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Rapport définitif - Rapport No. 397, Mars 2022

Cas no 3223 (Colombie) - Date de la plainte: 01-JUIN -16 - Clos

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Allégations: Les organisations plaignantes dénoncent le refus d’une entreprise de négocier collectivement, en violation des conventions nos 151 et 154 de l’OIT

  1. 288. La plainte figure dans une communication datée du 1er juin 2016, présentée par la Centrale unitaire des travailleurs de Colombie (CUT) et la Confédération des travailleurs de Colombie (CTC), au nom du Syndicat des fonctionnaires de l’entreprise municipale EMCALI EICE ESP (SIEMCALI) et du Syndicat des travailleurs et des agents des entreprises de services publics et autres entités de l’État (SINTRASERVIP).
  2. 289. Le gouvernement a envoyé ses observations dans des communications datées du 15 août 2017, du 5 novembre 2018 et du 1er février 2022.
  3. 290. La Colombie a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, la convention (no 98) sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949, la convention (no 151) sur les relations de travail dans la fonction publique, 1978, et la convention (no 154) sur la négociation collective, 1981.

A. Allégations des organisations plaignantes

A. Allégations des organisations plaignantes
  1. 291. Dans leur communication datée du 1er juin 2016, les organisations plaignantes dénoncent le refus de l’entreprise EMCALI EICE ESP, une entreprise municipale décentralisée qui fournit des services publics à domicile (ci-après «l’entreprise»), de négocier collectivement avec les agents publics. Elles allèguent qu’en février 2016 les organisations syndicales ont présenté un cahier de revendications à la direction générale de l’entreprise afin de conclure une convention collective qui aurait permis de remédier à des inégalités au travail découlant de la classification erronée des directeurs, chefs de département, chefs de bureau de contrôle disciplinaire, assistants spécialisés et coordinateurs en tant qu’«agents publics» alors que, conformément à la loi et aux décisions des juridictions supérieures du pays, il s’agit de «travailleurs officiels». Même si des réunions ont bien eu lieu à cet égard, les organisations plaignantes affirment qu’aucune négociation n’a jamais été menée, car les représentants de l’entreprise ont estimé que ces réunions n’entraient pas dans le champ d’application du décret no 160 du 5 février 2014 qui régit la négociation collective dans le secteur public, s’agissant d’agents publics qui occupent des postes politiques, hiérarchiques ou de direction d’un niveau élevé, dont les fonctions impliquent des tâches de gestion, de représentation, d’autorité ou de direction institutionnelle et qui, à ce titre, décident des politiques publiques (paragraphe a) de l’article 2 dudit décret). Contrairement à cette position, les organisations plaignantes estiment que les agents publics représentés dans la négociation n’exercent pas de telles attributions, et précisent que les seules personnes habilitées à accomplir ces tâches au sein de l’entreprise sont le directeur général, les directeurs de zone, les directeurs d’unité de production stratégique et le conseil de direction.
  2. 292. Par ailleurs, les organisations plaignantes font savoir que l’entreprise n’a pas non plus respecté l’accord conclu en novembre 2015 dans le cadre de la Commission spéciale de traitement des conflits déférés à l’OIT (CETCOIT) relatif à un cahier de revendications présenté en 2015. Elles dénoncent aussi l’imminence de mesures de l’entreprise visant à affaiblir les organisations syndicales, remettre en cause l’existence de l’immunité syndicale, inviter les membres à se désaffilier et ordonner des «transferts».

B. Réponse du gouvernement

B. Réponse du gouvernement
  1. 293. Dans sa communication datée du 15 août 2017, le gouvernement fait part de la réponse de l’entreprise selon laquelle: i) elle est une entreprise industrielle et commerciale d’État qui fournit des services publics à domicile et, conformément à la législation, en particulier au décret-loi no 3135 de 1968, son personnel est composé de travailleurs officiels, disposant d’un contrat de travail, ainsi que d’agents publics; ii) en règle générale, le personnel de l’entreprise se compose majoritairement de travailleurs officiels et compte exceptionnellement des agents publics, conformément aux dispositions de l’article 5 du décret-loi précité selon lesquelles: «les personnes qui fournissent des services dans les ministères, les départements administratifs, les surintendances et les établissements publics sont des agents publics. Toutefois, les travaux de construction et d’entretien des bâtiments publics sont effectués par des travailleurs officiels»; iii) d’un point de vue juridique, il est évident que les agents publics de l’entreprise peuvent être librement nommés et révoqués, occupent des postes de confiance et de gestion de niveau élevé au sein de l’effectif et représentent l’employeur avec lequel ils entretiennent une relation légale et réglementaire. La situation des travailleurs officiels est différente et, en fonction de la structure de l’entreprise, les travailleurs dits «professionnels», les techniciens et les assistants relèvent de cette catégorie de personnel. Conformément aux dispositions légales, ceux-ci ont la possibilité de négocier leurs conditions de travail en ce qui concerne les salaires et les prestations, par la conclusion de conventions collectives. Actuellement, 15 organisations syndicales sont présentes au sein de l’entreprise et deux conventions collectives sont en vigueur; iv) en ce qui concerne la négociation avec les agents publics, plusieurs syndicats (dont le SIEMCALI et le SINTRASERVIP), représentés par des fonctionnaires qui ont ce statut et font partie des cadres de l’entreprise, ont présenté un cahier de revendications sur la base du décret no 160 de 2014; et v) malgré les restrictions de négociation décrites au paragraphe a) de l’article 2 dudit décret, s’appliquant aux représentants syndicaux d’agents publics de niveau élevé, l’entreprise a accepté de bonne foi de les écouter, d’examiner certains points et d’effectuer les analyses concernées.
  2. 294. Le gouvernement poursuit en indiquant que: i) à deux occasions, la justice interne s’est emparée de la question des agents publics de l’entreprise, et il en est ressorti que la classification employée est conforme à la loi. Il en découle donc que les agents publics de l’entreprise exercent des fonctions de direction ou de confiance; ii) aucune information ne confirme le dépôt d’une plainte auprès du ministère du Travail relative à un refus présumé de négocier dans le but de déterminer si l’entreprise s’est opposée à une négociation, comme cela est mentionné dans la présente plainte; et iii) il ressort des informations communiquées que l’entreprise n’a pas refusé de négocier, même si elle estime que les syndicats concernés, représentés par des fonctionnaires qui ont le statut d’agent public et font partie des cadres de l’entreprise, sont exclus du champ d’application du décret no 160 de 2014. L’entreprise a pris le temps d’écouter les organisations syndicales et de leur expliquer les raisons pour lesquelles aucun accord sur les demandes présentées par les syndicats n’était possible.
  3. 295. Dans sa communication datée du 5 novembre 2018, le gouvernement indique que les points de désaccord dont il est question dans la présente plainte doivent faire l’objet de discussions lors d’une table de négociation et de concertation convenue entre les parties dans le cadre de la CETCOIT.
  4. 296. Dans sa communication datée du 1er février 2022, tout en continuant de faire référence aux observations de l’entreprise, le gouvernement répète que, même si légalement il n’y avait pas lieu de donner suite au cahier de revendications que les agents publics ont soumis en février 2016, l’entreprise a répondu à l’appel des organisations syndicales d’agents publics et a mis en place un groupe de travail. Les deux parties ont ainsi pu exposer leurs points de vue sur l’application du décret en question et la méthodologie pour présenter les revendications syndicales, et l’entreprise a fait part de sa position à l’égard de chacune d’entre elles, comme le montre le procès-verbal no 4 du 8 avril 2016 consigné au ministère du Travail, qui marque la fin du processus. Le gouvernement ajoute que, en ce qui concerne l’ajustement salarial, un accord a pu être conclu dans le cadre de la CETCOIT en octobre 2016, lui permettant de faire observer que l’entreprise s’est montrée disposée à examiner les demandes professionnelles du personnel.

C. Conclusions du comité

C. Conclusions du comité
  1. 297. Le comité note que la présente plainte fait référence au refus présumé d’une entreprise industrielle et commerciale d’État (fournissant des services publics à domicile) de négocier collectivement les conditions de travail de ses agents publics au motif qu’ils ne jouissent pas du droit de négociation collective, car faisant partie des cadres de l’entreprise et relevant des exceptions prévues dans le décret no 160 du 5 février 2014 qui régit la négociation collective dans le secteur public. Il prend note que les organisations plaignantes estiment pour leur part que les membres du personnel dont il est question sont des travailleurs officiels et que le refus présumé de négocier est contraire aux conventions de l’OIT que la Colombie a ratifiées.
  2. 298. Le comité rappelle que la Colombie a ratifié les conventions nos 98, 151 et 154. Par conséquent, les travailleurs du secteur public ont le droit de négocier collectivement, même si des modalités particulières peuvent s’appliquer à la négociation collective dans l’administration publique.
  3. 299. Le comité prend note que, d’après le gouvernement: i) la législation nationale établit une différence entre les «travailleurs officiels» et les «agents publics» (les premiers sont liés par contrat et peuvent mener des négociations collectives, alors que les seconds sont liés statutairement); et ii) des restrictions relatives au droit de négociation collective s’appliquent aux agents publics, conformément au paragraphe a) de l’article 2 du décret no 160 de 2014.
  4. 300. Le comité observe que le décret susmentionné, qui a abrogé le décret no 1092 de 2012, a élargi le champ d’application, tant matériel que personnel, de la négociation collective dans le secteur public en reconnaissant les droits de négociation collective des agents publics.
  5. 301. De plus, le comité note que, conformément au paragraphe a) de l’article 2 du décret no 160 de 2014, «[l]e présent décret s’applique aux agents publics de toutes les entités et de tous les organismes du secteur public, à l’exception: a) des agents publics qui occupent des postes politiques, hiérarchiques ou de direction d’un niveau élevé, dont les fonctions impliquent des tâches de gestion, de représentation, d’autorité ou de direction institutionnelle et qui, à ce titre, décident des politiques publiques».
  6. 302. Le comité observe que les aspects actuels de la présente plainte ont essentiellement trait à un différend juridique relatif à une classification des emplois. Le gouvernement et l’entreprise estiment ainsi que les agents publics de ladite structure (directeurs, chefs de département, chefs de bureau de contrôle disciplinaire, assistants spécialisés et coordinateurs) exercent des fonctions de direction, ce qui les exclut de toute négociation en application du décret de 2014, alors que les organisations plaignantes estiment que les catégories en question n’impliquent pas de fonctions de direction, mais qu’il s’agit de travailleurs officiels qui devraient donc avoir accès à la négociation collective. Le comité souligne qu’il n’est pas compétent pour se prononcer sur la classification de certains fonctionnaires dans la catégorie des travailleurs officiels ou dans celle des agents publics et qu’il lui incombe uniquement de veiller au respect des principes de la liberté syndicale dans le secteur public [voir 391e rapport, cas no 3091].
  7. 303. Le comité rappelle que les conventions nos 151 et 154 prévoient un vaste champ d’application et très peu d’exceptions, notamment dans le cas des fonctionnaires de niveau élevé qui accomplissent des tâches de direction, comme le reflète le décret no 160 qui permet au plus grand nombre d’agents publics de négocier leurs conditions de travail. À cet égard, conformément au paragraphe 2 de l’article 1 de la convention no 151, la mesure dans laquelle les garanties prévues par la convention s’appliqueront aux agents de niveau élevé dont les fonctions sont normalement considérées comme ayant trait à la formulation des politiques à suivre ou à des tâches de direction ou aux agents dont les responsabilités ont un caractère hautement confidentiel sera déterminée par la législation nationale. En outre, le comité rappelle que, dans le cadre d’un cas précédent relatif à la même entreprise et dans lequel il était notamment question du droit de négociation collective des personnes occupant le poste de chef de département, le gouvernement avait souligné que, en application du décret no 160, les agents publics pouvaient conclure des conventions collectives avec l’entreprise [voir 391e rapport, cas no 3091, paragr. 163 et 166]. Enfin, le comité observe que, dans le cadre du dialogue qui a eu lieu en octobre 2016 devant la CETCOIT, les parties sont parvenues à un accord visant à augmenter les salaires des agents publics, même si l’entreprise précise que cet accord a été conclu en marge du processus officiel de négociation collective.
  8. 304. Dans ces conditions, tout en notant qu’il ne dispose pas d’informations sur le nombre exact de travailleurs de l’entreprise exclus de la négociation collective ni sur les fonctions précises des catégories de travailleurs concernées, le comité prie le gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour que la désignation des agents publics de l’entreprise qui jouissent du droit de négociation collective se fasse conformément au champ d’application du décret no 160 appliqué à la lumière des conventions nos 151 et 154.
  9. 305. Le comité prie également le gouvernement de continuer de prendre toutes les mesures en son pouvoir pour encourager l’entreprise et les organisations plaignantes à améliorer le climat de dialogue et de respect mutuel et les invite à tirer le meilleur parti des possibilités de dialogue au niveau national.
  10. 306. En ce qui concerne les allégations relatives à l’imminence de mesures de l’entreprise visant à affaiblir les organisations syndicales, remettre en cause l’existence de l’immunité syndicale, inviter les membres à se désaffilier et ordonner des «transferts», le comité note que les organisations plaignantes n’ont fourni aucune information ni aucun élément de preuve à leur sujet. Compte tenu de ce qui précède, le comité ne poursuivra pas l’examen de cette allégation.

Recommandations du comité

Recommandations du comité
  1. 307. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d’administration à approuver les recommandations suivantes:
    • a) Le comité prie le gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour que la désignation des agents publics de l’entreprise qui jouissent du droit de négociation collective se fasse conformément au champ d’application du décret no 160 appliqué à la lumière des conventions nos 151 et 154 de l’OIT.
    • b) Le comité prie le gouvernement de continuer de prendre toutes les mesures en son pouvoir pour encourager l’entreprise et les organisations plaignantes à améliorer le climat de dialogue et de respect mutuel et les invite à tirer le meilleur parti des possibilités de dialogue au niveau national.
    • c) Le comité considère que le présent cas n’appelle pas un examen plus approfondi et qu’il est clos.
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