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Caso individual (CAS) - Discusión: 2013, Publicación: 102ª reunión CIT (2013)

Convenio sobre las peores formas de trabajo infantil, 1999 (núm. 182) - Senegal (Ratificación : 2000)

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 2013-Senegal-C182-Fr

Une représentante gouvernementale a rappelé les conventions internationales ratifiées par son gouvernement concernant la protection des droits des enfants et a également rappelé le cadre juridique national existant à cet égard. Se référant à la demande de la commission d’experts relative aux mesures prises dans le cadre de la lutte contre la mendicité et la lutte contre la traite des personnes, elle a souligné l’adoption par le Conseil des ministres du 29 novembre 2012 du Plan-cadre national de prévention et d’élimination du travail des enfants (PCNPETE), assorti d’un plan d’action de lutte contre le travail des enfants à l’horizon 2016 ainsi que la tenue d’un conseil interministériel le 8 février 2013, sous la présidence du Premier ministre, sur les voies et moyens d’éradication du phénomène de la mendicité. Le comité de pilotage chargé du suivi et de la mise en œuvre des recommandations issues du Conseil interministériel a élaboré un Plan-cadre national d’éradication de la mendicité (PNEMI) 2013-2015. Ce plan d’action, adopté en avril 2013, contient un ensemble de mesures à exécuter à court terme et implique, entre autres, les domaines d’intervention prioritaires suivants: la prise en charge des enfants; l’éligibilité des écoles coraniques suivant les normes et standards; le retour en famille des enfants étrangers; et une campagne d’information des populations et d’implication des autorités. A l’occasion de son discours à la nation le 3 avril 2013, le Président de la République a annoncé d’importantes mesures au profit de l’éducation de base, dont certaines sont spécifiquement dédiées aux apprenants des écoles coraniques. Quant à l’application des articles 3 a) et 7, paragraphe 1, de la convention, la représentante gouvernementale s’est référée au rapport du 28 décembre 2010 présenté au Conseil des droits de l’homme à la suite de sa mission au Sénégal et a indiqué que son gouvernement a apporté des précisions à la 16e session ordinaire du Conseil des droits de l’homme, en février et mars 2011, pour nuancer la contradiction relevée entre les dispositions de l’article 245 du Code pénal et les dispositions de la loi no 2005-06. Elle a réitéré les propos soulevés par son gouvernement lors de cette 16e session du conseil en expliquant que cette loi, en son article 3, réprime toutes les formes d’exploitation de mendicité d’autrui, et l’article 245 du Code pénal fait la distinction entre la mendicité interdite qui est punie et la mendicité tolérée, c’est-à-dire celle en accord avec des jours et des lieux consacrés par les traditions religieuses. Ces deux lois se rejoignent en condamnant ceux qui laisseront mendier des mineurs soumis à leur autorité. Par conséquent, elle a précisé qu’il n’existe aucune ambiguïté entre les dispositions de l’article 245 du Code pénal et les dispositions de la loi no 2005-06. De plus, elle a déclaré que le gouvernement envisage de renforcer le système de protection de l’enfance par l’élaboration d’un code de l’enfant en phase de finalisation. Exposant l’application du cadre juridique existant, elle a indiqué que les statistiques recueillies auprès des parquets ont relevé de nombreuses poursuites et condamnations à l’encontre des auteurs de traite. Le ministère de la Justice a élaboré la circulaire no 4131 du 11 août 2010 à l’intention des autorités judiciaires afin de les inviter à faire preuve de rigueur dans le traitement du contentieux relatif à la traite des personnes, en général, et à l’exploitation économique des enfants par la mendicité, en particulier.

Quant à l’application de l’article 7, paragraphe 2, de la convention, la représentante gouvernementale a fait part des informations sur la mise en œuvre de l’action gouvernementale dans le cadre du Partenariat pour le retrait et la réinsertion des enfants des rues (PARRER), soit: l’identification de 1 129 familles susceptibles de confier leurs enfants à des maîtres coraniques dans les régions à risque; l’identification de 5 160 enfants confiés; l’identification de 759 daaras dans 200 villages du Sénégal; la mise en place de 146 comités de protection des enfants talibés; l’élaboration et la mise à disposition auprès du ministère de l’Education d’un curriculum harmonisé pour l’enseignement coranique, ainsi que des standards de qualité pour l’enseignement coranique; et la campagne nationale pour l’application d’une loi développée en 2010 par le PARRER et la Cellule d’appui à la protection de l’enfance (CAPE). De plus, le Centre d’accueil, d’information et d’orientation des enfants en situation difficile (centre GINDDI), placé sous la tutelle du ministère de la Famille, dispose d’une ligne d’assistance téléphonique gratuite (24 heures sur 24) pour les enfants en détresse. Un nombre total de 13 521 appels ont été enregistrés par cette ligne d’assistance téléphonique en 2011 et 2012. Conformément à l’orientation gouvernementale de poursuivre le programme des daaras, la représentante gouvernementale a également souligné la signature d’un accord-cadre entre le ministère de l’Education et les fédérations des écoles coraniques du Sénégal. Dans cet accord, les daaras reconnus s’engagent à renoncer à toute forme de mendicité. De plus, en partenariat avec la Banque islamique du développement, et pour les quatre prochaines années, il a été mis en place un projet pilote d’appui à la modernisation des daaras qui permettra d’améliorer sensiblement les conditions de vie et d’apprentissage dans 64 daaras. La représentante gouvernementale a déclaré que, avec l’avènement de ces daaras modernes, le Sénégal se donnait les moyens de stimuler le taux brut de scolarisation dans la perspective de la réalisation de la scolarisation universelle à l’horizon 2015.

Les membres travailleurs ont indiqué qu’en août 2009 et en 2013, suite aux événements douloureux survenus au mois de mars et suite à un incendie ayant entraîné la mort d’enfants talibés calcinés, le gouvernement avait envisagé la mise en œuvre du plan national en vue d’éradiquer la mendicité sur la voie publique. L’article 3 de la loi no 2005‑06 interdit d’organiser la mendicité d’autrui en vue d’en tirer profit ou d’embaucher, d’entraîner ou de détourner une personne en vue de la livrer à la mendicité ou d’exercer sur elle une pression pour qu’elle mendie ou continue de le faire. Ces mesures sont aujourd’hui suspendues du fait des pressions de lobbies qui encouragent des pratiques illicites et dangereuses à l’encontre de la société. Ces lobbies exploitent les enfants et les femmes vulnérables dans des conditions dégradantes et de dépravation des mœurs. Les membres travailleurs ont souligné que le gouvernement a sursis à l’application stricte de mesures coercitives qui s’appuyaient sur des instruments juridiques existants, notamment la loi no 2005-06. Le rapport de la Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants, présenté le 28 décembre 2010 au Conseil des droits de l’homme, a relevé avec préoccupation que plus de la moitié des enfants contraints à la mendicité dans la région de Dakar viennent des pays limitrophes. Si la mendicité relève d’une pratique culturelle et éducative visant au départ à développer l’humanité et la compassion chez l’adulte, force est de reconnaître que la situation de ces enfants de la rue demeure plus que jamais préoccupante à cause de ce phénomène qui prend de l’ampleur et qui se développe principalement dans toutes les localités du pays.

Les membres travailleurs ont aussi indiqué que les mesures prises par le gouvernement ne sont pas efficaces et que tous les travaux visés à l’article 3 d) de la convention doivent être interdits en vertu de l’article 4, paragraphe 1, par la législation nationale ou l’autorité compétente, après consultation des organisations d’employeurs et de travailleurs intéressées, en prenant en considération les normes internationales pertinentes, et en particulier les paragraphes 3 et 4 de la recommandation (nº 190) sur les pires formes de travail des enfants, 1999. Les partenaires sociaux doivent être impliqués davantage dans la recherche de solutions aux problèmes qui se posent, notamment en matière d’éducation. La mendicité ne pourrait jamais être éradiquée sans enseignement universel et, inversement, l’objectif d’enseignement universel ne serait jamais atteint si l’on n’élimine pas le travail des enfants. Il est nécessaire de faire de l’enseignement une priorité publique, même dans les pays qui ne sont pas des pays riches. L’impact des programmes mis en œuvre par le gouvernement avec le soutien des partenaires techniques et financiers a été faiblement ressenti dans les régions de Saint Louis, Tambacounda, Matam, Kaffrine, Kolda et Louga. Ces programmes étaient articulés aux politiques sectorielles dans les domaines suivants: la protection sociale pour les groupes vulnérables doit être mise en cohérence avec le socle minimal de protection sociale et la politique éducative qui vise l’universalisation de la scolarisation, l’éradication de l’analphabétisme. Une enquête a été menée par l’OIT/IPEC et le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) en 2010 et laissait apparaître que 50 000 enfants âgés entre 4 et 12 ans vivent dans la rue. Dans un rapport de 2010, le gouvernement faisait état de 9 269 enfants retirés de la pratique des pires formes de travail, d’une part, et, d’autre part, 1 020 enfants en situation de vulnérabilité avaient bénéficié d’une aide sociale. Bien que le gouvernement ait accompli des efforts pour améliorer la situation, il se doit de les intensifier rapidement. Les membres travailleurs ont indiqué qu’il est d’abord et avant tout nécessaire de sanctionner les violations de la convention en épuisant tous les moyens prévus par les dispositions pénales. Une grande disparité existait entre la loi sur la défense des droits de l’enfant et son application effective dans le pays. Ils ont également souligné que la disposition phare de la convention, l’article 8, était unique puisqu’elle prévoit que les Etats Membres devraient prendre des mesures appropriées pour assister les uns et les autres dans l’application des dispositions de cette convention par une coopération et/ou assistance internationale renforcées.

Les membres employeurs ont déclaré que la convention était l’une des conventions fondamentales de la dernière génération. Le Sénégal l’a adoptée en 1999 et ratifiée en 2000. Or les pratiques des écoles coraniques par les marabouts, selon lesquelles les enfants talibés sont utilisés à des fins économiques, sont envoyés travailler aux champs ou mendier dans les rues, ou encore effectuer d’autres travaux lucratifs illégaux les privant ainsi de l’accès à la santé, à l’éducation et aux bonnes conditions de vie, sont source de grande préoccupation. Les actions de l’OIT/IPEC en vue de l’élimination du travail des enfants en Afrique ont pour objectif de lutter contre les pires formes de travail des enfants. Quelques marabouts ont été arrêtés mais ils n’ont pas été condamnés. Les Etats devront prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir l’application et le respect des dispositions donnant effet à la convention, notamment la mise au point et l’application de sanctions suffisamment efficaces et dissuasives. Il existe de sérieux soupçons que les délits susmentionnés ou la traite persistent encore au Sénégal. L’association créée en février 2007 (PARRER) en vue du retrait des enfants des rues et de leur réhabilitation n’a pas une couverture suffisante étant donné l’ampleur du problème. Des programmes de plus grande envergure sont requis en vue d’éradiquer la pauvreté.

Le membre travailleur du Sénégal a rappelé que la commission d’experts a exprimé sa préoccupation devant le nombre élevé d’enfants de moins de 15 ans travaillant au Sénégal ainsi que devant le nombre d’heures qu’ils effectuent. La commission a en outre noté avec regret que la réforme de l’article L.145 du Code du travail, qui prévoit qu’il est possible de déroger à l’âge minimum d’admission à l’emploi par arrêté du ministre chargé du travail, est toujours à l’étude et a instamment prié le gouvernement de modifier sa législation. La commission a aussi demandé au gouvernement de s’assurer en droit et en pratique que les enfants de moins de 16 ans ne puissent être employés dans les galeries souterraines des mines et des carrières alors que l’arrêté no 3750/MFPTEOP/DTSS du 6 juin 2003 fixe la nature des travaux dangereux interdit aux enfants et indique que le travail dans les galeries souterraines des mines et carrières est autorisé pour les enfants de sexe masculin âgés de moins de 16 ans pour les travaux les plus légers. En dépit de l’article 2 de la loi de 2005 relative à la lutte contre la traite des personnes qui prévoit que la peine maximale prévue est prononcée lorsque l’infraction de traite des personnes a été perpétrée à l’égard d’une personne mineure, la commission d’experts a observé que la traite d’enfants demeure un sujet de préoccupation dans la pratique. Enfin, la commission d’experts a exprimé sa profonde préoccupation devant le défaut d’application de la loi de 2005, et notamment devant des allégations d’impunité à l’égard de certains trafiquants. La commission d’experts a surtout exprimé sa profonde préoccupation devant l’exploitation des enfants talibés. Le nombre de talibés a été estimé à 50 000 en 2010. Ceux-ci sont presque exclusivement des garçons qui étudient dans les écoles coraniques, appelées daaras, sous l’autorité de maîtres coraniques ou de marabouts. Si la plupart des étudiants ne paient pas pour leurs études, le repas ou l’hébergement, les enfants sont toutefois forcés à mendier en moyenne cinq heures par jour pour gagner de l’argent. Les enfants qui ne parviennent pas à recueillir l’argent demandé font l’objet de violences physiques, sont attachés ou enchaînés. Ceux qui essaient de fuir sont sévèrement punis. Ces enfants sont très vulnérables car ils dépendent entièrement du daara et du maître coranique ou du marabout. Et en dépit de ressources suffisantes dans la plupart des daaras urbains, les marabouts demeurent négligents concernant les besoins élémentaires des enfants en matière d’alimentation, d’hébergement et de santé. Ainsi, neuf enfants ont péri dans l’incendie d’un daara à Dakar en mars 2013 et environ 45 talibés ont été piégés dans une petite pièce construite en bois, dans la médina de Dakar. Quatre-vingt-dix pour cent des enfants qui mendient dans Dakar sont talibés, dont 95 pour cent ne sont pas de Dakar. Plus de la moitié viennent d’autres régions du Sénégal, et le reste de la Guinée-Bissau, de la Guinée, du Mali et de la Gambie. L’emploi d’un grand nombre d’enfants dans l’agriculture et la pêche les expose naturellement aux dangers professionnels dans l’utilisation de machines et d’outils dangereux. Dans la pêche notamment, les enfants sont confrontés à des explosifs qui sont utilisés pour tuer de grandes quantités de poissons. Les enfants employés en tant que domestiques, dont certaines petites filles dès l’âge de 6 ans, travaillent de longues heures et peuvent faire l’objet d’agressions physique et sexuelle de la part de leur employeur.

L’orateur a insisté sur le manque de moyens mis en œuvre par l’Etat. Si la loi de 2005 sur la lutte contre la traite des personnes criminalise bien la mendicité forcée des enfants et prévoit la peine maximale comme sanction, il est en revanche dommage que l’article 245 du Code pénal dispose que «le fait de solliciter l’aumône aux jours, dans les lieux et dans les conditions consacrés par les traditions religieuses ne constitue pas un acte de mendicité». La brigade des mineurs du ministère de l’Intérieur, la police locale et la gendarmerie sont compétents pour combattre le tourisme sexuel. Toutefois, la brigade des mineurs n’est présente que dans la capitale alors que l’exploitation sexuelle des enfants est très répandue dans les zones touristiques en dehors de Dakar. L’inspection du travail ne dispose pas de moyens de transport suffisants pour effectuer des inspections et sanctionnent rarement les contrevenants lors de la première infraction constatée. Les employeurs ne sont donc jamais dissuadés d’exploiter des enfants. Mis à part quelques daaras modernes, aucune des écoles coraniques au Sénégal n’est soumise à une forme de réglementation concernant le programme scolaire, les conditions de vie ou de santé des enfants, ou la qualification des enseignants. Si une Inspection daara a bien été créée au sein du ministère de l’Education pour diriger le programme de modernisation des daaras et leur intégration dans le système de l’Etat, elle ne concerne pas tous les daaras qui continuent de proliférer en dehors de tout contrôle. Enfin, il est regrettable que seuls quelques rares cas de mendicité forcée d’enfants aient fait l’objet de poursuites au cours des dernières années sans que le marabout impliqué ne soit condamné. La législation exige la scolarité obligatoire jusqu’à l’âge de 12 ans alors que l’âge minimum d’admission à l’emploi est de 15 ans selon le Code du travail. Cette situation rend les enfants âgés de 13 à 15 ans particulièrement exposés aux pires formes de travail des enfants puisqu’ils ne sont pas tenus d’être scolarisés et sont en dessous de l’âge minimum pour le travail.

La membre travailleuse de la France a rappelé que le gouvernement a ratifié la convention (nº 29) sur le travail forcé, 1930, et la convention no 182, la convention de l’ONU de 1989 sur les droits de l’enfant, le protocole de l’ONU sur la traite des personnes, ainsi que la Charte africaine sur les droits de l’enfant de 1990. Le gouvernement figure pourtant dans la liste des cas ayant une double note de bas de page, ce qui signifie un défaut patent d’appliquer les conventions et les chartes ratifiées. Le gouvernement porte une lourde responsabilité à l’égard des enfants victimes et le problème est d’autant plus inquiétant que le Sénégal n’est pas le pays le plus pauvre du continent. Les enfants talibés, dont certains n’ont que 5 ans, font partie du paysage touristique urbain. Ce sont exclusivement des garçons qui étudient dans les écoles coraniques sous l’autorité de professeurs coraniques ou marabouts. En échange de l’éducation, de la nourriture et du logement qu’ils ne paient pas, ces enfants passent cinq heures par jour à mendier. Subvenir à ses propres besoins, renforcer sa capacité à se débrouiller de façon autonome et contribuer à la solidarité de la communauté villageoise n’est pas en soi condamnable et fait partie des valeurs d’humilité que le contexte culturel veut transmettre aux enfants; de nombreux parents y sont attachés. Toutefois, dans ce cas précis, il n’est plus question de tradition culturelle mais d’exploitation de cette tradition à des fins lucratives. Ce n’est plus un contexte culturel dont il est question mais d’une exploitation mafieuse d’enfants soumis à un esclavage brutal qui ne peut que laisser des séquelles quasi irréparables. Il est de plus insupportable de prétendre se cacher derrière des valeurs transmises par un héritage culturel pour laisser perdurer de telles horreurs. Les conséquences sur la santé et sur l’intégrité physique et intellectuelle de ces enfants sont énormes. Les enfants mendiants sont sous‑alimentés pour la plupart. Fièvre, fatigue, douleurs abdominales, diarrhée, dermatoses et, périodiquement, paludisme sont les pathologies les plus souvent signalées. Le gouvernement doit prendre des mesures qui permettent d’éradiquer de telles pratiques, œuvrer à fournir un système d’éducation contrôlé, assurer une lutte active contre la pauvreté à travers des programmes d’allocation qui permettraient aux familles pauvres, voire dans l’extrême pauvreté, de ne pas avoir recours à leurs enfants pour subvenir à leurs propres besoins. Le Sénégal étant muni de politiques nationales et d’un cadre juridique exhaustifs et adaptés à l’enraiement du phénomène de la mendicité enfantine, il convient d’intensifier l’utilisation des instruments disponibles pour obtenir les résultats escomptés.

La membre travailleuse du Royaume-Uni a affirmé que les enfants talibés étaient victimes d’exploitation grave car on les forçait à mendier pour leur marabout en exerçant sur eux une forte pression psychologique et des sévices physiques. Les garçons envoyés en pensionnat dans des daaras dans les centres villes, loin de leur maison, deviennent victimes de la plus cynique distorsion de l’obligation religieuse de faire l’aumône. Cette pratique existe de longue date; elle a été pervertie et transformée pour justifier faussement l’abus généralisé des personnes vulnérables. Ces abus ont toujours cours malgré des dispositions législatives qui pourraient être invoquées pour les faire cesser. La loi de 2005 sur la lutte contre la traite et les pratiques similaires et devant assurer la protection des victimes érigent en infraction la mendicité forcée et prévoit des peines d’amende et de prison. Cela aurait dû servir à lutter contre cette pratique mais cette loi est affaiblie par une autre disposition juridique concernant la collecte de l’aumône religieuse. Ceux qui forcent les enfants à mendier se retranchent derrière cette loi. Par conséquent, très peu de poursuites ont été engagées. Les chiffres sont peu clairs mais, d’après Anti-Slavery International, il n’y a eu que deux arrestations pour violences physiques en 2005 et trois en 2006. L’oratrice a rappelé qu’environ 50 000 talibés sont chaque jour victimes de coups et de punitions; cela est largement répandu et se fait au su de tous. En 2007, un marabout qui avait battu à mort un talibé n’a été condamné qu’à quatre années de prison. En août 2010, l’annonce par le Premier ministre d’un décret visant à clarifier l’interdiction de la mendicité dans les lieux publics, a été immédiatement remise en question. Les condamnations qui avaient été prononcées contre sept marabouts n’ont pas été appliquées et ils ont été libérés. Le Président a cédé à la pression des associations d’enseignants coraniques et les petits pas faits sur la voie de l’application de peines pénales ont été annulés. Le gouvernement n’a pas communiqué d’informations supplémentaires étayant ses affirmations selon lesquelles le Code pénal est appliqué lorsque des marabouts impliqués dans des cas de mendicité forcée font l’objet d’une enquête, sont arrêtés et condamnés. L’oratrice appelle de ses vœux un programme intégré par lequel le gouvernement appliquerait le Code pénal pour protéger les enfants talibés et qui inclurait d’autres moyens de lutte contre la pauvreté et les obstacles à l’accès à l’enseignement public.

Le membre gouvernemental du Kenya a pris acte des progrès accomplis par le Sénégal vers une meilleure mise en œuvre des principes inscrits dans la convention ainsi que de l’engagement et de la volonté du gouvernement d’éradiquer le travail des enfants. Le gouvernement sénégalais a élaboré un plan d’action national, et des poursuites pénales ont été entamées. Cela montre que le gouvernement joue un rôle de première importance dans ce domaine en pénalisant les responsables. Une coopération technique soutenue s’impose. Il prie instamment le gouvernement à continuer d’appliquer des mesures visant à éliminer les pires formes de travail des enfants, en particulier par l’intervention des services de l’inspection du travail agissant de concert avec le pouvoir judiciaire et les organes extrajudiciaires.

Le membre travailleur du Swaziland a déclaré que, au même titre que les violations graves de la dignité humaine et du développement personnel, le travail forcé et le travail des enfants contribuent à la persistance du cycle de la pauvreté. Le travail des enfants peut avoir des conséquences graves sur l’éducation, la santé et le développement des personnes qui en sont victimes. Les effets néfastes du travail des enfants compromettent les possibilités offertes aux enfants, portent gravement atteinte à leur développement social et psychologique et diminuent leur chance d’un avenir meilleur. Au Sénégal, la mendicité des enfants est un véritable fléau. Des données empiriques montrent que le travail forcé, le travail des enfants et la discrimination sont des obstacles majeurs au développement économique et contribuent à la persistance de la pauvreté. En 2004, l’étude de l’OIT/IPEC a démontré que les avantages économiques liés à l’élimination du travail des enfants seront près de sept fois supérieurs aux coûts requis pour son élimination. Les autorités sénégalaises n’ont pas réussi à mettre à exécution les règlementations en vigueur qui interdisent le recrutement de personnes n’ayant pas l’âge de travailler. Cet échec est responsable en partie du nombre sans cesse croissant d’enfants mendiant dans les rues et des abus dont ils sont victimes. Seuls quelques cas isolés d’extrême violence et d’abus commis contre des talibés ont fait l’objet de poursuites conformément au Code pénal. Jusqu’à 2010, aucun marabout n’a été arrêté, poursuivi ou condamné expressément pour avoir forcé des talibés à mendier. Au Sénégal, il ne s’agit pas d’une absence de législation mais plutôt du défaut de son application. Le gouvernement ne fait guère preuve d’une volonté politique de protéger et de promouvoir le droit de ces enfants. Il est d’une importance capitale de veiller à ce que des organes spécifiques soient chargés de traiter cette question et en mesure de le faire. La législation actuelle concernant la mendicité forcée des enfants doit être mise en totale conformité avec la convention et l’inspection du travail doit jouer son rôle. Les partenaires sociaux ont le devoir collectif de mettre fin aux pires formes du travail des enfants alors que le gouvernement doit mettre en place des programmes en consultation avec les partenaires sociaux et les organisations de la société civile pour remédier à la situation dramatique des talibés.

Le membre gouvernemental du Maroc a remercié le gouvernement pour la richesse et l’exhaustivité de l’information relative à la mise en œuvre de la convention fournie à la commission. L’engagement du gouvernement semble être assuré tant par des mesures normatives et des politiques publiques sociales, que par l’adhésion à des instruments internationaux dont l’objet est en relation avec le travail des enfants. L’action du gouvernement ne se limite pas à l’adoption de textes de loi mais concerne aussi leur mise en œuvre et la création d’importantes infrastructures sociales ayant pour objectif de réduire le phénomène de la mendicité des enfants. Cependant, il peut y avoir un décalage entre les moyens disponibles et les exigences de la réalité sociale, car le phénomène des talibés concerne un effectif important. Le renforcement des programmes mis en œuvre par le Bureau et la contribution des organisations non gouvernementales nationales soutiendraient le gouvernement dans ses efforts pour protéger une catégorie d’enfants particulièrement vulnérables et l’aideraient à répondre aux attentes de la communauté internationale.

La représentante gouvernementale a manifesté son appréciation des contributions lors de la discussion du cas et des interventions qui ont relevé les efforts fournis par son gouvernement. La question du respect des droits de l’enfant, et notamment de celui qui apprend dans une école coranique, constitue une préoccupation pour les plus hautes autorités de l’Etat. Le cadre juridique exposé offre un socle de protection contre la mendicité des enfants et la traite des personnes, mais le gouvernement reconnaît qu’éradiquer le phénomène de la mendicité des enfants constitue encore un vaste chantier. L’action des structures gouvernementales avec l’appui de la société civile est, à cet égard, primordiale. Cette action nationale doit être combinée avec une autre, sous régionale, compte tenu du caractère transfrontalier du problème. La coopération bilatérale est essentielle et, à cet égard, le plan d’action national signé en avril 2013 prévoit la signature d’accord avec les pays limitrophes afin de faciliter le retour des enfants victimes de traite dans leur pays d’origine. Par ailleurs, le projet de modernisation des écoles coraniques et l’engagement des maîtres coraniques doivent contribuer à mieux répondre aux besoins sanitaires et alimentaires des enfants. Enfin, le gouvernement souhaite réitérer que des poursuites et des sanctions ont effectivement été prononcées contre des maîtres coraniques à l’occasion d’incidents signalés qui ont causé la mort d’enfants talibés. Le gouvernement tient également à préciser que la mendicité tolérée concerne la mendicité volontaire des adultes dans les lieux de culte à certaines heures mais que, dans tous les cas, la mendicité des enfants est interdite et punie par le Code pénal. Au niveau de l’action gouvernementale, un plan-cadre de lutte contre la traite des personnes vient d’être validé en Conseil des ministres et sera bientôt mis en œuvre, et le Conseil interministériel de février 2013, auquel ont été conviées toutes les parties prenantes, a adopté un plan d’éradication de la mendicité des enfants d’ici à 2015. Cependant, pour que ces plans puissent porter leurs fruits, il est nécessaire que des décisions soient prises de manière concertée avec l’ensemble des parties prenantes. Enfin, le gouvernement déclare que l’éducation, y compris dans les daaras, constitue une priorité de son action pour laquelle il alloue 40 pour cent de son budget.

Les membres travailleurs ont pris note des explications fournies par le gouvernement ainsi que de sa volonté affichée de combattre le fléau que constituent les pires formes de travail des enfants. Ils demandent au gouvernement les actions suivantes pour concrétiser sa déclaration d’intention: la mise en œuvre du plan-cadre validé en juillet 2012; la réactivation des comités régionaux de lutte contre le travail des enfants; la mise en place d’un système d’inspection du travail et de mécanismes d’application effectifs; le renforcement du dispositif de suivi-évaluation; l’adoption de mesures concrètes pour mettre un terme à la traite régionale des enfants; l’application de la convention aussi bien en droit qu’en pratique, et en particulier de son article 1 qui prévoit des mesures immédiates pour assurer l’interdiction et l’élimination de la mendicité en tant que pire forme de travail des enfants; l’adoption de mesures concrètes pour mettre un terme à la traite régionale des enfants à des fins de mendicité; engager une concertation tripartite en vue d’identifier et de mettre en œuvre des mesures concrètes; solliciter l’assistance technique du Bureau pour établir une feuille de route; enfin, accorder une place prépondérante aux partenaires sociaux et ne pas se contenter du Partenariat pour le retrait et la réinsertion des enfants de la rue (PARRER).

Les membres employeurs se sont félicités que le gouvernement ait reconnu les difficultés d’application de la convention et se soit engagé à rechercher des solutions. Ils jugent essentielle l’existence d’un dialogue tripartite. Néanmoins, ils affirment que rien n’indique que les partenaires sociaux ont été consultés dans le cadre du programme d’action visant à éliminer les pires formes de travail des enfants. C’est pourquoi ils proposent de revoir ce programme en consultation avec les employeurs et les travailleurs sénégalais. Il faut aussi consulter les partenaires sociaux concernant la mise en œuvre du programme et des mécanismes de surveillance, conformément aux dispositions de la convention. Le gouvernement doit se prévaloir de l’assistance internationale pour progresser vers l’élimination des pratiques contraires à la convention. L’éducation joue aussi un rôle fondamental dans ce processus et le gouvernement a progressé dans ce domaine. Il conviendrait aussi de prendre des mesures pour éliminer la pauvreté. Le gouvernement doit achever l’enquête qu’il a entamée pour déterminer l’envergure du problème dans le pays.

Conclusions

La commission a pris note des informations communiquées oralement par le représentant du gouvernement et de la discussion qui a suivi concernant l’utilisation des enfants dans la mendicité à des fins purement économiques, ainsi que la traite des enfants à cette fin.

La commission a noté la déclaration du gouvernement selon laquelle la mendicité permanente dans les artères de la ville constitue une infraction pénale au regard de la loi sénégalaise, tandis que le fait de solliciter l’aumône est toléré du fait des croyances socioculturelles. La commission a noté plusieurs mesures adoptées par le gouvernement dans le cadre du Partenariat pour le retrait et la réinsertion des enfants des rues (PARRER), dont les visites de plaidoyer auprès de grands chefs religieux et maîtres coraniques, les actions de prévention et de retrait des enfants des rues et le développement de larges campagnes de sensibilisation. La commission a également noté l’indication du gouvernement selon laquelle il a adopté des plans d’action de lutte contre la traite et contre la mendicité des enfants et que, dans le contexte de la modernisation du système des daaras, il a pris plusieurs mesures pour former des maîtres coraniques et des enfants talibés sur les droits de l’enfant et leur protection et pour améliorer les conditions de vie et d’apprentissage des enfants talibés dans les daaras.

Tout en notant les politiques et programmes adoptés par le gouvernement pour traiter de la question de la mendicité des enfants talibés, la commission a partagé la profonde préoccupation exprimée par plusieurs orateurs devant la persistance de l’exploitation économique d’un nombre élevé d’enfants engagés dans la mendicité et le fait que les enfants continuent d’être victimes de la traite à cette fin, surtout en provenance des pays voisins. La commission a rappelé au gouvernement que, bien que la question de la quête de l’aumône utilisée comme outil pédagogique ne relève pas du mandat de la commission, il est clair que l’utilisation d’enfants pour la mendicité à des fins purement économiques ne peut être acceptée en vertu de la convention. La commission a souligné la gravité de telles violations de la convention no 182. Elle a prié instamment le gouvernement de prendre des mesures immédiates et efficaces en vue d’éradiquer, de toute urgence, l’utilisation d’enfants dans la mendicité à des fins purement économiques, ainsi que la traite des enfants à cette fin. A cet égard, la commission a encouragé le gouvernement à assurer la mise en œuvre du Plan‑cadre de lutte contre la traite récemment validé, ainsi que du Plan national d’action adopté en février 2013 pour éliminer la mendicité des enfants d’ici à 2015.

La commission a noté que, bien que la loi no 2005-06 du 29 avril 2005 interdise d’organiser la mendicité d’autrui en vue d’en tirer profit, le Code pénal semble permettre d’organiser la mendicité des enfants talibés. En outre, la commission a exprimé sa grave préoccupation concernant le fait que la loi no 2005-06 n’est pas appliquée dans la pratique. A cet égard, la commission a profondément regretté qu’un nombre très faible de marabouts aient été poursuivis et se soient vu imposer des peines d’emprisonnement, ce qui crée un climat d’impunité dans la pratique. La commission a donc prié instamment le gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour harmoniser sa législation nationale afin de garantir que l’utilisation de la mendicité des enfants talibés aux fins d’exploitation économique soit clairement interdite et d’assurer que cette législation soit appliquée dans la pratique. A cet égard, la commission a prié instamment le gouvernement de prendre des mesures immédiates et efficaces pour renforcer la capacité des autorités publiques pertinentes, en particulier l’inspection du travail qui serait dédiée à l’identification des enfants talibés en vue de les retirer de leur situation d’exploitation. Elle a également prié instamment le gouvernement de renforcer la capacité des agents d’application de la loi, en particulier la police et les pouvoirs judiciaires, afin de s’assurer que les auteurs sont poursuivis et que des sanctions suffisamment efficaces et dissuasives leur sont imposées dans la pratique.

Notant l’information mise en évidence par plusieurs orateurs selon laquelle les pires formes de travail des enfants sont le résultat de la pauvreté et du sous-développement au Sénégal, la commission s’est félicitée de la décision du gouvernement de continuer de se prévaloir de l’assistance technique du BIT afin de réaliser des progrès tangibles dans l’application de la convention et a prié le Bureau de fournir une telle assistance.

Finalement, la commission a prié le gouvernement de soumettre un rapport détaillé à la commission d’experts portant sur toutes les questions soulevées par la commission et par la commission d’experts, lors de sa prochaine session.

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