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Rapport définitif - Rapport No. 407, Juin 2024

Cas no 3300 (Paraguay) - Date de la plainte: 18-AOÛT -17 - Clos

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Allégations: Les organisations plaignantes allèguent du harcèlement antisyndical et de l’ingérence de l’employeur dans les affaires syndicales: le versement d’une prime supplémentaire aux membres d’un syndicat précis ou à des travailleurs non syndiqués, et le refus d’enregistrer un nouveau syndicat malgré le respect de toutes les exigences formelles à cet effet

  1. 339. La plainte figure dans une communication de la Fédération des travailleurs du secteur bancaire et métiers apparentés du Paraguay (FETRABAN), de la Centrale unitaire des travailleurs-Authentique (CUT-A) et d’UNI Americas-Finances en date du 18 août 2017. UNI Global Union a envoyé une communication pour appuyer la plainte en date du 3 octobre 2017.
  2. 340. Le gouvernement a fait part de ses observations dans des communications datées du 28 août 2018 et du 30 août 2023.
  3. 341. Le Paraguay a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, et la convention (no 98) sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949.

A. Allégations des organisations plaignantes

A. Allégations des organisations plaignantes
  1. 342. Dans leur communication en date du 18 août 2017, les organisations plaignantes allègent de multiples violations des droits des travailleurs et des organisations membres de la FETRABAN de la part de la Banque régionale SAECA (ci-après, «l’établissement bancaire»), dont des violations des garanties qui entourent l’exercice effectif de la liberté syndicale. Elles affirment aussi que l’inaction du gouvernement à cet égard, doté d’institutions fragiles et vulnérables, a permis à l’établissement bancaire de nuire quotidiennement aux droits des travailleurs et aux organisations de ces derniers, l’État cautionnant bien souvent le harcèlement antisyndical de la part des employeurs.
  2. 343. Les organisations plaignantes allèguent que l’établissement bancaire a versé une prime supplémentaire discriminatoire aux seuls membres d’«un syndicat précis» ou aux travailleurs non syndiqués, en excluant les travailleurs membres du «syndicat des travailleurs de l’établissement bancaire». Elles affirment également que l’inscription d’un nouveau syndicat, créé le 18 avril 2015 sous le nom d’«Organisation des travailleurs de la Banque régionale (OTRABR)», a été refusée alors que toutes les exigences formelles requises étaient respectées. Selon les allégations des organisations plaignantes, l’établissement bancaire a mené une série d’actions visant à intimider et effrayer les nouveaux dirigeants syndicaux et le personnel en général, notamment en licenciant des dirigeants et des membres fondateurs du syndicat en cours de formation, lesquels étaient protégés par les dispositions légales en vigueur. Dans ce contexte, l’établissement bancaire a aussi fait pression sur d’autres travailleurs pour qu’ils renoncent à adhérer à cette nouvelle organisation afin qu’elle n’atteigne pas le nombre minimum de membres requis par le Code du travail. Les organisations plaignantes affirment que le ministère du Travail, de l’Emploi et de la Sécurité sociale (MTESS) a cautionné ces actions et accepté des contestations formulées a posteriori par l’employeur, les autorités n’ayant même pas procédé à l’inscription provisoire du syndicat.
  3. 344. Les organisations plaignantes allèguent aussi que l’établissement bancaire a recouru à des pratiques préjudiciables, comme la fermeture d’agences. De telles actions ont affaibli le droit des travailleurs à la stabilité de l’emploi, mais aussi d’autres droits tels que l’accès à une retraite digne, privant ainsi des centaines de travailleurs de protections. En outre, elles affirment que l’établissement bancaire a obligé son personnel à effectuer des heures supplémentaires non planifiées ni rémunérées et évoque une pratique de harcèlement moral ou de maltraitance émotionnelle de la part de l’employeur. Selon les informations communiquées par les organisations plaignantes, malgré des plaintes déposées auprès du MTESS, aucun inspecteur ni contrôleur n’a été envoyé.

B. Réponse du gouvernement

B. Réponse du gouvernement
  1. 345. Dans ses communications en date du 28 août 2018 et du 30 août 2023, le gouvernement a communiqué la note no 563/17 du 18 décembre 2017 du Département des relations collectives et de l’enregistrement des syndicats de la Direction du travail, renvoyant à la décision no 11 du 25 avril 2016 qui a rejeté l’inscription provisoire de l’organisation OTRABR. Selon les considérants de cette décision, le 27 avril 2015, MM. José Caballero et Rigoberto Urbieta ont demandé l’inscription provisoire de l’OTRABR; et, le 12 mai et le 30 juin 2015, l’établissement bancaire a contesté l’enregistrement provisoire du syndicat, sur la base de plusieurs irrégularités et pour les motifs suivants: i) Mme Sonia Margarita Espínola Báez a été congédiée de l’établissement bancaire le 5 mars 2015, ii) MM. Luis María Ocampos Fernández, Sergio Osorio et Luis Bello, et Mme Bianca Bataglia ont été licenciés le 8 mai 2015; et iii) M. Sergio David Silvero Careaga a renoncé à adhérer au syndicat en cours formation.
  2. 346. Il est encore précisé dans la décision susmentionnée que, le 16 octobre 2015, l’établissement bancaire a confirmé son objection à l’inscription provisoire de l’OTRABR en communiquant à cette fin des documents relatifs à la décision de Mme María Sehila Gwynn Leguizamón de se retirer du syndicat en cours de formation, ainsi que l’accord de fin de service de MM Luis María Ocampos Fernández, Sergio Osorio et Luis Bello, et de Mme Bianca Bataglia. En outre, selon cette décision, au mois d’octobre 2015, Mme Diana Beatriz Sosa Riveros et M. Carlos Alcides Arbo Rojas ont fait savoir à l’Autorité administrative du travail qu’ils avaient démissionné en tant que membres du syndicat en cours de formation.
  3. 347. Le gouvernement indique que, en vertu de l’article 292 du Code du travail, un syndicat de travailleurs ne peut être constitué que s’il réunit au moins de 20 membres fondateurs et, dans ce cas-ci, même si le syndicat en cours de formation comptait un total de 23 membres fondateurs, 9 d’entre eux ont soit quitté l’établissement bancaire, soit décidé de se retirer du syndicat; par conséquent, le syndicat en cours de formation ne disposait plus du nombre minimum de membres fondateurs requis. Le gouvernement précise que le non-respect des exigences formelles dictées par la législation pour l’inscription provisoire d’une nouvelle organisation syndicale n’a pas permis à l’Autorité administrative du travail d’accéder à la demande du syndicat requérant.
  4. 348. Du reste, le gouvernement indique que, malgré un différend judiciaire relatif au congédiement de MM. Sergio Hugo Felipe Osario Acosta, Luis María Ocampos Fernández et Luis Fernando Bello Torres, et de Mme Bianca Giannina Battaglia Benítez, qui ont été licenciés pour faute grave, tous sont parvenus à des accords de conciliation avec l’établissement bancaire dans lesquels ils se sont entendus sur les points litigieux; toutes les plaintes ayant été abandonnées par consentement mutuel, les procédures judiciaires respectives ont été classées.
  5. 349. En ce qui concerne les allégations relatives à d’autres violations des droits au travail et l’allégation selon laquelle le MTESS n’aurait pas envoyé d’inspecteurs ni de contrôleurs, le gouvernement indique que des fonctionnaires du MTESS ont visité l’établissement bancaire en application de l’ordre d’inspection no 88/2016 du 10 juin 2016, et la décision no 325 du 25 novembre 2016 a mis fin à la procédure en sanctionnant l’établissement bancaire pour plusieurs manquements aux normes du travail, et de sécurité et santé au travail.
  6. 350. Le gouvernement signale que l’établissement bancaire a fait appel de la décision qui le sanctionnait. Le dossier administratif a été transmis à la première chambre de la cour d’appel, qui a décidé de soumettre le cas à une consultation constitutionnelle de la Cour suprême de justice, laquelle a conclu, dans un arrêt du 6 septembre 2022, à la constitutionnalité de la décision en question.

C. Conclusions du comité

C. Conclusions du comité
  1. 351. Le comité observe que, dans le présent cas, les organisations plaignantes allèguent une série de violations des droits syndicaux d’organisations affiliées à la FETRABAN et de leurs membres de la part d’un établissement bancaire. Les organisations plaignantes allèguent aussi que l’inaction du gouvernement à cet égard, doté d’institutions fragiles et vulnérables, a permis à l’établissement bancaire de nuire quotidiennement aux droits en question, l’État cautionnant bien souvent le harcèlement antisyndical de la part des employeurs.
  2. 352. Le comité prend note que les organisations plaignantes allèguent en particulier que: i) l’établissement bancaire a versé une prime supplémentaire aux seuls membres d’un syndicat précis ou aux travailleurs non syndiqués, en excluant les travailleurs membres du «syndicat des travailleurs de l’établissement bancaire»; et ii) l’inscription d’un nouveau syndicat, sous le nom d’OTRABR, a été refusée alors qu’initialement celui-ci respectait toutes les exigences formelles à cet effet, mais n’a plus compté le nombre de membres requis, parce que l’établissement bancaire a licencié certains dirigeants et membres fondateurs du syndicat en formation et a fait pression sur d’autres pour qu’ils renoncent à y adhérer dans le but de réduire le nombre de membres et d’empêcher l’organisation d’atteindre le seuil minimum exigé par le Code du travail.
  3. 353. En ce qui concerne le versement présumé d’une prime supplémentaire aux membres d’un syndicat précis, le comité observe que les organisations plaignantes ont joint la copie d’une communication de la direction de l’établissement bancaire envoyée dans un courrier électronique en date du 21 décembre 2011, dans laquelle elle indiquait qu’elle avait conclu une nouvelle convention collective sur les conditions de travail avec le «syndicat des employés de l’établissement bancaire» et, pour respecter fidèlement l’engagement que l’établissement bancaire avait pris à la demande d’une des parties lors du processus de négociation de la convention collective, une prime exceptionnelle unique, équivalente à un demi-salaire, allait être versée à tous les fonctionnaires membres du syndicat signataire de la nouvelle convention collective, ainsi qu’à tous les fonctionnaires non syndiqués. Le comité regrette de constater que le gouvernement n’a fait aucune observation à cet égard. Il observe qu’il ressort des informations disponibles que: i) deux organisations syndicales au moins existent au sein de l’établissement bancaire, le syndicat des employés et le syndicat des travailleurs de l’établissement bancaire, ce dernier étant affilié à la FETRABAN; ii) la prime exceptionnelle n’était pas une gratification prévue dans la convention collective susmentionnée (la législation paraguayenne prévoit que les dispositions des conventions collectives s’étendent à tous les travailleurs de l’entreprise, qu’ils soient ou non membres du syndicat signataire de la convention); et iii) la prime aurait été versée directement par l’employeur conformément à ce qui avait été convenu entre l’établissement bancaire et le syndicat des employés lors de la négociation de la convention collective. Le comité note également que la manière dont l’octroi de la prime en question a été présenté, en la réservant aux travailleurs membres du syndicat signataire de la convention collective et aux travailleurs non syndiqués et en excluant les membres de l’autre syndicat présent au sein de l’entreprise, pourrait constituer une forme de favoritisme envers une organisation syndicale et influencer l’adhésion syndicale des travailleurs. En l’absence de tout autre information ou d’élément actualisé à cet égard, et rappelant que les travailleurs doivent avoir le droit de s’affilier aux organisations de leur choix, sans que l’employeur interfère dans ce choix [voir Compilation des décisions du Comité de la liberté syndicale, sixième édition, 2018, paragr. 1189], le comité prie le gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour veiller à ce que l’établissement bancaire s’abstienne d’agir d’une manière telle qu’il contribue à favoriser un syndicat au détriment d’un autre.
  4. 354. Par ailleurs, en ce qui concerne l’allégation selon laquelle les autorités du MTESS ont rejeté l’enregistrement d’un nouveau syndicat, dénommé OTRABR, au sein de l’établissement bancaire, le comité observe que selon le gouvernement cette organisation ne disposait pas du nombre minimum de membres fondateurs. Il note que les organisations plaignantes allèguent que, bien qu’initialement l’OTRABR disposait du nombre minimum de membres requis par la législation, l’établissement bancaire a congédié certains travailleurs qui faisaient partie des membres fondateurs et a fait pression sur d’autres membres du personnel pour qu’ils renoncent à leur adhésion à l’OTRABR, de sorte que l’organisation n’a plus compté le nombre minimum de membres requis. Il ressort des documents joints par le gouvernement que la demande d’inscription provisoire de l’OTRABR a été déposée le 27 avril 2015, et le 8 mai 2015 l’établissement bancaire a congédié quatre membres fondateurs de l’OTRABR (MM. Luis María Ocampos Fernández, Sergio Osorio et Luis Bello, et Mme Bianca Bataglia). En outre, à la lecture de la documentation fournie par le gouvernement, le comité note que les travailleurs licenciés ont intenté des actions en justice contre l’établissement bancaire qui ont abouti à des accords de conciliation; par conséquent, les procédures judiciaires ont été classées. Il observe que si, d’une part, le gouvernement indique que les membres fondateurs ont été licenciés pour faute grave, de l’autre, il fait savoir que l’établissement bancaire a décidé de conclure des accords de conciliation avec ces travailleurs pour mettre un terme aux poursuites judiciaires qu’ils avaient intentées contre l’employeur. Le comité observe que, d’après les documents transmis par les organisations plaignantes, ces actions en justice étaient liées à une demande de réintégration des travailleurs concernés à leur poste de travail compte tenu de la protection syndicale dont ils jouissaient.
  5. 355. Le comité observe aussi que, en plus de faire référence aux travailleurs congédiés, les organisations plaignantes allèguent que l’établissement bancaire a fait pression sur des travailleurs pour qu’ils se retirent du syndicat OTRABR dans le but de faire baisser le nombre de membres sous le seuil minimum requis par le Code du travail.
  6. 356. Le comité rappelle que, dans un cas où il a conclu que la diminution du nombre des travailleurs affiliés au syndicat, jusqu’à ce qu’il ne compte plus le minimum requis de 25 membres, était la conséquence de menaces et de licenciements antisyndicaux, il a demandé au gouvernement de vérifier si ces licenciements étaient de nature antisyndicale et si les démissions des dirigeants syndicaux étaient le résultat de pressions ou de menaces de la part de l’employeur, d’appliquer les sanctions prévues par la législation, de réintégrer à leur poste de travail les travailleurs congédiés et de permettre la reconstitution du syndicat dissous. [Voir Compilation, paragr. 985.] Tout en notant que le présent cas ne concerne pas la dissolution, mais bien l’inscription d’un syndicat nouvellement constitué, et que les actions en justice intentées contre l’établissement bancaire pour réclamer la réintégration des travailleurs à leur poste de travail compte tenu de la protection syndicale dont ils jouissaient ont abouti à la conclusion d’accords de conciliation, le comité observe que les allégations de la présente plainte ont aussi trait à des actes antisyndicaux menés pour éviter qu’une organisation syndicale satisfasse au nombre minimum de membres requis par la législation. Compte tenu de tout ce qui précède, le comité prie le gouvernement de prendre, à la lumière des circonstances du présent cas, les mesures nécessaires pour s’assurer qu’à l’avenir, en cas de licenciements et/ou de décisions de se désaffilier suspectés d’être concomitantsliés à la création d’un syndicat, une enquête sera est menée dans les meilleurs délais pour vérifier la nature éventuellement antisyndicale des licenciements et/ou déterminer si les décisions de se désaffilier résultent de pressions ou de menaces de la part de l’employeur, de sorte que, si des actes antisyndicaux sont avérés, les sanctions prévues par la législation soient imposées, les travailleurs licenciés soient réintégrés à leur poste de travail et le syndicat nouvellement créé soit autorisé à s’enregistrer.
  7. 357. Enfin, tout en prenant note des autres allégations soulevées par les organisations plaignantes qui ne concernent pas des questions syndicales, le comité prend également note des informations fournies par le gouvernement à cet égard et des mesures prises par les autorités administratives et judiciaires.

Recommandations du comité

Recommandations du comité
  1. 358. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d’administration à approuver les recommandations suivantes:
    • a) Le comité s’attend à ce que le gouvernement prenne les mesures nécessaires pour que l’établissement bancaire s’abstienne d’agir d’une manière qui contribue à favoriser un syndicat au détriment d’un autre.
    • b) Le comité prie le gouvernement de prendre, à la lumière des circonstances du présent cas, les mesures nécessaires pour s’assurer qu’à l’avenir, en cas de licenciements et/ou de décisions de se désaffilier suspectés d’être liés concomitants à la création d’un syndicat, une enquête seraest menée dans les meilleurs délais pour vérifier la nature éventuellement antisyndicale des licenciements et/ou déterminer si les décisions de se désaffilier résultent de pressions ou de menaces de la part de l’employeur, de sorte que, si des actes antisyndicaux sont avérés, les sanctions prévues par la loi soient imposées, les travailleurs licenciés soient réintégrés à leur poste de travail et le syndicat nouvellement créé soit autorisé à s’enregistrer.
    • c) Le comité considère que le présent cas est clos et ne nécessite pas un examen plus approfondi.
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