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Individual Case (CAS) - Discussion: 2017, Publication: 106th ILC session (2017)

Forced Labour Convention, 1930 (No. 29) - Paraguay (Ratification: 1967)

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 2017-Paraguay-C029-Fr

Un représentant gouvernemental a indiqué que l’administration du travail du pays a connu depuis 2013 une importante avancée institutionnelle avec la création du ministère du Travail, de l’Emploi et de la Sécurité sociale (ministère du Travail) qui poursuit des objectifs et missions propres en matière socioprofessionnelle. Ce nouveau ministère doit relever des défis quotidiens et assume la charge importante qu’est l’organisation d’une nouvelle entité à la hauteur des exigences élevées attendues, en s’engageant dans un processus de modernisation et de croissance, malgré les limites budgétaires. Il a mené de véritables avancées quant à l’application des normes en vigueur. Il a également suscité des modifications à la législation et à la réglementation en fonction des recommandations de la commission d’experts. De la même manière, le dialogue social sur plusieurs sujets a été renforcé grâce au Conseil consultatif tripartite, conformément aux dispositions de la loi no 5115/13 portant création du ministère du Travail. Le Paraguay a renforcé sa participation au sein de l’OIT, notamment en ce qui concerne le paiement de ses contributions, la présence de secteurs représentatifs à la Conférence, la soumission de rapports sur l’application des conventions et la réception de l’assistance technique du BIT. S’agissant du rapport de la commission d’experts, le gouvernement a développé, dans les rapports qu’il a envoyés ces dernières années, plusieurs sujets que cette commission a abordés cette année. Dans ces rapports, le gouvernement a exprimé la détermination de l’Etat de faire avancer la lutte contre le travail forcé et la prévention du travail forcé. L’adoption de la Stratégie nationale de prévention du travail forcé 2016-2020 par le décret no 6285 du 15 novembre 2016 est le fruit de nombreuses réunions tripartites avec les partenaires sociaux et d’ateliers sectoriels organisés en divers lieux du pays. Les visas de ce décret établissent que le pouvoir exécutif adopte cette stratégie au vu de l’existence d’un pan de la population qui, pour diverses raisons, se trouve en situation particulièrement vulnérable, ainsi qu’au vu des observations de la commission d’experts sur l’existence présumée de cas de servitude pour dettes dans la zone du Chaco paraguayen afin que, en coordination avec le ministère du Travail, des politiques d’Etat puissent être dessinées, essentiellement dans le but de définir des instruments et des mesures répondant à ce problème. Le premier objectif, à court terme, est la création d’un protocole de procédures pour le secteur public qui définisse les rôles, fonctions et responsabilités des services de l’Etat chargés d’exécuter la stratégie. L’objectif ultime est de coordonner l’action des organismes essentiels concernés par les cas qui pourraient survenir, notamment le ministère du Travail, le ministère public, la police nationale, le ministère de la Défense publique et le pouvoir judiciaire. A cet égard, un projet d’assistance technique du BIT est en cours d’élaboration en vue de présenter un protocole interinstitutionnel à la Commission des droits fondamentaux au travail et de la prévention du travail forcé, pour soumission aux partenaires sociaux et au gouvernement. Cet instrument devrait être adopté et mis en œuvre en 2017 ou au début de 2018. Le BIT aide également le pays à mettre en place un module de formation des inspecteurs du travail en matière de travail forcé ainsi qu’à élaborer le plan d’action 2017-18 dans le cadre de la Stratégie nationale de prévention du travail forcé. En ce qui concerne les mesures adoptées pour renforcer l’unité technique de prévention et d’éradication du travail forcé de l’inspection du travail, de nouveaux inspecteurs du travail, titulaires d’un diplôme universitaire et formés par des experts du BIT en matière de contrôle et d’inspection du travail, ont été recrutés lors de concours publics. Même s’il convient de reconnaître que le nombre d’inspecteurs reste insuffisant, il est prévu de l’augmenter et d’améliorer la répartition géographique des inspecteurs, dans la mesure des possibilités budgétaires. S’agissant du manque d’infrastructures et de la présence moins importante de l’Etat dans la région du Chaco, l’orateur a indiqué qu’il s’agit d’une région très particulière puisqu’elle représente plus de 50 pour cent du territoire national et qu’elle compte à peine 350 000 habitants, dont 40 000 membres des peuples autochtones. Le seul service du ministère du Travail de la région se trouve à Teniente Irala Fernández. L’objectif à court terme est de rendre la Direction du travail opérationnelle à Filadelfia, localité plus proche des centres habités des peuples autochtones. A cet égard, le gouvernement finalise la signature d’un accord avec les autorités départementales de Boquerón pour qu’il installe les équipements de base. Une fois que la Direction du travail y sera installée, elle devra être dotée, à titre permanent, d’un nombre plus important de fonctionnaires et, si possible, de conseillers des ethnies autochtones. En ce qui concerne la nécessité que des décisions de justice soient rendues lorsque des pratiques de travail forcé ont été repérées, l’orateur a renvoyé aux rapports concernant l’application de la convention no 29 et de la convention (nº 105) sur l’abolition du travail forcé, 1957, auxquels ont été joints des décisions de justice et des actes de procédure du ministère public relatifs à des cas de traite et à des situations de travail forcé. De plus, le BIT forme les juges sur les conventions ratifiées par le Paraguay. Cette formation mettra du temps à porter ses fruits. Par ailleurs, le nouveau Code d’application des peines contient des dispositions régissant le travail des détenus des établissements pénitentiaires et remplace la loi no 210 de 1970 sur les prisons, conformément aux éléments d’interprétation juridique des lois postérieures et des lois spéciales. La lutte contre le travail forcé est un défi que son pays relève de manière responsable, bien qu’elle dépende de la réalité géographique, démographique et budgétaire. L’avenir confirmera des avancées soutenues et ininterrompues en faveur du plein exercice des droits fondamentaux qui doivent être mieux protégés pour les groupes vulnérables, en particulier les peuples autochtones du Chaco paraguayen. A cette fin, l’OIT est un allié d’une valeur inestimable qui fournit une assistance importante au Paraguay, ce qui renforce l’espoir que le pays continuera à avancer sur la voie du fidèle respect de la convention no 29.

Les membres travailleurs ont souligné que, depuis 20 ans, la commission d’experts examine la question de la servitude pour dettes imposée à des travailleurs originaires de communautés autochtones au Paraguay. Ces pratiques ont été également constatées par diverses missions officielles de l’Instance permanente des Nations Unies sur les questions autochtones et du Rapporteur spécial sur les droits des peuples autochtones et par diverses études de la Confédération syndicale internationale (CSI) et de différents syndicats paraguayens. L’OIT estime qu’au moins 8 000 travailleurs pourraient être victimes de travail forcé dans la région du Chaco paraguayen. Mais ce nombre pourrait être beaucoup plus élevé si l’on prend en compte les graves déficiences de l’inspection du travail, les infrastructures précaires, la grande superficie de la zone et l’indifférence des autorités. On peut considérer que les violations de la convention se produisent, au vu et au su des autorités, étant donné que le recours à la servitude pour dettes est une pratique habituelle dans les fermes d’élevage. Normalement, les travailleurs autochtones reçoivent un salaire très inférieur au salaire minimum et sont tenus de demander des crédits à leurs propres employeurs. Ces sommes servent généralement à construire des logements, à payer l’inscription à l’école ou simplement à acheter de la nourriture ou des vêtements. Cependant, en réalité, la majeure partie de leur salaire sert à payer leurs dettes, si bien qu’ils sont prisonniers de situations qui constituent un travail forcé. Autrefois, une grande partie des terres autochtones a été vendue à des spéculateurs étrangers, ce qui a forcé beaucoup de communautés autochtones à travailler pour les grandes exploitations agricoles. Actuellement, ces exploitations sont la seule source d’emplois au Chaco. Les hommes travaillent habituellement dans les fermes (récoltes ou élevage du bétail). Les tâches domestiques sont généralement effectuées par des femmes autochtones ou, parfois, par leurs enfants, au service des propriétaires de l’exploitation agricole. Les travailleuses domestiques autochtones sont constamment l’objet de violences de la part de leurs employeurs et, souvent, elles ne reçoivent pas de salaire et travaillent seulement en échange de logement et de nourriture. Dans le cas des enfants, la situation est encore pire. Au Paraguay, la pratique du criadazgo est courante. Il s’agit du travail que les enfants effectuent dans les exploitations comme commis en échange de la prise en charge de leurs besoins fondamentaux et d’un accès à l’éducation. Etant donné que ces enfants ne décident pas de leurs conditions d’emploi, ils sont en réalité soumis au travail forcé. Près de 47 000 mineurs, des filles pour la plupart, sont employés au Paraguay dans le service domestique dans le cadre de ce système. Cela représente, selon les chiffres d’un recensement officiel, 2,5 pour cent des enfants et adolescents du pays. Les membres travailleurs ont pris note de la création d’un bureau de la Direction du travail à Teniente Irala Fernández, dans le Chaco central. Néanmoins, ce bureau se trouve à 72 km de la ville de Filadelfia, capitale du département de Boquerón. Compte tenu que les travailleurs autochtones ne disposent pas de moyens de transport, ils ne peuvent pas s’y rendre à pied pour porter plainte. Ce bureau ne compte à l’heure actuelle qu’une seule employée, qui n’a pas la formation nécessaire et qui ne dispose pas d’un budget suffisant pour couvrir ses propres déplacements. En outre, le gouvernement n’a pas fourni d’informations aux syndicats sur les activités de ce bureau ni sur le nombre de réclamations portant sur le travail forcé reçues et examinées ni sur toute autre violation des droits au travail. Dans ce contexte, les violations ne sont pas dénoncées, et porter plainte peut avoir des conséquences néfastes pour les travailleurs. Les employeurs du Chaco ont l’habitude d’établir des listes noires, et la plupart des propriétaires exigent des références avant de confier des tâches dans leurs exploitations. Les travailleurs autochtones affirment que déposer une plainte liée au travail peut nuire à d’autres membres de leur groupe ethnique, ce qui met un terme à toutes les perspectives d’emploi pour l’ensemble de la communauté.

Quant aux inspections, le gouvernement a annoncé la création de la Direction du travail autochtone et de l’Unité technique de prévention et d’éradication du travail forcé, qui relève de l’inspection du travail, et qui seraient dotées de six inspecteurs du travail. Néanmoins, selon les syndicats paraguayens, ces organismes ont cessé de fonctionner peu de temps après leur création. Au cours de la brève période au cours de laquelle ces institutions ont fonctionné, elles n’ont jamais informé les partenaires sociaux sur les amendes imposées aux employeurs, les indemnisations accordées aux travailleurs ou le nombre de travailleurs suivant des cours de formation. En vertu de l’article 25 de la convention, des sanctions pénales doivent être imposées et appliquées strictement aux personnes considérées coupables d’avoir imposé ou utilisé le travail forcé. Néanmoins, la commission d’experts a demandé à plusieurs reprises au gouvernement de fournir des informations sur le nombre de cas dans lesquels les services d’inspection ont constaté que le Code du travail n’était pas respecté en ce qui concerne la protection du salaire et le fonctionnement des économats. A ce jour, ces informations n’ont pas été communiquées au BIT. En avril 2015, sur la base des conclusions de la Commission de la Conférence, une délégation du ministère du Travail, conduite par le ministre, s’est rendue dans la région du Chaco pour examiner les conditions de travail dans les exploitations agricoles. Elle n’a visité que certains centres de travail et, pendant toute la visite, a été accompagnée par des représentants des principales entreprises agricoles de la région. D’après les informations publiées sur la page Internet du gouvernement, le ministère du Travail a lancé un appel aux propriétaires des exploitations agricoles et aux représentants des entreprises, au cours d’une réunion qui s’est tenue dans le cadre de la visite, et a dit textuellement ce qui suit: «Nous ne soutenons pas les plaintes qui ont été transmises de manière intéressée au BIT à Genève, mais nous devons démontrer qu’il n’y a pas de travail forcé et nous voulons que vous nous aidiez. Nous devons prouver que telle est la situation.» Ainsi, on peut comprendre comment, au terme de sa visite, le ministre a fait des déclarations, largement diffusées dans la presse nationale, et affirmé que la mission n’avait pas pu constater l’existence de travail forcé dans la région du Chaco. La commission d’experts, dans son rapport publié en 2017, a noté avec une profonde préoccupation les difficultés de fonctionnement que connaissent les structures établies pour que les travailleurs autochtones victimes de travail forcé puissent exercer leurs droits ainsi que l’absence d’information sur les activités de ces structures. En outre, la commission d’experts a souligné que la législation nationale ne contient pas encore de dispositions suffisamment précises et adaptées aux circonstances nationales, raison pour laquelle les autorités compétentes ne peuvent pas poursuivre les auteurs de ces pratiques et dûment en sanctionner les auteurs. De fait, depuis 20 ans, aucune décision de justice n’a été rendue sur le travail forcé. Les membres travailleurs ont pris note de l’adoption, en 2016, avec l’assistance technique du BIT, de la Stratégie nationale de prévention du travail forcé. Toutefois, ils ont constaté avec préoccupation que les organisations syndicales n’avaient pas été suffisamment consultées lors de l’élaboration de cette stratégie ni informées des progrès réalisés à ce jour. De plus, cette stratégie ne contient pas de mesures concernant spécifiquement les communautés autochtones du Chaco et de la région orientale. Elle comporte une lacune considérable, celle de ne pas prévoir la répression du travail forcé et la sanction des responsables. Par ailleurs, elle ne fait pas non plus mention du renforcement institutionnel de l’inspection du travail et de la nécessaire coordination entre l’inspection et le ministère public. Ces éléments constituent une partie fondamentale de la convention et la commission d’experts les a relevés à plusieurs reprises. En ce qui concerne le travail en prison, malgré les multiples demandes de la commission d’experts, le gouvernement n’a pas encore modifié la loi sur les prisons en vertu de laquelle les personnes assujetties à des mesures de sûreté dans un établissement pénitentiaire sont également tenues de travailler en prison. En application de la loi actuelle, les personnes placées en détention provisoire sont tenues de travailler, ce qui constitue une violation manifeste de l’article 2 de la convention. Les membres travailleurs ont rappelé à nouveau que les organes de contrôle de l’OIT examinent ce cas depuis vingt ans. Ils ont également fait observer que le BIT a déjà fourni une assistance technique au Paraguay mais que, à l’évidence, le gouvernement n’a pas la volonté politique de procéder au changement nécessaire, en droit et dans la pratique, pour mettre un terme aux violations répétées de la convention. Des milliers de travailleurs, surtout autochtones, continuent d’être victimes de violations et sont soumis au travail forcé par des employeurs sans scrupules, avec la bénédiction du gouvernement. L’assistance technique qui a été apportée n’a pas suffi pour surmonter la méfiance qui existe entre la population du Chaco et le gouvernement. Enfin, étant donné la gravité du cas, les membres travailleurs ont recommandé au gouvernement de prendre des mesures plus fortes, en coopération avec le BIT et avec la participation de tous les acteurs intéressés sur le terrain.

Les membres employeurs ont rappelé que la commission a déjà examiné le cas présent à deux reprises. Sur la base des commentaires de la commission d’experts, ce cas couvre trois aspects. Le premier renvoie à la demande adressée au gouvernement pour qu’il adopte les mesures nécessaires, dans le cadre d’une action coordonnée et systématique, pour faire face à l’exploitation économique, en particulier la servitude pour dettes, que subissent certains travailleurs autochtones, notamment dans la région du Chaco. Sur ce point, les commentaires de la commission d’experts renvoient à une série de mesures qui prouvent la volonté politique du gouvernement de donner effet à ses demandes, telles que la création de la Commission des droits fondamentaux au travail et de la prévention du travail forcé, la mise en place d’une sous-commission dans la région du Chaco, la création d’un bureau de la Direction du travail dans cette partie du pays et les activités réalisées conjointement avec le BIT. Les commentaires renvoient également à une série d’activités, dont certaines concernent spécifiquement des communautés autochtones, mais qui visent toutes à l’élaboration d’une stratégie nationale de prévention du travail forcé. Il convient de savoir si ces mesures ont porté leurs fruits. A cet égard, un élément encourageant peut être cité, à savoir l’information fournie par le gouvernement selon laquelle les rapports d’inspections effectuées en 2015 au Chaco n’établissent aucun cas de travail forcé, même s’ils font état de quelques infractions au droit du travail. En conséquence, partageant l’avis de la commission d’experts selon lequel le processus participatif a permis de mettre au point la Stratégie nationale de prévention du travail forcé, les membres employeurs expriment l’espoir que cette stratégie sera réellement appliquée dans la pratique. En deuxième lieu, la commission d’experts a demandé au gouvernement de renforcer les capacités des organes chargés de l’application de la loi et de compléter le cadre législatif de lutte contre le travail forcé, de sorte que les victimes puissent avoir accès à la justice. Ce point porte sur deux questions à la fois: l’application effective de la loi et les réformes du cadre législatif. Pour ce qui est de l’efficacité de l’application des sanctions, la commission d’experts a noté que l’inspection du travail a été renforcée grâce à l’embauche de 30 inspecteurs du travail, qui ont reçu une formation spécifique sur ces sujets. On notera également la création de nouveaux tribunaux dans la région du Chaco. Les membres employeurs ont estimé que ces mesures prouvent la volonté politique du gouvernement de donner effet à l’objectif de départ, à savoir la mise en œuvre d’une action coordonnée et systématique pour lutter contre l’exploitation économique, en particulier la servitude pour dettes qui affecte certains travailleurs autochtones, notamment dans la région du Chaco. C’est pourquoi, bien qu’ils estiment également qu’il n’y a pas suffisamment d’informations sur les activités menées par les structures qui permettent aux travailleurs autochtones victimes d’exploitation au travail d’exercer leurs droits, les membres employeurs ne sont pas d’accord avec la commission d’experts, qui conclut à des difficultés de fonctionnement de ces structures. En effet, une telle conclusion est basée uniquement sur les informations reçues des organisations syndicales alors qu’elle devrait être corroborée par de plus amples informations fournies par le gouvernement sur le fonctionnement de ces institutions. En ce qui concerne la nécessité de compléter le cadre législatif de lutte contre le travail forcé, les membres employeurs ont estimé que cette question ne fait pas l’objet de ce cas. Dans ces conditions, la recommandation devrait porter sur le lancement d’un processus de consultations tripartites qui permette de mener à bien la réforme législative requise. Pour ce qui est du troisième aspect, relatif au travail imposé aux personnes en détention provisoire, les membres employeurs partagent l’avis de la commission d’experts selon laquelle la norme autorisant le travail de personnes assujetties à des mesures de sûreté dans un établissement pénitentiaire n’est pas conforme à la convention. Il convient de noter toutefois que, comme le gouvernement l’a laissé entendre, cette norme n’a pas réellement besoin d’être abrogée puisqu’elle a été abrogée par une norme ultérieure pour cause d’incompatibilité. Les membres employeurs ont donc demandé au gouvernement d’apporter des éclaircissements sur ce point et de veiller à ce que tout travail effectué dans ces conditions soit interdit dans le pays.

La membre travailleuse du Paraguay a indiqué qu’elle salue les efforts déployés par le ministère du Travail pour promouvoir des politiques publiques en matière de travail, mais que ceux-ci restent insuffisants. Il est nécessaire de renforcer cette institution tant en termes d’effectifs que de ressources afin de pouvoir envisager une politique plus affirmée de promotion des droits fondamentaux, principalement dans le Chaco paraguayen. L’adoption de la Stratégie nationale de prévention du travail forcé est un point positif. Les centrales syndicales avaient participé à son élaboration ainsi qu’aux réunions de la Commission des droits fondamentaux au travail et de la prévention du travail forcé consacrées à son développement. Les politiques et activités de lutte contre le travail forcé doivent être définies dans le cadre de cette stratégie. L’oratrice a souligné la vulnérabilité particulière de la population autochtone que l’Etat doit spécialement prendre en considération et protéger, d’autant plus que les caractéristiques de la région du Chaco permettent difficilement aux organisations syndicales d’être en contact avec elle. Les autochtones déposent leurs plaintes auprès de l’Institut national des affaires autochtones sans passer par les services du ministère du Travail. Le secteur syndical tient à continuer de contribuer à la défense des droits au travail et des droits syndicaux, sans discrimination. Le dialogue social mené avec les partenaires sociaux, dans le cadre de commissions tripartites compétentes, est le meilleur outil pour combattre le travail forcé. Plusieurs réunions tripartites ont été tenues sur la question, notamment en présence du BIT, afin d’élaborer un guide de traitement des cas de travail forcé.

Le membre employeur du Paraguay, prenant note des commentaires de la commission d’experts sur ce cas, a indiqué que la Fédération de la production, de l’industrie et du commerce (FEPRINCO) fait partie d’une instance de dialogue tripartite et de la Commission des droits fondamentaux au travail et de la prévention du travail forcé. Il a indiqué que le secteur des employeurs paraguayens est fermement attaché à la convention et au dialogue tripartite et a signalé la création du Conseil consultatif tripartite, régi par le décret no 5159 de 2016. Il a fait référence à la participation de l’Union industrielle paraguayenne, de l’Association nationale des producteurs agricoles et de la Chambre nationale du commerce et des services du Paraguay dans la Campagne nationale pour la formalisation de l’économie et a indiqué que ces organismes sont les principaux contributeurs à l’assurance sociale obligatoire auprès de l’Institut de prévoyance sociale. Dix-neuf représentants de la FEPRINCO ont participé à des ateliers sur l’élaboration de la Stratégie nationale de prévention du travail forcé. L’orateur a exprimé qu’il était conscient des difficultés d’accéder à la région du Chaco. Les organisations d’employeurs ont participé, aux côtés du gouvernement et des communautés autochtones, aux visites effectuées dans la région pour montrer à quel point il est nécessaire d’adopter des mesures destinées à éviter le travail forcé des peuples autochtones. Enfin, il n’est pas normal que la commission ait été saisie de ce cas, étant donné que le gouvernement a adopté des mesures pour lutter contre le travail forcé. Il a demandé à la commission d’adopter une décision adaptée à la situation du pays en la matière.

Le membre gouvernemental du Panama, s’exprimant au nom du groupe des Etats d’Amérique latine et des Caraïbes (GRULAC), a pris note des informations fournies par le gouvernement ainsi que des commentaires de la commission d’experts qui soulignent l’engagement du gouvernement et son action efficace pour éradiquer le travail forcé. Il convient de souligner l’importance de l’adoption de la Stratégie nationale de prévention du travail forcé qui pose le cadre de la conception des politiques et des plans nationaux et locaux, étape importante de la lutte contre le travail forcé. Par ailleurs, ces dernières années, le pays a étroitement collaboré avec le BIT. Le ministère du Travail a effectué des visites et mené des inspections de façon continue dans la région du Chaco paraguayen sans détecter de cas de travail forcé. L’orateur a rappelé l’engagement du GRULAC en faveur de l’éradication du travail forcé et souligné la valeur de l’inspection du travail dans ce contexte. Il ne fait aucun doute que le gouvernement continuera de progresser dans la mise en œuvre de la convention, et l’OIT est invitée à poursuivre sa collaboration avec le pays pour réaliser cet objectif.

Le membre travailleur du Brésil a fait part de la solidarité des centrales syndicales brésiliennes envers les travailleurs paraguayens qui luttent contre le travail forcé et a rappelé que la commission avait déjà prié instamment le gouvernement paraguayen d’adopter des mesures contre les formes de travail forcé auxquelles certains travailleurs autochtones sont soumis, principalement dans la région du Chaco. Il est regrettable que le gouvernement continue de fermer les yeux sur l’exploitation des peuples autochtones alors qu’il a ratifié la convention il y a 59 ans. Le gouvernement continue d’enfreindre les droits de l’homme comme si les travailleurs étaient des choses et non des êtres humains. La dette du travailleur envers son employeur sert à dissimuler le travail forcé. Le travailleur devient l’otage de l’employeur qui le nourrit, l’habille, le loge et lui fournit des articles de toilette. A la fin du mois, le travailleur ne parvient pas à effacer sa dette. Souvent, la dette du travailleur retombe sur sa veuve et ses enfants qui doivent travailler pour la rembourser. Pour toutes ces raisons, l’OIT est invitée à adopter des mesures afin de veiller à ce que le gouvernement évite que ces violations ne persistent. Si le gouvernement devait continuer de contrevenir à la convention, d’autres voies pourraient être envisagées, comme le dépôt d’une plainte devant la Commission interaméricaine des droits de l’homme de l’Organisation des Etats américains.

La membre travailleuse de la République bolivarienne du Venezuela a exprimé la solidarité des syndicats vénézuéliens avec les centrales syndicales du Paraguay dans la lutte pour de meilleures conditions de vie et de travail pour la classe des travailleurs du pays. Le gouvernement doit renforcer le dialogue tripartite pour mettre fin au travail forcé auquel sont soumis les travailleurs autochtones, en particulier dans la région du Chaco.

Le membre gouvernemental du Mexique a souscrit à la déclaration du GRULAC. Il a relevé que la situation décrite est isolée et qu’il ne concerne que la région du Chaco. Il a exprimé sa satisfaction quant aux mesures adoptées par le gouvernement pour sanctionner les auteurs de ces actes. Il a encouragé le gouvernement à maintenir de telles mesures et à continuer de mener des actions en coordination avec le BIT aux fins de la bonne application de la convention.

Le membre travailleur de l’Argentine a indiqué que les travailleurs argentins jugent insuffisantes tant les explications fournies par le gouvernement que les mesures qu’il a prises. En effet, les stratégies et les plans élaborés par la Commission des droits fondamentaux au travail et de la prévention du travail forcé et les structures mises en place n’ont pas reçu suffisamment de moyens pour éradiquer cette forme «d’esclavage moderne». En outre, la distance séparant les services de l’administration du travail des zones où se produit l’exploitation en question fait que les victimes ne peuvent pas y accéder facilement, ce qui explique le nombre peu élevé de plaintes déposées. Par ailleurs, l’orateur s’est associé aux recommandations de la commission d’experts à propos de la nécessité d’abroger la loi no 210 de 1970 sur les prisons et de s’assurer que les personnes détenues de manière préventive ne sont pas obligées de travailler en prison. Il est regrettable que l’esclavage moderne ne soit pas un phénomène isolé; au contraire, il est de plus en plus lié aux organisations mafieuses et à la criminalité organisée. Le fait que le travail forcé et les pratiques d’exploitation économique sous toutes leurs formes constituent une violation des droits de l’homme et attentent à la dignité humaine est reconnu internationalement. A ce propos, il faut souligner que le Paraguay n’a pas ratifié le protocole de 2014 sur le travail forcé et qu’il n’a pas prévu de peines sévères pour les auteurs de ces actes et qu’il ne les a pas non plus sanctionnés de l’une ou l’autre manière. Pour tous ces motifs, l’orateur a considéré que l’OIT devrait prendre des mesures afin de planifier une mission de longue durée en vue de mettre un terme à cette situation.

Un observateur représentant la Confédération syndicale internationale (CSI) a regretté que la commission soit obligée une fois de plus d’examiner la convention no 29 au Paraguay et que les décisions prises en 2013 n’aient pas suffi à empêcher que des milliers de travailleurs soient victimes de travail forcé. En effet, d’après les calculs des syndicats du pays et de la CSI, entre 30 et 35 000 personnes résidant dans les trois départements de la région du Chaco, ainsi que dans d’autres départements de la zone orientale du Paraguay, en majorité autochtones, auraient été victimes de pratiques abusives, notamment de travail forcé ou obligatoire, au sens de l’article 2, paragraphe 1, de la convention. Pareille ignominie et déchéance humaine tient à l’inaction des autorités publiques du Paraguay pour combattre de manière efficace l’imposition de travail forcé à des fins de profit personnel. Le rapport de la Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones du 13 août 2015, relative à la situation des peuples autochtones au Paraguay, confirme que, si le pays dispose d’un cadre constitutionnel qui reconnaît les droits des peuples autochtones., ce cadre normatif ne s’est pas concrétisé par les mesures législatives, administratives et autres nécessaires à l’exercice des droits de l’homme par les peuples autochtones, en particulier les droits au travail et le droit de ne pas être contraint au travail forcé. Par conséquent, l’orateur a estimé, comme en témoigne le rapport de la commission d’experts sur le cas, et malgré les affirmations du gouvernement devant la Commission de la Conférence, que les déclarations de la CSI et des syndicats paraguayens sur les manquements dont il est fait état doivent être considérées comme véridiques. L’orateur a finalement rappelé que la commission d’experts a demandé que des sanctions pénales soient imposées et appliquées strictement aux personnes reconnues coupables d’avoir imposé du travail forcé et qu’elle a prié le gouvernement de fournir des informations sur les poursuites judiciaires engagées à l’encontre des personnes qui imposent du travail forcé, prenant note qu’aucune décision judiciaire n’a été rendue à cet égard.

Le membre travailleur de l’Uruguay a appuyé l’intervention des membres travailleurs de même que les interventions précédentes qui ont fait remarquer que le gouvernement est loin de se conformer à la convention. Il y aurait lieu de tenir compte, pour l’analyse de ce cas, de la Déclaration sociale adoptée par le MERCOSUR, organisation sous-régionale dont le Paraguay est membre. Le modèle économique du pays, basé sur l’agro-industrie, favorise les faits dénoncés. La situation dans ce pays a empiré depuis le dernier examen du cas, en 2013. Enfin, l’orateur a dénoncé l’absence de dialogue social au Paraguay.

Le représentant gouvernemental a indiqué que le gouvernement est déterminé à travailler avec les partenaires sociaux pour avancer dans la lutte contre le travail forcé. Prenant note de la discussion, il a toutefois réfuté certains commentaires qui sont hors contexte ou hors de propos. La mise en œuvre de la Stratégie nationale de prévention du travail forcé permettra une meilleure protection de tous les travailleurs du pays. En outre, il est important de renforcer l’inspection du travail et l’éducation afin de prévenir des infractions telles que la traite des personnes. Le gouvernement compte sur le dialogue social pour trouver des solutions comme, par exemple, dans le cadre de la Commission des droits fondamentaux au travail et de la prévention du travail forcé ou d’autres instances de dialogue en matière de salaire minimum, d’éducation ou de santé. Il a engagé des consultations pour avancer sur ces questions. L’orateur a signalé que certaines centrales syndicales n’avaient pas participé au dialogue social et les a invitées à le faire. En ce qui concerne la question du travail forcé au Chaco, il a redit qu’il s’agit d’un territoire très vaste qui compte 40 000 membres des peuples autochtones. Ce territoire ne fait pas uniquement partie du Paraguay puisqu’il couvre également une partie de l’Argentine, du Brésil et de l’Etat plurinational de Bolivie, ce qui explique que les problématiques de la région soient traitées par tous ces pays. Le gouvernement aborde la question des peuples autochtones de manière globale, en associant plusieurs institutions, avec la coordination de l’Institut national des affaires autochtones. En ce qui concerne le criadazgo, en 2016, le gouvernement a élaboré et présenté un projet de loi criminalisant cette pratique et les pires formes du travail des enfants. Ce projet est actuellement soumis au Parlement pour examen. La législation nationale contient des définitions et les sanctions applicables au travail forcé, à la servitude pour dettes et au mariage servile, par exemple, dans la loi générale no 4788/12 contre la traite des personnes. Le ministère public a poursuivi des auteurs de telles pratiques et des jugements ont été rendus. Enfin, le gouvernement donnera suite aux commentaires des organes de contrôle en se prévalant du soutien continu du BIT en la matière.

Les membres employeurs ont noté avec intérêt les informations fournies par le gouvernement au sujet de l’institutionnalisation de ses actions pour réagir de manière coordonnée et systématique en cas de travail forcé, en particulier en ce qui concerne la servitude pour dettes dans la région du Chaco. Toutefois, des doutes subsistent quant à l’efficacité des mesures prises. Les membres employeurs ont exprimé l’espoir que ces mesures auront néanmoins des effets dans la pratique. A cet égard, ils estiment que le gouvernement doit fournir dans son prochain rapport à la commission d’experts, dû en 2017, des informations sur: 1) le fonctionnement de la Commission des droits fondamentaux au travail et de la prévention du travail forcé ainsi que de la sous-commission de la région du Chaco; 2) les actions visant spécifiquement les communautés autochtones afin de prévenir les situations de travail forcé, en application de la Stratégie nationale de prévention du travail forcé 2016-2020; 3) le renforcement des capacités de l’inspection du travail; et 4) la validité de la loi no 210 de 1970 sur les prisons.

Les membres travailleurs ont regretté que, malgré les recommandations que les organes de contrôle de l’OIT formulent depuis vingt ans et l’assistance apportée, le Paraguay ne donne toujours pas pleinement effet aux dispositions de la convention. Les violations vont de l’incapacité de la part des autorités à recevoir les plaintes à des déficiences graves de l’inspection du travail, en passant par l’absence de sanctions pénales et des lacunes de la législation. Tous ces éléments combinés ont donné lieu à une culture où l’exploitation des travailleurs autochtones, hommes, femmes et enfants, est chose normale. Aucune information n’a été reçue sur le mémorandum d’entente tripartite signé en 2014. Les membres travailleurs ont pris note de l’assistance technique apportée par le BIT et de la Stratégie nationale de prévention du travail forcé. Pour autant, vu l’importance des défis et l’inaction persistante du gouvernement, l’envoi d’une mission de contacts directs de l’OIT s’impose. En outre, les membres travailleurs demandent instamment au gouvernement: 1) d’allouer des ressources humaines et matérielles suffisantes aux services du ministère du Travail dans la région du Chaco pour leur permettre de recevoir les plaintes des travailleurs et des informations faisant état de travail forcé, de prendre les mesures appropriées pour faire en sorte que, dans la pratique, les victimes puissent saisir les autorités judiciaires compétentes et qu’elles soient protégées; 2) de fournir à la commission d’experts des informations sur les actions judiciaires engagées à l’encontre des personnes qui imposent du travail forcé, sous forme de servitude pour dettes; et de s’assurer que la législation pénale nationale renferme des dispositions suffisamment précises et adaptées aux circonstances du pays pour que les autorités compétentes puissent engager des actions pénales ou poursuivre les auteurs de ces pratiques et les sanctionner; 3) de manière prioritaire, de renforcer les capacités de l’inspection du travail pour lui permettre de traiter efficacement les plaintes déposées, d’identifier les victimes et de restaurer leurs droits pour éviter qu’elles ne retombent dans des situations de travail forcé; 4) de réunir les partenaires sociaux, notamment les organisations les plus représentatives, pour qu’elles participent à la mise en œuvre de la Stratégie nationale de prévention du travail forcé, en garantissant, conformément aux dispositions de la convention (nº 169) relative aux peuples indigènes et tribaux, 1989, que les peuples autochtones soient consultés concernant toute mesure administrative ou législative susceptible de les toucher; le dialogue social doit être concret et pas uniquement formel; et 5) s’agissant de la nécessité de modifier la loi no 210 de 1970 sur les prisons, dans un souci de conformité avec la convention, de prendre les mesures nécessaires pour que la législation nationale soit conforme aux dispositions de la convention.

Conclusions

La commission a pris note de la déclaration orale du représentant gouvernemental et de la discussion qui a suivi.

La commission a relevé qu’aucune décision de justice n’avait été rendue en matière de travail forcé sous forme notamment de servitude pour dettes.

Prenant en compte la discussion qui a eu lieu sur ce cas, la commission a instamment prié le gouvernement:

- d’allouer suffisamment de ressources matérielles et humaines aux services du ministère du Travail dans la région du Chaco afin qu’ils puissent recevoir les plaintes et les dénonciations de travailleurs pour travail forcé et prendre des mesures adéquates pour garantir que, dans la pratique, les victimes sont en mesure de s’adresser aux autorités judiciaires compétentes;

- de faire en sorte que des poursuites judiciaires soient engagées à l’encontre des personnes imposant du travail forcé sous forme de servitude pour dettes;

- de continuer à renforcer les capacités des inspecteurs du travail afin de leur permettre de traiter correctement les plaintes reçues, de repérer les victimes et de restaurer leurs droits pour éviter qu’elles ne retombent dans des situations de travail forcé;

- de continuer à associer les partenaires sociaux au processus d’adoption de la Stratégie nationale de prévention du travail forcé;

- d’élaborer des plans d’action régionaux et de prévoir des actions à mener en priorité pour faire connaître le problème du travail forcé, apporter une solution à la vulnérabilité des travailleurs autochtones et protéger les victimes identifiées;

- de veiller à ce que le droit pénal national contienne suffisamment de dispositions spécifiques pour permettre aux autorités compétentes d’engager des poursuites pénales à l’encontre des auteurs de ces pratiques.

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