Allégations: Les organisations plaignantes dénoncent la décision unilatérale de
la Commission du service de l’enseignement (TSC) de suspendre une convention collective
signée, ainsi que son refus de mettre à exécution des décisions de justice. Elles dénoncent
également de nombreux actes antisyndicaux qui auraient été commis par la TSC: discrimination
en matière de promotion et de rémunération, ingérence dans l’élection de représentants
syndicaux et refus de percevoir les cotisations syndicales
- 164. La plainte figure dans une communication de l’Internationale de
l’Éducation (IE) et du Syndicat national des enseignants du Kenya (KNUT) en date du
17 décembre 2020. Le KNUT a envoyé des informations dans une communication reçue le
31 mai 2022.
- 165. En l’absence de réponse du gouvernement, le comité s’est vu
contraint de reporter à deux reprises l’examen du présent cas. À sa réunion de mars 2022
[voir 397e rapport, paragr. 7], le comité a lancé un appel pressant au gouvernement en
lui indiquant que, conformément aux règles de procédure énoncées au paragraphe 17 de son
127e rapport, approuvé par le Conseil d’administration, il serait en mesure de présenter
un rapport sur le fond de ce cas dans le cadre de sa prochaine réunion, même s’il ne
recevait pas à temps les informations ou observations demandées. À ce jour, le
gouvernement n’a toujours pas communiqué d’observations.
- 166. Le Kenya a ratifié la convention (no 98) sur le droit d’organisation
et de négociation collective, 1949. Il n’a pas ratifié la convention (no 87) sur la
liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948.
A. Allégations des organisations plaignantes
A. Allégations des organisations plaignantes- 167. Dans une communication du 17 décembre 2020, l’IE et le KNUT
indiquent que ce dernier a été créé en 1957 et est membre de l’IE. Jusqu’en mai 2019, il
représentait plus de 187 000 membres enregistrés, tous issus d’écoles publiques.
- 168. L’IE et le KNUT indiquent que des réclamations ont déjà été
formulées, sans succès, pour inciter le gouvernement à régler les questions litigieuses
découlant des décisions de la Commission du service de l’enseignement (TSC), notamment
le fait que, depuis le mois de mai 2019, elle ne procède ni à l’encaissement ni au
versement des cotisations syndicales au KNUT, dans le but d’asphyxier le syndicat. Les
attaques visant ce dernier constituent une grave violation des conventions de l’OIT et
du droit national, notamment la loi sur les relations professionnelles (2007), la loi
sur la Commission du service de l’enseignement (2012) et la convention collective
établie pour la période 2017-2021. Elles contreviennent également aux décisions de
justice rendues par le tribunal du travail et des relations professionnelles.
- 169. L’IE et le KNUT considèrent que, compte tenu du litige opposant le
syndicat et la TSC, le gouvernement aurait dû envisager les moyens susceptibles d’aider
à surmonter les obstacles, comme le recours à des mécanismes de conciliation ou de
médiation ou à un arbitrage effectué par un organisme indépendant bénéficiant de la
confiance des parties. La plainte porte sur les points suivants.
- 170. Les organisations plaignantes dénoncent la décision unilatérale
prise par la TSC de suspendre la convention collective du corps enseignant, convention
collective qui a été signée en octobre 2016 et enregistrée en novembre 2016. Selon les
organisations plaignantes, la TSC a suspendu la convention collective en juillet 2019,
bien que le certificat d’enregistrement de cette convention n’ait jamais été
annulé.
- 171. Les organisations plaignantes affirment que la TSC a élaboré des
politiques et des programmes sans la participation du KNUT, ce qui contrevient aux
dispositions de la Constitution, du Code des dispositions réglementaires régissant la
profession enseignante (CORT) et de la convention collective. Dans un premier temps, la
TSC a remplacé cette dernière par un système non négocié fondé sur la performance et
comportant l’évaluation et l’amélioration de la performance des membres du personnel
enseignant (système désigné ci après par le sigle TPAD). La TSC a également imposé de
manière unilatérale un corpus de directives (ci-après désigné par le sigle CPG) appelées
à régir les progressions de carrière dans le service de l’enseignement (circulaire no 7
du 2 mai 2018). Dans le jugement qu’il a rendu le 12 juillet 2019, le tribunal du
travail et des relations professionnelles a déclaré nulles et non avenues tant la
décision d’introduire le TPAD que la circulaire publiée en vue d’imposer le CPG. Le
tribunal a déclaré que le TPAD mis en œuvre par la TSC serait annulé si des
règlementations pertinentes n’étaient pas élaborées conformément à la loi sur les
instruments statutaires (2013). Il a en outre fait observer que, dans la mesure où le
CPG n’avait pas fait l’objet d’une négociation entre les parties, seul le CORT avait
vocation à s’appliquer en matière de promotion des enseignants. Les organisations
plaignantes dénoncent également le fait que la TSC ait instauré deux régimes de
rémunération parallèles, l’un pour les membres du KNUT, l’autre pour les enseignants non
affiliés à ce dernier.
- 172. Les organisations plaignantes dénoncent en outre le fait que la TSC
a transmis ses propres recommandations à la Commission des salaires et des rémunérations
de l’organe législatif sans consulter les parties par voie de négociation collective,
comme le prévoit la loi sur les relations professionnelles (articles 54-60). Le KNUT a
réagi en adressant un courrier à la Commission des salaires et des rémunérations. Enfin,
le KNUT aurait réclamé à plusieurs reprises l’engagement de négociations en vue de
l’établissement d’une nouvelle convention collective pour la période 2021-2023, avant la
mise en œuvre du régime de retraite appelé à avoir une incidence sur les pensions des
enseignants en janvier 2021. Cette réclamation est restée lettre morte.
- 173. Les organisations plaignantes affirment que, dans le but d’affaiblir
encore davantage le KNUT, la TSC a mis en place sur son portail Web un procédé numérique
de validation de l’affiliation syndicale mais que le bouton qui y est clairement mis en
évidence porte la mention «Démission du syndicat», et qu’elle a publié en juin 2019 une
circulaire (TSC/IPPD/UN/20/VOL III/47) exigeant des membres du KNUT qu’ils valident leur
affiliation syndicale avant septembre 2019. Cette exigence, imposée en dehors de toute
procédure et contraire aux dispositions de l’article 48 de la loi sur les relations
professionnelles, a fait perdre au KNUT un nombre important de membres. Les
organisations plaignantes rappellent que la loi dispose que, lorsqu’un membre d’un
syndicat souhaite résilier son adhésion, il doit à cet effet adresser une notification
écrite à l’employeur, ce dernier étant ensuite tenu de transmettre au syndicat une copie
de cette notification de démission. Cette démission prend effet un mois après la
notification. Les organisations plaignantes allèguent qu’en septembre 2019 plus de
86 000 enseignants de l’enseignement primaire et post-primaire, dont certains dirigeants
syndicaux élus du KNUT, ont vu leur adhésion à ce dernier supprimée de manière illégale,
au motif qu’ils n’avaient pas validé leur adhésion au syndicat dans le délai de trois
mois prescrit.
- 174. Les organisations plaignantes allèguent par ailleurs que la TSC a
également mené dans l’ensemble du pays une campagne destinée à inciter les enseignants à
quitter le KNUT s’ils souhaitaient être couverts par la convention collective, et ce
malgré le fait que le KNUT satisfait toujours à l’obligation qui lui incombe de
représenter une majorité simple d’enseignants pour être officiellement reconnu.
- 175. Selon les organisations plaignantes, le nombre de membres affiliés
au KNUT a chuté, passant de plus de 187 000 en 2019 à 28 015 en novembre 2020, ce qui a
paralysé les activités du syndicat ainsi que la fourniture de services à ses membres. Le
déficit financier du syndicat a été tel qu’il n’a plus été en mesure de verser les
salaires de son personnel, d’effectuer le transfert mensuel de fonds à ses 110 sections
locales, de rembourser ses prêts, d’assurer le financement de divers programmes et
projets ni de faire face à ses autres dépenses administratives.
- 176. Les organisations plaignantes dénoncent le fait que, passant outre
une directive du tribunal et la volonté du ministère du Travail, la TSC a retenu les
frais d’agence destinés au KNUT tout en continuant de verser les montants correspondants
aux autres syndicats de l’éducation.
- 177. Selon les organisations plaignantes, la TSC s’est employée à faire
en sorte que les membres du KNUT ne soient plus couverts par les dispositions de la
convention collective établie pour la période 2017-2021, convention qui est toujours en
vigueur, et a privé l’ensemble des membres du syndicat de toute forme de droit en
matière de promotion. Des enseignants ayant amélioré leur niveau de qualification et
remplissant toutes les conditions requises se sont vu refuser une promotion du seul fait
de leur affiliation au syndicat.
- 178. Selon les organisations plaignantes, l’un des préjudices les plus
manifestes dont le KNUT est victime ressort clairement du fait que la TSC a établi deux
régimes de rémunération parallèles au sein du service public de l’enseignement: les
enseignants non affiliés au KNUT ont ainsi perçu des salaires et des indemnités plus
élevés et certains ont été promus sur la base du CPG; les membres du KNUT ont quant à
eux subi une discrimination à cet égard. Il est également établi que les enseignants du
KNUT se sont vu refuser des promotions et des reclassements. Les organisations
plaignantes affirment qu’un nombre croissant d’enseignants et de membres du personnel du
KNUT n’ayant pas reçu leur salaire complet pendant des mois ont été inscrits par la
société d’information financière sur la liste des personnes insolvables. La mise en
place de deux régimes de rémunération parallèles dans le service public de
l’enseignement exerce une fonction punitive et équivaut à une discrimination. Elle vise
également, par la contrainte, à radier les enseignants du registre des membres du KNUT.
En mettant en œuvre une telle mesure, la TSC viole ses propres règles et règlements,
sachant que l’article 16 du CORT stipule que, en matière d’emploi, la commission est
tenue de n’exercer aucune discrimination, pour quelque motif que ce soit, à l’encontre
de quiconque. La mesure de la TSC consistant à ne pas offrir une rémunération identique
à des enseignants détenteurs du même statut et des mêmes qualifications constitue
également une violation de l’article 19 de la convention collective 2017 2021, qui
dispose que les parties à l’accord sont liées par les dispositions relatives à la
non-discrimination figurant dans la réglementation no 16 du CORT.
- 179. Dans une requête dirigée contre le KNUT (requête 151 de 2018), la
TSC a avancé l’argument selon lequel les directeurs d’école et les chefs d’établissement
n’étaient pas «syndicables» et que si le tribunal devait reconnaître leur droit
d’adhérer à un syndicat, ils n’en devraient pas moins rester des membres ordinaires et
ne pas occuper des postes électifs au sein du syndicat concerné. Les organisations
plaignantes maintiennent que tous les enseignants peuvent adhérer à des syndicats,
conformément à la Constitution du Kenya, à la loi sur les relations professionnelles et
au CORT. Elles rappellent également que le tribunal a considéré que les administrateurs
jouissaient de l’égalité de droits en matière de syndicalisation.
- 180. Les organisations plaignantes estiment que la TSC est tenue de
respecter et d’appliquer strictement les droits des enseignants consacrés par le CORT,
la convention collective couvrant la période 2017-2022, la loi sur la Commission du
service de l’enseignement de 2012, la loi sur les relations professionnelles de 2007, la
Constitution de 2010 et l’ensemble des traités et conventions internationaux ratifiés
par le pays, notamment la convention no 98 de l’OIT, ratifiée en 1964. Les organisations
plaignantes dénoncent le fait que la TSC a malgré tout refusé systématiquement de
respecter ou d’appliquer les décisions de justice suivantes:
- la décision no 151
du 12 juillet 2019 du tribunal du travail et des relations professionnelles par
laquelle le tribunal ordonnait: i) que la TSC procède à la mutation des enseignants
membres mais non dirigeants du KNUT, conformément aux dispositions du CORT, et que
les enseignants faisant partie des dirigeants du KNUT mais n’ayant pas le statut
d’administrateurs institutionnels soient mutés dans les zones géographiques qu’ils
ont été élus pour représenter; ii) que la TSC assure la promotion des enseignants
conformément aux dispositions pertinentes du CORT et aux régimes de service
applicables à l’ensemble des enseignants remplissant les conditions requises pour
adhérer au syndicat défendeur, étant entendu que la circulaire opérationnelle du
2 mai 2018 sur le CPG visant à abolir et remplacer les trois régimes de service en
vigueur n’aura dès lors pas vocation à s’appliquer; iii) que la TSC consulte le KNUT
au sujet du développement et de la mise en œuvre du TPAD; iv) que les modules de
perfectionnement professionnel des enseignants qui constituent l’enjeu du litige ne
soient pas mis en œuvre, dans la mesure où ils sont loin d’équivaloir aux programmes
de perfectionnement professionnel susceptibles d’être prescrits par le demandeur par
voie règlementaire et conformément à l’alinéa a) du paragraphe 2 de l’article 35 de
la loi sur la Commission du service de l’enseignement de 2012;
- la décision
no 158 du 20 août 2019 du tribunal du travail et des relations professionnelles par
laquelle le tribunal ordonnait (en attendant l’audience au cours de laquelle il
statuerait au sujet de la procédure principale): i) que la TSC encaisse et verse au
KNUT les cotisations syndicales pour le mois d’août 2019; ii) la suspension de la
circulaire de la TSC portant la référence TSC/IPPD/UN/20/VOL III/47 du 10 juin 2019,
en l’attente d’autres ordonnances du tribunal.
- 181. Les organisations plaignantes dénoncent enfin le fait que la TSC a
souvent exprimé ouvertement l’opinion selon laquelle le remplacement du secrétaire
général du KNUT permettrait de résoudre le conflit avec ce dernier. La pression qui
s’exerce ainsi sur les membres et les dirigeants du syndicat pour qu’ils désignent un
autre responsable constitue une grave ingérence dans l’administration des affaires
internes du syndicat. Alors que l’assemblée des délégués du KNUT doit avoir lieu en
avril 2021, une campagne visant les actuels dirigeants du syndicat est menée sur les
médias et les réseaux sociaux. Les organisations plaignantes rappellent que le droit des
organisations de travailleurs d’élire librement leurs propres représentants constitue un
préalable indispensable pour qu’elles puissent agir en toute liberté et promouvoir
efficacement les intérêts de leurs membres. Pour que ce droit soit pleinement reconnu,
il est essentiel que les pouvoirs publics s’abstiennent de toute intervention
susceptible d’en entraver l’exercice. Les organisations plaignantes rappellent également
l’avis du Comité de la liberté syndicale, selon lequel les jugements à l’emporte-pièce
d’un employeur public mettant en doute l’intégrité des dirigeants syndicaux ne sont
nullement de nature à favoriser le développement de relations professionnelles
harmonieuses et portent atteinte au droit d’élire des dirigeants syndicaux en toute
liberté.
- 182. Pour conclure, l’IE et le KNUT souhaitent se prévaloir de la
présente plainte pour rappeler au gouvernement qu’il lui appartient de défendre les
normes internationales du travail et de s’acquitter des obligations qui lui incombent en
matière de respect et de garantie de l’exercice de la liberté syndicale et du droit de
négociation collective.
B. Conclusions du comité
B. Conclusions du comité- 183. Le comité constate avec un profond regret que, malgré le temps qui
s’est écoulé depuis la présentation de la plainte, le gouvernement n’a pas fourni en
temps voulu les observations et informations demandées, bien qu’il ait été à plusieurs
reprises invité à le faire, notamment par un appel pressant lancé lors de la réunion de
mars 2022 du comité. Par conséquent, conformément aux règles de procédure applicables
[voir 127e rapport, paragr. 17, approuvé par le Conseil d’administration à sa
184e session (1972)], le comité est tenu de présenter un rapport sur le fond du cas sans
pouvoir s’appuyer sur les informations qu’il avait espéré recevoir du gouvernement.
- 184. Le comité rappelle au gouvernement que l’ensemble de la procédure
instituée par l’Organisation internationale du Travail pour l’examen des allégations de
violations de la liberté syndicale vise à assurer le respect des droits syndicaux dans
le droit comme dans la pratique. Si cette procédure protège les gouvernements contre des
accusations déraisonnables, ceux-ci doivent reconnaître l’importance de présenter, en
vue d’un examen objectif, des réponses détaillées aux allégations formulées à leur
encontre. [Voir le premier rapport du comité, 1952, paragr. 31.] Le comité invite
instamment le gouvernement à faire preuve d’une plus grande coopération à l’avenir.
- 185. Le comité prend note des graves allégations formulées par l’IE et la
KNUT au sujet des questions problématiques découlant de décisions prises par la TSC,
notamment sa décision de suspendre une convention collective signée avec le KNUT en
juillet 2019, ainsi que le fait que depuis cette date la TSC n’a ni encaissé ni versé
les cotisations syndicales au KNUT, dans le but d’asphyxier le syndicat. Les autres
allégations concernent des actes antisyndicaux commis par la TSC, à savoir une
discrimination en matière de promotion et de rémunération des membres du KNUT et une
ingérence dans l’élection de ses représentants.
- 186. S’appuyant sur les informations communiquées par les organisations
plaignantes, le comité retrace la chronologie des événements. Le TSC et la KNUT ont
signé en octobre 2016 une convention collective (2017-2021) du corps enseignant. Au
cours de l’année 2018, la TSC aurait remplacé cette convention par un ensemble de
politiques et de programmes élaborés sans la pleine participation du KNUT, notamment un
système fondé sur la performance (Teachers Performance Appraisal and Development (TPAD))
et aurait imposé unilatéralement un corpus de directives (CPG) comme cadre de référence
pour les promotions dans le service de l’enseignement. En ce qui concerne la
modification unilatérale présumée de la convention collective et l’absence de
concertation avec le KNUT au sujet des nouvelles modalités de fonctionnement proposées,
le comité rappelle avec fermeté que les accords doivent être contraignants pour les
parties et que le respect mutuel des engagements pris dans les accords collectifs est un
élément important du droit de négociation collective et doit être sauvegardé pour fonder
les relations professionnelles sur des bases solides et stables. Le comité rappelle en
outre qu’il importe que toutes les organisations syndicales concernées soient consultées
au sujet des questions touchant à leurs intérêts ou à ceux de leurs membres. [Voir
Compilation des décisions du Comité de la liberté syndicale, sixième édition, 2018,
paragr. 1334, 1336 et 1521.]
- 187. Selon les organisations plaignantes, ces diverses initiatives ont
conduit le KNUT à notifier un arrêt de travail en décembre 2018. La TSC a déposé une
requête auprès du tribunal du travail et des relations professionnelles le 31 décembre
2018. Le 2 janvier 2019, le tribunal a rendu un premier jugement au sujet de la demande
interlocutoire du requérant. Le 12 juillet 2019, le tribunal du travail et des relations
professionnelles a prononcé son verdict final (décision no 151) prévoyant la suppression
du TPAD mis en place par la TSC si des règlementations appropriées n’étaient pas
élaborées conformément à la loi sur les instruments statutaires (2013). Le tribunal a
par ailleurs déclaré que, puisque le CPG n’avait pas fait l’objet d’une négociation
entre les parties, seul le CORT avait vocation à s’appliquer en matière de promotion des
enseignants. Le comité note avec préoccupation l’allégation selon laquelle la TSC a
refusé de déférer aux décisions de l’instance judiciaire.
- 188. Le comité prend note de l’allégation selon laquelle, suite à la
décision du tribunal, la TSC est allée encore plus loin, en instaurant deux régimes de
rémunération parallèles, l’un pour les membres du KNUT, dans le cadre des conditions de
service en vigueur, l’autre pour les non-membres du KNUT, dans le cadre du CPG. Selon
les organisations plaignantes, l’introduction de deux régimes de rémunération parallèles
dans le service public de l’enseignement exerce une fonction punitive et équivaut à une
discrimination, sachant que les personnes non affiliées au KNUT ont perçu des salaires
et des indemnités plus élevés et que certaines d’entre elles ont bénéficié d’une
promotion dans le cadre du CPG, contrairement aux membres du KNUT, lesquels auraient été
privés de toute forme de droit en matière de promotion. Selon les organisations
plaignantes, une telle mesure vise également à radier par la contrainte les enseignants
du registre des membres du KNUT. Le comité prend note de l’affirmation selon laquelle la
mesure de la TSC consistant à ne pas proposer un salaire identique à des enseignants
détenteurs du même statut et des mêmes qualifications constitue également une violation
de l’article 19 de la convention collective 2017-2021 qui stipule que les parties à
l’accord sont liées par les dispositions de l’article 16 du CORT relatives à la
non-discrimination. Le comité rappelle à cet égard avec fermeté que nul ne devrait faire
l’objet de discrimination dans l’emploi en raison de son affiliation ou de ses activités
syndicales légitimes, présentes ou passées. [Voir Compilation, paragr. 1074.]
- 189. Le comité note en outre l’allégation selon laquelle, dans le but
d’affaiblir le KNUT, la TSC a mis en place sur son portail Web un procédé numérique de
validation de l’affiliation syndicale mais que le bouton qui y est clairement mis en
évidence porte la mention «Démission du syndicat» et a publié en juin 2019 une
circulaire exigeant des membres du KNUT qu’ils valident leur appartenance syndicale
avant septembre 2019. Selon les organisations plaignantes, cette exigence de validation
de l’adhésion syndicale a fait perdre au KNUT un nombre important de membres. Les
organisations plaignantes ont rappelé que, aux termes de la loi sur les relations
professionnelles, le membre d’un syndicat qui souhaite renoncer à son adhésion doit
adresser une notification écrite à l’employeur, lequel est tenu de transmettre au
syndicat une copie de cette notification de démission. La démission devient effective un
mois après la notification. Les organisations plaignantes allèguent que ce système de
validation en ligne est responsable du fait qu’en septembre 2019 plus de
86 000 enseignants du primaire et du post-primaire, parmi lesquels certains dirigeants
élus du KNUT, se sont vu privés en toute illégalité de leur adhésion syndicale,
uniquement parce qu’ils n’avaient pas validé cette adhésion dans le délai de trois mois.
Le comité note avec préoccupation l’allégation selon laquelle, dans le même temps, le
TSC a également mené à l’échelle nationale une campagne visant à inciter les enseignants
à quitter le KNUT.
- 190. Le comité note que le KNUT a déposé une requête auprès du tribunal
du travail et des relations professionnelles contre la décision unilatérale de la TSC de
suspendre l’encaissement et le versement au KNUT des cotisations syndicales. Il note
que, le 20 août 2019, par une décision rendue d’urgence en attendant l’audience au cours
de laquelle il statuerait au sujet de la procédure principale (décision no 158), le
tribunal a ordonné à la TSC de déduire et de verser au KNUT les cotisations syndicales
pour le mois d’août 2019 et suspendu la circulaire du TSC du 10 juin 2019 concernant la
validation en ligne de l’affiliation syndicale. Le comité sait, sur la base
d’informations rendues publiques, que, par un arrêt du 7 août 2020, le tribunal a rejeté
la demande du KNUT, jugeant satisfaisants les arguments avancés par la TSC au sujet du
versement des cotisations syndicales ainsi que la bonne volonté dont cette dernière a
fait preuve à cet égard, sauf pour le mois de décembre 2019, le manquement constaté à
cet égard ayant été imputé à des problèmes techniques. Le tribunal a refusé de donner
son aval pour le paiement de la somme de 599 082 312 shillings kényans réclamée par le
KNUT, jugeant que cette réclamation ne figurait ni dans les prétentions formulées dans
la requête initiale ni dans les décisions constituant l’objet de l’instance.
- 191. Le comité prend toutefois note avec préoccupation de l’allégation
selon laquelle les agissements de la TSC ont entraîné une baisse du nombre d’adhérents
du KNUT (les effectifs, supérieurs à 187 000 en juin 2019, sont passés à 28 015 en
novembre 2020) qui a eu pour effet de paralyser les activités du syndicat et la
fourniture de services à ses membres. Le comité relève en particulier, sur la base de la
correspondance adressée par le KNUT au ministère du Travail, que la TSC n’a pas versé
les cotisations au syndicat aux mois juillet, août et décembre 2019, et que, pour les
mois restants, les cotisations versées étaient amputées par la baisse constante des
effectifs syndiqués. Le syndicat n’était dès lors plus en mesure de verser les salaires
de son personnel, d’assurer les versements mensuels à ses 110 sections, de rembourser
ses prêts, de financer divers programmes et projets et de faire face à ses autres
dépenses administratives.
- 192. Tout en rappelant que l’exigence du consentement écrit pour la
retenue à la source des cotisations ne serait pas contraire aux principes de la liberté
syndicale [voir Compilation, paragr. 693], le comité constate avec préoccupation le fait
qu’en l’espèce, selon les allégations du syndicat, un système de confirmation
d’affiliation en ligne a été mis en place sans que le syndicat ait été dûment consulté à
ce sujet et que le conflit qui en est résulté, qui a débouché sur le retrait de ce
dispositif pendant plusieurs mois, semblent avoir contribué à la chute drastique des
effectifs du syndicat ainsi qu’aux graves difficultés financières qui l’ont affecté. Le
syndicat s’est retrouvé dans l’impossibilité de mener ses activités au profit de ses
membres, situation qui n’est guère propice au développement de relations
professionnelles harmonieuses et qui aurait dû être évitée.
- 193. Le comité prend également note avec une vive préoccupation de
l’allégation selon laquelle la TSC a souvent exprimé ouvertement l’opinion selon
laquelle le remplacement du secrétaire général du syndicat permettrait de résoudre le
conflit avec le KNUT; la pression ainsi exercée sur les membres et les dirigeants du
syndicat pour qu’ils désignent un autre responsable constitue une grave ingérence dans
la gestion des affaires internes du syndicat. À ce sujet, le comité rappelle avec
fermeté que toute intervention des pouvoirs publics dans les élections des organisations
syndicales ou patronales risque de paraître arbitraire et de constituer de ce fait une
ingérence dans le fonctionnement de ces organisations, ingérence incompatible avec le
principe de la liberté syndicale qui leur reconnaît le droit d’élire leurs représentants
en toute liberté. Le fait que les autorités interviennent au cours des élections d’un
syndicat, en exprimant une opinion au sujet des candidats et des conséquences de ces
élections, porte gravement atteinte au droit que les organisations syndicales ont
d’élire librement leurs représentants. Par ailleurs, les jugements à l’emporte-pièce
d’un employeur public mettant en doute l’intégrité des dirigeants syndicaux ne sont
nullement de nature à favoriser le développement de relations professionnelles
harmonieuses et portent atteinte au droit d’élire des dirigeants syndicaux en toute
liberté. [Voir Compilation, paragr. 640 et 642.]
- 194. De manière générale, le comité se doit d’exprimer sa profonde
préoccupation du fait que, malgré la décision unilatérale de la TSC d’annuler une
convention collective et son refus d’appliquer les décisions de justice qui annulaient
les diverses initiatives qu’elle avait prises et qui étaient contestées par le KNUT, le
gouvernement n’a fourni aucune information quant aux mesures prises pour garantir que la
TSC respecte pleinement la liberté syndicale et les droits de négociation collective du
KNUT. Ce manquement a eu pour conséquence de restreindre les capacités du syndicat à
organiser ses activités, à élaborer ses programmes, et l’a mis dans l’impossibilité de
participer à des négociations fructueuses en vue de l’établissement d’une nouvelle
convention collective.
- 195. Enfin, le comité a pris connaissance, sur la base d’informations
rendues publiques, de l’évolution de la situation concernant le KNUT, notamment le
changement de direction survenu en 2021. Le comité prend également note d’une
communication reçue du KNUT le 31 mai 2022 indiquant que le syndicat a travaillé sans
relâche avec la TSC pour rétablir les relations professionnelles harmonieuses qui
prévalaient avant l’année turbulente de 2019 et qu’ils ont réussi à résoudre toutes les
questions en suspens. Le KNUT ajoute que tous les recours judiciaires en instance ont
été clos et les questions y afférentes soumises à des négociations. Le KNUT considère
donc que la plainte peut être considérée comme réglée. À la lumière de ces dernières
informations, le comité considère que le présent cas n’appelle pas un examen plus
approfondi et qu’il est clos.
Recommandations du comité
Recommandations du comité- 196. Au vu des conclusions qui précédent, le comité invite le Conseil
d’administration à approuver les recommandations suivantes:
- a) Le comité constate
avec un profond regret que, malgré le temps écoulé depuis la présentation de la
plainte, le gouvernement n’ait pas communiqué à temps les observations et
informations demandées, alors qu’il avait été invité à le faire à plusieurs
reprises. Le comité prie instamment le gouvernement de faire preuve d’une plus
grande coopération à l’avenir.
- b) À la lumière des dernières informations
reçues du KNUT, le comité considère que le présent cas n’appelle pas un examen plus
approfondi et qu’il est clos.