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RECLAMATION (article 24) - PEROU - C169 - 1998

Confédération générale des travailleurs du Pérou (CGTP)

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Rapport du comité chargé d'examiner la réclamation alléguant l'inexécution par le Pérou de la convention (n° 169) relative aux peuples indigènes et tribaux, 1989, présentée en vertu de l'article 24 de la Constitution de l'OIT par la Confédération générale des travailleurs du Pérou (CGTP)

Rapport du comité chargé d'examiner la réclamation alléguant l'inexécution par le Pérou de la convention (n° 169) relative aux peuples indigènes et tribaux, 1989, présentée en vertu de l'article 24 de la Constitution de l'OIT par la Confédération générale des travailleurs du Pérou (CGTP)

Decision

Decision
  1. Le Conseil d'administration a adopté le rapport du comité tripartite. Procédure close.

La procédure de plainte

La procédure de plainte
  1. I. Introduction
  2. 1. Par lettre datée du 17 juillet 1997, la Confédération générale des travailleurs du Pérou (CGTP), invoquant l'article 24 de la Constitution de l'Organisation internationale du Travail, a adressé au Bureau international du Travail une réclamation alléguant que le gouvernement du Pérou n'a pas pris les mesures voulues pour donner effet à la convention (no 169) relative aux peuples indigènes et tribaux, 1989.
  3. 2. La convention (no 169) relative aux peuples indigènes et tribaux, 1989, a été ratifiée par le Pérou le 2 février 1994 et elle est en vigueur pour ce pays.
  4. 3. Les dispositions de la Constitution de l'Organisation internationale du Travail relatives à la présentation des réclamations sont les suivantes:
  5. Article 24
  6. Toute réclamation adressée au Bureau international du Travail par une organisation professionnelle des travailleurs ou des employeurs, et aux termes de laquelle l'un quelconque des Membres n'aurait pas assuré d'une manière satisfaisante l'exécution d'une convention à laquelle ledit Membre a adhéré, pourra être transmise par le Conseil d'administration au gouvernement mis en cause et ce gouvernement pourra être invité à faire sur la matière telle déclaration qu'il jugera convenable.
  7. Article 25
  8. Si aucune déclaration n'est reçue du gouvernement mis en cause dans un délai raisonnable, ou si la déclaration ne paraît pas satisfaisante au Conseil d'administration, ce dernier aura le droit de rendre publique la réclamation reçue et, le cas échéant, la réponse faite.
  9. 4. La procédure à suivre en cas de réclamation est régie par le Règlement relatif à la procédure à suivre pour l'examen des réclamations au titre des articles 24 et 25 de la Constitution de l'Organisation internationale du Travail, tel qu'il a été révisé par le Conseil d'administration à sa 212e session (mars 1980).
  10. 5. Conformément aux articles 1 et 2, paragraphe 1, de ce Règlement, le Directeur général a accusé réception de la réclamation, l'a communiquée au gouvernement du Pérou et l'a transmise au bureau du Conseil d'administration.
  11. 6. A sa 270e session (novembre 1997), le Conseil d'administration, sur recommandation de son bureau, a déclaré la réclamation recevable. Il a désigné le comité chargé de l'examen de la réclamation, composé de M. Sergio Díaz Infante (membre gouvernemental, Mexique), de M. Francisco Díaz Garaycoa (membre employeur, Equateur) et de Mme María Rozas Velásquez (membre travailleur, Chili).
  12. 7. En vertu des dispositions figurant aux alinéas a) et c) du paragraphe 1 de l'article 4 du Règlement, le comité a invité le gouvernement à soumettre ses observations sur la réclamation et a demandé à l'organisation auteur de la réclamation de fournir tous les renseignements complémentaires qu'elle désirait communiquer au comité.
  13. 8. Par lettre datée du 17 février 1998, le gouvernement a envoyé ses commentaires.
  14. II. Examen de la réclamation
  15. A. Allégations présentées par la Confédération générale des travailleurs du Pérou (CGTP)
  16. 9. La communication de la CGTP indique que, bien que le gouvernement ait ratifié la convention no 169, le Congrès de la République a approuvé le 9 juillet 1997 la loi sur l'attribution de titres relatifs aux terres des communautés paysannes de la Côte et que le Président du Pérou l'a promulguée le 26 juillet 1997 (loi no 26845). Les requérants allèguent que cette loi viole l'esprit et la lettre de la convention no 169 et les normes qui lui servent de fondement, notamment celles qui figurent dans la Constitution du Pérou, dans la loi générale no 24656 relative aux communautés paysannes, dans la loi no 24657 sur la délimitation et l'attribution des titres des domaines des communautés paysannes, ainsi que d'autres dispositions adoptées conformément à la convention no 169. Par ailleurs, les requérants considèrent que la loi (no 26505) relative aux terres, 19 juillet 1995, et son règlement d'application violent aussi la convention no 169.
  17. 10. La CGTP fonde ses allégations sur les éléments suivants:
  18. Les communautés paysannes sont des organisations ancestrales dont l'origine remonte à la période pré-Inca. Elles se composent de familles qui occupent et contrôlent des territoires déterminés et qui sont alliées entre elles par des liens sociaux, économiques et culturels, qui trouvent leur expression dans la propriété communautaire de la terre, le travail communautaire, le développement d'activités multisectorielles, la solidarité, la réciprocité et l'entraide.
  19. La loi sur l'attribution de titres relatifs aux terres des communautés paysannes de la Côte s'applique à un secteur de la population rurale du pays et à la partie des communautés paysannes qui se trouvent dans la région de la Côte. Elle établit donc une discrimination à l'encontre d'autres personnes et organisations paysannes propriétaires de terres à la campagne (art. 1, 2, 3 et 9 de la loi). Elle est contraire à la convention aux termes de laquelle les peuples indigènes doivent jouir pleinement des droits de l'homme, sans entrave ni discrimination, du respect de leur intégrité, et bénéficier, sur un pied d'égalité, des droits et possibilités que la loi nationale accorde aux autres membres de la population. La loi no 26845 viole également l'autonomie des communautés paysannes de la Côte. En effet, l'article 5 de cette loi habilite une partie des membres de ces communautés qui possèdent des terres à disposer des terres du domaine communautaire, lequel appartient à tous les membres des communautés, que ceux-ci possèdent ou non des terres. La loi laisse ainsi de côté l'Assemblée générale de la communauté qui est l'organe suprême de décision et qui est reconnue par la loi no 24656 (art. 17) et par le Code civil (art. 138).
  20. En outre, divers articles de ladite loi, notamment les articles 6, 7, 9 et 10, non seulement violent l'autonomie des communautés paysannes de la Côte mais portent aussi atteinte, de manière flagrante, à l'organisation des terres de la communauté et de ses institutions en imposant la fragmentation des terres en propriétés individuelles au lieu d'encourager leur maintien dans le cadre de la propriété communautaire reconnue par l'article 88 de la Constitution et par la convention no 169.
  21. La loi no 26845 viole le droit de propriété des communautés paysannes de la Côte en créant des procédures qui vont à l'encontre de la loi no 24656 aux termes de laquelle les terres du domaine communautaire ne peuvent être cédées qu'avec l'accord des deux tiers au moins des membres qualifiés de la communauté, réunis en assemblée générale. Par ailleurs, la loi no 26845 crée un concept de «terres abandonnées» qui s'applique uniquement aux communautés paysannes de la Côte alors que la loi no 26505 dispose, en son article 5, que seules les terres qui ont été concédées par l'Etat et qui ne sont pas utilisées conformément aux conditions fixées par cette concession sont considérées comme abandonnées. Le fait que la loi no 26845 applique le concept d'abandon uniquement à des terres qui sont propriété des communautés et qui ne sont pas des terres concédées par l'Etat constitue une mesure arbitraire et un abus de droit et témoigne d'une volonté manifeste de détruire la propriété communautaire et, par conséquent, de supprimer la communauté.
  22. La loi no 26845 dénie aux communautés paysannes de la Côte le droit d'accéder à la justice ordinaire dans les mêmes conditions que les autres organisations du pays. Dans son article 16, la loi impose de recourir à un arbitrage pour la solution des litiges relatifs à la propriété des terres des communautés paysannes de la Côte. Aux termes de cet article, «les personnes qui ont été intégrées à la communauté paysanne de la Côte, les membres de la communauté qui possèdent des terres et les tiers doivent au préalable accepter, automatiquement et expressément, une convention d'arbitrage et la compétence de la juridiction d'arbitrage créée par la loi». La loi ne leur donne pas la possibilité de saisir les tribunaux ordinaires, comme peut le faire le reste de la population.
  23. Ce régime est arbitraire, abusif et coercitif et viole les droits garantis aux communautés paysannes par la Constitution, laquelle est conforme aux principes fondamentaux énoncés dans la convention no 169.
  24. La loi no 26845, qui a été approuvée par le Congrès, ouvre la voie à la destruction des communautés paysannes de la Côte en encourageant et en facilitant le morcellement de leurs terres par des intérêts privés. Il s'agit là d'une confiscation et d'une spoliation, sans aucun dédommagement de la communauté, en violation flagrante des principes les plus élémentaires que sont le respect des institutions et de la propriété. Cette loi menace donc l'existence même des communautés car, si elles viennent à perdre la terre qui est la base de leur économie et de leur existence, elles disparaîtront irrémédiablement. Au fond, cette loi vise à faire disparaître progressivement les communautés paysannes de la Côte.
  25. 11. Dans sa lettre, la CGTP déclare que la loi, en plus d'être inconstitutionnelle, viole l'essence même de la convention no 169 et va à l'encontre des notions fondamentales que sont le respect des peuples indigènes et leur association aux activités visant à protéger et à améliorer leur sort, en leur garantissant un développement autonome, et en respectant leur droit de disposer de leurs ressources naturelles, de préserver leur identité culturelle, leurs coutumes, leurs traditions et leurs institutions et de jouir des droits de l'homme et des libertés fondamentales sans discrimination et sur un pied d'égalité avec le reste de la population. Ainsi, la convention a été transgressée dans sa totalité, en raison de l'adoption, par le Congrès de la République, de la loi sur l'attribution de titres relatifs aux terres des communautés paysannes de la Côte.
  26. B. Réponse du gouvernement
  27. 12. Par lettre datée du 17 février 1998, le gouvernement répond à l'allégation de la CGTP selon laquelle la loi no 26845 sur l'attribution de titres relatifs aux terres des communautés paysannes de la Côte établit une discrimination à l'encontre d'autres personnes et organisations paysannes propriétaires de terres champêtres en se référant uniquement à un secteur de la population rurale du pays. Le gouvernement dévoile une des caractéristiques fondamentales de ces communautés qui les différencie des communautés paysannes de la Sierra et des communautés «Nativas». Selon le gouvernement, les terres des communautés paysannes de la Côte sont en grande majorité travaillées et divisées en parcelles individuelles depuis longtemps, contrôlées non seulement par les membres des communautés eux-mêmes, mais également par des tiers. Cela signifie que des personnes qui n'ont aucun lien avec la communauté exploitent des parcelles, avec le consentement de la communauté. Ces exploitants individuels, membres des communautés qui possèdent des terres et les tiers, ont demandé à l'Etat péruvien d'édicter des règles leur permettant de devenir propriétaires des terres qu'ils exploitent en toute légitimité. Cette requête avait pour objectif de consolider le droit patrimonial des demandeurs sur la zone sur laquelle ils exercent une possession ancestrale et de faciliter l'exploitation des parcelles, puisque le fait de détenir un titre de propriété leur ouvrirait l'accès à des avantages plus importants, comme par exemple l'obtention de crédits, la réalisation d'un autre type d'actes civils et commerciaux, à l'instar de tout propriétaire terrien.
  28. 13. C'est pour ces raisons que le gouvernement affirme que la loi no 26845 n'est pas discriminatoire et qu'elle a, au contraire, été adoptée en toute conformité avec la convention. La loi (no 26505) relative aux terres, en vigueur depuis 1995, prévoyait déjà des règles relatives au transfert de propriété des zones occupées par les membres des communautés qui possèdent des terres et les tiers. En ce qui concerne les premiers, le sous-alinéa a) de l'article 10 de la loi no 26505 dispose que les membres des communautés désirant acquérir la propriété des terres qu'ils possèdent depuis plus d'une année doivent obtenir le vote favorable d'au moins 50 pour cent des membres des communautés qui possèdent des terres depuis plus d'une année. En ce qui concerne les deuxièmes, les tiers, le sous-alinéa b) du même article dispose qu'ils doivent obtenir le vote favorable d'au moins 50 pour cent des membres présents à l'assemblée dûment constituée avec le quorum requis.
  29. 14. La lettre indique ensuite que ces normes n'ont pas pu être appliquées en pratique, en raison de l'étendue importante du territoire communautaire, combinée à la dispersion des membres de communautés qui possèdent des terres dans différents terrains annexes à des secteurs de la communauté, empêchant de réunir des assemblées et de répondre au désir des possesseurs de devenir propriétaires des terres qu'ils travaillent. C'est pourquoi la loi no 26845 assouplit simplement le processus d'attribution des titres pour les membres possesseurs et les tiers qui occupent des terres des communautés paysannes de la Côte, disposant que, pour les membres des communautés qui possèdent des terres depuis plus d'une année, l'accord des membres possesseurs n'est pas seulement exprimé lors de l'Assemblée générale de la communauté, mais également lors d'assemblées par terrains annexes ou secteurs, selon le lieu où se trouvent les membres des communautés qui possèdent des terres. En ce qui concerne les tiers possesseurs, la loi prévoit une procédure selon laquelle ils doivent tout d'abord faire appel aux responsables de la communauté afin que le transfert soit décidé en assemblée générale. Si cette procédure échoue, et dans ce cas seulement, le tiers possesseur peut avoir recours à la procédure d'abandon pour que le domaine lui soit attribué.
  30. 15. Le gouvernement affirme que la loi no 26845 ne porte pas atteinte au régime de propriété des terres des communautés paysannes de la Côte, étant donné que l'attribution de titres de propriété aux membres des communautés qui possèdent des terres et aux tiers pour les parcelles qu'ils exploitent était déjà prévue par la loi no 26505. Ainsi, la loi no 26845 contribue à la réalisation des objectifs fixés à l'article 2 de la convention, permettant aux membres des communautés paysannes de la Côte d'accéder à la propriété des parcelles qu'ils travaillent.
  31. 16. Le gouvernement fait référence à l'allégation selon laquelle la loi no 26845 viole l'autonomie des communautés paysannes de la Côte en habilitant une partie des membres des communautés qui possèdent des terres à disposer des terres du domaine communautaire, lequel appartient à tous les membres des communautés, que ceux-ci possèdent ou non des terres, en l'absence de toute consultation de l'Assemblée générale de la communauté, organe suprême de décision.
  32. 17. A cet égard, le gouvernement affirme que la loi no 26845 ne viole pas l'autonomie des communautés paysannes de la Côte en permettant aux membres des communautés qui possèdent des terres d'obtenir l'attribution de titres relatifs aux parcelles qu'ils exploitent, puisque ce ne sont pas des tiers mais des membres des communautés qui possèdent des terres qui en disposent eux-mêmes. En outre, le pouvoir de décision des membres possesseurs existait déjà dans la loi no 26505 relative aux terres et cela n'a donné lieu à aucune réclamation de la part d'organisations communautaires.
  33. 18. Le gouvernement indique ensuite qu'afin d'encourager l'activité agricole il s'efforce d'accorder la propriété des terres à ceux qui les possèdent et qui les travaillent effectivement, parce qu'il est vital pour ce groupe d'utiliser au maximum les faibles ressources dont il dispose pour faire progresser le secteur. Le gouvernement considère qu'il faut accorder la propriété des terres à ceux qui les travaillent réellement et qui demandent à avoir accès aux crédits et autres facilités indispensables au développement.
  34. 19. En ce qui concerne l'allégation selon laquelle la loi en question porte atteinte à l'organisation des terres de la communauté et de ses institutions en imposant la fragmentation des terres en propriétés individuelles au lieu d'encourager leur maintien dans le cadre de la propriété communautaire, le gouvernement affirme que la loi ne favorise et n'impose aucunement un quelconque morcellement des terres au lieu d'encourager leur maintien dans le cadre de la propriété communautaire. Au contraire, elle réglemente une situation qui existe depuis longtemps et qui résulte des communautés paysannes elles-mêmes. La fragmentation de la terre est une hypothèse qui ne pourrait se réaliser que sur décision des membres des communautés, s'ils préféraient travailler la terre dans un cadre individuel plutôt que communautaire. La loi ne fait que réglementer une réalité préexistante, se contentant de consolider une situation de fait, et répondant ainsi à la demande des membres possesseurs qui aspirent à être propriétaires des terres qu'ils exploitent individuellement. Il est donc inadéquat de parler de confiscation et de spoliation, d'autant plus que la loi n'habilite pas l'Etat à s'approprier une zone communautaire quelle qu'elle soit.
  35. 20. Les requérants soutiennent que la loi contestée viole le droit de propriété des communautés paysannes de la Côte en créant des procédures qui vont à l'encontre du droit de la communauté de disposer librement de ses terres avec l'accord des deux tiers au moins des membres qualifiés de la communauté, réunis en assemblée générale. A cet égard, le gouvernement indique que la loi ne viole pas le droit de propriété des communautés paysannes de la Côte, puisque les terres ne seront pas la propriété de tiers mais des membres de la communauté qui les possèdent, dans le pur respect des principes constitutionnels qui garantissent le droit de propriété de ces terres dans un cadre communautaire ou individuel. La loi prévoit qu'un tel régime sera adopté de manière démocratique par un vote favorable de la moitié des membres de la communauté qui possèdent des terres depuis au moins une année.
  36. 21. En ce qui concerne l'argument selon lequel le gouvernement crée un nouveau concept de terres abandonnées qui s'applique uniquement aux communautés paysannes de la Côte alors que la loi no 26505 prévoit ce concept dans son article 5, le gouvernement indique que le concept d'abandon concernant les terres des communautés paysannes de la Côte est régi par l'article 89 de la Constitution qui, traitant des communautés paysannes et indigènes, dispose que la propriété des terres est imprescriptible, sauf en cas d'abandon tel que prévu à l'article précédent. Selon l'article 88, la loi prévoit que les terres abandonnées passent sous le contrôle de l'Etat pour leur mise en vente, donc il est parfaitement possible de créer par voie législative un concept d'abandon pour les terres des communautés paysannes.
  37. 22. Le gouvernement indique ensuite qu'il convient de garder à l'esprit que le concept d'abandon des terres des communautés paysannes de la Côte n'est qu'un mécanisme permettant d'attribuer un titre de propriété à ceux qui exercent une possession paisible, publique et depuis au moins deux années. Cette hypothèse signifie que, pendant cette période, la communauté a utilisé ces terrains à des fins autres que l'activité agricole, sans tenter de remédier par la voie légale appropriée à la perte de la possession de la terre, au détriment évident de la communauté elle-même. Il est d'une importance vitale pour la relance du secteur agricole d'employer toutes les ressources disponibles, c'est-à-dire d'utiliser les terres en question pour l'agriculture, afin d'obtenir une meilleure productivité et de répondre aux besoins de la population et de la communauté elle-même.
  38. 23. A cet égard, il est prévu que les tiers qui possèdent des terres de manière précaire et les destinent à l'activité agricole, s'ils exercent une exploitation économique, publique, paisible et continue depuis au moins deux années à la date de présentation de la déclaration d'abandon, peuvent l'acquérir sous réserve d'avoir effectué cette modalité et chaque fois que, ayant offert d'acheter les terres, aucun accord n'a pu être trouvé avec la communauté.
  39. 24. Les requérants affirment également que la loi no 26845 sur l'attribution de titres relatifs aux terres des communautés paysannes de la Côte dénie à ces communautés le droit d'accéder à la justice ordinaire dans les mêmes conditions que les autres organisations du pays, puisqu'elle impose de recourir à une juridiction arbitrale pour la solution des litiges relatifs à la propriété des terres des communautés paysannes de la Côte. Le gouvernement précise que la création d'un système d'arbitrage obligatoire pour le règlement des conflits, les controverses, les déclarations, la détermination du droit le plus fort, etc. qui peuvent porter sur les terres des communautés paysannes de la Côte, est conforme à la Constitution du Pérou. En effet, l'article 139, paragraphe 1, autorise la création d'une juridiction d'arbitrage en tant que justice indépendante, comme cela existe déjà pour les conflits sociaux par exemple. De plus, il convient de souligner que ce système n'est pas applicable à tous les cas relatifs aux terres des communautés paysannes de la Côte, mais seulement aux affaires concernant les terres de la communauté qui entrent dans le champ du projet spécial d'attribution des titres relatifs aux terres et de cadastre rural.
  40. III. Conclusions du comité
  41. 25. Le comité note l'existence d'une situation particulière liée à la définition du concept d'indigène dans le pays, puisque différentes expressions s'appliquent aux populations indigènes en fonction du lieu géographique de leur localisation et de leur altitude. La loi contestée dans la présente réclamation se réfère expressément aux indigènes qui habitent dans la zone côtière selon les dispositions de l'article 3 de ladite loi: «font partie des communautés paysannes de la Côte celles dont les terres ou la majeure partie d'entre elles sont situées au versant de l'océan Pacifique, jusqu'à une altitude de deux mille (2000) mètres au-dessus du niveau de la mer». Le comité note également que le gouvernement indique que ces communautés paysannes de la Côte se distinguent des communautés paysannes de la Sierra et des communautés «Nativas» par le fait que la majeure partie de leurs terres sont travaillées en parcelles individuelles et exploitées par des tiers étrangers à la communauté.
  42. 26. Le comité comprend qu'il a été légiféré sur les différentes formes de transmission de la propriété communautaire à des possesseurs ou des tiers étrangers à la communauté. L'argument avancé est que, d'une part, une situation de fait est ainsi réglementée et, d'autre part, l'exploitation agricole est facilitée par la détention d'un titre de propriété. Le comité rappelle que l'article 13 de la convention prévoit qu'en appliquant les dispositions de cet instrument les gouvernements doivent respecter l'importance spéciale que revêt pour la culture et les valeurs spirituelles des peuples intéressés la relation qu'ils entretiennent avec les terres ou territoires, ou les deux, selon le cas, qu'ils occupent ou utilisent d'une autre manière, et en particulier les aspects collectifs de cette relation. Le comité note que, dans son article 1, la loi no 26845 reconnaît que l'octroi de titres de propriété et l'enregistrement des terres des communautés paysannes de la Côte et de leurs membres sont d'intérêt national. De plus, le comité note qu'il ne semble pas qu'une procédure de consultation ait été menée avec les peuples indigènes intéressés au sujet de leur capacité d'aliéner leurs terres en dehors de leur communauté, ainsi que le prévoit l'article 17, paragraphe 2, de la convention. L'expérience de l'OIT concernant les peuples indigènes et tribaux montre que, lorsque les terres qu'ils possèdent en commun sont divisées et attribuées à des individus ou à des tiers, l'exercice des droits des communautés indigènes tend à s'affaiblir et, d'une manière générale, elles finissent par perdre toutes leurs terres, ou une grande partie d'entre elles, ce qui entraîne une diminution générale des ressources dont disposent les peuples indigènes lorsqu'ils maintiennent leurs terres dans le cadre communautaire.
  43. 27. Il est allégué que la loi no 26845 viole l'autonomie des communautés paysannes de la Côte en habilitant, dans son article 5, une partie des membres des communautés qui possèdent des terres à disposer de celles du domaine communautaire, lequel appartient à tous les membres des communautés, que ceux-ci en possèdent ou non, laissant de côté l'Assemblée générale de la communauté qui est l'organe suprême de décision. A cet égard, le comité note que, selon le gouvernement, la loi en question ne viole pas l'autonomie de ces communautés en permettant à leurs membres qui possèdent des terres d'obtenir l'attribution de titres relatifs aux parcelles qu'ils exploitent, dans la mesure où ce ne sont pas des tiers, mais les membres des communautés qui possèdent des terres qui prennent la décision. De plus, le gouvernement indique que, pour encourager l'activité agricole, il est nécessaire d'octroyer des titres de propriété relatifs aux terres à ceux qui les possèdent et les travaillent réellement, afin de leur ouvrir l'accès aux crédits et autres ressources indispensables au développement.
  44. 28. Le comité note également que les requérants allèguent que certains articles de la loi contestée portent atteinte, de manière flagrante, à l'organisation des terres de la communauté et de ses institutions en imposant la fragmentation des terres en propriétés individuelles et que ladite loi crée un concept de «terres abandonnées» qui s'applique uniquement aux communautés paysannes de la Côte. Le comité note que le gouvernement affirme que le concept d'abandon, pour les terres des communautés paysannes de la Côte, est prévu à l'article 89 de la Constitution et qu'il s'agit d'un mécanisme permettant d'attribuer des titres à ceux qui exercent une possession paisible, publique et depuis au moins deux années, et n'ayant pas pour finalité d'intégrer les terres abandonnées au patrimoine de l'Etat. La fragmentation de la terre est une hypothèse qui ne pourrait se réaliser que sur décision des membres des communautés, s'ils préfèrent la travailler dans un cadre individuel plutôt que communautaire. Sur ce point, le comité rappelle qu'en vertu de l'article 17, paragraphe 2, de la convention chaque fois que les gouvernements envisagent d'adopter des mesures affectant la capacité des peuples indigènes ou tribaux d'aliéner ou de transmettre leurs droits sur leurs terres en dehors de leur communauté, ils doivent au préalable procéder à des consultations avec les peuples sur ces mesures. En l'espèce, le comité note que rien n'indique que des consultations ont été conduites avec les peuples intéressés sur les implications de ces mesures d'attribution de titres de propriété, comme le prévoit la convention.
  45. 29. En ce qui concerne l'allégation selon laquelle la loi no 26845 crée un système d'arbitrage obligatoire pour la propriété des communautés paysannes de la Côte, sans offrir la possibilité de recourir à la justice ordinaire à l'instar du reste de la population, le comité note que la création du système d'arbitrage obligatoire ne s'applique pas à tous les cas relatifs aux terres des communautés paysannes de la Côte, mais uniquement à ceux qui entrent dans le champ du projet spécial d'attribution des titres relatifs aux terres et de cadastre rural. Le comité rappelle qu'en vertu de l'article 2, paragraphe 2 a), de la convention les gouvernements doivent prendre des mesures visant à assurer que les membres des peuples indigènes et tribaux bénéficient, sur un pied d'égalité, des droits et possibilités que la législation nationale accorde aux autres membres de la population. A cet égard, le comité demande au gouvernement d'envisager la possibilité de proposer aux instances compétentes de modifier l'article 16 de la loi no 26845 qui établit la compétence exclusive de la juridiction d'arbitrage pour certaines matières énumérées audit article, et d'informer la commission d'experts si le recours obligatoire à la juridiction arbitrale prive les personnes concernées de l'accès à la justice ordinaire après épuisement de la procédure d'arbitrage.
  46. 30. Le comité estime qu'il n'appartient pas au Conseil d'administration de déterminer quelle forme de propriété, collective ou individuelle, est la mieux adaptée aux populations indigènes et tribales dans une situation donnée. La convention rappelle l'importance particulière que revêt pour les peuples indigènes la relation qu'ils entretiennent avec les terres ou territoires, et notamment les aspects collectifs de cette relation. De plus, le comité constate, de par son expérience acquise au regard de la convention et de celle qui l'a précédée, que la perte de terres communautaires porte souvent atteinte à la cohérence et à la viabilité des peuples concernés. C'est la raison pour laquelle, au cours des débats sur la convention, de nombreux délégués se sont prononcés en faveur de l'inaliénabilité des terres possédées par les indigènes, et notamment des terres communautaires. Dans une décision adoptée de justesse, la Commission de la Conférence a décidé que l'article 17 serait dicté par le raisonnement qui sous-tend d'autres parties de la convention, selon lequel les peuples indigènes et tribaux doivent décider eux-mêmes de leurs priorités en ce qui concerne le processus de développement (article 7), et chaque fois que l'on envisage des mesures législatives ou administratives susceptibles de les toucher, elles doivent être prises en accord avec les institutions représentatives des peuples intéressés (article 6).
  47. 31. En l'espèce, le gouvernement a, semble-t-il, décidé de privilégier la possession individuelle de la terre et, ce faisant, il a supprimé la possibilité d'une participation des institutions de la communauté au processus décisionnel, ce qui est contraire à la convention. Le comité note que, au dire du gouvernement, cette forme de possession individuelle de la terre est plus productive et que le gouvernement n'a fait que réglementer une pratique existante. Que cela soit conforme ou non aux désirs des peuples intéressés, le comité n'a trouvé aucune indication du fait que les peuples indigènes ont été consultés sur cette question comme le prescrit la convention.
  48. IV. Recommandations du comité
  49. 32. Le comité recommande au Conseil d'administration d'approuver le présent rapport et, compte tenu des conclusions figurant aux paragraphes 25 à 31 dudit rapport:
  50. a) de prier instamment le gouvernement de fournir, dans les rapports sur l'application de la convention qu'il lui incombe de présenter au titre de l'article 22 de la Constitution, des informations détaillées sur les mesures prises pour assurer l'application des dispositions de la convention mentionnées dans les paragraphes ci-dessus, afin que la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations puisse donner suite à ces questions;
  51. b) de rappeler au gouvernement l'importance spéciale que revêt pour la culture et les valeurs spirituelles des peuples intéressés la relation qu'ils entretiennent avec les terres ou territoires, ou les deux, selon le cas, qu'ils occupent ou utilisent d'une autre manière, et en particulier les aspects collectifs de cette relation, et que, lorsque les terres indigènes possédées en commun sont divisées et attribuées à des individus ou à des tiers, l'exercice des droits des communautés indigènes tend souvent à s'affaiblir et, d'une manière générale, elles risquent de finir par perdre toutes leurs terres, ou une grande partie d'entre elles, ce qui entraîne une diminution générale des ressources dont les peuples indigènes disposent lorsqu'ils maintiennent leurs terres dans le cadre communautaire;
  52. c) de rappeler au gouvernement que, du fait de l'importance que revêt la possession collective de la terre pour certains peuples indigènes, les décisions impliquant des mesures législatives ou administratives susceptibles d'affecter la possession des terres de ces peuples doivent être prises en accord avec les institutions représentatives des peuples intéressés, ainsi que le prévoit l'article 6 de la convention;
  53. d) de rappeler au gouvernement qu'en vertu de l'article 17, paragraphe 2, de la convention chaque fois que les gouvernements envisagent d'adopter des mesures affectant la capacité des peuples indigènes ou tribaux d'aliéner ou de transmettre leurs droits sur leurs terres en dehors de leur communauté, ils doivent au préalable procéder à des consultations avec ces peuples, et de le prier de faire savoir à la commission d'experts si des consultations sur les implications de ces mesures d'attribution de titres ont été menées avec les peuples intéressés, comme le prévoit la convention;
  54. e) de suggérer au gouvernement d'envisager la possibilité de proposer aux instances législatives compétentes de modifier la disposition contenue dans l'article 16 de la loi no 26845, qui établit la compétence exclusive de la juridiction arbitrale pour certaines matières énumérées dans ledit article, et de lui faire savoir si le recours obligatoire à la juridiction arbitrale prive les personnes concernées de l'accès à la justice ordinaire une fois cette procédure d'arbitrage épuisée, en lui rappelant qu'en vertu de l'article 2, paragraphe 2 a), de la convention les gouvernements doivent prendre des mesures visant à assurer que les membres des peuples indigènes et tribaux bénéficient, sur un pied d'égalité, des droits et possibilités que la législation nationale accorde aux autres membres de la population;
  55. f) de déclarer close la procédure engagée par la présentation de la réclamation.
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