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Rapport où le comité demande à être informé de l’évolution de la situation - Rapport No. 403, Juin 2023

Cas no 3397 (Colombie) - Date de la plainte: 30-NOV. -20 - En suivi

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Allégations: L’organisation plaignante allègue que les nombreux actes antisyndicaux et d’ingérence commis par l’entreprise ont conduit à la dissolution judiciaire du Syndicat national des travailleurs de Gaseosas Lux S.A. (SINALTRALUX)

  1. 184. La plainte figure dans une communication en date du 30 octobre 2020 de la Confédération générale du travail (CGT).
  2. 185. Le gouvernement de la Colombie a envoyé ses observations sur les allégations dans une communication du mois d’août 2021.
  3. 186. La Colombie a ratifié la convention (nº 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, la convention (nº 98) sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949, la convention (nº 151) sur les relations de travail dans la fonction publique, 1978, et la convention (nº 154) sur la négociation collective, 1981.

A. Allégations de l’organisation plaignante

A. Allégations de l’organisation plaignante
  1. 187. L’organisation plaignante allègue que le syndicat national des travailleurs de Gaseosas Lux S.A., «SINALTRALUX» a été l’objet d’une série d’actes antisyndicaux de la part de l’entreprise Gaseosas Lux S.A.S (ci-après l’entreprise) qui ont conduit à la dissolution judiciaire de celui-ci en 2018. L’organisation plaignante déclare en particulier que: i) SINALTRALUX est un syndicat d’entreprise de premier niveau créé en 1959; ii) le syndicat et l’entreprise ont conclu une convention collective le 24 avril 2007 pour la période 2007-2012; iii) la convention collective a été dûment actualisée conformément aux dispositions des articles 476 et 478 du Code du travail colombien.
  2. 188. L’organisation plaignante déclare que, en juillet 2015, l’entreprise a engagé une procédure de dissolution, liquidation et annulation de l’enregistrement du syndicat, au moyen d’une procédure judiciaire engagée devant la chambre 35 du Tribunal du travail du Circuit de Bogota, faisant valoir que le «retrait des membres» réduisait l’effectif des affiliés à un nombre inférieur à 25 «conduisant en fin de compte à ce qu’il ne reste plus de membres dans le syndicat en question». L’organisation affirme que la réduction du nombre d’affiliés n’a pas été la conséquence de retraits volontaires, mais le résultat de licenciements massifs de travailleurs appartenant au syndicat et à son comité de direction, notamment le président de SINALTRALUX, M. Julio César Acero Palacios.
  3. 189. L’organisation plaignante indique que, tant en première qu’en deuxième instance (décision du 17 juin 2016 de la chambre 35 du Tribunal du travail du Circuit de Bogota et arrêt du Tribunal supérieur de Bogota du 28 octobre 2016), les tribunaux ont rejeté la demande de dissolution du syndicat et confirmé l’applicabilité de la convention collective signée en 2007 par le syndicat et l’entreprise.
  4. 190. L’organisation plaignante ajoute que, en raison de la non-acceptation du syndicat par l’entreprise ainsi que de l’ouverture d’actions en justice et du dépôt de plaintes à ce sujet, le 8 octobre 2015, le représentant de l’entreprise, des représentants d’UNISINTRAGAL, autre organisation syndicale présente dans l’entreprise, des représentants des partenaires sociaux nationaux, un représentant du ministère du Travail et un représentant de l’OIT se sont réunis dans le cadre de la Commission spéciale de traitement des déférés à l’OIT (CETCOIT), et qu’un accord a été signé en vertu duquel les parties s’engagent à instaurer un cadre de dialogue permanent dans lequel la CETCOIT agirait en qualité d’observateur et de médiateur. Au titre de cet accord, le ministère du Travail a également accepté de réaliser une étude détaillée sur la situation juridique de SINALTRALUX.
  5. 191. L’organisation plaignante affirme que, malgré le processus de dialogue susmentionné, l’entreprise a continué de nier l’existence du syndicat et de refuser d’appliquer la convention collective (en particulier son article 143 qui dispose que l’entreprise mènera ses tâches permanentes avec 40 travailleurs syndicalisés bénéficiant d’un contrat de travail de durée indéterminée et 80 travailleurs disposant d’un contrat de travail à durée déterminée) et a commis de nouveaux actes contraires aux droits syndicaux et aux statuts du syndicat. L’organisation déclare que, compte tenu de cette situation, les procédures administratives et judiciaires suivantes ont été engagées: i) dépôt, en 2016, de plaintes devant le ministère du Travail pour violation de la liberté syndicale et discrimination; ii) dépôt, le 31 janvier 2017, d’un recours judiciaire en protection pour violation de la liberté syndicale.
  6. 192. L’organisation plaignante déclare à ce sujet que la chambre 11 du tribunal municipal des petites affaires liées au travail de Bogota, chargée d’examiner le recours en protection, a décidé ce qui suit en faveur de l’organisation syndicale: il convient de «protéger les droits fondamentaux d’association et de liberté syndicale et le droit à une procédure régulière de SINTRALUX qui ont été violés par l’entreprise et de sommer l’entreprise visée de cesser immédiatement les actions et omissions discriminatoires à l’encontre des membres de l’organisation syndicale et de toutes les personnes affiliées à celle-ci». L’organisation indique que cette décision a été confirmée en deuxième instance par la chambre 5 du Tribunal du travail du Circuit de Bogota.
  7. 193. L’organisation plaignante se réfère ci-après aux faits survenus à compter de 2017 et qui ont conduit à la dissolution judiciaire du syndicat. Elle affirme à cet égard que: i) le dernier comité de direction principal de SINALTRALUX a été enregistré et a fait l’objet d’un dépôt en vertu du document de consignation no JD-070 du 1er septembre 2017 et était constitué comme suit: Julio César Acero Palacios (président), Yefinson Gill Gutiérrez (vice-président), Leonardo Rodriguez Ruiz (secrétaire général), Reinel Ernesto Castillo Torres (trésorier), Jhon Fair Prado Cajamarca (conseiller), Edison Fabian Sanabria Yafia (premier suppléant), Manuel Fernando García Aya (deuxième suppléant), Juan Carlos Bustos Rozo (troisième suppléant), Gelman Trujillo Rojas (quatrième suppléant) et Mauricio Moreno Norato (cinquième suppléant); ii) malgré le fait que, en raison de précédents licenciements, le nombre de membres de SINALTRALUX était inférieur à 40 au début 2017 et que ceux-ci devaient pas conséquent, conformément à la convention collective, être liés par des contrats de durée indéterminée, l’entreprise a congédié la majorité des membres du syndicat au terme de leurs contrats de durée déterminée; iii) l’entreprise a obligé le syndicat à nommer un nouveau vice-président, qui s’est allié à l’entreprise, évitant toute nouvelle affiliation au syndicat et soutenant, en échange d’indemnisations, la démission des derniers membres dans le but que les exigences requises pour demander la dissolution judiciaire du syndicat soient remplies; iv) le 9 novembre 2017, l’entreprise a demandé à nouveau, cette fois devant le tribunal de Funza, la dissolution du syndicat au motif qu’il réunissait moins de 25 affiliés, nombre minimal requis par la législation nationale pour constituer un syndicat et motif de dissolution selon le Code du travail; et v) le 13 février 2018, le Tribunal civil du Circuit de Funza a ordonné la dissolution du syndicat au motif que le nombre de ses affiliés était inférieur à 25.
  8. 194. L’organisation plaignante affirme que le président du syndicat, Julián César Acero Palacios et les autres membres actifs de l’organisation n’ont à aucun moment été informés de cette procédure de dissolution, raison pour laquelle le président n’a pu répondre à la demande que le 8 mai 2018, après que la décision avait été rendue. C’est pour cela que, le 14 août 2018, le syndicat a présenté une plainte pour fraude au bureau du procureur de Funza.
  9. 195. L’organisation plaignante se réfère ci-après à la situation professionnelle de M. Julián César Acero Palacios, président de SINALTRALUX. Elle affirme à cet égard que: i) suite à son licenciement, une demande de réintégration a été déposée pour violation de la liberté syndicale; ii) le 23 avril 2018, la chambre 20 du Tribunal du travail du Circuit de Bogota a déclaré que le demandeur était couvert par la convention collective de 2007-2012 et, par conséquent, conformément à l’article 143 de cette dernière, qu’il bénéficiait d’un contrat de travail de durée indéterminée, ce qui condamnait l’entreprise à réintégrer le travailleur et à lui verser les salaires non perçus; iii) cette décision a ensuite été confirmée par le Tribunal supérieur de Bogota; iv) le recours en protection présenté par l’entreprise contre les décisions judiciaires susmentionnées a été rejeté par la chambre de cassation chargée des questions de travail de la Cour suprême; v) compte tenu de ce qui précède, l’entreprise a été contrainte de réintégrer le président du syndicat le 11 août 2018 à 9 h 5; et vi) toutefois, à 9 h 23 ce jour même, M. Acero Palacios a reçu une nouvelle lettre de licenciement.
  10. 196. L’organisation plaignante se réfère ensuite à une autre plainte pénale déposée par le syndicat contre l’entreprise pour fraude procédurale ainsi que pour avoir agi de mauvaise foi dans la vente du siège du syndicat en 2011, et ne pas avoir enregistré l’entrée de ces liquidités sur le compte du syndicat, ainsi que pour avoir vendu le siège sans l’autorisation préalable de l’assemblée et avec la complicité d’un ancien président du syndicat, M. Manuel Alberto Casallas, qui aurait bénéficié personnellement de cette opération.
  11. 197. L’organisation plaignante se réfère en outre à la demande présentée au Procureur général de la nation (PNG), afin qu’il assure le suivi de toutes les plaintes et réclamations introduites devant le ministère du Travail. Elle affirme à cet égard que: i) sur la base de cette demande, une table ronde a été créée dans le cadre de laquelle le ministère du Travail s’est engagé à prendre les mesures nécessaires à la prévention, à la surveillance et au contrôle des cas et à rendre compte de celles-ci; ii) suite à plusieurs demandes et trois ans après la présentation des plaintes et réclamations initiales, le ministère du Travail a établi un rapport sur les enquêtes menées concernant la situation de trois travailleurs pour le non-respect présumé de la réglementation relative à la sécurité et à la santé au travail. L’organisation plaignante regrette le retard avec lequel le ministère du Travail a examiné ses différentes plaintes et réclamations.
  12. 198. En ce qui concerne l’initiative de SINALTRALUX consistant à solliciter l’intervention de la CETCOIT pour résoudre le présent cas, l’organisation plaignante déclare que cet organisme a fait savoir en novembre 2019 qu’il ne pouvait connaître que des cas concernant lesquels les deux parties exprimaient la volonté de résoudre le conflit par le dialogue, raison pour laquelle il n’était pas compétent pour examiner l’objet de ce cas.
  13. 199. Pour résumer ce qui précède, l’organisation plaignante affirme que l’entreprise: i) avant même la décision de justice concernant la dissolution du syndicat, a refusé de procéder à la retenue sur salaire des cotisations syndicales des travailleurs affiliés à SINALTRALUX; ii) a refusé d’appliquer la convention collective signée en 2007; iii) a licencié massivement les membres et dirigeants du syndicat afin que l’effectif de celui-ci tombe en deçà du seuil de 25 membres, violant ainsi en outre la clause de la convention collective relative à la durée indéterminée des contrats de travail; iv) a organisé avec les quelques membres restants la disparition du syndicat, évitant toute nouvelle affiliation au syndicat, soutenant en échange d’indemnisations la démission des derniers membres et demandant de manière frauduleuse la dissolution judiciaire du syndicat. L’organisation plaignante constate que ses différentes actions administratives et judiciaires n’ont pas permis d’éviter la dissolution du syndicat en raison des actes antisyndicaux réalisés par l’entreprise et du licenciement de la majorité de ses membres, et elle le regrette. Compte tenu de ce qui précède, l’organisation plaignante demande, d’une part, la réintégration de tous les dirigeants et membres du syndicat qui ont été licenciés sans raison valable ou, au moins, l’indemnisation de ceux-ci et, d’autre part, la restitution des biens du syndicat ayant été l’objet d’une relation triangulaire frauduleuse dans le cadre d’une vente illégale réalisée en 2011.

B. Réponse du gouvernement

B. Réponse du gouvernement
  1. 200. Le gouvernement a fait parvenir sa réponse à la présente plainte par une communication du mois d’août 2021. Le gouvernement renvoie en premier lieu à une série de faits présentés de manière chronologique: i) SINALTRALUX est un syndicat de base créé en 1959; ii) en 2011, les membres du syndicat ont décidé de dissoudre et de liquider ladite organisation; iii) en 2012, l’entreprise a dénoncé la dernière convention collective signée avec SINALTRALUX en 2007; iv) en 2015, l’entreprise a demandé la dissolution judiciaire du syndicat étant donné qu’il comptait moins de 25 affiliés; v) tant en première qu’en deuxième instance, les tribunaux ont refusé de prononcer la dissolution du syndicat et ont ordonné à l’employeur d’appliquer la convention collective signée en 2007 avec le syndicat; vi) le 31 janvier 2017, le syndicat a engagé une action en protection pour non-application de la convention collective et a obtenu des décisions en sa faveur, tant en première qu’en deuxième instance; vii) le 1er septembre 2017, le ministère du Travail a enregistré le nouveau conseil de direction du syndicat dont le président était M. Julio César Acero; viii) cette même année, l’entreprise a présenté une nouvelle demande judiciaire de dissolution du syndicat au motif qu’il comptait moins de 25 travailleurs; ix) le 13 février 2018, le tribunal civil de Funza a ordonné la dissolution et la liquidation du syndicat au motif qu’il comptait moins de 25 affiliés; x) le président du syndicat a répondu à la demande judiciaire au-delà du délai prévu à cet effet, après que le tribunal avait rendu sa décision; xi) le 25 mai 2018, le syndicat a présenté un recours en protection contre ladite décision, qui a été rejeté par le tribunal du district judiciaire de Cundinamarca; xii) le 4 juillet 2018, la chambre de cassation chargée des questions de travail de la Cour suprême a confirmé ce qui avait été décidé par le tribunal; et xiii) le 3 avril 2018, le ministère du Travail a ordonné l’annulation de l’enregistrement syndical de SINALTRALUX.
  2. 201. En ce qui concerne les allégations de l’organisation plaignante concernant les différentes irrégularités qui auraient accompagné la dissolution du syndicat, le gouvernement déclare que: i) la procédure de dissolution des organisations syndicales au motif qu’elles comptent un nombre insuffisant de membres requiert une décision judiciaire exécutoire; ii) dans la jurisprudence, il a été considéré qu’une simple réduction temporaire du nombre d’affiliés qui a par la suite été surmontée n’est pas suffisante pour justifier la dissolution; iii) l’organisation plaignante n’apporte pas de preuves que la réduction du nombre d’affiliés de SINALTRALUX soit la conséquence de licenciements massifs des travailleurs affiliés de la part de l’entreprise; et iv) l’organisation plaignante ne démontre pas non plus l’absence alléguée de notification au président du syndicat de la demande judiciaire de dissolution, étant entendu que, en Colombie, il est obligatoire de notifier personnellement ou par un avis les décisions prises dans une procédure ou une enquête.
  3. 202. Le gouvernement communique ci-après des renseignements sur les plaintes administratives présentées par SINALTRALUX. Le gouvernement déclare que, d’après la base de données du ministère du Travail, consultée le 13 août 2021, deux enquêtes étaient en cours contre l’entreprise, l’une concernant les droits syndicaux et l’autre en lien avec le non-respect présumé des normes de sécurité et de santé au travail, qui ne relève pas du champ de compétence du Comité de la liberté syndicale.
  4. 203. Le gouvernement se réfère ensuite à la participation de la CETCOIT au conflit opposant le syndicat et l’entreprise. Le gouvernement déclare à cet égard que: i) le 13 juillet 2015, un autre syndicat présent dans l’entreprise, UNISINTRAGAL, créé le 17 mai 2015, a demandé que le cadre de la CETCOIT puisse être utilisé concernant les difficultés survenues depuis sa création (allégations de licenciements, pressions pour éviter des affiliations, obstacles à la négociation collective); ii) dans l’accord conclu le 8 octobre 2015 sur le cas UNISINTRAGAL, les parties ont demandé au ministère du Travail de réaliser une analyse concernant la situation juridique de SINALTRALUX et d’en informer les parties dans le cadre de la CETCOIT; iii) au cours de la première séance consacrée au suivi de l’accord du 8 octobre, qui a été tenue le 6 novembre 2015, les représentants de l’entreprise ont exprimé une réserve concernant SINALTRALUX, organisation syndicale liquidée le 2 novembre 2011 et réactivée par des travailleurs à la retraite qui ne travaillaient plus pour l’entreprise et avec un nouveau conseil de direction composé de personnel non affilié; iv) compte tenu de la réserve exprimée par l’entreprise, un avis juridique a été demandé au ministère du Travail; v) dans son avis juridique du 7 janvier 2016, le ministère du Travail a déclaré qu’il n’est pas possible de demander à un employeur d’appliquer à de nouveaux travailleurs la convention collective d’un syndicat liquidé; toutefois, les travailleurs ont le droit de s’associer, autrement dit, de créer une nouvelle organisation et de présenter un nouveau cahier de revendications; vi) au cours d’une deuxième séance de suivi tenue le 7 mars 2017 et portant sur les préoccupations d’UNISINTRAGAL, cette organisation a déclaré que les atteintes aux droits d’association et de liberté syndicale persistaient, même si certaines améliorations avaient été constatées dans la relation de travail depuis que le directeur régional des ressources humaines avait changé; la préoccupation d’UNISINTRAGAL était que le nombre d’affiliés soit réduit à l’échéance des contrats de travail de durée déterminée; vii) en mai 2019, la CGT a demandé l’intervention de la CETCOIT pour traiter de la situation de SINALTRALUX, mais cette dernière, après avoir analysé le dossier, a conclu que les questions soulevées relevaient de la compétence d’autres autorités.
  5. 204. Pour ce qui est de la procédure pénale intentée par SINALTRALUX pour fraude dans le contexte de la vente de l’immeuble du syndicat, le gouvernement transmet les informations communiquées le 25 août 2021 par le ministère public selon lesquelles: i) l’enquête en la matière est actuellement menée par la police judiciaire; et ii) il y a plusieurs suspects et, une fois que les éléments de preuve matériels requis dans la dernière décision seront obtenus, il sera procédé en conséquence.
  6. 205. En ce qui concerne les allégations de l’organisation plaignante sur le refus présumé de l’entreprise de réaliser la retenue sur salaire des cotisations ordinaires, le gouvernement déclare que: i) les renseignements communiqués par l’entreprise comprennent une copie de la déduction du montant des cotisations syndicales du salaire des travailleurs affiliés à SINALTRALUX pour l’année 2017; et ii) il n’y a pas eu d’autres déductions syndicales depuis la dissolution du syndicat sur décision de justice. Pour ce qui est de l’allégation de non-application de la convention collective aux travailleurs affiliés au syndicat, le gouvernement déclare que; i) étant donné que le syndicat mentionné n’existe plus, la jurisprudence selon laquelle les avantages de la convention collective de travail restent valables pour les travailleurs affiliés au moment de cette décision judiciaire s’applique pour autant qu’ils soient actifs dans l’entreprise puisque ces avantages sont devenus partie intégrante de leurs contrats de travail; par contre, la situation n’est pas la même pour les travailleurs engagés après cette décision; ii) en application de ce qui précède, une instance judiciaire a reconnu l’applicabilité de la convention collective à M. Julio César Acero, président du conseil de direction du syndicat; iii) d’après l’entreprise, son registre du personnel comprend encore 20 travailleurs qui étaient affiliés au syndicat au moment de sa dissolution, dont trois membres du conseil de direction enregistré en 2017; et iv) la plainte ne contient pas les noms des travailleurs qui se trouveraient dans cette situation et, s’agissant de faire valoir la reconnaissance de ces droits, il est de leur devoir de se présenter à l’autorité judiciaire pour qu’elle statue sur la question.
  7. 206. Pour ce qui est des allégations de licenciements massifs de travailleurs affiliés au syndicat, le gouvernement déclare à nouveau que: i) il n’a pas été démontré que l’entreprise porte une responsabilité en la matière et il n’y a pas d’indication de licenciements massifs de travailleurs; ii) l’entreprise affirme que la perte de travailleurs découle de départs à la retraite ou de départs volontaires; iii) l’autorité judiciaire sera compétente pour déterminer les droits et, s’il y a lieu, ordonner à l’entreprise de procéder au versement des créances salariales et/ou à la réintégration, s’il en est décidé ainsi; iv) l’entreprise a transmis des copies des lettres de démission de travailleurs, des conciliations volontaires signées devant le ministère du Travail et des documents manuscrits de travailleurs concernant leur démission du syndicat; et v) compte tenu de ce qui précède, il n’est pas possible de déduire que l’entreprise a procédé à des licenciements massifs de ses travailleurs ni qu’elle a de ce fait violé le droit d’association syndicale et les conventions correspondantes de l’OIT.

C. Conclusions du comité

C. Conclusions du comité
  1. 207. Le comité note que le présent cas porte sur la dissolution judiciaire d’une organisation syndicale de premier niveau fondée sur la réduction de l’effectif de ses affiliés à un nombre inférieur à celui prévu dans la législation demandée par une entreprise du secteur des boissons. Le comité note que l’organisation plaignante allègue principalement que: i) la réduction du nombre d’affiliés est le résultat d’une vaste série d’actes antisyndicaux réalisés par l’entreprise, allant notamment de la vente frauduleuse de l’immeuble du syndicat en 2011, à des licenciements massifs, en passant par des manœuvres visant à éviter de nouvelles affiliations, et le refus d’appliquer la convention collective signée en 2007 avec le syndicat; et ii) la demande judiciaire de dissolution a donné lieu à plusieurs actes frauduleux qui ont empêché le syndicat d’exercer son droit à la défense. Le comité note que, pour sa part, le gouvernement déclare principalement que: i) la dissolution du syndicat par voie judiciaire a suivi toutes les procédures légales et repose sur la constatation du fait que le syndicat ne comptait plus le nombre minimal légal d’affiliés requis par la législation; ii) l’organisation plaignante n’apporte pas d’élément de preuve attestant du fait que la dissolution judiciaire a été précédée de licenciements massifs ni qu’il y a eu violation du droit à la défense du syndicat au cours de la procédure judiciaire; et iii) plusieurs des plaintes administratives mentionnées par l’organisation plaignante n’avaient pas pour objet la liberté syndicale, mais le respect de la réglementation en matière de sécurité et de santé au travail.
  2. 208. Le comité observe que les faits suivants ressortent des éléments communiqués par les parties: i) SINALTRALUX est un syndicat de base créé en 1959; ii) en 2012, l’entreprise a dénoncé la dernière convention collective signée avec le syndicat en 2007; iii) en 2015, l’entreprise a demandé la dissolution judiciaire du syndicat au motif qu’il comptait moins de 25 membres; iv) tant en première qu’en deuxième instance, les tribunaux ont rejeté la demande de dissolution du syndicat et ont ordonné à l’employeur d’appliquer la convention collective signée en 2007 avec le syndicat; v) en 2016, le syndicat a déposé plainte devant le ministère du Travail pour violation de la liberté syndicale et non-application de la convention collective, ainsi que pour des questions de sécurité et de santé au travail; vi) le 31 janvier 2017, le syndicat a engagé une action en protection pour non-application de la convention collective et a obtenu des décisions en sa faveur tant en première qu’en deuxième instance; vii) le 1er septembre 2017, le ministère du Travail a enregistré le nouveau conseil de direction du syndicat dont le président était M. Julio César Acero; viii) cette même année, l’entreprise a présenté une nouvelle demande judiciaire de dissolution du syndicat au motif qu’il comptait moins de 25 travailleurs; ix) le 13 février 2018, le tribunal civil de Funza a ordonné la dissolution et la liquidation du syndicat; x) le président du syndicat a répondu à la demande judiciaire en dehors du délai prévu à cet effet, après que le tribunal avait rendu sa décision; xi) le syndicat a déposé deux plaintes pénales auprès du ministère public, l’une en 2016 concernant une fraude supposée lors de la vente de l’immeuble du syndicat en 2011, et l’autre en 2018 concernant des allégations de fraudes lors de la présentation de la demande judiciaire de dissolution en 2017; et xii) la CETCOIT a eu connaissance du conflit opposant l’entreprise et SINALTRALUX, tout d’abord en 2015, dans le contexte d’un différend entre l’entreprise et un autre syndicat présent dans l’entreprise puis, en 2019, sans qu’un règlement consensuel des différends ne soit conclu.
  3. 209. En ce qui concerne les faits du cas qui sont antérieurs à 2017 (année au cours de laquelle la deuxième demande de dissolution judiciaire a été présentée), le comité observe qu’il ressort de ce qui précède et des nombreuses annexes communiquées par les parties – en particulier des textes des diverses décisions judiciaires et administratives – que: i) le syndicat a enregistré un important recul du nombre de ses membres en 2011, année au cours de laquelle l’entreprise a connu une réduction de ses effectifs (l’entreprise a transmis au gouvernement une liste des départs volontaires en échange d’indemnisations conclus cette année avec des travailleurs de l’entreprise) et moment où le bâtiment du syndicat a été vendu; ii) le syndicat a connu une réactivation en 2015 qui a donné lieu à des différends avec l’entreprise non seulement sur l’applicabilité de la convention collective signée en 2007, mais également sur la validité des nouvelles affiliations enregistrées et sur l’obligation incombant à l’entreprise de procéder à la retenue sur salaire des cotisations syndicales; iii) dans ce contexte, tant l’entreprise (première action de dissolution) que le syndicat (plaintes administratives présentées en 2016, recours en protection présenté cette même année pour violation de la liberté syndicale) ont engagé diverses procédures; iv) les différentes décisions prises à cet égard, tant par les tribunaux que par le ministère du Travail, ont été favorables au syndicat et, si ces organismes n’ont pas trouvé d’indice concernant des licenciements antisyndicaux, ils ont bien constaté l’existence d’actes antisyndicaux, en particulier des obstacles à l’affiliation de nouveaux membres et des actes de discrimination antisyndicale.
  4. 210. Pour ce qui est de la dissolution judiciaire du syndicat le 13 février 2018 et des circonstances qui l’ont précédée, le comité constate, d’une part, que le syndicat allègue que la dissolution a été la conséquence de licenciements massifs et que la procédure judiciaire de dissolution engagée le 9 novembre 2017 a été accompagnée d’une série de fraudes qui n’ont pas permis au syndicat d’exercer son droit de défense dans la mesure où le président de l’organisation, éloigné de l’entreprise en raison de son licenciement, n’a pas été informé de la procédure de dissolution, tandis que le vice-président du syndicat aurait comploté avec l’entreprise pour accélérer la dissolution du syndicat. Le comité note, d’autre part, que le gouvernement a déclaré que: i) il ressortait des documents communiqués par l’entreprise que le syndicat comptait seulement 20 affiliés au moment de la dissolution et qu’un nombre significatif d’affiliés avaient quitté volontairement le syndicat; ii) l’organisation plaignante n’a apporté aucun élément de preuve de l’existence de licenciements massifs des affiliés au syndicat ni de preuve de l’absence de notification du licenciement dans le cadre de la procédure de dissolution judiciaire; et iii) le recours en protection engagé contre la dissolution judiciaire a été rejeté tant en première qu’en deuxième instance par la chambre de cassation chargée des questions de travail de la Cour suprême.
  5. 211. Avant d’examiner les faits propres au cas présent, le comité souhaite rappeler qu’il a déjà eu l’occasion d’examiner des affaires de dissolution judiciaire de syndicats dont le nombre d’affiliés était tombé en deçà du minimum légal. Dans l’un de ces cas, le comité a considéré que la disposition d’une loi selon laquelle on doit procéder à la dissolution d’un syndicat si ses effectifs tombent au dessous de 20 ou 40 membres, selon qu’il s’agit respectivement d’un syndicat d’entreprise ou d’un syndicat professionnel, ne constitue pas en elle-même une atteinte à l’exercice des droits syndicaux, pourvu qu’une telle dissolution soit entourée de toutes les garanties nécessaires afin de prévenir toute possibilité d’abus dans l’interprétation de cette disposition: à savoir le droit de faire appel devant un tribunal. [Voir Compilation des décisions du comité de la liberté syndicale, sixième édition, 2018, paragr. 983.] Par ailleurs, dans un cas où il a conclu que la diminution du nombre des travailleurs affiliés au syndicat, jusqu’à ce qu’il ne compte plus le minimum requis de 25 membres, était la conséquence de menaces et de licenciements antisyndicaux, le comité a demandé au gouvernement de vérifier si ces licenciements étaient de nature antisyndicale et si les démissions des dirigeants syndicaux étaient le résultat de pressions ou de menaces de la part de l’employeur, d’appliquer les sanctions prévues par la législation, de réintégrer dans leur poste de travail les travailleurs congédiés et de permettre la reconstitution du syndicat dissous. [Voir Compilation, paragr. 985.]
  6. 212. En ce qui concerne le contexte législatif entourant la dissolution judiciaire objet du présent cas, le comité constate que la dissolution judiciaire au motif que le nombre d’affiliés est tombé en deçà de 25 est visée à l’article 401 du Code du travail, lequel prévoit que la procédure qui s’applique à la dissolution sera celle établie à l’article 380 du code. Le comité observe à cet égard que les alinéas e), f) et g) de l’article 380 établissent que: le syndicat dispose, à compter de la notification d’un délai de cinq (5) jours pour contester la demande et présenter les éléments de preuve considérés pertinents; au terme de ce délai, le juge se prononcera, compte tenu des éléments communiqués dans ces cinq (5) jours; il pourra être fait appel de la décision du juge, ce qui aura un effet suspensif, devant le tribunal supérieur du circuit compétent, lequel devra se prononcer de manière catégorique dans les cinq (5) jours suivant la date de réception du dossier. Aucun recours n’est possible contre la décision du tribunal. Le comité constate que, dans sa dernière observation relative à l’application de la convention no 87 par la Colombie, la Commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations a demandé au gouvernement d’indiquer les motifs qui justifieraient l’application des délais de procédure très courts établis à l’article 380.2 du Code du travail.
  7. 213. Pour ce qui est du contexte factuel de la décision judiciaire de février 2018 portant dissolution du syndicat, le comité observe qu’il ressort des renseignements et annexes communiqués par les parties que: i) l’entreprise a transmis au gouvernement des lettres manuscrites concernant 20 démissions du syndicat datées du 30 juillet au 2 décembre 2017; ii) la plainte et ses annexes ne contiennent pas d’indice ou d’éléments de preuve spécifiques attestant de licenciements massifs de membres du syndicat; iii) il est en revanche établi que le président du syndicat, M. Acero, a été renvoyé le 1er avril 2017 et que sa réintégration, ordonnée en 2018 dans des décisions judiciaires en première et en deuxième instances, a donné lieu à l’émission contre l’entreprise d’une ordonnance d’injonction du tribunal le 10 décembre 2018; et iv) en vertu de la décision no 002193 du 26 juin 2019, confirmée par la décision no 000716 du 18 février 2020 concernant une plainte administrative présentée par le syndicat en 2016, la direction territoriale de Bogota du ministère du Travail a imposé une sanction à l’entreprise «après avoir constaté l’existence d’obstacles à l’affiliation de travailleurs souhaitant rejoindre le syndicat».
  8. 214. Tout en relevant qu’il ne dispose pas de du texte de la décision judiciaire ordonnant la dissolution du syndicat, le comité observe en outre qu’il ressort de la décision no 10112-2018 de la chambre chargée des questions de travail de la Cour suprême en date du 4 juillet 2018 qui a rejeté le recours en protection engagé par le syndicat contre la décision en question que le président du syndicat n’a pas été informé officiellement de la procédure de dissolution car, au moment des faits, il n’était pas lié à l’entreprise en raison de son licenciement cité au paragraphe précédent.
  9. 215. Le comité observe enfin que le syndicat a déposé deux plaintes pénales devant le ministère public, l’une en 2016 concernant une fraude présumée lors de la vente de l’immeuble du syndicat en 2011, et l’autre en 2018 relative à des allégations de fraude lorsque la procédure judiciaire de dissolution a été engagée en 2017. Le comité constate que le gouvernement a fait savoir que les enquêtes relatives à la procédure pénale de 2016 étaient en cours et constate en parallèle qu’il n’a pas reçu de renseignements sur le traitement de la procédure pénale engagée en 2018. Compte tenu de ce qui précède et rappelant que la dissolution d’une organisation syndicale est un acte grave qui doit être entouré de toutes les garanties nécessaires, le comité regrette de ne pas être en mesure de vérifier si tous les antécédents, en particulier les décisions judiciaires et administratives citées dans les présentes conclusions concernant la situation en matière de respect des droits syndicaux au sein de l’entreprise, ont pu être pris en compte par le tribunal qui a ordonné la dissolution de SINALTRALUX. Le comité regrette particulièrement que la décision no 002193 du ministère du Travail faisant état de l’existence d’obstacles à l’affiliation au syndicat ait été prise trois ans après la présentation de la plainte correspondante et, par conséquent, après la décision judiciaire portant dissolution du syndicat. Dans ces circonstances, le comité prie le gouvernement de l’informer du résultat des enquêtes ouvertes à la suite des procédures pénales engagées par le syndicat et espère que celles-ci s’achèveront rapidement. Si les enquêtes devaient révéler l’existence de fraudes à l’encontre du syndicat, le comité souligne que ce dernier devrait être rétabli dans ses droits. Constatant que le gouvernement n’a pas communiqué ses observations sur le licenciement de M. Acero, président du syndicat, le comité prie en outre le gouvernement de lui fournir des renseignements sur la situation professionnelle de ce dernier et d’assurer que les diverses décisions judiciaires ordonnant sa réintégration aient été réellement respectées.
  10. 216. Compte tenu de ce qui précède, et plus particulièrement au regard des décisions judiciaires et administratives constatant l’existence de violations des droits syndicaux, le comité prie le gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour assurer à l’avenir le plein respect de la liberté syndicale dans l’entreprise en question.

Recommandations du comité

Recommandations du comité
  1. 217. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d’administration à approuver les recommandations suivantes:
    • a) Le comité prie le gouvernement de l’informer du résultat des enquêtes ouvertes à la suite des procédures pénales engagées par le syndicat et espère que celles-ci s’achèveront rapidement. Si les enquêtes devaient révéler l’existence de fraudes à l’encontre du syndicat, le comité souligne que ce dernier devrait être rétabli dans ses droits.
    • b) Le comité prie le gouvernement de lui fournir des renseignements sur la situation professionnelle du président du syndicat, M. José Acero, et d’assurer que les décisions judiciaires ordonnant sa réintégration ont été réellement respectées.
    • c) Le comité prie le gouvernement d’adopter les mesures nécessaires pour assurer à l’avenir le plein respect de la liberté syndicale dans l’entreprise en question.
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