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Caso individual (CAS) - Discusión: 2015, Publicación: 104ª reunión CIT (2015)

Convenio sobre el trabajo forzoso, 1930 (núm. 29) - Eritrea (Ratificación : 2000)

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 2015-Eritrea-C29-Fr

Un représentant gouvernemental a estimé que la législation nationale est compatible avec les prescriptions de la convention. Le service national obligatoire constitue une exception à la notion de travail forcé, comme le prévoit l’article 3(17) de la Proclamation relative au travail de l’Erythrée (no 118 de 2001). Le service national obligatoire, tout comme les obligations civiques normales, le travail obligatoire tel que prévu dans le Code pénal, les travaux de village et les services exigés en cas de force majeure ne peuvent pas être considérés comme du travail forcé. La commission d’experts a indiqué qu’aux termes de la convention les travaux ou services exigés en vertu des lois sur le service militaire obligatoire ne sont exclus du champ d’application de la convention qu’à la condition qu’ils revêtent un caractère purement militaire. De manière similaire, la Proclamation relative au service national (no 82 de 1995) a été conçue à des fins militaires. En outre, les articles 6 et 8 de cette proclamation, qui disposent que les citoyens érythréens âgés de 18 ans et plus ont l’obligation d’effectuer un service national de dix-huit mois, sont compatibles avec la convention, dont l’article 2, paragraphe 2 b), précise que le travail forcé ou obligatoire ne comprend pas le travail ou le service faisant partie des obligations civiques normales des citoyens. Le gouvernement de l’Erythrée est d’accord avec la commission d’experts quand elle indique que, dans des circonstances particulières, telles que les cas de force majeure, les conscrits peuvent être appelés à effectuer des activités non militaires. Il en va de même quand la commission d’experts précise que le pouvoir de mobiliser de la main-d’œuvre devrait être limité aux véritables situations d’urgence ou cas de force majeure survenant de manière abrupte et imprévisible, comme le prévoit l’article 2, paragraphe 2 d), de la convention. La Commission de la Conférence devrait cependant faire preuve de compréhension s’agissant des véritables situations d’urgence et de leur particularité ainsi que de la situation actuelle dans le pays. Le conflit frontalier qui persiste et l’absence de paix et de stabilité ont affecté l’administration du travail érythréenne. Dans un pays qui n’est ni en paix ni en guerre, il n’est pas possible d’appliquer la décision finale et contraignante de la Commission de délimitation des frontières, et la communauté internationale ne joue pas le rôle qu’elle devrait jouer à cet égard. De plus, des conditions climatiques imprévisibles ajoutent encore à la situation de «menace de guerre et de famine». Au vu de cette situation particulière, l’exception prévue à l’article 2, paragraphe 2 d), de la convention relative aux cas de force majeure sont d’application. Cette situation a justifié l’allongement de la durée du service national au-delà de ce que prescrit la Proclamation relative au service national et l’adoption, en 2002, par l’Assemblée nationale, de la «Campagne de développement Warsai Yakaalo» (WYDC). Les services obligatoires imposés se limitent strictement aux nécessités de la situation et de l’intérêt commun; ils ne servent pas les intérêts d’entreprises privées ou de particuliers. Les programmes de la campagne de développement de l’après-guerre concernent principalement le travail dans les domaines du reboisement, de la préservation des sols et de l’eau, ainsi que des activités de reconstruction et liées à la sécurité alimentaire. S’agissant de l’application de la Proclamation relative au service national, le gouvernement n’a aucune objection au départ des conscrits au terme de leurs dix-huit mois de service en temps de paix; d’ailleurs, des démobilisations avaient précédé le début du conflit frontalier avec l’Ethiopie, en 1998. Toutefois, en raison de ce conflit, les conscrits n’ont plus pu quitter le service au terme des dix-huit mois. Contrairement à l’avis exprimé par la commission d’experts, il n’existe pas de pratique généralisée et systématique consistant à imposer, dans le cadre du service national, du travail obligatoire à la population pour une période indéfinie, qui sort largement du cadre des exceptions prévues par la convention. De ce fait, aucun travail forcé ou obligatoire n’est effectué en Erythrée en violation de la convention. Le gouvernement n’a pas l’intention d’utiliser le service national pour des activités de toute nature ni d’allonger la durée du service de manière indéfinie. Malgré la menace de guerre et de famine, le gouvernement démobilise des conscrits pour des motifs de santé et des considérations d’ordre social et il prévoit, pour l’avenir proche, de démobiliser des conscrits dans les conditions prévues par la Proclamation relative au service national. Toutefois, ces mesures positives adoptées par le gouvernement ne pourront aboutir à une solution durable tant que n’aura pas disparu le problème majeur qui affecte l’administration du travail. En conséquence, l’orateur a appelé l’OIT et la communauté internationale à jouer leur rôle en pesant sur l’application de la décision finale et contraignante de la Commission de délimitation des frontières.

Les membres travailleurs ont déclaré que la pratique généralisée et systématique du travail forcé en Erythrée, critiquée en vain depuis des années, fait l’objet d’une double note de bas de page de la part de la commission d’experts. Dans son rapport intérimaire de mars 2015, la Commission d’enquête des Nations Unies sur les droits de l’homme en Erythrée a conclu que le service national obligatoire et indéfini combiné à des politiques et pratiques gouvernementales abusives exposent les travailleurs au travail forcé. Ceci s’accompagne en outre d’arrestations, de détentions arbitraires, d’exécutions extrajudiciaires et d’autres violations des droits de l’homme. Selon la Proclamation relative au service national, tous les Erythréens entre 18 et 40 ans sont «soumis au service national actif obligatoire», qui consiste en six mois d’entrainement militaire et douze mois de service militaire actif, outre des tâches de développement au sein des forces armées. Par ailleurs, l’introduction en 2002 de la WYDC a institutionnalisé l’enrôlement pour une période indéfinie dans la mesure où tous les citoyens entre 18 et 50 ans (40 ans pour les femmes) restent inscrits indéfiniment au service national obligatoire. Il existe deux catégories de conscrits: ceux qui sont incorporés dans l’armée et se voient également assigner du travail non militaire, notamment dans l’agriculture ou la construction; et ceux qui sont occupés dans l’administration civile et sont affectés en permanence à des projets d’infrastructure, d’éducation ou de construction. Les entreprises privées sont également autorisées à recourir à cette main-d’œuvre via la WYDC. Dans ce cas, les salaires sont versés directement au ministère de la Défense qui reverse un salaire nettement plus bas aux recrues. Cette pratique est courante dans l’industrie des mines, et en particulier dans la mine de Bishna.

Selon l’article 2, paragraphe 2 a), de la convention, pour ne pas constituer du travail forcé, le travail exigé dans le cadre du service militaire obligatoire doit revêtir un caractère purement militaire, ceci afin d’éviter que des conscrits soient requis pour des travaux publics. Cette limitation trouve son corollaire dans l’article 1 b) de la convention (no 105) sur l’abolition du travail forcé, 1957, qui interdit l’imposition de travail forcé ou obligatoire «en tant que méthode de mobilisation et d’utilisation de la main-d’œuvre à des fins de développement économique». Or les pratiques développées par le gouvernement de l’Erythrée outrepassent largement le cadre de l’exception prévue par la convention no 29 en permettant non seulement d’utiliser des conscrits pour des travaux publics ordinaires, mais également dans le secteur privé. Les personnes qui ne respectent pas l’obligation de service national sont passibles de sanctions sévères pouvant aller jusqu’à cinq années d’incarcération et la suspension d’autres droits. Une police militaire a d’ailleurs été instituée à cette fin. Ceux qui réussissent néanmoins à s’échapper font courir d’énormes risques aux membres de leur famille, que le gouvernement considère comme «coupables par association» et sanctionne d’une amende de 50 000 ERN (environ 3 350 dollars E.-U.). Faute de pouvoir réunir une telle somme, les membres de la famille seront détenus. D’autres mesures de représailles, comme le non-renouvellement des licences commerciales, sont également exercées. A cela s’ajoutent des conditions carcérales inhumaines et dégradantes, avec des prisons surpeuplées, des cellules insalubres, une nourriture insuffisante et inadéquate. En conséquence, de nombreux détenus sont malades et les installations médicales ne sont pas adaptées et ne proposent pas de traitements appropriés. En outre, la torture et les mauvais traitements sont monnaie courante. Les contacts entre les détenus et leur famille sont difficiles car celles-ci ne sont pas informées du lieu de détention de leur proche, ni du motif ou de la durée de la détention. Compte tenu de la lourdeur des peines de prison imposées en cas de refus de se soumettre au service national, des conditions de détention et des mesures de représailles exercées contre les familles, il ne fait aucun doute que les travaux effectués dans le cadre du service national sont réalisés sous la menace de sanctions et que les personnes ne se sont pas offertes de leur plein gré. Les membres travailleurs ont également fait part de leur inquiétude en ce qui concerne l’incidence de ces pratiques sur les femmes et les enfants. Divers rapports ont révélé que près d’un tiers des nouveaux conscrits présents dans les centres d’entrainement militaire ont moins de 18 ans. Les étudiants en dernière année d’école secondaire sont obligés de se soumettre à un entrainement militaire intensif à Sawa et les élèves de douzième reçoivent une formation militaire avant d’être directement transférés au programme de service national. S’agissant des femmes, également soumises à l’obligation de service militaire, elles sont particulièrement vulnérables au risque de harcèlement et violences sexuelles et sont forcées de réaliser des tâches domestiques en plus de leurs fonctions militaires. Face à cet enrôlement forcé et indéfini, des dizaines de milliers d’Erythréens fuient leur pays, souvent au risque de leur vie, que ce soit au Soudan ou en essayant de rejoindre l’Europe. En témoigne l’immense majorité de victimes érythréennes mortes dans la tragédie de Lampedusa, qui a fait au moins 359 victimes. Comme la commission d’experts l’a souligné, ce cas est particulièrement grave et inquiétant. L’Erythrée est davantage une colonie pénitentiaire qu’un Etat. Le recours au travail forcé dans le cadre du service national se caractérise non seulement par les abus effroyables et l’exploitation flagrante dont sont victimes les travailleurs, mais également par une crise humanitaire dont les femmes et les enfants sont les principales victimes. Le gouvernement doit immédiatement révoquer la Proclamation relative au service national et mettre fin à la WYDC.

Les membres employeurs ont salué les informations fournies par le gouvernement et ont noté les difficultés rencontrées par le gouvernement en raison de la situation de «ni guerre, ni paix» et le fait qu’il a demandé à la commission de comprendre la véritable situation dans laquelle le pays se trouve. Le gouvernement a réaffirmé que le travail imposé au titre du service national poursuit des fins militaires et qu’il fait partie des obligations civiques normales des citoyens, comme prévu par les exceptions énoncées à l’article 2, paragraphe 2 a) et b), de la convention. Le gouvernement a également expliqué que l’absence de paix, les «menaces de guerre et de famine» et le caractère imprévisible des conditions météorologiques constituent des cas de force majeure, une exception prévue à l’article 2, paragraphe 2 d), de la convention. Tout en appréciant le fait que le gouvernement ait fourni des explications, les membres employeurs se sont déclarés préoccupés par leur teneur. Le gouvernement a reconnu que, compte tenu du conflit frontalier et de la situation de «ni guerre, ni paix», l’affectation des conscrits âgés de 18 à 40 ans pendant une période de dix-huit mois a été prolongée et que cette pratique a été institutionnalisée par la déclaration relative à la WYDC, adoptée en 2002. Le gouvernement a également reconnu que les conscrits ne peuvent pas quitter le service national et confirmé que l’obligation faite aux citoyens d’accomplir le service national, prévue par l’article 23(3) de la Constitution, ne couvre pas uniquement le travail à caractère militaire mais également la construction de routes et la mise en place de services, les programmes de reboisement, la préservation des sols et de l’eau, les activités de reconstruction et la sécurité alimentaire. Par conséquent, l’étendue des activités entreprises dans le cadre du service national, qui englobe la vie civile, dépasse des fins purement militaires, comme observé par la commission d’experts. Les membres employeurs ont rappelé l’obligation faite à tous les Etats Membres qui ont ratifié la convention de supprimer toutes les formes de travail forcé. Tandis que la commission d’experts a, ces dernières années, adressé des commentaires à l’Erythrée concernant le respect de cette obligation, les explications du gouvernement sont les mêmes depuis plusieurs années. L’imposition d’un service national obligatoire pendant une durée indéterminée ne relève pas des exceptions prévues par la convention et est, par conséquent, avec l’obligation du gouvernement au titre de la convention de supprimer le travail forcé aux fins du développement de l’Etat. Les membres employeurs ont instamment prié le gouvernement de modifier ou d’abroger la Proclamation relative au service national et la déclaration de 2002 relative à la WYDC, ainsi que de consulter les partenaires sociaux sur ce point. Il s’agit d’un problème grave qui exige que le gouvernement prenne immédiatement des mesures pour mettre en conformité le droit et la pratique nationales avec la convention.

Le membre travailleur de l’Erythrée a indiqué que l’actuel processus de reconstruction, de stabilité et de restauration de la paix en Erythrée, qui fait suite à une guerre meurtrière, est complexe, lent et frustrant. Cela contribue souvent à une mauvaise compréhension des questions relatives au monde du travail. Tel est le cas de l’observation de la commission d’experts sur le recours au travail forcé en Erythrée. Les travailleurs érythréens sont engagés en faveur de la reconstruction de leurs communautés, dévastées par la guerre, et sont plus que jamais prêts à faire des sacrifices pour la réalisation de cet objectif. Néanmoins, ils n’ont pas soutenu le fait que de tels sacrifices soient réalisés sous la contrainte. Les rapports contenant des informations erronées et tirant des conclusions générales sur la situation du travail forcé en Erythrée ne sont pas constructifs; aussi l’orateur a-t-il demandé l’appui technique et financier du BIT afin de renforcer les capacités permettant de réintroduire le service national de 18 mois, notamment par le dialogue social et la consultation tripartite au niveau national. Cette assistance est nécessaire et doit être octroyée afin que l’Erythrée soit en mesure de traiter ces questions de façon continue et progressive. Les travailleurs érythréens l’appellent de leurs vœux et sont prêts à coopérer avec des partenaires bienveillants et coopératifs. La communauté internationale doit jouer pleinement son rôle en vue de la mise en œuvre de la décision de la Commission de délimitation des frontières, qui est définitive et juridiquement contraignante.

Le membre employeur de l’Erythrée a indiqué que son pays lutte non seulement pour garder son indépendance, mais aussi pour garantir la justice sociale. Après l’indépendance de l’Erythrée en 1991, le gouvernement a commencé à démobiliser les anciens combattants, et différents programmes économiques et sociaux ont été lancés pour les doter des moyens de subvenir à leurs besoins. Malheureusement, tous ces efforts ont été anéantis par la guerre frontalière. Des milliers de personnes ont perdu la vie et des milliers d’autres ont été déplacées. La médiation de la communauté internationale a conduit à la signature d’un accord et à une décision définitive et contraignante de la Commission de délimitation des frontières. Néanmoins, ces treize dernières années, cette décision n’a pas été appliquée et le pays se retrouve dans une situation de «ni guerre, ni paix». Dès lors que perdurera cette situation, la défense et la souveraineté du pays resteront prioritaires, et des compromis à l’égard de certaines proclamations nationales et conventions de l’OIT seront alors nécessaires. La communauté internationale devrait jouer son rôle en faisant appliquer les décisions de la Commission de délimitation des frontières, car cela règlerait la cause réelle du problème.

La membre gouvernementale de la Lettonie, s’exprimant au nom de l’Union européenne (UE) et de ses Etats membres, a souligné que la promotion de la ratification universelle et de la mise en œuvre des huit conventions fondamentales de l’OIT fait partie de la stratégie européenne en matière de droits de l’homme adoptée en 2012. Dans le cadre de sa coopération avec l’UE, le respect de la convention no 29 est primordial, dans la mesure où l’Erythrée s’est, aux termes de l’Accord de Cotonou, engagée en faveur du respect des droits de l’homme, y compris l’abolition du travail forcé. La commission d’experts a demandé au gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour modifier ou abroger la Proclamation relative au service national ainsi que la déclaration de 2002 intitulée «Campagne de développement Warsai Yakaalo», afin de supprimer la base légale sur laquelle se fonde le recours au travail forcé dans le contexte du service national. Le gouvernement de l’Erythrée doit répondre aux demandes de la commission d’experts et accepter de coopérer avec le BIT. L’UE est prête à coopérer afin de garantir la pleine jouissance et le développement des droits de l’homme dans le pays.

La membre travailleuse de la Suède a indiqué que, si des migrants érythréens prennent des décisions désespérées et dangereuses, c’est notamment en raison du travail forcé, des longues périodes de conscription militaire, des détentions arbitraires, de la torture, de conditions de détention épouvantables, de disparitions et de graves restrictions à la liberté de mouvement dans le pays. L’oratrice a évoqué la catastrophe de Lampedusa, dont beaucoup de victimes étaient des Erythréens ayant fui des conditions proche de la servitude. De plus, selon le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), 5 000 réfugiés érythréens en moyenne, y compris des mineurs non accompagnés, quittent le pays chaque mois. Ce chiffre n’inclut pas les migrants non enregistrés qui, pour beaucoup, ont recours à des trafiquants pour quitter leur pays, afin d’échapper aux lourdes sanctions infligées en cas de migrations non autorisées. Ces migrants sont victimes d’extorsion massive, d’enlèvements, d’agressions sexuelles et de trafic d’organes. Alors que le pays devrait avoir la responsabilité de mettre un terme à cette situation, le régime continue de refuser l’entrée dans le pays à la Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur la situation des droits de l’homme en Erythrée. Dans son rapport de 2014, la rapporteuse spéciale a indiqué que l’exode des réfugiés est dû aux violations qui seraient commises, y compris les exécutions extrajudiciaires, la torture, la conscription militaire forcée pour une durée indéterminée. En conclusion, l’oratrice a demandé au régime érythréen d’agir de manière responsable sur ce point, de coopérer avec les partenaires résolus à mettre un terme à ces violations et de revoir progressivement les procédures et pratiques concernant les questions des réfugiés et des migrations.

La membre travailleuse du Canada a déclaré, au sujet du recours au service national obligatoire pour le développement économique non militaire, que le parti au pouvoir est propriétaire d’une entreprise de construction nationale qui utilise le travail forcé pour construire des routes, des logements et autres travaux de terrassement dans l’ensemble du pays. En témoignent les activités que mène l’entreprise en association avec de grandes multinationales étrangères d’Australie, du Canada, de Chine et du Royaume-Uni qui exploitent certains des principaux gisements minéraux d’Erythrée. L’oratrice s’est référée en particulier à une entreprise canadienne qui exploite la mine de Bisha depuis 2010. D’après les données, cette société est l’un des principaux investisseurs étrangers en Erythrée, pays qui est le premier fournisseur d’or du Canada en Afrique subsaharienne. L’Erythrée oblige pour ainsi dire les multinationales étrangères à sous-traiter leurs activités de construction à cette entreprise érythréenne qui, pour ce faire, recourt au travail forcé. Ce fait a été révélé à l’occasion d’un recours judiciaire engagé au Canada contre la multinationale canadienne en question par plusieurs Erythréens qui ont travaillé pour l’entreprise sous-traitante, l’accusant de s’entendre avec le gouvernement de l’Erythrée pour les obliger ainsi que d’autres ouvriers conscrits à travailler dans la mine de Bisha, pour des salaires minimes, dans des conditions de logement inappropriées, avec des services médicaux insuffisants et une alimentation inadéquate. Un rapport de Human Rights Watch de 2013 confirme ces allégations. Curieusement, le problème ne figure pas dans le programme de responsabilité sociale des entreprises mis en place par le gouvernement du Canada ou n’a pas été traité une fois révélé. Les relations diplomatiques avec l’Erythrée devraient établir clairement que les pays n’autoriseront pas les flux d’investissements au profit de projets industriels qui recourent au travail forcé. Certes, l’Erythrée est coupable de recourir au travail forcé, mais les sociétés étrangères et les investisseurs ne doivent pas en bénéficier et les gouvernements doivent veiller à ce que ces abus ne se produisent pas.

Le membre travailleur du Ghana, s’exprimant au nom des membres travailleurs du Ghana, du Nigéria et de la Sierra Leone, a déclaré que des centaines de jeunes gens, de femmes et d’enfants, à la recherche d’un endroit où ils pourront poursuivre leurs aspirations, prennent la fuite et se lancent, au risque de leur vie, dans de dangereuses traversées à destination de l’Europe. Nombre de ces jeunes gens sont des Erythréens, qui ont été chassés du pays, notamment en raison de la situation d’urgence, de la militarisation permanente et du service national obligatoire, comme le décrit la commission d’experts. Cette situation continue à peser sur les activités économiques aussi bien individuelles que collectives. Si le conflit frontalier avec l’Ethiopie durant la guerre de 1998-2000 est à l’origine de cette pratique, la WYDC lancée en 2002 a autorisé la conscription de tous les citoyens âgés de 18 à 40 ans pour une période indéterminée. La poursuite de la militarisation ne se justifie plus. La déclaration du gouvernement selon laquelle l’obligation d’accomplir le service national obligatoire relève du domaine des exceptions prévues dans la convention est de toute évidence inexacte. De nombreux exemples montrent que des personnes ont travaillé jusqu’à quinze ans, dans certains cas sans rémunération, dans le cadre de soi-disant «obligations civiques normales» et sous couvert d’obligations militaires permanentes. Par conséquent, le gouvernement de l’Erythrée se sert du système du service national pour soutenir les efforts de développement économique du pays, ce qui est contraire à l’esprit et à la lettre de la convention. Rappelant que le droit international relatif aux droits de l’homme garantit aux citoyens érythréens le droit d’œuvrer à la poursuite de leurs ambitions et de leurs objectifs et, parallèlement, qu’il est important que les citoyens érythréens contribuent à assurer la prospérité économique du pays, l’orateur a toutefois souligné que le travail forcé ne saurait être le moyen de poursuivre ces objectifs. Par conséquent, le gouvernement doit être prié d’accepter l’assistance technique du BIT dans ce domaine.

Le représentant gouvernemental a souligné que le gouvernement est opposé au travail forcé, qu’il œuvre actuellement à son abolition et qu’il poursuivra cet objectif. La cause première du problème est liée à la situation à laquelle le pays est confronté, comme cela a été précédemment expliqué. La situation actuelle ne sert pas d’excuse pour promouvoir le travail forcé, mais elle est telle que le gouvernement n’a d’autre option. Il y a lieu, une fois encore, d’insister sur le fait qu’il est important d’éliminer la cause première du travail forcé, qui tient au fait que le pays se trouve dans une situation de «ni guerre, ni paix», plutôt que de vouloir agir sur les conséquences. Cette situation n’est pas seulement la cause fondamentale du travail forcé, elle l’est aussi pour d’autres problèmes. L’orateur a appelé la commission et l’OIT à travailler ensemble pour régler la question du conflit frontalier et la situation de «ni guerre, ni paix» afin d’instaurer la paix et la stabilité dans le pays. En l’absence de solution, la situation se dégradera, quelles que soient les améliorations apportées à la législation. Dans la recherche d’une solution, tous les éléments doivent être abordés, y compris les aspects techniques se rapportant aux questions de travail et au travail forcé. Le gouvernement se réjouit de la perspective de travailler ensemble pour tenter d’influencer et de faire appliquer la décision finale et contraignante de la Commission de délimitation des frontières.

Les membres employeurs ont à nouveau remercié le gouvernement pour les informations qu’il a fournies et ont indiqué qu’ils étaient sensibles à la difficulté du contexte et aux défis que suscite le conflit frontalier, ainsi qu’à la situation particulière décrite par le gouvernement. Toutefois, il est important que le gouvernement comprenne les vives préoccupations exprimées par les membres employeurs face aux explications réitérées du gouvernement s’agissant de l’application de la convention. A ce propos, il est également préoccupant que le gouvernement n’ait pas pris pleinement conscience des commentaires de la commission d’experts concernant la question du travail forcé qui persiste dans le cadre du service national obligatoire. Les membres employeurs veulent croire que le gouvernement est disposé à travailler avec l’OIT afin de mieux comprendre les obligations qui lui incombent au titre de la convention et qui sont d’application en dépit du contexte actuel. En conséquence, le gouvernement devrait accepter l’assistance technique du BIT, afin de parvenir à l’éradication du travail forcé dans le contexte du service national, et d’adopter des mesures destinées à modifier ou abroger la Proclamation relative au service national et la WYDC de 2002.

Les membres travailleurs ont indiqué que, s’ils comprenaient les difficultés auxquelles le pays devait faire face, il n’en demeure pas moins que celles-ci ont un impact direct sur la population qui souffre. La réponse à ces difficultés ne saurait être de contraindre la population au travail, qui plus est dans des conditions terribles. La militarisation excessive de la société a généré un contexte dans lequel les violations des droits de l’homme trouvent leur source dans la législation ainsi que dans les politiques et pratiques mises en œuvre par le gouvernement. Une large proportion de la population est soumise au travail forcé à travers le service national indéfini, qui inclut des travaux obligatoires ne revêtant pas de caractère militaire. Le gouvernement doit donc être appelé à: mettre fin au service national indéfini en abolissant la WYDC et en abrogeant la Proclamation relative au service national; mettre fin à l’utilisation de conscrits à des travaux qui ne revêtent pas de caractère purement militaire, en particulier dans le secteur privé; mettre fin à la conscription militaire des enfants; enquêter sur les allégations de meurtres, de tortures, d’enlèvements et d’autres violations dans le cadre du service national; fermer les lieux de détention secrets, garantir l’intégrité physique des détenus et leur accès à des traitements médicaux ainsi que des conditions de détention adéquates, conformément aux règles internationales pertinentes en la matière; et mettre fin aux représailles exercées sur les familles des personnes qui désertent, entre autres à travers l’extorsion d’argent. Compte tenu de la situation d’exaction systématique de travail forcé dans le pays depuis de nombreuses années, les membres travailleurs avaient estimé que l’inclusion de ce cas dans un paragraphe spécial du rapport de la commission aurait été justifiée. Toutefois, le gouvernement a reconnu que les difficultés que rencontrait le pays ne constituaient pas une excuse à l’imposition de travail forcé et il a demandé l’appui de l’OIT. Par conséquent, les membres travailleurs ont demandé que, compte tenu de la gravité et l’urgence de la situation, des contacts directs aient lieu entre le BIT et le gouvernement pour assister le pays à mettre en œuvre son obligation de mettre fin au travail forcé et pour examiner dans quelle mesure une assistance technique pourrait être mise en œuvre.

Conclusions

La commission a pris note des informations que le représentant gouvernemental a fournies oralement sur les questions soulevées par la commission d’experts et de la discussion qui a suivi sur la pratique généralisée et systématique d’imposer du travail obligatoire à la population pendant une durée indéfinie dans le cadre du programme du service national qui englobe tous les domaines de la vie civile, et qui dépasse donc largement le service militaire. Ceux qui effectuent le service national accomplissent d’autres tâches: ils participent notamment à la construction de routes et de ponts, à des activités de reboisement, à la préservation des sols et de l’eau et à des activités liées à la sécurité alimentaire. L’obligation d’effectuer le service national obligatoire est spécifiée dans la Proclamation de 1995 relative au service national et la Campagne de développement Warsai Yakaalo de 2002. Les discussions ont également fait ressortir que les travailleurs qui refusent d’effectuer des travaux dans le cadre du service national sont arbitrairement arrêtés et détenus et qu’ils sont emprisonnés dans des conditions inhumaines.

La commission a noté que le gouvernement indique que sa législation nationale est compatible avec les prescriptions de la convention no 29 puisque le service national obligatoire, les obligations civiques normales, les travaux de village et les services rendus en cas de force majeure ne peuvent pas être considérés comme du travail forcé. Le gouvernement a souligné que le conflit frontalier en cours et l’absence de paix et de stabilité pèsent sur l’administration du travail du pays. Compte tenu de la situation de «ni guerre ni paix», il est impossible de mettre en œuvre la décision finale et contraignante de la Commission du tracé de la frontière entre l’Erythrée et l’Ethiopie. De plus, le caractère imprévisible des conditions météorologiques explique également en partie la «menace d’une guerre et d’une famine». Compte tenu de ces circonstances particulières, les exceptions visées à l’article 2 (2) de la convention no 29 concernant les cas de force majeure s’appliquent, ce qui justifie la prolongation de la durée au-delà de celle prévue dans la Proclamation de 1995 relative au service national et l’adoption de la Campagne de développement Warsai Yakaalo par l’Assemblée nationale, en 2002. Les cas de service obligatoire sont strictement limités aux exigences de la situation actuelle et aux intérêts de la collectivité. Ils ne servent pas les intérêts de compagnies privées ou de particuliers. Le gouvernement a affirmé qu’il n’a nullement l’intention d’utiliser le service national pour des activités générales ni d’en allonger la durée de manière indéfinie. Malgré la menace d’une guerre et d’une famine, le gouvernement démobilise les conscrits pour des questions de santé et d’autres questions sociales. Enfin, la commission a noté que le gouvernement a dit qu’il souhaite solliciter l’assistance technique du BIT.

Prenant en compte la discussion qui a eu lieu, la commission a demandé instamment au gouvernement:

- d’accepter l’assistance technique du BIT afin de s’acquitter pleinement de ses obligations au titre de la convention no 29;

- de modifier ou d’abroger la Proclamation de 1995 relative au service national et la Campagne de développement Warsai Yakaalo de 2002 afin de mettre un terme au travail forcé lié au programme du service national et de garantir que les conscrits ne seront plus utilisés dans la pratique, conformément à la convention no 29;

- de libérer immédiatement tous les «insoumis» qui refusent de participer à la conscription imposée, qui contrevient à la convention no 29.

Le représentant gouvernemental a indiqué qu’il ne pouvait accepter les allégations et les informations erronées relatives à de prétendus enfants soldats et à des cas d’extorsion. L’orateur a prié instamment l’OIT et la communauté internationale d’aider à la mise en œuvre de la décision, ayant force obligatoire, de la Commission du tracé de la frontière entre l’Erythrée et l’Ethiopie.

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