouse de l’ex-président de la FPK, M. Mirbek Asanakunov. Les organisations plaignantes établissent un lien entre ce fait et l’ingérence alléguée dans les affaires internes de la FPK comme il est indiqué ci-après.

    Ingérence des autorités publiques dans les activités syndicales

  1. 466. Pour situer le contexte, les organisations plaignantes expliquent que, le 16 janvier 2017, suite à la décision du Conseil de la FPK, il a été confirmé que M. Asanakunov était le président élu de la FPK. Conformément aux statuts de la FPK, il faut avoir occupé des fonctions syndicales électives pendant au moins cinq ans pour pouvoir être élu président. Plus tard, toutefois, les membres du conseil de la FPK ont appris que, au cours de sa présidence, M. Asanakunov avait fourni des documents falsifiés pour attester de ses cinq années d’expérience à des fonctions syndicales électives. M. Asanakunov n’avait pas le nombre d’années d’expérience requis en qualité de responsable syndical élu et n’était donc pas éligible à la présidence de la FPK. En 2019, sur la base de ces informations, le vice-président du comité central du Syndicat des travailleurs des industries, des services publics et de l’entrepreneuriat, une organisation affiliée à la FPK, a intenté une action pour faire annuler la décision du conseil de la FPK confirmant son élection. Le 9 janvier 2020, la Cour suprême a confirmé que la décision du conseil de la FPK du 16 janvier 2017 était invalide. Du fait de ce jugement et de l’implication de M. Asanakunov dans le lobbying en faveur du projet de loi inconstitutionnel sur les syndicats dans le but de s’attribuer plus de pouvoirs, le conseil de la FPK a relevé M. Asanakunov de ses fonctions le 5 février 2020. Mme Rysgul Babayeva a été élue présidente par intérim de la FPK.
  2. 467. Les organisations plaignantes indiquent que la cour a rejeté le recours de M. Asanakunov contre la décision du conseil. Selon elles, M. Asanakunov a renvoyé l’affaire devant les autorités chargées de l’application des lois – les départements de police régionaux, le ministère de l’Intérieur, le bureau du Procureur général, les députés et le président de la Commission de la politique sociale. Les organisations plaignantes allèguent que l’ex-président de la FPK a publié des informations négatives concernant les activités syndicales et a diffamé des membres du conseil de la FPK en proférant d’ignobles accusations mensongères contre eux. Le 7 février 2010, à la demande de M. Asanakunov, une procédure préliminaire a été ouverte au sujet de la falsification présumée de la décision du conseil du 5 février 2020. M. Asanakunov a également allégué la disparition de 100 000 dollars É.-U. et de bijoux de son bureau. Le 20 mars 2020, dans le cadre de l’enquête concernant les allégations de M. Asanakunov, suite à la décision du Tribunal du district de Sverdlovsky à Bishkek, un coffre-fort – appartenant à la FPK – a été saisi au bureau du président de la FPK. Des fouilles ont eu lieu au domicile des membres du conseil de la FPK et ces derniers ont été soumis à des interrogatoires.
  3. 468. Les organisations plaignantes allèguent en outre que, le 3 juin 2020, la présidente par intérim de la FPK, Mme Babayeva, alors sous traitement médical, a été emmenée de force par des membres des forces de l’ordre à un poste de police où elle a subi un interrogatoire de plusieurs heures. L’interrogatoire concernait la procédure de la réunion du conseil de la FPK du 5 février 2020 et la décision de relever M. Asanakunov de ses fonctions. Lors de l’interrogatoire, Mme Babayeva a été soumise à des pressions psychologiques et a reçu des menaces selon lesquelles elle risquait d’être détenue plus longtemps. Le 9 juin 2020, des accusations ont été portées contre M. Kanatbek Osmonov, le président du syndicat kirghize des travailleurs forestiers, en vertu des dispositions suivantes du Code pénal: article 219 – intrusion; article 233 – abus de pouvoir; article 359 – falsification de documents. Le lendemain, le Tribunal du district de Sverdlovsk, à Bishkek, l’a assigné à résidence pour deux mois et privé du droit d’utiliser les télécommunications et Internet. Plus tard, la période de l’assignation à résidence a été prolongée de deux mois. En fait, M. Osmonov était démis de son poste. Selon les organisations plaignantes, le 3 juillet 2020, le tribunal a décidé de relever M. Osmonov de ses fonctions de vice-président de la FPK et de président du Syndicat des travailleurs forestiers. Le 21 août 2020, Mme Babayeva a reçu un avis d’accusation l’informant qu’elle était soupçonnée de plusieurs infractions – abus de pouvoir, falsification de documents et intrusion – et passible d’une peine pouvant aller jusqu’à cinq ans d’emprisonnement. Selon les organisations plaignantes, en juin, juillet et août 2020, d’autres membres du Conseil de la FPK ont reçu des avis d’accusation semblables: M. Sultakeyev, président du Syndicat kirghize des travailleurs de la construction et des matériaux de construction à usage industriel; M. Agliulin, président du Conseil régional des syndicats de Jalal-Abad; et M. Toktogulov, président du comité central du Syndicat kirghize des travailleurs de l’éducation et de la recherche. Selon les organisations plaignantes, M. Sultakeyev a également été démis de son poste. Dans leurs dernières communications, les organisations plaignantes ont indiqué que, le 26 février 2021, la procédure préliminaire à l’encontre de MM. Osmonov, Agliulin et Sultakeyev, et de Mme Babayeva a été suspendue en l’absence d’éléments criminels détectés dans leurs actions. Toutes les mesures imposées précédemment à l’encontre de ces personnes ont été annulées. M. Asanakunov a saisi le tribunal du district de Sverdlovsky, à Bishkek, pour faire révoquer l’ordonnance de l’enquêteur et rouvrir l’enquête. Le 1er avril 2021, le tribunal a révoqué l’ordonnance de l’enquêteur. Le syndicat a interjeté appel auprès du conseil judiciaire du tribunal de la ville de Bishkek qui, dans sa décision du 26 avril 2021, n’a pas infirmé le jugement rendu par le tribunal de district. En conséquence, selon les organisations plaignantes, l’enquête criminelle pouvait reprendre et la persécution des dirigeants syndicaux continuer.
  4. 469. Les organisations plaignantes allèguent en outre que, dans le cadre de l’examen du projet de loi sur les syndicats, une commission parlementaire ad hoc a été créée, sous la supervision d’un député, M. T. Tillayev. Les organisations plaignantes allèguent que ce dernier a outrepassé ses pouvoirs en ordonnant au Service public de lutte contre la criminalité économique d’examiner les activités financières et économiques des syndicats, y compris la légalité de la pratique consistant à prélever et dépenser 1 pour cent des cotisations syndicales sur le salaire des travailleurs et à accorder des voyages pour cures médicales. Un enquêteur principal du Département des enquêtes du Service public de lutte contre la criminalité économique a décidé de procéder à une vérification. Le 18 juin 2020, un juge d’instruction du district de Pervomaisky, à Bishkek, a autorisé la saisie de documents comptables originaux de la FPK et de ses 26 associations syndicales sectorielles et régionales pour la période allant de 2015 à 2020. Les décisions prises par l’enquêteur et le juge d’instruction ont fait l’objet d’un recours, mais les pressions exercées et l’obligation de soumettre des états financiers et pièces comptables persiste. En conséquence, la FPK voit ses activités paralysées à cause du gel de ses comptes bancaires et se trouve dans l’incapacité de payer ses employés et de fonctionner normalement. Selon les organisations plaignantes, au total, depuis octobre 2019, la Commission parlementaire ad hoc chargée d’examiner l’application de la loi sur les syndicats a engagé et repris des poursuites pénales dans 52 cas liés à des activités syndicales dans le pays.
  5. 470. Les organisations plaignantes allèguent en outre que, à l’automne 2020, le chef du groupe d’enquête du ministère de l’Intérieur à Bishkek a demandé au tribunal de suspendre Mme Babayeva de son poste de présidente intérimaire de la FPK. Le 12 novembre 2020, le Tribunal du district de Sverdlovsky, à Bishkek, s’est prononcé en faveur de la suspension jusqu’à la clôture de la procédure préliminaire et à la tenue de l’audience. Cette décision judiciaire ne peut être portée en appel. Le 21 novembre 2020, la commission ad hoc a décidé que le gouvernement et le bureau du Procureur général devaient suspendre l’élection du président de la FPK et des présidents de tous les syndicats sectoriels pour lui permettre de mener à terme son examen des syndicats. Le 23 novembre 2020, le Vice-Premier ministre en a informé la FPK.
  6. 471. Les organisations plaignantes indiquent que, à la fin de décembre 2020, M. Asanakunov, avec l’appui de députés et de certains représentants du gouvernement, en vue d’obtenir le pouvoir et le droit de disposer des avoirs et fonds, notamment financiers, de la FPK, a organisé et tenu une réunion annoncée comme étant le «XXIVe congrès spécial de la FPK». Ledit «congrès spécial» résultait d’une décision du comité organisateur chargé de la préparation du XXIVe congrès spécial de la FPK datée du 18 décembre 2020. Les organisations plaignantes considèrent que la décision du comité organisateur chargé de la préparation du XXIVe congrès spécial de la FPK, qui s’est tenu le 25 décembre 2020, ainsi que les décisions qui en ont découlé sont invalides. La FPK a interjeté appel auprès du Tribunal du district de Pervomaisky, à Bishkek. Le 18 mars 2021, le tribunal s’est prononcé sur les mesures intérimaires. En particulier, il a interdit aux prévenus (M. Asanakunov et coll.) de détenir et d’utiliser les actifs immobilisés et les biens de la FPK et d’en disposer; de participer à des réunions du conseil de la FPK et d’y voter; d’organiser et de mener à bien des congrès réguliers et extraordinaires de la FPK; de signer des documents et de prendre des décisions concernant le personnel et les questions relatives aux activités financières et économiques de la FPK, du Bureau des stations thermales et des organisations touristiques de la FPK; de se présenter à une institution financière, un établissement de crédit ou une banque en qualité de dirigeant de la FPK en vue d’ouvrir un compte bancaire au nom de la FPK et d’effectuer une opération bancaire sur un compte bancaire appartenant à la FPK; de se présenter en qualité de dirigeant de la FPK auprès des autorités fiscales, des services statistiques, du Fonds social et d’autres organismes publics. Il est interdit au département de comptabilité de la FPK de remettre aux prévenus des paiements en espèces ou des objets de valeur. La décision du tribunal de district étant immédiatement exécutoire, une demande a été présentée à l’unité des huissiers de justice. Toutefois, les prévenus ayant accès au bâtiment administratif abritant la FPK, à des véhicules et à d’autres actifs et documents ont défié l’ordonnance. L’huissier a présenté une demande au ministère des Affaires internes du district de Pervomaisky, à Bishkek. Le 26 avril 2021, le tribunal de la ville de Bishkek, après examen de la plainte privée présentée par M. Asanakunov et coll. pour contester la décision du Tribunal du district de Pervomaisky, à Bishkek, datée du 18 mars 2021, a refusé d’accéder à la plainte et a maintenu la décision du tribunal de première instance. M. Asanakunov et coll. a formé un pourvoi en cassation devant la Cour suprême, qui devait être examiné en juin 2021.
  7. 472. Les organisations plaignantes allèguent que M. Asanakunov, avec l’appui de son épouse, Mme Moldobekova, Membre du Parlement, exerce des pressions sur les conseils syndicaux régionaux dans le but de paralyser leurs activités et mentionnent à cet égard le cas du Conseil régional des syndicats de Jalal-Abad, où le président aurait été démis de ses fonctions et remplacé par le vice-président.

B. Conclusions du comité

B. Conclusions du comité
  1. 473. Le comité regrette que, malgré le temps écoulé depuis la présentation de la plainte, le gouvernement n’ait toujours pas fourni en temps voulu les observations et informations demandées, alors qu’il a été invité à plusieurs reprises à les communiquer, y compris par un appel pressant lancé à sa réunion de juin 2021. Dans ces conditions, conformément à la règle de procédure applicable [voir 127e rapport du comité, paragr. 17, approuvé par le Conseil d’administration à sa 184e session (1972)], le comité se voit dans l’obligation de présenter un rapport sur le fond de l’affaire sans pouvoir tenir compte des informations qu’il espérait recevoir du gouvernement.
  2. 474. Le comité rappelle au gouvernement que l’ensemble de la procédure instituée par l’Organisation internationale du Travail pour l’examen d’allégations en violation de la liberté syndicale vise à assurer le respect de cette liberté en droit comme dans la pratique. Le comité demeure convaincu que, si la procédure protège les gouvernements contre les accusations déraisonnables, ceux-ci doivent, à leur tour, reconnaître l’importance de présenter, en vue d’un examen objectif, des réponses détaillées aux allégations formulées à leur encontre. [Voir premier rapport du comité, 1952, paragr. 31.]
  3. 475. Le comité note que, dans le présent cas, les organisations plaignantes – le GMPK, IndustriALL Global Union, le Syndicat des travailleurs de l’industrie agroalimentaire de la République kirghize et la FPK – présentent ces deux séries d’allégations: 1) violation de la liberté syndicale et du droit de négociation collective, si le projet de loi sur les syndicats actuellement examiné au Parlement est adopté; 2) ingérence des autorités publiques dans la gouvernance et les affaires internes de la FPK et de ses organisations affiliées, et pressions exercées sur leurs dirigeants. Le comité note que les organisations plaignantes allèguent que le projet de loi sur les syndicats a été préparé par des députés, sans consultations ni discussions avec les syndicats et les organisations d’employeurs. Le projet de loi a été soumis au Parlement le 27 mai 2019, a été adopté en troisième lecture le 31 mars 2021 et envoyé au Président pour signature. Le Président a formulé plusieurs objections et l’a renvoyé devant le Parlement en donnant instruction de créer une commission de conciliation composée de représentants du Conseil des ministres, des associations d’employeurs et des syndicats pour qu’ils s’entendent sur le contenu du projet de loi. Le comité croit comprendre d’après des informations accessibles au public que, depuis la dernière communication des organisations plaignantes, le 30 juin 2021, le nouveau projet de loi a été adopté par le Parlement et envoyé au Président pour signature. Une fois encore, le Président a opposé son veto au projet de loi.
  4. 476. Le comité note l’allégation des organisations plaignantes selon laquelle le projet de loi a été préparé sans consultations avec les partenaires sociaux et rappelle à cet égard que, à maintes reprises, il a souligné à l’intention des gouvernements l’importance d’une consultation préalable des organisations d’employeurs et de travailleurs avant l’adoption de toute loi dans le domaine du droit du travail. [Voir Compilation des décisions du Comité de la liberté syndicale, sixième édition, 2018, paragr. 1540.] Le comité rappelle en outre que la consultation tripartite doit se dérouler avant que le gouvernement ne soumette un projet à l’Assemblée législative ou n’élabore une politique de travail, sociale ou économique. [Voir Compilation, paragr. 1532.] Le comité croit comprendre que le projet de loi sur les syndicats émane de députés et non du gouvernement. Il rappelle néanmoins que la responsabilité d’appliquer les principes de la liberté syndicale incombe en dernier ressort au gouvernement. [Voir Compilation, paragr. 46.]
  5. 477. Le comité observe que, dans ses dernières observations, la Commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations (CEACR) a noté avec préoccupation que, outre qu’il réglemente de manière détaillée le fonctionnement des syndicats et impose des prescriptions excessives en qui concerne les règlements internes des syndicats et leurs élections, le projet de loi sur les syndicats (première version) instaure également un monopole syndical. Le comité note à la lumière de ces observations que, dans son rapport, le gouvernement indique qu’à son avis certaines des dispositions proposées ne sont pas conformes à la législation nationale, à la Constitution et aux normes internationales du travail. Le comité accueille favorablement le fait que, pour cette raison, entre autres, le Président a opposé son veto à la première version du projet de loi.
  6. 478. D’après une version accessible au public de la deuxième mouture du projet de loi sur les syndicats, à laquelle le Président a également opposé son veto, le comité note, en particulier, que le projet de loi n’instaure plus un monopole syndical, mais il désigne expressément la FPK comme étant la seule organisation représentative des travailleurs dans le dialogue social au niveau national, lui confère des droits exclusifs et réglemente en détail ses prérogatives, son organisation et sa structure (chapitre 3, ainsi que les articles 15 (3) (1), 16 (2) et 17 (2)). Ces articles suscitent des inquiétudes semblables aux préoccupations soulevées dans la plainte initiale concernant la première version du projet. Le comité estime par ailleurs que des dispositions législatives régissant de façon détaillée le fonctionnement interne des organisations de travailleurs et d’employeurs présentent des risques graves d’ingérence par les autorités publiques. Il rappelle que la liberté d’association implique le droit pour les travailleurs et les employeurs d’élire librement leurs représentants ainsi que d’organiser leur gestion et leur activité sans aucune intervention des autorités publiques. [Voir Compilation, paragr. 666.]
  7. 479. S’agissant du droit des personnes retraitées d’adhérer à un syndicat (article 1 (2)), le comité rappelle qu’il incombe à chaque syndicat, en vertu de son autonomie interne, de déterminer s’il doit ou non représenter les travailleurs à la retraite afin de défendre leurs intérêts propres. [Voir Compilation, paragr. 413.]
  8. 480. Concernant l’obligation pour les buts et objectifs énoncés dans les statuts des syndicats de niveau inférieur (premier degré et sectoriel) de correspondre aux statuts du syndicat de niveau supérieur auquel ils sont affiliés (article 7, paragraphe 5, et article 8, paragraphe 5), le comité rappelle que, en règle générale, les autorités publiques devraient respecter l’autonomie des syndicats et des organisations de niveau supérieur, y compris en ce qui concerne leurs diverses relations. Les dispositions juridiques empiétant sur cette autonomie devraient donc rester l’exception et, lorsqu’elles sont jugées nécessaires, en raison de circonstances exceptionnelles, elles devraient s’accompagner de toutes les garanties possibles contre une ingérence injustifiée. [Voir Compilation, paragr. 583.]
  9. 481. Le comité note en outre que l’article 25 impose de lourdes responsabilités aux syndicats (notamment l’obligation de publier dans les médias un rapport annuel concernant leurs activités financières et économiques, l’obligation de présenter à l’employeur et au Conseil des ministres des informations sur la mise en œuvre des conventions collectives, y compris sur les mesures visant à améliorer la santé et le bien-être des travailleurs, l’obligation de veiller à ce que leurs membres respectent la législation nationale régissant l’organisation et la conduite des grèves, des réunions pacifiques, des défilés, des piquets de grève et des manifestations, etc.). Le comité considère que de telles obligations supplémentaires imposées aux syndicats risquent de permettre aux autorités publiques de s’ingérer dans l’administration des syndicats, et que cette ingérence peut être de nature à limiter le droit des organisations ou à en entraver l’exercice légal. Le comité rappelle que le contrôle exercé par les autorités publiques sur les activités et les finances syndicales ne devrait pas aller au-delà de l’obligation de soumettre des rapports périodiques. Si les autorités sont entièrement libres de mener des inspections et de demander des renseignements à n’importe quel moment, il existe un risque d’intervention dans la gestion des syndicats. [Voir Compilation, paragr. 711.] À cet égard, le comité note que, selon les organisations plaignantes, outre l’obligation proposée de publier un rapport dans les médias, les syndicats doivent actuellement présenter leur rapport annuel à trois administrations publiques différentes.
  10. 482. Constatant que le projet de loi a une fois de plus été renvoyé devant le Parlement pour réexamen, le comité prie le gouvernement de prendre les mesures nécessaires afin que tout projet de loi sur les syndicats à l’étude fasse l’objet de consultations approfondies et constructives avec les partenaires sociaux et compte tenu des conclusions précitées. Le comité rappelle au gouvernement qu’il peut, s’il le souhaite, se prévaloir de l’assistance technique du BIT à cet égard.
  11. 483. Le comité note les allégations d’ingérence dans la gouvernance interne de la FPK et de ses affiliés. Le comité constate que, si certaines questions soulevées par les organisations plaignantes résultent de conflits internes au sein de la FPK et/ou de ses affiliés, d’autres concernent les nombreuses et persistantes enquêtes sur des syndicats par les autorités publiques. Le comité rappelle que le gouvernement a l’obligation d’observer une attitude de totale neutralité dans les différends au sein du mouvement syndical. [Voir Compilation, paragr. 1612.] Le comité observe, toutefois, que les allégations en l’espèce semblent indiquer que le conflit interne au sein de la FPK a été exploité au moins par certaines autorités publiques, ce qui a donné lieu à de nombreuses enquêtes et à des pressions psychologiques exercées sur des dirigeants syndicaux, paralysant ainsi le travail de la FPK et de certains de ses affiliés. Le comité prie instamment le gouvernement de conclure, sans plus tarder, toutes enquêtes en cours concernant la FPK et ses affiliés, de restituer tous les documents concernant leur administration interne et de s’assurer que ces organisations peuvent utiliser leurs comptes bancaires pour exercer des activités syndicales légitimes. Le comité prie instamment le gouvernement de l’informer de tout fait nouveau à cet égard. Notant en outre que l’allégation relative à la demande de la Commission parlementaire ad hoc chargée d’examiner l’application de la loi sur les syndicats de suspendre l’élection au poste de président de la FPK ainsi qu’aux postes de direction de ses affiliés jusqu’à la clôture de toutes les enquêtes, le comité prie le gouvernement de fournir sans délai ses observations à cet égard et rappelle sur ce point que la liberté syndicale implique le droit pour les travailleurs et les employeurs d’élire leurs représentants en pleine liberté [voir Compilation, paragr. 585] et que les autorités publiques devraient s’abstenir de toute intervention de nature à entraver l’exercice du droit des organisations de travailleurs d’élire leurs dirigeants, que ce soit dans le déroulement des élections, dans les conditions d’éligibilité, dans la réélection ou dans la destitution des représentants. [Voir Compilation, paragr. 590.]
  12. 484. Le comité attire l’attention de la CEACR sur les aspects législatifs de ce cas.

Recommandations du comité

Recommandations du comité
  1. 485. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d’administration à approuver les recommandations suivantes:
    • a) Le comité regrette que le gouvernement n’ait pas répondu aux allégations dans ce cas, bien qu’il ait été invité à le faire en diverses occasions, y compris par un appel pressant, et le prie d’y répondre dans les plus brefs délais.
    • b) Le comité prie le gouvernement de prendre les mesures nécessaires afin que tout projet de loi sur les syndicats à l’étude fasse l’objet de consultations approfondies et constructives avec les partenaires sociaux et compte tenu des conclusions précitées. Le comité rappelle au gouvernement qu’il peut, s’il le souhaite, se prévaloir de l’assistance technique du BIT à cet égard.
    • c) Le comité prie instamment le gouvernement de conclure, sans plus tarder, toutes enquêtes en cours concernant la FPK et ses affiliés, de restituer tous les documents concernant leur administration interne et de s’assurer que ces organisations peuvent utiliser leurs comptes bancaires pour exercer des activités syndicales légitimes. Le comité prie instamment le gouvernement de l’informer de tout fait nouveau à cet égard.
    • d) Le comité prie le gouvernement de fournir sans délai ses observations concernant l’allégation relative à la demande de la Commission parlementaire ad hoc chargée d’examiner l’application de la loi sur les syndicats de suspendre l’élection au poste de président de la FPK ainsi qu’aux postes de direction de ses affiliés jusqu’à la clôture de toutes les enquêtes.
    • e) Le comité attire l’attention de la Commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations sur les aspects législatifs de ce cas.
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