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RECLAMATION (article 24) - DANEMARK - C169 - 2001

Confédération nationale des syndicats du Groenland (Sulinermik Inuussutissarsiuteqartut Kattuffiat - SIK)

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Rapport du comité chargé d'examiner la réclamation présentée par la Confédération nationale des syndicats du Groenland (Sulinermik Inuussutissarsiuteqartut Kattuffiat SIK), en vertu de l'article 24 de la Constitution de l'OIT et alléguant l'inexécution par le Danemark de la convention (no 169) relative aux peuples indigènes et tribaux, 1989

Rapport du comité chargé d'examiner la réclamation présentée par la Confédération nationale des syndicats du Groenland (Sulinermik Inuussutissarsiuteqartut Kattuffiat SIK), en vertu de l'article 24 de la Constitution de l'OIT et alléguant l'inexécution par le Danemark de la convention (no 169) relative aux peuples indigènes et tribaux, 1989

Decision

Decision
  1. Le Conseil d'Administration a adopté le rapport du comité tripartite. Procédure close.

La procédure de plainte

La procédure de plainte
  1. I. Introduction
  2. 1. Dans une communication datée du 17 novembre 1999, la Confédération nationale des syndicats du Groenland (SIK), invoquant l'article 24 de la Constitution de l'OIT, a présenté une réclamation alléguant que le gouvernement du Danemark n'a pas adopté des mesures satisfaisantes pour assurer l'application de la convention (no 169) relative aux peuples indigènes et tribaux, 1989.
  3. 2. Le Danemark a ratifié la convention no 169 le 22 février 1996; cette convention est en vigueur pour ce pays.
  4. 3. Les dispositions de la Constitution de l'Organisation internationale du Travail concernant la soumission des réclamations sont les suivantes:
  5. Article 24
  6. Réclamations au sujet de l'application d'une convention
  7. Toute réclamation adressée au Bureau international du Travail par une organisation professionnelle des travailleurs ou des employeurs, et aux termes de laquelle l'un quelconque des Membres n'aurait pas assuré d'une manière satisfaisante l'exécution d'une convention à laquelle ledit Membre a adhéré, pourra être transmise par le Conseil d'administration au gouvernement mis en cause et ce gouvernement pourra être invité à faire sur la matière telle déclaration qu'il jugera convenable.
  8. Article 25
  9. Possibilité de rendre la réclamation publique
  10. Si aucune déclaration n'est reçue du gouvernement mis en cause dans un délai raisonnable, ou si la déclaration reçue ne paraît pas satisfaisante au Conseil d'administration, ce dernier aura le droit de rendre publique la réclamation reçue et, le cas échéant, la réponse faite.
  11. 4. La procédure à suivre pour l'examen des réclamations est régie par le Règlement révisé adopté par le Conseil d'administration à sa 212e session (mars 1980) (Note 1). Conformément aux dispositions de l'article 1 et de l'article 2, paragraphe 1 du Règlement, le Directeur général a accusé réception de la réclamation et en a informé le gouvernement du Danemark par une lettre datée du 19 janvier 2000. Il a transmis la réclamation au bureau du Conseil d'administration.
  12. 5. A sa 277e session (mars 2000), le Conseil d'administration a décidé, sous recommandation de son bureau que la réclamation était recevable et il a chargé un comité composé de M. Henk Schrama (membre gouvernemental, Pays-Bas) comme Président, de M. Jorge de Regil (membre employeur, Mexique) et de M. Ulf Edström (membre travailleur, Suède), de l'examiner (Note 2).
  13. 6. Le comité a invité le gouvernement à faire une déclaration sur la réclamation avant le 18 septembre 2000. Le gouvernement a communiqué ses observations dans une lettre en date du 12 septembre 2000.
  14. 7. L'organisation plaignante a présenté des observations supplémentaires le 31 octobre 2000. Ces informations ont été transmises au gouvernement par une lettre en date du 27 novembre 2000. Le gouvernement a fait des commentaires sur les nouvelles observations dans une lettre en date du 5 février 2001.
  15. 8. Le comité s'est réuni lors de la 280e session du Conseil d'administration en mars 2001 pour examiner les informations présentées par les parties et adopter son rapport.
  16. II. Examen de la réclamation
  17. A. Allégations de l'organisation plaignante
  18. 9. La Confédération nationale des syndicats du Groenland (SIK) allègue que le Danemark n'a pas respecté les dispositions de l'article 14.2 de la convention (no 169) relative aux peuples indigènes et tribaux, 1989, qui dispose: «les gouvernements doivent en tant que de besoin prendre des mesures pour identifier les terres que les peuples intéressés occupent traditionnellement et pour garantir la protection effective de leurs droits de propriété et de possession». La réclamation fait suite au déplacement en mai 1953 de la population du village d'Uummannaq (district de Thulé) dans la partie nord-ouest du Groenland (Note 3).
  19. 10. La SIK avance que les autorités danoises ont demandé ce déplacement pour permettre l'extension de la zone située autour de la base aérienne de Thulé, construite en 1951 par les autorités militaires des Etats-Unis près du village d'Uummannaq. En mai 1953, toute la population d'Uummannaq a été déplacée à 150 kilomètres au nord pour permettre l'extension de la zone entourant la base aérienne. Selon la SIK, le déplacement a eu lieu sans consultation préalable, sans le consentement des populations concernées et en donnant un préavis de quelques jours seulement aux habitants d'Uummannaq.
  20. 11. La SIK indique que le village d'Uummannaq est situé dans une zone riche en mammifères marins, notamment narvals, mais aussi ours blancs et renards polaires. Selon la SIK, les établissements destinés aux personnes déplacées étaient loin des zones de chasse aux renards, phoques, morses et ours blancs, même s'il y avait en revanche beaucoup de narvals, ce qui permettait d'éviter la famine pour la grande majorité de la population.
  21. 12. La réclamation indique que, à la suite du déplacement, la population a déposé une demande d'indemnisation devant le Conseil des chasseurs en 1954. Selon la SIK, l'Administrateur colonial qui présidait le conseil n'a pas accordé une grande attention à cette requête. Par la suite, au milieu des années cinquante, les autorités danoises ont donné l'ordre d'incendier le village d'Uummannaq afin d'empêcher la population locale de réintégrer ses foyers. En 1959, la demande d'indemnisation a été soumise au ministère d'Etat, mais aucune réponse n'a été donnée.
  22. 13. Le 20 décembre 1996, l'Association «Thulé Tribe» de même qu'environ 600 personnes représentées par leur association, Hingitaq 53, ont déposé une plainte contre le gouvernement du Danemark auprès de la Haute Cour de la circonscription orientale de Copenhague. L'affaire concernait une demande d'indemnisation collective et individuelle pour les préjudices subis à la suite du déplacement de 1953 et la reconnaissance des droits des anciens habitants d'Uummannaq sur les terres. La Haute Cour de la circonscription orientale de Copenhague a rendu son jugement le 20 août 1999. Elle a estimé que le déplacement avait eu lieu sans consultation préalable, sans l'accord de la population et que les personnes concernées avaient reçu un préavis de quelques jours seulement. Elle a fait remarquer que le déplacement a eu lieu pendant les derniers jours du mois de mai 1953, que la population a dû camper dans des tentes pendant les premiers mois suivant le déplacement et que les maisons dans lesquelles elle devait emménager n'ont pas été prêtes avant le mois de septembre 1953. Après avoir examiné l'approche des autorités danoises, y compris l'absence de communication avec la population, la Cour a décrété que la population d'Uummannaq avait fait l'objet d'une injustice importante. Elle a accordé 500 000 couronnes danoises d'indemnisation collective pour la perte ou la diminution des droits de chasse et de piégeage. Elle a reconnu les 63 demandes individuelles pour préjudice lié à la manière dont la réinstallation a eu lieu et accordé 25 000 couronnes danoises à chaque plaignant âgé de 18 ans au moins au moment du déplacement et 15 000 couronnes danoises à chaque plaignant âgé de 4 à 18 ans à la même date. Il n'a pas été donné suite à la demande de droits sur les terres. En octobre 1999, les plaignants ont fait appel de cette décision devant la Cour suprême du royaume du Danemark. L'appel est en instance.
  23. 14. Lors du procès instruit par la Haute Cour de la circonscription orientale, le représentant légal de la tribu Thulé et des 610 personnes du district de Thulé dans la demande d'indemnisation adressée au ministère d'Etat danois a envoyé le 16 septembre 1997 une lettre demandant au ministère du Travail d'identifier les terres qui appartiennent historiquement à la tribu Thulé en invoquant l'article 14. 2 de la convention no 169 qui est entrée en vigueur au début de cette même année. Le 24 novembre 1998, le ministère du Travail a refusé de délimiter ces terres, se référant à la déclaration relative à l'article 14 faite par les autorités du Danemark et les autorités autonomes du Groenland lorsqu'elles ont ratifié la convention no 169, et qui stipule qu'il n'existe au Danemark qu'un seul peuple indigène les Inuits du Groenland et aucune propriété foncière privée.
  24. 15. Dans la réclamation, la SIK indique qu'aucune délimitation n'a eu lieu contrairement à ce qui avait été demandé. Elle souligne que, conformément à l'article 14.2 de la convention no 169, le gouvernement danois est tenu de prendre des mesures pour identifier les terres que les peuples intéressés occupent traditionnellement et garantir la protection effective de leurs droits de propriété. Elle déclare que le gouvernement danois ne peut invoquer la déclaration unilatérale qu'il a faite au moment de la ratification de la convention no 169 et que les remarques faites par le gouvernement dans ce texte ne correspondent pas au jugement de la Haute Cour de la circonscription orientale.
  25. B. Observations du gouvernement 16. Le gouvernement indique que la réclamation de la SIK soulève les mêmes questions que la plainte soumise par Hingitaq 53 au nom de la tribu Thulé et par environ 600 plaignants individuels. Pour le gouvernement, la réclamation présentée à la Haute Cour de la circonscription orientale demande au bureau du Premier ministre de reconnaître que les plaignants ont le droit de vivre dans le village d'Uummannaq du district de Thulé et d'en utiliser les ressources. La réclamation allègue également que les plaignants ont, pour tout le district, le droit d'accès, le droit d'occupation et le droit de chasse. Ils demandent une indemnisation liée à la perte des droits de chasse ainsi que pour les personnes concernées par le déplacement en 1953 de la population d'Uummannaq vers d'autres établissements au sein du district de Thulé.
  26. 17. Le gouvernement conteste les allégations de la SIK selon lesquelles les personnes déplacées risquaient la famine et selon lesquelles également les autorités danoises ont ordonné d'incendier le village d'Uummannaq pour empêcher la population locale de retourner dans ses maisons. Le gouvernement soutient que 30 familles ont été déplacées en 1953 et que ces familles ont disposé de nouveaux logements là où elles avaient elles- mêmes choisi de s'installer. Pour le gouvernement, les habitations que ces familles occupaient à Uummannaq étaient en bois et recouvertes de tourbe, donc impossibles à déplacer. A la suite de consultations entre le gouvernement et le musée national danois, certaines maisons ont été déplacées et les planches restantes ont été brûlées. Certaines ruines des maisons abandonnées ont été préservées.
  27. 18. Le gouvernement attire l'attention sur le fait qu'il a ratifié la convention no 169 le 22 février 1996 et que celle-ci n'est donc entrée en vigueur pour le Danemark que 12 mois plus tard, à savoir le 22 février 1997. Il se réfère à l'article 28 de la Convention de Vienne sur le droit des traités (Note 4) et indique que les dispositions de la convention no 169 ne sont pas applicables au Danemark concernant une situation antérieure à la date d'entrée en vigueur de la convention. Le gouvernement affirme que les engagements du Danemark au titre de la convention no 169 doivent être considérés sur la base des conditions légales et factuelles qui existaient au moment de l'entrée en vigueur de la convention ou qui ont par la suite évolué.
  28. 19. Le gouvernement estime également que le critère de recevabilité précisé à l'article 2, paragraphe 2 f), du Règlement n'est pas rempli. En effet, l'alinéa f) prévoit que la réclamation «doit indiquer sur quel point le Membre mis en cause n'aurait pas assuré, dans la limite de sa juridiction, l'application effective de ladite convention». Le gouvernement pose la question de savoir si la réclamation est admissible en vertu des règles générales du droit international, soulignant qu'elle tient à différentes interprétations d'une série d'évènements. Le gouvernement rappelle que la Cour suprême du Danemark est saisie de ce cas et fait remarquer que, tant que la Cour n'aura pas rendu son jugement, le fait que le gouvernement ne soit pas d'accord avec la version des faits de l'organisation plaignante ne peut pas être assimilé au fait qu'il n'assure pas «dans les limites de sa juridiction l'application effective de ladite convention».
  29. 20. En ce qui concerne la question de savoir si les personnes déplacées constituent un peuple au sens de l'article 1 de la convention, le gouvernement fait remarquer qu'il y a eu sept vagues d'immigration au Groenland depuis l'année 2500 avant J.-C. environ et que la population actuelle est composée de descendants des personnes ayant immigré au Groenland depuis ce qui est aujourd'hui le Canada environ 900 ans après J.-C. Selon le gouvernement, cette dernière vague d'immigration constitue ce qu'on appelle la culture Thulé. Le gouvernement déclare que si pendant certaines périodes il n'y a pas eu de communication entre le district de Thulé et d'autres régions du Groenland, les personnes résidant dans ce district sont néanmoins de la même origine que le reste de la population du Groenland. Il indique que tous les natifs du Groenland (Kalaalit) sont d'origine inuit venus au Groenland du Canada il y a plusieurs centaines d'années et que tous les Kalaalit parlent la même langue. A cet égard, le gouvernement se réfère à sa déclaration concernant la ratification de la convention no 169 relative aux peuples indigènes et tribaux dans les pays indépendants («la Déclaration»), signée par le gouvernement du Danemark et les autorités autonomes du Groenland le 5 janvier 1996 et le 10 janvier 1996 respectivement. Le paragraphe 1 de cette Déclaration est le suivant: Il n'existe qu'un peuple indigène au Danemark au sens de la convention no 169, à savoir la population originelle du Groenland, les Inuits.
  30. 21. Le gouvernement renvoie au jugement de la Cour suprême qui est le suivant: La population du district, au moment de l'établissement de la base aérienne de Thulé et du déplacement de population, peut être considérée comme un peuple au sens du concept présenté dans la convention de l'OIT, plus précisément article 1, paragraphe 1 a), de ladite convention.
  31. 22. Le gouvernement conteste la déclaration de la SIK selon laquelle la Haute Cour a estimé que «la population inuit de Thulé constitue un peuple au sens du droit international avec des droits au titre de la législation internationale et que, de ce fait, il n'y a pas seulement un peuple au Groenland comme cela est stipulé dans la déclaration (voir réclamation p. 5)». Le gouvernement indique que la Cour suprême ne s'est en fait pas prononcée sur la question de savoir si la population du district de Thulé peut aujourd'hui être considérée comme un peuple au sens de la convention no 169 et espère que cette question sera traitée par la Cour suprême du Danemark lorsqu'elle rendra sa décision en appel.
  32. 23. Le gouvernement fait observer que l'isolement du district de Thulé, ainsi que celui du Groenland oriental et d'autres établissements éloignés, était réel jusqu'à la fin de la seconde guerre mondiale; toutefois, les choses ont changé. Le gouvernement indique que Thulé fait maintenant partie intégrante du Groenland et que sa population ne se distingue en aucune manière du reste de la population du Groenland. Selon le gouvernement, la population du district de Thulé est régie par les mêmes lois et coutumes que le reste du Groenland et les habitants de ce district n'ont pas d'institutions sociale, économique, culturelle ou politique différentes de celles du reste de la population.
  33. 24. Le gouvernement indique que le Groenland et sa population ont traditionnellement été considérés comme un ensemble. Il note que la décision de la Cour internationale de justice du 5 avril 1933 dans le cas opposant le Danemark à la Norvège sur la situation juridique du Groenland oriental attachait de l'importance au fait que le Groenland devait être considéré comme une unité géographique. La Cour a reconnu la souveraineté du Danemark sur l'ensemble du Groenland et a noté que le Danemark avait publié des lois et réglementations régissant le Groenland dans son ensemble. Le 5 juin 1953, avec la révision de la Constitution danoise, la colonie du Groenland a été pleinement intégrée au royaume du Danemark. Selon le gouvernement, le Conseil des chasseurs de Thulé souhaitait faire partie de la structure municipale introduite dans le reste du Danemark par la loi no 271 du 27 mai 1950 de l'Assemblée du Groenland. Thulé est ensuite devenu une municipalité ordinaire du Groenland par un décret du 5 mai 1961, date à laquelle les pouvoirs du Conseil des chasseurs ont été transférés au conseil municipal élu par la population, alors que le Conseil des chasseurs a cessé d'exister. Le gouvernement note que l'Assemblée du Groenland a été dissoute en 1978 lorsque les autorités autonomes du Groenland ont été établies en vertu de la loi no 577 du 27 novembre 1978 sur l'autonomie du Groenland. La section 4(1) de ce texte de loi, qui est entré en vigueur le 1er mai 1979, prévoit que les autorités autonomes pourront décider que la compétence dans n'importe lequel des domaines énumérés dans l'annexe au texte de loi ou dans une partie de ce domaine pourra être transférée aux autorités autonomes. Depuis 1979, les autorités autonomes ont pris le contrôle de nombreux aspects de la vie au Groenland, y compris la réglementation des pêcheries et de la chasse.
  34. 25. En ce qui concerne la réclamation de la SIK concernant la délimitation des terres appartenant aux anciens habitants d'Uummannaq, le gouvernement indique que la tradition groenlandaise n'a jamais reconnu l'existence de zones réservées à certains groupes de population. Selon le paragraphe 3 de la déclaration du gouvernement en rapport avec la convention no 169, il n'a jamais été possible, ni pour des personnes physiques, ni pour des personnes morales, d'acquérir des droits de propriété sur des terres au Groenland. Le paragraphe 4 de la déclaration stipule que:
  35. les droits de propriété de terres au Groenland ont été organisés d'une manière très particulière, conformément à la tradition du Groenland. Les droits de propriété de jure et de facto sont répartis entre l'Etat, les autorités autonomes du Groenland et les individus. Le principe de base est que la propriété des terres du Groenland est confiée aux autorités publiques, à savoir l'Etat. Toutefois, le contrôle quotidien des terres est confié aux autorités autonomes du Groenland qui ont notamment le pouvoir de prendre des décisions sur l'octroi du droit d'utilisation de la terre. Les Groenlandais auxquels est accordé le droit d'utiliser les terres du Groenland ont le droit de construire des bâtiments sur les terrains qui leur sont attribués. Ces bâtiments peuvent être hypothéqués si nécessaire et peuvent également, avec l'autorisation des autorités autonomes, être confiés à d'autres personnes avec le droit d'utilisation de la terre sur laquelle ils sont bâtis.(...)
  36. La situation juridique décrite ci-dessus vaut pour tous les citoyens du Groenland, qu'il s'agisse de la population originelle ou des nouveaux venus. La situation telle que présentée remonte à une époque très lointaine et il n'a jamais été possible à des particuliers d'obtenir la pleine propriété de terres au Groenland. Cette situation tient donc à la tradition et à des racines historiques profondément ancrées dans la société groenlandaise, racines auxquelles les autorités autonomes accordent une très grande importance.
  37. 26. Dans sa réponse à la réclamation, le gouvernement souligne également que les personnes qui ont une résidence permanente au Groenland ou un certain attachement à la société groenlandaise peuvent se déplacer librement sur le territoire du Groenland et y mener des activités de chasse et de pêche (Note 5). Le gouvernement indique également que la population de Thulé n'a jamais disposé d'un droit exclusif de pêche ou de chasse dans le district de Thulé, mais que tous les Groenlandais ont le droit de s'installer et de mener des activités de chasse et de pêche sur tout le territoire du Groenland. En outre, en leur qualité de citoyens danois, ils ont également le droit de s'installer au Danemark. Pour le gouvernement, dans le cas soumis à la Cour suprême, beaucoup des plaignants vivent en fait au Danemark et non au Groenland.
  38. III. Conclusions du comité
  39. 27. La présente réclamation porte sur des allégations selon lesquelles le gouvernement du Danemark n'a pas respecté les dispositions de la convention no 169 en rapport avec le déplacement en mai 1953 de la population inuit vivant dans le village d'Uummannaq du district de Thulé dans la partie nord du Groenland. Le comité note que la déclaration déposée avec la ratification reflète le point de vue du gouvernement au moment où il a ratifié la convention. Il rappelle qu'aucune réserve ne peut accompagner la ratification des conventions de l'OIT et que, de ce fait, la déclaration du gouvernement n'a pas force obligatoire.
  40. 28. Le comité examine d'abord la déclaration du gouvernement selon laquelle la convention ne s'applique pas aux faits allégués dans la réclamation du fait que la convention no 169 n'est pas entrée en vigueur pour le Danemark avant le 22 février 1997; le gouvernement a cité à cet égard l'article 28 de la Convention de Vienne sur le droit des traités.
  41. 29. Le comité fait remarquer que le déplacement de la population du village d'Uummannaq qui constitue le principal chef d'accusation dans cette réclamation a eu lieu en 1953. Il prend également note du fait que la convention n'est entrée en vigueur pour le Danemark que le 22 février 1997. Le comité estime que les dispositions de la convention ne peuvent être appliquées de manière rétroactive, notamment en ce qui concerne les questions de procédure, comme la question de savoir si des consultations appropriées ont eu lieu en 1953 avec les peuples concernés. Toutefois, le comité note que les effets du déplacement de 1953 se font encore sentir aujourd'hui puisque les personnes réinstallées ne peuvent retourner au village d'Uummannaq et que les revendications juridiques sur ces terres restent non résolues. En conséquence, le comité estime que les répercussions du déplacement qui persistent suite à l'entrée en vigueur de la convention no 169 doivent encore être examinées en ce qui concerne les articles 14, paragraphes 2 et 3, 16, paragraphes 3 et 4, et 17 de la convention en dépit du fait que le déplacement a eu lieu avant l'entrée en vigueur de la convention. Ces dispositions de la convention portent presque invariablement sur des déplacements de peuples indigènes et tribaux qui sont parfois antérieurs à la ratification de la convention par un Etat Membre.
  42. 30. Le comité note également la déclaration du gouvernement selon laquelle le critère de recevabilité fixé à l'article 2, paragraphe 2 f), du Règlement n'a pas été rempli. Le comité estime que la réclamation était conforme aux dispositions du Règlement puisqu'elle indiquait que le Danemark n'avait pas respecté les dispositions de l'article 14, paragraphe 2, de la convention. L'article 2, paragraphe 4, du Règlement prévoit que le Conseil d'administration ne peut discuter de la réclamation quant au fond lorsqu'il se prononce sur la question de la recevabilité. En outre, en ce qui concerne le cas dont est saisie la Cour suprême du Danemark, le comité note que ni l'article 24 de la Constitution de l'OIT ni le Règlement n'exigent qu'un plaignant épuise tous les recours nationaux disponibles avant que le Conseil d'administration n'examine une réclamation portant sur la même question ou sur des questions semblables.
  43. 31. Le comité prend note des informations fournies à propos de la population de la communauté Uummannaq ainsi que des conclusions de la Haute Cour selon laquelle la population du district, au moment de la création de la base aérienne de Thulé et du déplacement de la population, peut être considérée comme un peuple au sens de la définition qui en est donnée à l'article 1 de la convention de l'OIT.
  44. 32. L'article 1, paragraphes 1 et 2, de la convention stipule ce qui suit:
  45. 1. La présente convention s'applique:
  46. a) aux peuples tribaux dans les pays indépendants qui se distinguent des autres secteurs de la communauté nationale par leurs conditions sociales, culturelles et économiques et qui sont régis totalement ou partiellement par des coutumes ou des traditions qui leur sont propres ou par une législation spéciale;
  47. b) aux peuples dans les pays indépendants qui sont considérés comme indigènes du fait qu'ils descendent des populations qui habitaient le pays, ou une région géographique à laquelle appartient le pays, à l'époque de la conquête ou de la colonisation ou de l'établissement des frontières actuelles de l'Etat, et qui, quel que soit leur statut juridique, conservent leurs institutions sociales, économiques, culturelles et politiques propres ou certaines d'entre elles.
  48. 2. Le sentiment d'appartenance indigène ou tribale doit être considéré comme un critère fondamental pour déterminer les groupes auxquels s'appliquent les dispositions de la présente convention.
  49. 33. Le comité note que les parties intéressées ne contestent pas le fait que les Inuits résidant à Uummannaq au moment du déplacement ont la même origine que les Inuits d'autres zones du Groenland, qu'ils parlent la même langue (groenlandais), participent aux mêmes activités traditionnelles de chasse, de piégeage et de pêche que les autres habitants du Groenland et se considèrent eux-mêmes comme Groenlandais (Kalaalit). Le comité note qu'avant 1953 les habitants de la communauté Uummannaq étaient parfois isolés d'autres établissements du Groenland du fait de leur éloignement; toutefois, avec le développement des communications et des moyens de transport modernes, le district de Thulé n'est plus séparé d'autres établissements du Groenland. Le comité note que ces personnes ont les mêmes conditions sociales, économiques, culturelles et politiques que les autres Groenlandais (voir article 1, paragraphe 1, de la convention), conditions qui ne distinguent pas le peuple de la communauté Uummanaq des autres Groenlandais, mais qui distinguent ces derniers des habitants du Danemark et des îles Féroé. En ce qui concerne l'article 1, paragraphe 2, de la convention, si le sentiment d'appartenance est un critère fondamental pour déterminer les groupes auxquels les dispositions de la convention s'appliquent, il s'agit spécifiquement d'un sentiment d'appartenance indigène ou tribale et pas nécessairement d'un sentiment d'appartenance à un «peuple» différent des autres membres de la population indigène ou tribale du pays qui, ensemble, peuvent constituer un peuple. Le comité considère qu'il n'y a pas de fondement pour considérer les habitants de la communauté Uummanaq comme un «peuple» différent et distinct des autres Groenlandais. Toutefois, cette remarque ne semble pas nécessairement pertinente dans le cadre de cette réclamation car rien dans la convention n'indique que seuls les peuples distincts peuvent avoir des revendications relatives à des terres, notamment s'il s'agit de groupes indigènes ou tribaux.
  50. 34. En ce qui concerne les demandes d'indemnisation en suspens pour la perte de droits de chasse et de piégeage et autres préjudices consécutifs pour les résidents de la communauté Uummannaq du fait du déplacement de 1953, le comité souligne que l'OIT ne peut régler les conflits individuels sur les terres en vertu de la convention, y compris en ce qui concerne les questions d'évaluation des indemnités. Le comité estime que sa tâche essentielle dans ce genre de cas n'est pas d'offrir une juridiction supplémentaire aux parties insatisfaites du résultat d'une demande d'indemnisation soumise aux organismes administratifs ou judiciaires nationaux, mais plutôt de garantir que les procédures appropriées de règlement des conflits relatifs aux terres ont été suivies et que les principes de la convention ont été pris en compte dans l'examen des questions concernant les peuples indigènes et tribaux.
  51. 35. L'article 14, paragraphe 2, de la convention stipule ce qui suit:
  52. 2. Les gouvernements doivent en tant que de besoin prendre des mesures pour identifier les terres que les peuples intéressés occupent traditionnellement et pour garantir la protection effective de leurs droits de propriété et de possession.
  53. 36. Le comité fait remarquer que l'article 14, paragraphe 2, sur lequel l'organisation plaignante fonde ses allégations doit être interprété à la lumière des grandes orientations fournies dans l'article 2, paragraphe 1, de la convention qui demande au gouvernement, avec la participation des peuples intéressés, de développer «une action coordonnée et systématique en vue de protéger les droits de ces peuples et de garantir le respect de leur intégrité».
  54. 37. Le comité estime que les terres traditionnellement occupées par le peuple inuit ont été délimitées et représentent la totalité du territoire du Groenland. La section 8(1) de la loi sur l'autonomie de 1978 précise que la population résidente du Groenland a des droits fondamentaux sur les ressources naturelles du Groenland. Notant que les Groenlandais ont le droit collectif d'utiliser le territoire du Groenland et de continuer à avoir accès à ces terres pour leurs activités de subsistance et leurs activités de pêche et de chasse traditionnelles, le comité estime que la situation au Groenland n'est pas en contradiction avec les principes établis à l'article 14 de la convention.
  55. 38. Le comité fait observer que l'article 14, paragraphe 3, demande aux gouvernements d'instituer des procédures adéquates dans le cadre du système juridique national en vue de trancher les revendications relatives à des terres émanant des peuples indigènes et tribaux. Le comité fait observer qu'il existe des procédures de règlement des conflits relatifs aux terres, que ces procédures ont en fait été invoquées par les peuples concernés et que les revendications relatives aux terres ont été et sont toujours examinées de manière approfondie par les autorités nationales compétentes. Il conclut donc que le gouvernement du Danemark a à cet égard respecté les dispositions de l'article 14, paragraphe 3.
  56. 39. Le comité est conscient des difficultés liées au règlement des revendications conflictuelles sur les terres, notamment lorsque les intérêts diffèrent et que les points de vue divergent concernant les relations que les différentes communautés ont avec la terre, leur attachement culturel et spirituel aux terres qu'ils occupent traditionnellement, de même qu'en ce qui concerne les activités qu'ils mènent traditionnellement sur ces terres comme la chasse, le piégeage et la pêche. Le comité estime que les anciens habitants de la communauté Uummannaq ont été déplacés de force en 1953 dans des conditions difficiles en étant très peu consultés, voire pas du tout, et qu'ils n'ont pas pu retourner dans leur ancien établissement.
  57. 40. Toutefois, le comité note également que les anciens habitants de la communauté Uummannaq ont été indemnisés pour la perte des droits de chasse et de piégeage de même que pour les préjudices consécutifs au déplacement. Il note également que, près de cinquante ans plus tard, les personnes concernées et leurs enfants se sont maintenant réinstallés dans d'autres parties du Groenland ou au Danemark. Compte tenu des circonstances particulières de ce cas, le comité estime que la délimitation de terres au sein du Groenland pour le bénéfice d'un groupe précis de Groenlandais irait à l'encontre du système bien établi de droits collectifs sur les terres basés sur la tradition du Groenland et conservé par les autorités autonomes du Groenland. Cette conclusion doit être placée dans le contexte de l'article 17, paragraphe 1, de la convention qui prévoit que «les modes de transmission des droits sur la terre entre leurs membres établis par les peuples intéressés doivent être respectés». Cela en prenant note du fait que traditionnellement aucun droit foncier individuel n'est reconnu au sein des Groenlandais.
  58. 41. Le comité se réfère également à l'article 16, paragraphes 3 et 4, de la convention, qui traite directement des conséquences du déplacement des peuples indigènes et tribaux. Ces dispositions sont les suivantes:
  59. Article 16
  60. 3. Chaque fois que possible, ces peuples doivent avoir le droit de retourner sur leurs terres traditionnelles, dès que les raisons qui ont motivé leur déplacement et leur réinstallation cessent d'exister.
  61. 4. Dans le cas où un tel retour n'est pas possible, ainsi que déterminé par un accord ou, en l'absence d'un tel accord, au moyen de procédures appropriées, ces peuples doivent recevoir, dans toute la mesure possible, des terres de qualité et de statut juridique au moins égaux à ceux des terres qu'ils occupaient antérieurement et leur permettant de subvenir à leurs besoins du moment et d'assurer leur développement futur. Lorsque les peuples intéressés expriment une préférence pour une indemnisation en espèces ou en nature, ils doivent être ainsi indemnisés, sous réserve des garanties appropriées.
  62. 42. Le comité estime que les mesures prises par le gouvernement ne sont pas incompatibles avec l'article 16, paragraphes 3 et 4.
  63. 43. En général, le comité parvient à la conclusion que les mesures prises par le gouvernement à cet égard depuis 1997 concordent avec les dispositions de la convention. Notant l'esprit de consultation et de participation qui est la marque de cet instrument, il invite toutefois instamment le gouvernement et les groupes les plus directement touchés à poursuivre la recherche commune de solutions.
  64. IV. Recommandations du comité
  65. 44. Le comité recommande au Conseil d'administration d'approuver le présent rapport et, à la lumière des conclusions des paragraphes 27 à 43 du rapport:
  66. a) qu'il espère que le gouvernement fournira à la commission d'experts, par le biais de rapports soumis au titre de l'article 22 de la Constitution de l'OIT, des informations sur les points suivants:
  67. i) la décision de la Cour suprême du Danemark concernant l'appel à la décision du 20 août 1999 de la Haute Cour de la circonscription orientale de Copenhague dans le cas concernant le déplacement en 1953 de la population de la communauté Uummannaq du district de Thulé au Groenland;
  68. ii) toutes autres mesures prises ou envisagées pour indemniser les personnes déplacées de la communauté Uummannaq des pertes consécutives au déplacement;
  69. iii) toutes consultations telles que prévues dans les sections 12(1) et (2) de la loi sur l'autonomie qui ont lieu ou pourraient avoir lieu avec les autorités autonomes concernant l'utilisation future des terres occupées par la base aérienne de Thulé ou l'utilisation de toute autre terre du district de Thulé;
  70. iv) les mesures prises ou envisagées pour garantir qu'aucun Groenlandais ne sera déplacé à l'avenir sans son libre consentement informé ou que, si cela n'est pas possible, le déplacement n'aura lieu qu'après des procédures appropriées conformément à l'article 16 de la convention;
  71. b) de déclarer close la procédure engagée devant le Conseil d'administration à la suite de la réclamation présentée par la Confédération nationale des syndicats du Groenland (Sulinermik Inuussutissarsiuteqartut Kattuffiat SIK) alléguant l'inexécution par le Danemark de la convention (nº 169) relative aux peuples indigènes et tribaux, 1989.
  72. Note 1
  73. Voir Bulletin officiel, vol. LXIV, 1981, série A, no 1, pp. 99-101.
  74. Note 2
  75. Document GB.277/18/3, paragr. 5.
  76. Note 3
  77. Le district de Thulé dans la partie septentrionale du Groenland a une population d'environ 1 000 habitants. La ville principale Qaanaaq compte environ 600-700 habitants.
  78. Note 4
  79. La Convention de Vienne a été ouverte à signature le 23 mai 1969 et est entrée en vigueur le 27 janvier 1980 (UN Doc A/Conf39/28, 8 ILM 679); l'article 28 stipule ce qui suit: «A moins qu'une intention différente ne ressorte du traité ou ne soit par ailleurs établie, les dispositions d'un traité ne lient pas une partie en ce qui concerne un acte ou fait antérieur à la date d'entrée en vigueur de ce traité au regard de cette partie ou une situation qui avait cessé d'exister à cette date.»
  80. Note 5
  81. Voir les actes du Parlement du Groenland, no 12 du 29 octobre 1999 relatif à la chasse et no 18 du 31 octobre 1996 relatif aux pêches.
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