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Rapport où le comité demande à être informé de l’évolution de la situation - Rapport No. 408, Octobre 2024

Cas no 3421 (Colombie) - Date de la plainte: 08-NOV. -21 - En suivi

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Allégations: Les organisations plaignantes allèguent la violation du droit de grève par le ministère du Travail dans le cadre d’un conflit collectif dans le secteur portuaire, ainsi qu’une série d’actes antisyndicaux commis par l’entreprise concernée

  1. 266. La plainte figure dans des communications de la Centrale unitaire des travailleurs de Colombie (CUT) et de l’Union portuaire de Colombie, datées du 8 novembre 2021 et du 22 août 2022.
  2. 267. Le gouvernement de la Colombie a envoyé ses observations concernant ces allégations dans des communications datées des 4 août, 20 septembre et 10 octobre 2022, et de septembre 2024.
  3. 268. La Colombie a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, la convention (no 98) sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949, la convention (no 151) sur les relations de travail dans la fonction publique, 1978, et la convention (no 154) sur la négociation collective, 1981.

A. Examen antérieur du cas

A. Examen antérieur du cas
  1. 269. Les organisations plaignantes allèguent que, dans le cadre de la négociation d’une convention collective au sein de l’entreprise portuaire Impala S.A. (ci-après «l’entreprise»), le ministère du Travail n’a pas respecté le droit de grève des travailleurs affiliés à l’organisation syndicale Union portuaire de Colombie (ci-après «le syndicat»): i) en ayant commencé par convoquer unilatéralement un tribunal arbitral, en dépit du fait que les activités de l’entreprise en question ne constituent pas un service public essentiel et en l’absence d’un vote majoritaire des travailleurs demandant l’établissement dudit tribunal; et ii) en ayant validé un scrutin irrégulier des travailleurs non syndiqués, organisé par l’entreprise portuaire pour mettre fin à la grève lancée conformément aux règles par le syndicat. Par une deuxième communication, les organisations plaignantes allèguent en outre que, en violation de l’immunité syndicale, l’entreprise portuaire a procédé à divers licenciements et imposé une série de sanctions disciplinaires en 2021 et 2022 pour participation desdits travailleurs à des assemblées syndicales.
  2. 270. En ce qui concerne les allégations relatives à l’exercice du droit de grève, les organisations plaignantes fournissent les éléments contextuels suivants: i) il existe dans l’entreprise portuaire un pacte collectif auquel ont souscrit les travailleurs non syndiqués, qui coexiste avec la sentence arbitrale en vigueur entre l’entreprise et le syndicat et fixe de meilleures conditions de travail, ce qui constitue un comportement antisyndical; ii) le 15 décembre 2020, le syndicat a présenté un cahier de revendications à l’entreprise; iii) l’entreprise a refusé de négocier de bonne foi et n’a pas voulu fournir au syndicat des informations importantes pour le déroulement de la négociation; iv) le 9 janvier 2021, la phase de règlement direct a pris fin et, en dépit du fait que le syndicat avait proposé une prolongation dans le but de tenter de parvenir à un accord, l’entreprise a refusé, raison pour laquelle le syndicat s’est préparé, conformément aux dispositions de l’article 444 du Code du travail, à inviter tous les travailleurs de l’entreprise, syndiqués et non syndiqués, à voter afin de décider si le conflit collectif devait se régler par un arbitrage ou si, au contraire, ils partiraient en grève; v) étant donné que le syndicat ne représente pas la moitié des travailleurs de l’entreprise, en vertu du Code du travail, il avait besoin de l’appui de la moitié de tous les travailleurs de l’entreprise, syndiqués ou non, plus une voix; vi) malgré le fait que le syndicat ait demandé à plusieurs reprises et au préalable, en vertu de son droit fondamental de demander des informations, la liste complète des travailleurs de l’entreprise afin de pouvoir les convoquer à l’assemblée prévue par le Code du travail, l’entreprise a refusé et a fourni des nombres différents, sans mention des noms, des postes ou d’aucun élément permettant leur convocation éventuelle à cette assemblée; et vii) en réponse à une demande de l’entreprise datée du 13 janvier 2021, le ministère du Travail a envoyé au syndicat une demande d’informations pour mettre en place un tribunal arbitral en vue d’un arbitrage obligatoire, en dépit du fait que les conditions légales correspondantes n’étaient pas remplies (en l’absence de décision des travailleurs en ce sens et alors qu’il ne s’agit pas d’un service public essentiel).
  3. 271. Les organisations plaignantes font ensuite référence au mouvement de grève mené par le syndicat à partir du 1er février 2021 et affirment que: i) n’ayant pas pu disposer de la liste complète des travailleurs de l’entreprise et se fondant sur les données publiées dans le registre de commerce, qui mentionnaient l’existence de 177 travailleurs, le syndicat a convoqué, pour le 20 janvier 2021, une assemblée générale des travailleurs afin que ces derniers choisissent entre la grève et le tribunal arbitral; ii) conformément aux règles applicables dans le cadre de la pandémie de COVID-19, le scrutin s’est déroulé par voie électronique; iii) pour éviter tout doute quant à la régularité de la procédure, le syndicat a demandé qu’elle soit contrôlée par un inspecteur du travail; iv) 111 travailleurs ont finalement voté, dont 91 voix en faveur de la grève et 20 voix en faveur du tribunal arbitral; v) après une dernière tentative de négociation, le 25 janvier 2021, le syndicat a notifié au ministère du Travail que la grève chez Impala commencerait le 1er février 2021; et v) conformément à la loi, le syndicat a garanti le fonctionnement des services de sécurité et d’entretien et a veillé au déroulement pacifique de la grève.
  4. 272. Les organisations plaignantes font ensuite référence à la fin du mouvement de grève, consécutive à un vote des travailleurs non syndiqués de l’entreprise, lequel était entaché d’irrégularités, selon ces organisations. Les organisations plaignantes allèguent à cet égard que: i) avec l’appui logistique de l’entreprise, les travailleurs non syndiqués, apparemment de leur propre initiative, ont manifesté, le 4 février 2021, leur intention de procéder à un vote afin de mettre fin à la grève; ii) ce scrutin, qui a eu lieu le 5 février 2021, a été annoncé par courrier électronique à peine 14 heures à l’avance et le syndicat n’a pas été invité à y participer; iii) le scrutin n’a fait l’objet d’aucun contrôle ou surveillance par le ministère du Travail et a uniquement été contrôlé par un notaire; iv) le ministère du Travail a indiqué aux travailleurs non syndiqués comment la question devait être posée aux travailleurs, indications qui ont été ignorées (selon les organisations plaignantes, les questions de la consultation du 5 février étaient les suivantes: oui, je veux la poursuite de la suspension des activités avec fermeture définitive de l’opération/non, je ne veux pas la poursuite de la suspension des activités avec fermeture définitive de l’opération); v) le scrutin a inclus un groupe de 42 travailleurs de la ville de Barranquilla, dont tant le syndicat que l’inspection du travail ignoraient l’existence; vi) en dépit des irrégularités du vote, l’entreprise a fait pression sur le ministère du Travail afin qu’il procède au retrait des scellés et à la levée de la grève. La Direction territoriale de Barrancabermeja et de Bucaramanga du ministère du Travail a refusé d’accéder à la requête de l’entreprise en raison du caractère clairement arbitraire des agissements de l’entreprise; vii) néanmoins, faisant usage de son droit, par décision no 0002 du 10 février 2021, la vice ministre du Travail s’est directement rendue à Barrancabermeja, accompagnée d’inspecteurs du travail de Bogotá, pour procéder au retrait des scellés et à la levée de la grève; et viii) en confirmant le vote, le ministère a laissé le conflit collectif non résolu, puisqu’il s’est contenté de lever la grève et de quitter les lieux.
  5. 273. L’organisation plaignante affirme que, pour contester la légalité de la levée de la grève, elle a introduit: i) une demande de protection que le tribunal administratif a déclaré infondée, considérant que le conflit devait être résolu par le tribunal arbitral; et ii) une demande reconventionnelle dans le cadre du recours en illégalité de la grève présenté par l’entreprise, demande qui a été rejetée par le Tribunal supérieur de Bucaramanga.
  6. 274. Par une communication du 22 août 2022, les organisations plaignantes font valoir que, malgré la fin de la grève, le conflit collectif demeure et que les travailleurs ont mené des actions afin de parvenir à une convention collective juste et digne. Elles allèguent que, dans ce contexte, de nouvelles violations des droits des travailleurs syndiqués ont été commises. Les organisations plaignantes font tout d’abord référence aux mesures prises par l’entreprise à la suite d’une assemblée permanente organisée par le syndicat le 5 novembre 2021. Les organisations plaignantes allèguent à cet égard que: i) l’assemblée était pacifique, il n’y a pas eu de cessation d’activités et les opérations fluviales n’ont pas été perturbées, étant donné que la participation des travailleurs syndiqués a eu lieu après la fin de leur service; ii) ensuite, l’entreprise a engagé des procédures de sanctions disciplinaires contre 17 travailleurs qui avaient pris part à cette action, entraînant le licenciement immédiat de 9 travailleurs le 16 novembre 2021 et demandant à la justice l’autorisation de lever l’immunité syndicale de 8 travailleurs, dont le secrétaire général de la sous-direction du syndicat; iii) 11 travailleurs ont introduit des demandes de protection devant les juges municipaux de Barrancabermeja, fondées sur la violation par l’entreprise du droit fondamental à une procédure régulière, lesquelles ont été jugées infondées dans leur intégralité, les juges considérant que les travailleurs disposaient d’autres moyens de défense judiciaire pour contester le motif de leur licenciement; iv) ensuite, l’entreprise a interdit l’entrée du terminal à tous les dirigeants syndicaux, en leur appliquant l’article 140 du Code du travail, qui permet le paiement du salaire sans prestation de service; et v) dans l’enquête préliminaire avancée à la demande du syndicat, le ministère du Travail a décidé d’engager une procédure de sanction administrative et de formuler des griefs à l’encontre de l’entreprise pour avoir supposément enfreint les obligations prévues par l’article premier de la convention no 98 de l’OIT, conformément à l’article 354, paragr. 2, points a) et d), du Code du travail. Cette décision a été notifiée à l’organisation syndicale le 16 mai 2022.
  7. 275. Les organisations plaignantes affirment ensuite que l’entreprise a formé un recours contre le syndicat, en vue de faire constater que la grève menée par ce dernier était illégale. Le 7 avril 2022, la Chambre du travail du Tribunal du district de Bucaramanga a jugé que la grève menée par le syndicat était légale.
  8. 276. Les organisations plaignantes allèguent également que: i) 9travailleurs membres du syndicat ont fait l’objet d’une procédure disciplinaire discriminatoire en raison de leur participation pacifique à une réunion d’information qui s’est tenue le 31 janvier 2022 à l’entrée du terminal; et ii) ces procédures disciplinaires ont abouti à des sanctions allant jusqu’à deux mois de suspension du contrat de travail.
  9. 277. Les organisations plaignantes allèguent enfin que: i) la signature d’un pacte collectif de travail avec des travailleurs non syndiqués de l’entreprise, le 1er juillet 2021, constitue un acte antisyndical visant à décourager l’affiliation à l’organisation syndicale, auquel s’ajoute le fait que ledit pacte contient des articles ouvertement antisyndicaux; ii) l’entreprise mène des actions discriminatoires à l’encontre des travailleurs syndiqués, dans la mesure où elle a refusé les congés syndicaux demandés par le syndicat et a exclu les travailleurs syndiqués des horaires donnant droit à des heures supplémentaires et à des primes; et iii) la voie du dialogue empruntée par le syndicat devant la Commission spéciale de traitement des conflits déférés à l’OIT (CETCOIT) a clairement été rejetée par l’employeur.

B. Réponse du gouvernement

B. Réponse du gouvernement
  1. 278. Dans sa communication du 4 août 2022, le gouvernement transmet les observations de l’entreprise sur les allégations initiales des organisations plaignantes. L’entreprise soutient avoir engagé en 2016 la première négociation d’une convention collective avec le syndicat, laquelle, en dépit des tentatives de parvenir à un accord, a abouti à la convocation d’un tribunal arbitral qui a rendu une sentence arbitrale. L’entreprise nie ensuite les allégations avancées par les organisations plaignantes concernant la procédure de négociation entamée en 2020. L’entreprise affirme que, en janvier 2021, elle a demandé de bonne foi la mise en place d’un tribunal arbitral, étant donné que le syndicat lui-même avait indiqué sur les réseaux sociaux que l’entreprise assurait un service public essentiel, mais le ministère du Travail n’a jamais convoqué ledit tribunal.
  2. 279. S’agissant du scrutin organisé par le syndicat en janvier 2021 en vue d’entamer un mouvement de grève, l’entreprise déclare que: i) elle a effectivement fourni en décembre 2020 le nombre total de travailleurs de l’entreprise; ii) l’organisation syndicale n’a pas permis aux travailleurs non syndiqués de participer au scrutin, en dépit du fait qu’elle est un syndicat minoritaire; iii) le mécanisme de vote virtuel utilisé par le syndicat n’était pas idéal, car il n’exigeait pas que le travailleur s’identifie, comme l’exige la réglementation; et iv) le vote était entaché de vices de consentement, étant donné que le syndicat y indiquait que seuls les travailleurs syndiqués cesseraient le travail et que le port ne serait pas fermé.
  3. 280. En ce qui concerne le scrutin organisé en février 2021 par les travailleurs non syndiqués, l’entreprise affirme que: i) les travailleurs se sont sentis trahis par l’organisation syndicale, par le fait qu’ils avaient été induits en erreur et par les irrégularités de la procédure de vote; ii) l’entreprise a effectivement fourni des moyens de transport, tout comme l’avait fait le syndicat dans le passé; iii) la présence du ministère du Travail n’est pas requise pour les votes, mais l’entreprise comprend que les travailleurs non syndiqués aient invité des inspecteurs du travail à assister au scrutin; iv) il est vrai que des travailleurs de Barranquilla ont participé au scrutin, ce qui est parfaitement légitime, puisque ces derniers font partie des 181 travailleurs du personnel; et v) en revanche, il n’est pas vrai que le ministère du Travail n’avait pas connaissance de l’existence de ces travailleurs. L’entreprise affirme également qu’elle respecte le droit d’association et a toujours défendu le droit de négociation, en privilégiant le dialogue social pour résoudre les différends. Elle ajoute qu’en dépit des multiples situations décrites dans les scrutins organisés par le syndicat, ils respectaient la décision de l’autorité du travail au sujet de la fermeture du port, jusqu’à ce que la majorité absolue des travailleurs manifeste catégoriquement son souhait de pouvoir continuer à travailler.
  4. 281. Se fondant sur les éléments fournis par les différents services du ministère du Travail, le gouvernement présente ensuite sa position sur les allégations formulées dans le présent cas. Le gouvernement affirme que le ministère du Travail a agi conformément aux procédures prévues par la loi. Il soutient qu’il est faux d’affirmer que le ministère du Travail a décidé de constituer un tribunal arbitral à la demande de l’entreprise, en précisant à cet égard que: i) le ministère du Travail a demandé à l’organisation syndicale les documents nécessaires pour déterminer la viabilité de la mise en place dudit tribunal, l’organisation ne répondant pas aux demandes formulées; et ii) sur la seule base des documents fournis par l’entreprise, les conditions requises pour pouvoir convoquer et mettre en place un tribunal ne semblaient pas réunies, raison pour laquelle la vice-ministre chargée des relations de travail et de l’inspection a décidé de ne pas accueillir la demande de l’entreprise.
  5. 282. En ce qui concerne la convocation et la conduite de la grève par le syndicat en février 2021, le gouvernement déclare que: i) compte tenu du fait qu’aucun accord n’a été trouvé sur le cahier de revendications présenté par le syndicat, un vote a eu lieu pour choisir entre la grève et la convocation d’un tribunal arbitral, vote qui s’est déroulé le 20 janvier 2021, ainsi qu’il ressort du rapport de l’inspectrice du travail et de la sécurité sociale du Bureau spécial de Barrancabermeja du ministère du Travail; ii) le 1er février 2021, l’heure de début de la grève a été décidée, des fonctionnaires du ministère du Travail ayant posé les scellés correspondants le 5 février; et iii) tout ceci a été réalisé conformément aux dispositions des articles 444 et 445 du Code du travail.
  6. 283. En ce qui concerne la fin du mouvement de grève, le gouvernement indique que: i) les mesures prises à cet égard par le ministère étaient conformes aux demandes des travailleurs non syndiqués qui avaient décidé, par un vote du 5 février 2021, de ne pas poursuivre la grève; ii) exerçant le droit préférentiel que lui reconnaît la législation, le bureau de la vice ministre chargée des relations de travail a désigné un inspecteur du travail et de la sécurité sociale de l’Unité d’enquêtes spéciales pour effectuer les démarches prévues par l’article 448 du Code du travail; iii) deux commissions du ministère du Travail se sont présentées, la première composée de la vice-ministre chargée des relations de travail et de l’inspection accompagnée de son conseiller en vue de mettre en place un dialogue social pendant la durée de la grève pour parvenir, de manière concertée, à un règlement du conflit collectif, avec la signature éventuelle d’une convention collective entre les parties, et la seconde composée du groupe d’inspection, de surveillance et de contrôle, dans lequel se trouvait un inspecteur du travail et de la sécurité sociale chargé de procéder à la levée des scellés conformément à la décision résultant du vote des travailleurs; et iv) la désignation par la vice-ministre d’un nouvel inspecteur du travail extérieur au Bureau de Barrancabermeja n’était pas arbitraire, mais visait, tout d’abord, à accélérer la pose des scellés, nécessaire pour matérialiser la grève lancée par le syndicat, conformément à la demande du représentant de l’entreprise en raison d’un conflit allégué entre le directeur du Bureau spécial de Barrancabermeja et des représentants de l’entreprise et, ensuite, à accélérer la levée des scellés, une fois la fin de la grève décidée à la majorité des voix des travailleurs de l’entreprise.
  7. 284. Le gouvernement déclare ensuite que, à l’issue d’une nouvelle étape de règlement direct le 9 mars 2022: i) le syndicat a demandé au ministère du Travail, le 17 mars 2022, la convocation d’un tribunal arbitral; et ii) par décision de la vice-ministre, le tribunal a été convoqué le 25 juillet 2022. Le gouvernement conclut que les conventions nos 87, 98 et 154 de l’OIT n’ont en aucune façon été violées.
  8. 285. Dans une communication du 10 octobre 2022, le gouvernement transmet ses observations sur les allégations supplémentaires des organisations plaignantes concernant le licenciement de plusieurs travailleurs syndiqués en novembre 2021. Le gouvernement transmet, tout d’abord, les observations de l’entreprise, laquelle indique que: i) les événements du 5 novembre 2021 n’ont rien à voir avec le conflit relatif au cahier de revendications de 2020 à l’origine de la plainte; ii) comme l’ont indiqué les organisations plaignantes elles-mêmes, les membres du syndicat ont entamé une «assemblée permanente» avec occupation du lieu de travail, ce qui a entraîné des problèmes de fonctionnement et des risques physiques et professionnels; iii) il est faux d’avancer que la cessation d’activités s’est produite après la fin du service des travailleurs concernés. La cessation d’activités s’est produite en plein milieu du poste, mais elle a été tellement longue qu’elle a coïncidé dans le temps avec la fin d’un poste et le début du suivant; iv) l’entreprise a engagé des procédures disciplinaires pour respecter la procédure adéquate, à la suite de quoi l’entreprise a pu constater que, subitement, les travailleurs ont cessé d’assurer leurs services professionnels pendant leur journée de travail dans le cadre de l’activité de prestation de service public de l’entreprise; v) les travailleurs n’ont pas donné de préavis concernant l’action qu’ils allaient mener; vi) le lieu de prestation des services est un port multimodal de service public dans lequel il existe divers risques professionnels et il est donc dangereux qu’un groupe de manifestants se trouve dans les zones opérationnelles, comme cela s’est produit au départ; et vii) l’entreprise a respecté la procédure adéquate, a conclu que les travailleurs avaient commis une faute grave et a effectivement procédé à la résiliation justifiée des contrats de travail des personnes ayant directement participé à ladite faute.
  9. 286. L’entreprise ajoute que: i) tous les travailleurs ont introduit des demandes de protection et, pour la totalité d’entre elles, les juges constitutionnels ont examiné le cas et conclu que la demande de protection n’était pas fondée; ii) actuellement, les dirigeants de l’organisation syndicale sont toujours liés et il appartiendra à la justice du travail ordinaire de décider s’il y a lieu ou non de lever l’immunité syndicale; iii) l’organisation syndicale a introduit une nouvelle demande de protection, en réponse à laquelle le juge de seconde instance a déclaré que «la cessation d’activité des travailleurs licenciés ne correspondait pas à l’exercice syndical, étant donné que leurs demandes et conflits collectifs faisaient l’objet de la procédure de convocation du tribunal arbitral, laquelle, il convient de le préciser, a été classée pour "défaut d’intérêt juridique à conclure la procédure", une décision qui a été notifiée le 7 décembre 2021» et que «[…] même après le licenciement des membres (notifié le 16 novembre 2021), le syndicat a continué de fonctionner normalement et a présenté un nouveau cahier de revendications, qui est actuellement en attente de résolution par le nouveau tribunal arbitral. Par conséquent, le licenciement des travailleurs en cause ne semble pas avoir mis en péril l’existence même de l’organisation»; et iv) la cessation illégale des activités s’est produite au moment même où il était prévu que se tienne l’audience de la procédure disciplinaire engagée par l’entreprise à l’encontre du dirigeant syndical M. Pablo King pour avoir envoyé à son adresse personnelle des informations appartenant à l’entreprise.
  10. 287. L’entreprise aborde ensuite la déclaration d’illégalité de la cessation d’activités de février 2021, en indiquant que la décision de première instance déclarant la légalité de la grève en cause ne répond pas à la totalité des arguments avancés par l’entreprise, en particulier en ce qui concerne les irrégularités qui ont entaché la procédure de vote de la grève.
  11. 288. L’entreprise fait ensuite référence à l’action menée le 31 janvier 2022 par des membres du syndicat et affirme que: i) les faits n’ont rien à voir avec le conflit collectif du travail relatif aux cahiers de revendications présentés et en attente de règlement par le tribunal arbitral; ii) certains dirigeants de l’organisation syndicale ont décidé de bloquer de manière arbitraire la voie d’accès aux installations de l’entreprise, en empêchant l’entrée des piétons et des véhicules, portant ainsi atteinte au droit au travail des personnes qui voulaient entrer dans les installations de l’entreprise et portant également atteinte au déroulement normal des activités et opérations de l’entreprise; et iii) l’application du paragraphe de l’article 140 du Code du travail aux dirigeants syndicaux (paiement du salaire avec suspension de l’activité) dans l’attente que la justice se prononce sur la levée de leur immunité n’empêche pas qu’ils puissent entrer en contact avec leurs affiliés par le biais des réseaux sociaux.
  12. 289. Quant au pacte collectif relatif aux conditions de travail conclu avec les travailleurs non syndiqués, l’entreprise fait valoir que: i) le pacte collectif est antérieur aux premières affiliations au syndicat, ce qui prouve qu’il ne s’agit pas d’un instrument antisyndical; ii) l’entreprise a toujours offert les mêmes conditions économiques aux travailleurs syndiqués et non syndiqués; et iii) de fait, comme cela a été dit lors de toutes les négociations depuis 2016, les offres économiques faites au syndicat sont égales et jamais inférieures aux avantages prévus par le pacte collectif. L’entreprise indique enfin qu’elle est toujours ouverte au dialogue social, comme l’a démontré sa proposition de prolonger la phase de règlement direct en mars 2022. En revanche, l’entreprise n’accepte pas de renoncer à faire appel à la justice pour que celle ci se prononce sur la légalité ou l’illégalité des cessations d’activités et d’autres actes arbitraires du syndicat.
  13. 290. Le gouvernement communique ensuite ses propres observations sur les allégations supplémentaires, en indiquant tout d’abord que, pour ce qui concerne la procédure de négociation collective, le tribunal arbitral est mis en place pour procéder à l’analyse du cahier de revendications et pouvoir rendre la sentence arbitrale correspondante. Le gouvernement ajoute que les demandes de protection introduites par plusieurs travailleurs licenciés pour leur participation à des cessations d’activités ont été déclarées infondées, étant donné que les tribunaux ont jugé qu’ils devaient s’adresser à la justice ordinaire pour régler le différend. Le gouvernement déclare que le syndicat ne produit toutefois aucune preuve qu’il a saisi cette instance au sujet des violations alléguées et n’a apporté aucune preuve convaincante que les contrats de travail ont été résiliés en raison de l’appartenance au syndicat. Le gouvernement déclare enfin que l’organisation syndicale n’apporte pas de preuves du refus allégué d’octroyer des congés syndicaux et de l’exclusion des travailleurs syndiqués des horaires donnant droit à des heures supplémentaires et à des primes.
  14. 291. Dans une communication du 5 septembre 2024, le gouvernement transmet des observations supplémentaires de l’entreprise, laquelle affirme que: i) depuis mars 2024, l’entreprise a été informée de l’affiliation de ses travailleurs à d’autres organisations syndicales, telles que l’ l’UNEPG et le Syndicat national des travailleurs de la branche des services de l’industrie du transport et de la logistique de Colombie (SNTT); ii) l’entreprise et l’organisation syndicale UNEPG ont réussi à établir de bonnes relations et, de ce fait, les parties ont signé une convention collective de travail le 15 juillet 2024; et iii) l’entreprise a alors invité le syndicat à conclure un accord étendant les améliorations convenues avec l’UNEPG ainsi que les accords prévus par le pacte collectif de travail. L’organisation syndicale n’a toutefois pas accepté cette offre.
  15. 292. En ce qui concerne la légalité de la cessation d’activités des travailleurs affiliés au syndicat le 5 novembre 2021, l’entreprise déclare que, le 12 avril 2024, le jugement de seconde instance a été rendu, rejetant ses arguments sur l’illégalité de ladite cessation. Toutefois, considérant que ce jugement viole les droits fondamentaux de l’entreprise, celle-ci a introduit une demande de protection dont l’examen n’est pas terminé et est donc en attente du jugement de seconde instance.
  16. 293. En ce qui concerne la procédure de négociation collective entre l’entreprise et le syndicat, l’entreprise indique que, au vu de l’absence d’accord entre les parties en février 2022, un tribunal arbitral a été constitué, qui a rendu une sentence arbitrale le 22 février 2023, laquelle a été contestée par l’organisation syndicale. La sentence arbitrale de juin 2018 s’applique donc toujours entre l’entreprise et le syndicat en attendant que la Cour suprême de justice statue sur le recours en annulation formé contre la sentence arbitrale du 22 février 2023.
  17. 294. L’entreprise fournit enfin des informations sur la demande de levée de l’immunité syndicale de huit dirigeants syndicaux qui avaient participé à la cessation d’activités du 5 novembre 2021. Sept de ces procédures se sont déjà conclues par un jugement définitif en seconde instance refusant l’autorisation de levée de l’immunité syndicale, raison pour laquelle ces travailleurs exercent toujours leurs fonctions au sein de l’entreprise, tandis que la décision judiciaire définitive est toujours attendue dans la huitième procédure.

C. Conclusions du comité

C. Conclusions du comité
  1. 295. Le comité observe que le présent cas concerne des allégations d’actes contraires à la liberté syndicale et au droit de négociation collective dans le cadre de la négociation d’une convention collective entamée en décembre 2020 entre le syndicat Union portuaire de Colombie et une entreprise du secteur. Le comité note que l’organisation plaignante allègue principalement que: i) le ministère du Travail a convoqué un tribunal arbitral de manière illégale et sans le consentement du syndicat en janvier 2021; ii) le ministère du Travail a validé un vote irrégulier des travailleurs non syndiqués sur la base duquel il a été mis fin au mouvement de grève entamé par le syndicat en février 2021; et iii) l’entreprise a commis une série d’actes antisyndicaux à l’encontre des dirigeants et des affiliés du syndicat après la fin de la grève. Le comité note également que, de leur côté, tant l’entreprise que le gouvernement affirment avoir agi dans le cadre de la légalité.
  2. 296. Sur la base des éléments communiqués par les parties, le comité comprend que le conflit collectif objet de la présente plainte s’est déroulé de la manière suivante: i) depuis 2018, une sentence arbitrale régit les conditions de travail des travailleurs affiliés au syndicat; ii) le 15 décembre 2020, le syndicat a soumis un cahier de revendications à l’entreprise; iii) la phase de règlement direct s’est achevée sans accord le 9 janvier 2021; iv) le 13 janvier 2021, l’entreprise a demandé au ministère du Travail de mettre en place un tribunal arbitral en vue d’un arbitrage obligatoire; v) le 20 janvier 2021, le syndicat a organisé un scrutin virtuel ouvert aux travailleurs syndiqués et non syndiqués de l’entreprise en vue de choisir entre la mise en place d’un tribunal arbitral et la grève; vi) sur la base des résultats du scrutin en faveur de la grève, le syndicat a décidé que la grève commencerait le 1er février 2021; vii) en raison d’une série de difficultés dans la définition du plan d’urgence, la grève a effectivement débuté le 5 février 2021; viii) le même jour, les travailleurs non syndiqués de l’entreprise ont organisé un nouveau scrutin pour déterminer s’il convenait ou non de mettre fin à la grève; ix) au vu des résultats du scrutin, les inspecteurs du travail nommés par la vice ministre chargée des relations de travail ont procédé à la levée de la grève le 13 février 2021; x) le 29 novembre 2021, le ministère du Travail a classé la demande d’établissement d’un tribunal arbitral déposée le 13 janvier 2021 par l’entreprise; xi) le syndicat a présenté un nouveau cahier de revendications en janvier 2022, la phase de règlement direct s’achevant sans accord le 9 février 2022; xii) à la demande du syndicat, un tribunal arbitral a été mis en place le 25 juillet 2022; et xiii) la sentence arbitrale rendue par le tribunal le 22 février 2023 a été contestée par le syndicat devant la Cour suprême de justice. Le comité observe en outre que: i) le 7 avril 2022, le Tribunal supérieur de justice de Bucaramanga a rejeté la demande de déclaration d’illégalité de la grève introduite par l’entreprise, une décision confirmée par la Chambre du travail de la Cour suprême par arrêt du 13 mars 2024; et ii) dans les deux affaires, les tribunaux se sont déclarés incompétents pour statuer sur la demande reconventionnelle du syndicat visant à déclarer l’irrégularité de la levée de la grève.
  3. 297. En ce qui concerne la convocation prétendument illégale d’un tribunal arbitral contraire à la liberté syndicale et au droit de grève par le ministère du Travail en janvier 2021, le comité note que les organisations plaignantes allèguent que: i) l’entreprise portuaire a refusé de négocier de bonne foi le cahier de revendications présenté par le syndicat le 20 décembre 2020, la phase de règlement direct s’achevant sans accord le 9 janvier 2021; ii) conformément aux dispositions de l’article 444 du Code du travail, le syndicat minoritaire dans l’entreprise s’est préparé à inviter tous les travailleurs de l’entreprise, syndiqués et non syndiqués, à voter pour décider si le conflit collectif serait réglé par un arbitrage ou par le déclenchement d’une grève; iii) sur la base d’une demande de l’entreprise du 13 janvier 2021, le ministère du Travail a envoyé au syndicat une demande d’informations afin de mettre en place un tribunal arbitral en vue d’un arbitrage obligatoire, malgré le fait que les conditions légales pour ce faire n’étaient pas remplies. Le comité note également que l’entreprise affirme avoir demandé de bonne foi la constitution d’un tribunal arbitral étant donné que le syndicat lui même avait indiqué sur les réseaux sociaux que l’entreprise assurait un service public essentiel, mais que le ministère du Travail n’a jamais constitué ledit tribunal; et iv) le gouvernement déclare que, en réponse à la demande de l’entreprise, le ministère du Travail s’est contenté de demander au syndicat une série de documents en vue d’établir la viabilité de la convocation dudit tribunal, mais que les conditions nécessaires ne semblaient pas réunies, raison pour laquelle le ministère a décidé de ne pas accueillir la demande de l’entreprise (décision du 29 novembre 2021).
  4. 298. Le comité prend bonne note de ces différents éléments et, en particulier, de la décision susvisée du ministère du Travail de classer la demande de l’entreprise. Le comité observe également que la demande de l’entreprise du 13 janvier 2021 visant à la constitution d’un tribunal arbitral n’a pas empêché l’organisation et la conduite d’un mouvement de grève par le syndicat quelques jours plus tard, le ministère du Travail s’étant assuré du respect des différentes étapes que prévoit la législation à cet égard. Compte tenu de ce qui précède, le comité ne poursuivra pas l’examen de cette allégation.
  5. 299. En ce qui concerne la décision du ministère du Travail de considérer terminé le 13 février 2021 le mouvement de grève lancé par le syndicat sur la base d’un vote des travailleurs non syndiqués de l’entreprise, le comité note que, les organisations plaignantes allèguent tout d’abord que, ce scrutin était entaché d’irrégularités, étant donné que: i) elles n’ont été informées par courrier électronique de ce scrutin, qui s’est déroulé le 5 février 2021 avec l’appui logistique de l’entreprise, que quatorze heures à peine avant sa tenue, sans que le syndicat ne soit invité à y prendre part; ii) le scrutin n’a fait l’objet d’aucune contrôle ou surveillance par le ministère du Travail, mais a uniquement été contrôlé par un notaire; iii) les questions de la consultation étaient équivoques et faisaient référence à «la suspension des activités avec fermeture définitive de l’opération»; et iv) le scrutin incluait un groupe de 42 travailleurs de la ville de Barranquilla, dont l’existence n’était connue ni du syndicat ni de l’inspection du travail, en dépit des demandes répétées du syndicat de disposer d’une liste complète des travailleurs. Les organisations plaignantes allèguent en outre que la Direction territoriale de Barrancabermeja et de Bucaramanga du ministère du Travail a refusé de considérer que la grève était terminée en raison du comportement totalement arbitraire de l’entreprise et que, exerçant son droit préférentiel, la vice-ministre du Travail s’est directement rendue à Barrancabermeja, accompagnée d’inspecteurs du travail de Bogotá, pour ôter les scellés et lever la grève.
  6. 300. Le comité note que l’entreprise déclare de son côté que: i) l’initiative des travailleurs non syndiqués était une réaction aux irrégularités de la procédure de vote organisée par le syndicat; ii) l’entreprise a effectivement mis à disposition des moyens de transport, tout comme le syndicat l’avait fait lors d’occasions précédentes; iii) la législation n’impose pas la présence du ministère du Travail pour les votes, mais elle comprend que les travailleurs non syndiqués avaient invité les inspecteurs du travail; et iv) des travailleurs de Barranquilla ont effectivement pris part au scrutin, ce qui est parfaitement légitime, étant donné que ces travailleurs étaient inclus dans les 181 travailleurs certifiés par l’entreprise. Le comité note également que le gouvernement déclare que: i) la levée de la grève par le ministère du Travail, fondée sur le vote majoritaire des travailleurs de l’entreprise, a été effectuée conformément aux prescriptions légales; et ii) la désignation par la vice-ministre chargée des relations de travail d’un inspecteur du travail extérieur au bureau de Barrancabermeja était également légale et non arbitraire, elle constituait une réponse à un conflit présumé entre le directeur du Bureau spécial de Barrancabermeja et des représentants de l’entreprise et a permis d’accélérer le début du mouvement de grève le 5 février 2021 et sa levée le 13 février.
  7. 301. Le comité prend bonne note des éléments communiqués par les parties et de leurs positions divergentes sur la régularité et la légitimité du vote des travailleurs non syndiqués du 5 février 2021. Le comité relève que les principaux points de désaccord portent sur: i) l’appui logistique de l’entreprise au scrutin et la non-implication du syndicat dans son organisation; ii) la participation de 42 travailleurs de Barranquilla dont le syndicat n’aurait pas eu connaissance; iii) le type de questions posées aux travailleurs lors du scrutin; et iv) l’absence de contrôle du scrutin par le ministère du Travail.
  8. 302. Sur la base des éléments et annexes transmis par les parties, le comité observe également que, pour contester la légalité de la levée de la grève, le syndicat a introduit un recours en amparo devant la justice constitutionnelle et une demande reconventionnelle dans le cadre de l’action judiciaire engagée par l’entreprise en vue de faire constater l’illégalité de la grève. Le comité relève que, dans les deux cas, les tribunaux se sont déclarés incompétents pour statuer sur la légalité de la procédure de levée de la grève et qu’il ne dispose pas d’informations sur l’éventuel renvoi de la cause aux juridictions du contentieux administratif. Compte tenu de ce qui précède, tout en soulignant l’importance de l’existence de procédures judiciaires rapides pour déterminer la légalité des actions prises et des actes administratifs adoptés dans le cadre de conflits collectifs du travail, le comité demande aux organisations plaignantes de lui communiquer des informations sur tout autre recours judiciaire engagé concernant la régularité de la levée de la grève.
  9. 303. En ce qui concerne le contexte des négociations au sein de l’entreprise, le comité rappelle que la recommandation (nº 91) sur les conventions collectives, 1951, donne la préférence, en ce qui concerne l’une des parties aux négociations collectives, aux organisations de travailleurs et ne mentionne les représentants des travailleurs non organisés qu’en cas d’absence de telles organisations. Dans ces circonstances, la négociation directe entre l’entreprise et ses travailleurs, au détriment des organisations représentatives lorsqu’elles existent, peut dans certains cas aller à l’encontre du principe selon lequel il convient de promouvoir et de favoriser la négociation collective entre employeurs et organisations de travailleurs. [Voir Compilation des décisions du Comité de la liberté syndicale, sixième édition, 2018, paragr. 1343.]
  10. 304. Quant aux actes antisyndicaux allégués à l’égard des dirigeants et des membres du syndicat après la fin de la grève, le comité note que, les organisations plaignantes allèguent que: i) à la suite d’une assemblée permanente menée pacifiquement le 5 novembre 2021 par des travailleurs après la fin de leur service, l’entreprise a licencié 9 travailleurs et demandé la levée judiciaire de l’immunité syndicale de 8 dirigeants, dont le secrétaire général de la sous-direction du syndicat; ii) par la suite, l’entreprise a interdit l’entrée du terminal à tous les dirigeants syndicaux; iii) ces faits ont donné lieu à l’ouverture d’une procédure de sanction administrative de l’inspection du travail à l’encontre de l’entreprise (notification du 16 mai 2022); iv) 9 travailleurs membres du syndicat ont fait l’objet d’une procédure disciplinaire discriminatoire en raison de leur participation pacifique, le 31 janvier 2022, à une réunion d’information à l’entrée du terminal, laquelle s’est achevée par l’imposition de sanctions disciplinaires allant jusqu’à deux mois de suspension de leur contrat de travail; v) le 1er juillet 2021, l’entreprise a signé un pacte collectif de travail avec des travailleurs non syndiqués, ce qui constitue un acte antisyndical visant à décourager l’affiliation au syndicat, auquel s’ajoute le fait que ledit pacte contient des articles ouvertement antisyndicaux; et vi) l’entreprise refuse les congés syndicaux demandés par le syndicat et exclut également les travailleurs syndiqués des horaires donnant droit à des heures supplémentaires et à des primes.
  11. 305. Le comité note que, de son côté, l’entreprise affirme que: i) l’assemblée permanente du 16 novembre 2021 était une cessation d’activités, qui a eu lieu sans préavis pendant les heures de travail, ce qui a affecté la prestation de service public de l’entreprise et généré des risques professionnels; ii) le licenciement des travailleurs était conforme à la procédure; iii) toutes les demandes de protection introduites par les travailleurs licenciés ont été déclarées infondées par des juges constitutionnels; iv) la «réunion d’information» du 22 février 2022 a empêché l’entrée des piétons et des véhicules et perturbé le déroulement normal des travaux et des opérations de l’entreprise; v) le paiement du salaire avec suspension des tâches des dirigeants syndicaux (article 140 du Code du travail) dans l’attente de décisions judiciaires ne les a pas empêchés d’exercer leurs tâches de représentation de façon virtuelle; et vi) le pacte collectif, qui est antérieur aux premières affiliations au syndicat n’est pas un instrument antisyndical, l’entreprise a toujours offert les mêmes conditions économiques aux travailleurs syndiqués et non syndiqués et les offres économiques destinées au syndicat ont toujours été égales, et jamais inférieures, aux avantages prévus par le pacte collectif. Le comité note également que, dans une communication ultérieure, l’entreprise déclare que, sur les 8 demandes de lever l’immunité syndicale afin de pouvoir licencier des dirigeants syndicaux, 7 ont été rejetées en dernier recours par les juridictions de seconde instance, la décision définitive concernant la dernière demande étant toujours pendante, et que tous les dirigeants concernés continuent de travailler dans l’entreprise. Le comité note également que, de son côté, le gouvernement ajoute que, l’organisation syndicale n’apporte pas de preuve du refus allégué d’octroyer des congés syndicaux et de l’exclusion des travailleurs syndiqués aux horaires donnant droit à des heures supplémentaires et à des primes.
  12. 306. Le comité note les positions divergentes des parties sur les deux actions syndicales de novembre 2021 et de février 2022 et sur le caractère justifié ou non des licenciements et des sanctions disciplinaires adoptées par l’entreprise à la suite de ces actions. Le comité observe à cet égard que les parties font référence à une série de recours administratifs et judiciaires engagés par les travailleurs et à leurs résultats provisoires ou définitifs. Le comité relève en particulier que les recours en amparo constitutionnel introduits par les travailleurs licenciés ont été déclarés infondés, essentiellement au motif que les tribunaux ont considéré que les licenciements ne mettaient pas en péril l’existence du syndicat et, partant, devaient être examinés par des juridictions ordinaires, tandis que 7 des 8 demandes d’autorisation judiciaire de licencier les dirigeants syndicaux ont été rejetées de manière définitive, la dernière étant en attente d’une décision définitive.
  13. 307. Compte tenu de ce qui précède, le comité prie le gouvernement et les organisations plaignantes de le tenir informé des résultats: des éventuels recours judiciaires ordinaires formés devant les tribunaux du travail par les travailleurs licenciés et ceux faisant l’objet d’autres sanctions disciplinaires; de la procédure de sanction administrative engagée par l’inspection du travail le 16 mai 2022 et de la demande d’autorisation judiciaire de levée de l’immunité syndicale du huitième dirigeant syndical.
  14. 308. S’agissant de l’impossibilité alléguée faite aux dirigeants syndicaux visés par l’application de l’article 140 du Code du travail (paiement du salaire sans devoir assurer ses fonctions par décision de l’employeur) d’exercer leurs fonctions de représentation, le comité estime que, lorsqu’une réunion est organisée avec des membres d’un syndicat, les représentants de ce syndicat devraient avoir accès au lieu de travail pour participer à cette réunion, afin de pouvoir accomplir leurs fonctions de représentation. [Voir Compilation, paragr. 1592.] Compte tenu de ce qui précède, le comité souligne que les possibilités de communication virtuelle à des fins de représentation ne peuvent entièrement remplacer l’accès aux lieux de travail. Observant toutefois que les représentants syndicaux visés par une demande d’autorisation judiciaire de levée de leur immunité ont repris leurs fonctions au sein de l’entreprise, le comité ne poursuivra pas l’examen de cette allégation.
  15. 309. En ce qui concerne le caractère antisyndical allégué du pacte collectif signé le 1er juillet 2021 par l’entreprise et des travailleurs non syndiqués, le comité rappelle qu’il a examiné à maintes reprises [voir en particulier les cas nos 1973, 2046, 2068, 2355, 2362, 2493, 2796, 2801, 2877 et 3150] le caractère antisyndical allégué des pactes collectifs que, selon l’article 481 du Code du travail, un employeur peut conclure avec les travailleurs non syndiqués de son entreprise quand moins du tiers de son personnel est affilié à des organisations syndicales. Prenant note tout à la fois du fait que l’entreprise précise que l’existence du pacte collectif est antérieure aux premières affiliations syndicales au sein de l’entreprise et que les organisations plaignantes font référence à la signature d’un nouveau pacte collectif le 1er juillet 2021, le comité rappelle qu’il a estimé que le gouvernement doit garantir que la signature de pactes collectifs directement avec les employés ne soit possible qu’en l’absence d’un syndicat et que les pactes collectifs ne soient pas utilisés en pratique à des fins antisyndicales. [Voir les cas no 2796, 368e et 362e rapports, et no 3150, 387e rapport, paragr. 336.] Compte tenu de ce qui précède, le comité renvoie l’aspect législatif de ce cas à la Commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations.
  16. 310. En ce qui concerne les informations spécifiques fournies par les parties dans le cadre du présent cas, le comité prend note en particulier de l’indication de l’entreprise selon laquelle les conditions économiques des travailleurs syndiqués et non syndiqués ont toujours été identiques et que, dans le cadre des négociations avec le syndicat, les offres économiques de l’entreprise ont toujours été égales aux avantages prévus par le pacte collectif.
  17. 311. Le comité relève que, si les conversations entre l’entreprise et les organisations syndicales se limitaient à reprendre les conditions déjà convenues avec les travailleurs non syndiqués sans réelle marge de négociation, cette situation mettrait en péril la raison d’être du processus de négociation collective et, en fin de compte, de l’affiliation à un syndicat. Le comité rappelle que, à cet égard, des mesures devraient être prises pour encourager et promouvoir le développement et l’utilisation les plus larges de procédures de négociation volontaire de conventions collectives entre les employeurs et les organisations d’employeurs, d’une part, et les organisations de travailleurs, d’autre part, en vue de régler par ce moyen les conditions d’emploi. [Voir Compilation, paragr. 1231.] Sur cette base, le comité prie le gouvernement de prendre toutes les mesures nécessaires pour encourager et promouvoir le plein développement et l’utilisation de la négociation volontaire entre l’entreprise et les différentes organisations syndicales, y compris l’Union portuaire de Colombie, et pour que l’existence d’un pacte collectif avec les travailleurs non syndiqués ne porte pas atteinte aux procédures de négociation collective. Le comité prie le gouvernement de le tenir informé à cet égard.
  18. 312. Enfin, au vu de l’absence de précisions quant au refus allégué de congés syndicaux et l’exclusion des travailleurs syndiqués de l’accès aux primes et aux heures supplémentaires, le comité ne poursuivra pas l’examen de ces allégations.

Recommandations du comité

Recommandations du comité
  1. 313. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d’administration à approuver les recommandations suivantes:
    • a) Tout en soulignant l’importance de l’existence de procédures judiciaires flexibles pour déterminer la légalité des mesures prises et des actes administratifs adoptés dans le cadre de conflits collectifs du travail, le comité prie les organisations plaignantes de lui communiquer des informations sur tout autre recours judiciaire engagé concernant la régularité de la levée de la grève.
    • b) Le comité prie le gouvernement et les organisations plaignantes de le tenir informé des résultats: des éventuels recours judiciaires ordinaires formés devant les tribunaux du travail par les travailleurs licenciés et ceux faisant l’objet d’autres sanctions disciplinaires, de la procédure de sanction administrative engagée par l’inspection du travail le 16 mai 2022 et de la demande d’autorisation judiciaire de levée de l’immunité syndicale du huitième dirigeant syndical.
    • c) Le comité rappelle sa recommandation antérieure sur la révision de l’article 481 du Code du travail relatif à la conclusion de pactes collectifs [voir les cas no 2796, 368e et 362e rapports, et no 3150, 387e rapport, paragr. 336] et renvoie l’examen de l’aspect législatif de ce cas au CEACR.
    • d) Le comité prie le gouvernement de prendre toutes les mesures nécessaires pour encourager et promouvoir le plein développement et l’utilisation de la négociation volontaire entre l’entreprise et les différentes organisations syndicales, y compris l’Union portuaire de Colombie, et pour que l’existence d’un pacte collectif avec les travailleurs non syndiqués ne porte pas atteinte aux procédures de négociation collective. Le comité demande au gouvernement de le tenir informé à cet égard.
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