National Legislation on Labour and Social Rights
Global database on occupational safety and health legislation
Employment protection legislation database
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Un représentant gouvernemental a souligné que la Mauritanie apparaît pour la deuxième année consécutive devant la commission, offrant par conséquent au gouvernement l’opportunité de partager des informations sur les efforts déployés et les projets mis en œuvre pour donner effet aux recommandations formulées lors de la précédente session de la Conférence. Ainsi, le gouvernement s’est prévalu de l’appui technique du BIT, et il y a lieu de se féliciter de la mise en place d’un projet d’appui à l’application la loi no 2015-031 du 10 septembre 2015 portant incrimination de l’esclavage et réprimant les pratiques esclavagistes (ci-après loi de 2015). Ce projet, d’une durée de 4 ans, permet de renforcer les efforts entrepris par le gouvernement pour mettre fin aux séquelles de l’esclavage. Il couvre les volets de la prise de conscience publique et de la connaissance de la problématique du travail forcé; de l’amélioration des politiques nationales et des législations sur le travail forcé, leur application et leur évaluation; et de l’accès aux programmes de subsistance en faveur des victimes de travail forcé. Au terme d’une large concertation impliquant toutes les parties prenantes et avec le soutien de la communauté internationale, la Mauritanie a adopté, en 2014, une feuille de route pour la lutte contre les séquelles de l’esclavage. Cette feuille de route comprend 29 recommandations réparties en trois volets: révision du cadre légal et institutionnel; sensibilisation; et programmes économiques et sociaux. La responsabilité de la mise en œuvre des recommandations a été confiée à un comité interministériel, présidé par le Premier ministre, qui s’appuie sur une commission technique de suivi composée des représentants des différents départements et institutions concernés et d’autres organismes. En ce qui concerne le volet légal, il convient de rappeler l’adoption de la loi de 2015 et l’installation de trois cours criminelles spéciales compétentes en matière d’esclavage (à Nouakchott, Nouadhibou et Nema); l’actualisation de la réglementation sur l’assistance judiciaire et la mise en place de bureaux d’aides juridictionnelles; la révision du cadre légal relatif à l’accès à la propriété foncière et domaniale; l’adoption de mesures spécifiques de suivi de la politique pénale en matière d’exécution des décisions de justice relatives au recouvrement des dommages-intérêts alloués aux victimes; l’adoption d’une stratégie nationale d’institutionnalisation du genre et la formation des ONG dans ce domaine; l’élaboration du Code de l’enfant; la généralisation de tables rondes régionales de protection de l’enfance; l’élaboration d’une loi-cadre sur les violences basées sur le genre; la mise en place d’un mécanisme de concertation pour faciliter l’accès à l’établissement des personnes sans filiation; la mise en œuvre du plan d’action national de lutte contre le travail des enfants; le renforcement des capacités de l’administration du travail; l’adoption d’un guide de bonne conduite au profit des sociétés étrangères opérant en Mauritanie et l’instauration de contrôles réguliers dans ces entreprises; et la révision de la loi portant statut de la magistrature.
Dans le domaine de la sensibilisation, il convient de citer les campagnes de sensibilisation menées au profit des personnes cibles au sujet de leurs droits ainsi que celles destinées aux acteurs de la société civile et des médias et celles menées au profit des leaders religieux et des notables traditionnels; la mise en œuvre d’une stratégie nationale de communication pour la lutte contre les séquelles de l’esclavage; la formation de réseaux et d’associations de presse sur la lutte contre les séquelles de l’esclavage; l’adoption d’une Fatwa délégitimant l’esclavage; la vulgarisation d’un guide de bonne conduite au profit des entreprises; l’intégration d’un module de formation sur les droits de l’homme et la lutte contre les séquelles de l’esclavage en faveur des Imams et dans les programmes d’alphabétisation; la diffusion à la radio et à la télévision d’émissions débats sur l’illégitimité des pratiques esclavagistes; la formation et la sensibilisation des juges et agents d’application de la loi de 2015; la commémoration d’une journée nationale de lutte contre les séquelles de l’esclavage. S’agissant du dernier volet de la feuille de route qui est consacré au domaine socio- économique, les acquis les plus concrets concernent les domaines de l’éducation, la mise en place des lignes de crédits pour faciliter le financement des activités génératrices de revenus, les formations professionnelles ciblées au profit des jeunes issus des Adwabas, l’appui aux ONG nationales pour assurer la réalisation de projets de développement au profit des personnes affectées par les séquelles de l’esclavage. Des progrès ont également été réalisés en ce qui concerne la mise en œuvre des recommandations formulées par la mission de contacts directs en octobre 2016. S’agissant de l’étude qualitative et/ou quantitative qui devait permettre de poser en des termes concrets et objectifs les discussions, contribuant ainsi à apaiser le débat et le démystifier, tant au niveau national qu’international, ses termes de référence sont en cours de validation. Il a été également donné suite à la recommandation visant à doter les trois cours spéciales du personnel nécessaire et des ressources matérielles et logistiques adéquates puisque des équipements ont été installés et le personnel a reçu plusieurs formations. Quant à la nécessité de mettre en place un mécanisme de prise en charge des victimes dès que celles-ci portent plainte ou sont identifiées, cette mission est assurée par l’Agence Tadamoun pour l’insertion et la lutte contre les séquelles de l’esclavage ou par les organisations de la société civile qui reçoivent, à ce titre, des subventions de l’Etat. En ce qui concerne les domaines socio-économiques, les programmes de l’Agence Tadamoun se poursuivent, et son budget a été augmenté pour renforcer la cadence des réalisations dans ce domaine. La mission a également recommandé au gouvernement de procéder à une évaluation de la mise en œuvre de la feuille de route. Cette évaluation a eu lieu en avril 2017 et les progrès identifiés sont répertoriés ci-dessus. La dernière recommandation de la mission se réfère à la nécessité d’impliquer les partenaires sociaux dans les dispositifs de suivi des actions de lutte contre les séquelles de l’esclavage. Cela est désormais effectif pour le Comité de suivi de la feuille de route qui s’est élargi pour tenir compte de cet impératif. Quant à la présence des partenaires sociaux au sein de l’organe délibérant de l’Agence Tadamoun, le décret portant nomination de ses membres sera révisé pour tenir compte de la nécessité d’aller vers plus d’inclusivité. L’orateur a conclu en rappelant que la mission de contacts directs a souligné que de notables progrès ont été accomplis. Toutes les informations fournies démontrent les efforts entrepris par la Mauritanie pour mettre un terme aux séquelles de l’esclavage et de toutes les formes d’exclusion ou de marginalisation. Les efforts se poursuivent pour achever ce travail et garantir la dignité à tous les Mauritaniens et leur offrir des opportunités d’épanouissement et de développement.
Les membres travailleurs ont rappelé leur profonde préoccupation quant à la situation de la Mauritanie en matière de lutte contre l’esclavage, forme la plus grave de travail forcé. La récurrence de l’examen de ce cas témoigne de cette préoccupation. Une des tâches essentielles de la commission est d’évaluer le degré d’application des normes internationales du travail et leur mise en œuvre concrète sur le terrain. Dans le cas de la Mauritanie, le fossé entre les déclarations d’intentions et leur concrétisation est gigantesque. L’organisation de la mission de contacts directs en octobre 2016 n’a pas mis un terme aux préoccupations des travailleurs. Pour faire suite aux conclusions adoptées par la commission en 2016, le gouvernement aurait dû mettre en place, à l’échelle nationale, une enquête statistique sur le travail en servitude afin de disposer des données objectives qui permettent aux autorités de saisir l’ampleur du phénomène et de définir les actions spécifiques à entreprendre. Ces données statistiques permettraient de mener un débat sur la base de données détaillées et objectives. L’adoption de la loi de 2015 témoigne de la volonté affichée par le gouvernement de s’atteler au problème des pratiques esclavagistes. Les premiers retours concernant la mise en œuvre concrète de cette nouvelle législation ne sont malheureusement pas rassurants. La mise en place des trois cours spéciales constitue un progrès sérieux. Mais, comme l’indique la commission d’experts, au-delà de ces cours spéciales, c’est toute la chaîne pénale qui doit être renforcée, formée et dotée de tous les moyens nécessaires afin de ne laisser aucun cas d’esclavage impuni. La création d’un parquet et d’un corps de police spécialisés en matière d’esclavage pourraient également être une piste utile. La première décision rendue par la Cour spéciale de Nema, qui a condamné deux personnes à une peine de 5 ans de prison, dont 4 ans avec sursis, ne paraît pas conforme aux exigences de l’article 25 de la convention qui impose au gouvernement de s’assurer que les sanctions imposées par la loi sont réellement efficaces. Une peine d’un an de prison ferme ne peut pas raisonnablement constituer une sanction réellement dissuasive et n’est en rien proportionnelle à la gravité du crime d’esclavage. Cette sanction ne contribuera pas à éradiquer les pratiques esclavagistes. Cette même cour a par ailleurs entériné un règlement amiable entre un auteur de pratiques esclavagistes et sa victime, cette dernière retirant sa plainte. Il s’agit d’un très mauvais signal, indiquant à tout auteur de ce type de pratiques qu’il pourrait échapper aux poursuites pénales moyennant un règlement amiable avec sa victime. Le gouvernement devra également fournir des données statistiques relatives aux poursuites et à leurs résultats afin de pouvoir évaluer les progrès réalisés en matière de lutte contre les pratiques esclavagistes. Le gouvernement doit s’engager à pleinement mettre en œuvre dans la pratique les mesures adoptées en matière de lutte contre l’esclavage et à saisir l’opportunité que représente le projet Bridge, dont la mise en œuvre prévue jusqu’en septembre 2019 constitue un soutien décisif pour mettre un terme aux pratiques esclavagistes.
Le protocole de 2014 relatif à la convention sur le travail forcé, 1930 (protocole de 2014), prévoit l’obligation d’assurer aux victimes de travail forcé une protection et un accès à des mécanismes de recours et de réparation appropriés et efficaces, tels que l’indemnisation. Pour respecter cette obligation, le gouvernement doit pouvoir identifier les victimes. Cette tâche est particulièrement difficile tant les situations de dépendance peuvent varier. Il est à craindre qu’un grand nombre de personnes en situation d’esclavage n’en ont même pas conscience et ne dénoncent donc pas la situation dans laquelle elles se trouvent. Les campagnes de sensibilisation qui atteignent toutes les victimes de pratiques esclavagistes sont donc essentielles. Une fois ces victimes identifiées, le gouvernement doit pouvoir leur garantir une protection qui leur permettra de poursuivre les démarches en vue de dénoncer les pratiques esclavagistes dont elles sont victimes, sans crainte de représailles ni d’exclusion sociale. La loi de 2015 répond en partie à cette obligation de protection, et il serait utile que le gouvernement fournisse des informations relatives à l’application en pratique de ces mesures de protection et aux résultats qu’elles ont permis d’obtenir. Le gouvernement affirme, s’agissant de la feuille de route adoptée en 2014, que 70 pour cent des recommandations ont été mises en œuvre. Cependant, l’absence d’indicateurs clairs et qualitatifs permettant de mesurer objectivement les changements intervenus en pratique est une grande source d’inquiétude. De nombreux acteurs de terrain s’accordent à dire que la pauvreté et l’éducation entretiennent un lien très étroit avec la survivance de pratiques esclavagistes. Les actions de l’Agence Tadamoun sont donc indispensables en vue d’assurer un soutien aux victimes et leur permettre de sortir de leur situation de dépendance. Le gouvernement doit donc continuer à doter l’agence des moyens nécessaires afin qu’elle puisse réaliser sa mission et que ses actions bénéficient prioritairement aux anciens esclaves. Il conviendrait en outre que les organisations représentatives des travailleurs et de la société civile puissent prendre part aux discussions relatives aux politiques de lutte contre l’esclavage et ses séquelles. Les organisations représentatives des travailleurs ne sont pas représentées au sein du comité interministériel chargé de la mise en œuvre de la feuille de route ni au sein de l’Agence Tadamoun. Les membres travailleurs ont exprimé leur profonde inquiétude face aux arrestations de militants de l’Initiative de résurgence du mouvement abolitionniste (IRA), qui ont par ailleurs été condamnés à de lourdes peines de prison. Ainsi, MM. Moussa Ould Bilal Biram et Abdallahi Matala Salek, militants abolitionnistes, ont été initialement condamnés à 15 ans de prison, avant que les tribunaux ne ramènent ces sentences à 3 ans. Il est choquant que les peines de prison infligées aux militants abolitionnistes soient donc plus lourdes que celles infligées par les cours spéciales aux auteurs de pratiques esclavagistes. Les dernières arrestations de membres dirigeants de l’IRA datent du 2 mai 2017. L’OIT ne peut tolérer ces pratiques. Il doit être exigé du gouvernement qu’il cesse la répression à l’égard des organisations de lutte contre l’esclavage, qu’il annule les arrestations et condamnations de militants de ces organisations et qu’il ordonne la libération dans les plus brefs délais des militants encore en détention. Le gouvernement doit travailler en étroite collaboration avec les organisations de lutte contre l’esclavage plutôt que de réprimer leurs activités.
Les membres employeurs ont souligné que l’éradication du travail forcé est une obligation de droit international, fondée sur un devoir moral fondamental de tous les mandants de l’Organisation. La Mauritanie apparaît pour la neuvième fois devant cette commission pour la question de l’esclavage et de ses séquelles. Il s’agit cette année d’examiner le suivi qui a été donné aux précédentes conclusions de la commission, à savoir les actions effectivement menées par la Mauritanie pour éradiquer définitivement le travail forcé et l’esclavage, ainsi que pour sanctionner les auteurs et soutenir les victimes. Comme l’a souligné la commission d’experts, des mesures ont été prises: la création de l’Agence Tadamoun; l’adoption d’une «feuille de route» dont la mise en œuvre relève d’un comité technique interministériel; l’adoption en 2015 d’une loi incriminant l’esclavage et prévoyant la possibilité pour les associations de défense des droits de l’homme d’ester en justice, ainsi que d’une loi instaurant un système d’aide judiciaire; l’établissement des trois cours spéciales. En plus de ces efforts qui doivent être encouragés et soutenus, deux événements récents revêtent également une importance particulière: la ratification par la Mauritanie, en mars 2017, du protocole de 2014 qui démontre l’engagement ferme du gouvernement à éradiquer dans la pratique toutes les formes de travail forcé. Le gouvernement a par ailleurs accueilli la mission de contacts directs du BIT qui a pu constater les efforts mis en œuvre ainsi que les progrès accomplis dans l’éradication du travail forcé et dans la protection des victimes. Les efforts pour faire évoluer les mentalités sur la question de l’esclavage – phénomène lié à des facteurs historiques, culturels et religieux – nécessitent du temps avant de porter leurs fruits. Les autorités mauritaniennes ne peuvent cependant pas relâcher leur vigilance, et elles doivent persévérer sur la voie poursuivie, avec le soutien de la communauté internationale.
Les membres employeurs se sont référés aux quatre thèmes traités par la commission d’experts dans son observation sur la base des informations réunies par la mission de contacts directs. S’agissant tout d’abord de la question de l’application effective de la législation nationale, il est essentiel que les ressources et les moyens matériels soient alloués aux trois cours spéciales. A cet égard, des chiffres devraient être fournis par le gouvernement sur le nombre d’affaires traitées, l’indemnisation des victimes et les sanctions prononcées. Il est également encourageant de constater que le gouvernement collabore avec les autorités locales et religieuses pour sensibiliser sur les nouveaux mécanismes de protection légale. Le gouvernement bénéficie également d’une assistance technique, notamment à travers le projet Bridge, pour renforcer les capacités de toute la chaîne des intervenants dans ce domaine. En ce qui concerne l’état des lieux de la réalité de l’esclavage, il est important d’encourager le gouvernement à solliciter l’assistance technique du BIT pour, comme l’a souligné la mission de contacts directs, disposer d’une étude qualitative et/ou quantitative permettant de connaître l’ampleur du phénomène en 2017 et les activités et les populations concernées. S’agissant des actions inclusives et coordonnées, le gouvernement a indiqué qu’il menait un dialogue inclusif et ouvert sur l’éradication de l’esclavage et que ses efforts portaient sur l’éducation, la sensibilisation de l’opinion publique et le développement de programmes de lutte contre la pauvreté. Les membres employeurs ont encouragé vivement le gouvernement à intensifier les efforts en la matière, considérant que la pauvreté et l’ignorance font le lit des pratiques abusives. Les partenaires sociaux sont conscients qu’ils doivent jouer leur rôle d’information et de formation envers leurs membres afin que ceux-ci exercent leurs activités dans le respect de la loi. A cet égard, les organisations d’employeurs nationales souhaitent être partie prenante de tout processus mis en place pour lutter contre le travail forcé et l’esclavage. Seule une stratégie d’union nationale basée sur des constats objectifs aura une chance de porter ses fruits sur le terrain. Enfin, s’agissant de l’identification et de la protection des victimes, la mission de contacts directs a relevé que la relation existant entre les victimes et leur maître est multidimensionnelle et que la dépendance économique, sociale et psychologique dans laquelle se trouvent les victimes revêt des degrés divers et entraîne un large éventail de situations qui appellent un ensemble de mesures complémentaires. Le programme global et transversal à développer par le gouvernement doit viser à déconstruire le schéma de dépendance dans lequel ces victimes se trouvent. La mission a recommandé au gouvernement de prendre en charge les victimes dès qu’elles portent plainte afin de les protéger de toute pression sociale, traditionnelle ou familiale. En conclusion, les membres employeurs ont rappelé que sous aucun prétexte le travail forcé ne peut être organisé à l’initiative d’un gouvernement, d’une autorité publique ou d’une entreprise quelle qu’elle soit. Si des pratiques de travail forcé ou d’esclavage sont découvertes, les victimes de ces pratiques doivent être identifiées et protégées. En outre, les bénéficiaires de ces pratiques illégales doivent être identifiés et, après un procès équitable, faire l’objet de sanctions efficaces, proportionnelles à la gravité des faits commis.
Un membre travailleur de la Mauritanie s’est référé aux différentes mesures prises par le gouvernement, et notamment à l’adoption de la loi de 2015, en soulignant que l’esclavage est désormais considéré comme un crime contre l’humanité et est passible de peines de 10 à 20 ans de prison; la création des trois cours spécialisées; l’adoption de la feuille de route; la création de l’Agence Tadamoun; et la ratification du protocole de 2014. Toutefois, des pratiques liées à l’esclavage, ancrées dans des mœurs anciennes, persistent, et leurs manifestations constituent des cas troublants qui soulignent la nécessité de poursuivre et d’approfondir la lutte. Cette lutte sera de longue haleine, et des associations comprenant des représentants des anciennes victimes et des anciens esclavagistes doivent mener des campagnes soutenues dans tous les milieux sociaux afin d’ancrer l’égalité de tous dans toutes les consciences. L’indifférence des autorités administratives, judiciaires et policières devant ces manifestations doit être combattue et l’Etat doit impliquer les citoyens dans cette lutte. L’éducation des jeunes générations doit faire cas de ce fléau et enraciner une conscience citoyenne nouvelle faite d’égalité, de justice sociale, de liberté et de responsabilité. Les programmes décentralisés de développement local doivent être déployés dans les zones rurales, urbaines et semi-urbaines du pays et menés avec l’implication effective des citoyens de toutes les couches sociales. Des émissions de radio et de télévision sur les séquelles de l’esclavage donnant la parole à tous ceux impliqués, victimes comme esclavagistes, permettront à la population de former ses propres convictions. Au XXIe siècle, il est inadmissible que l’esclavage persiste en Mauritanie et que les pouvoirs publics pratiquent la politique de l’autruche pour ne pas entreprendre des stratégies radicales pour éradiquer ces pratiques. Il est également nécessaire que les partenaires au développement soutiennent la Mauritanie dans la réalisation de programmes participatifs visant l’exécution d’ouvrages destinés aux populations extrêmement pauvres afin de permettre aux anciennes victimes de l’esclavage de se soustraire de l’assistance des anciens maîtres pour devenir autonomes. La mobilisation de la société civile, des syndicats et des forces économiques et politiques dans un élan national en faveur de l’éradication des séquelles de l’esclavage constitue une priorité essentielle. L’orateur a considéré que le comité technique interministériel ne relevait pas suffisamment ce défi qui nécessite l’engagement de tous.
Une autre membre travailleuse de la Mauritanie, s’exprimant au nom de l’Union des travailleurs de Mauritanie (UTM) et de l’intersyndicale composée de 20 centrales syndicales sur les 28 que compte la Mauritanie, a rappelé les énormes progrès enregistrés qui témoignent de la volonté du gouvernement à éradiquer définitivement les séquelles de l’esclavage. Parmi ces progrès, on peut citer l’adoption de la loi de 2015 et de ses textes d’application. Il s’agit d’un arsenal juridique complet qui prend en compte les spécificités de la société mauritanienne et a été élaboré de manière inclusive. Pour l’application de cette loi, saluée par l’ensemble de la société civile et des partenaires étrangers, les autorités ont mis en place trois cours spéciales couvrant l’ensemble du territoire national et dont le personnel a bénéficié d’une formation appropriée. Les séquelles de l’esclavage sont essentiellement liées à la pauvreté et à un déficit d’éducation. Pour cette raison, les autorités ont créé l’Agence Tadamoun, dont les programmes sont orientés vers la construction d’écoles, les formations sanitaires, la fourniture des services de base, y compris l’eau, l’éclairage et les routes, et le financement d’activités génératrices de revenus dans les zones adwaba, habitées en majorité par d’anciens esclaves. L’organisation conjointe avec la Confédération syndicale internationale (CSI) d’un atelier sous-régional sur les formes contemporaines de l’esclavage a permis de mettre en place un plan d’action national de lutte contre les séquelles de l’esclavage. La liberté d’expression, tout comme la liberté syndicale et le libre accès à l’information, est une réalité en Mauritanie. Ces faits indéniables attestent de la volonté politique réelle et des progrès réalisés, qui doivent continuer avec l’appui du BIT, de la CSI, et avec une implication plus grande des syndicats dans toutes les structures et programmes concernés, y compris l’Agence Tadamoun. L’oratrice a souhaité que ce cas soit cité en tant que cas de progrès par la commission, ce qui serait un encouragement apprécié pour aller de l’avant.
Le membre employeur de la Mauritanie a rappelé que, depuis 2015, la Mauritanie s’est expliquée devant la commission à trois reprises. L’inclusion de la Mauritanie dans la liste des cas est d’autant plus paradoxale qu’elle ne semble pas tenir compte des efforts entrepris pour mettre en œuvre les recommandations de la commission. Le gouvernement a pourtant entrepris un ensemble de mesures parmi lesquelles figurent la criminalisation de l’esclavage, la création des cours spéciales, la création de l’Agence Tadamoun qui réalise de nombreux projets d’infrastructures, scolaires et autres au profit des populations concernées. Ces actions s’inscrivent dans le cadre de la feuille de route et se concrétisent également à travers le projet Bridge coordonné par le BIT. L’orateur a estimé que, dans un esprit de bon sens, de logique et d’équité, la Mauritanie aurait dû être félicitée ou tout au moins encouragée et appuyée en vue de renforcer et pérenniser les importants efforts qu’elle déploie pour éradiquer les séquelles de l’esclavage.
Le membre gouvernemental de Malte, s’exprimant au nom de l’Union européenne (UE) et de ses Etats membres, ainsi que de la Bosnie-Herzégovine, du Monténégro, de la Norvège et de la Serbie, a réaffirmé son attachement à la ratification universelle et à l’application des conventions fondamentales de l’OIT, et il a appelé tous les pays à protéger et promouvoir les droits de l’homme et les libertés fondamentales. Etre en conformité avec les conventions est essentiel pour respecter l’engagement que la Mauritanie a pris au titre de l’Accord de Cotonou visant à veiller au respect de la démocratie, de l’état de droit et des principes relatifs aux droits de l’homme. La mission de contacts directs reconnaît les développements positifs, et en particulier les efforts fournis afin de faire respecter la loi de 2015 ainsi que la création de tribunaux à Nema, Nouakchott et Nouadhibou qui sont désormais opérationnels. L’orateur a salué la coopération étroite avec le BIT et le renforcement des acteurs, y compris les autorités policières et judiciaires, pour la détection des pratiques esclavagistes. Afin de combattre l’impunité et éliminer l’esclavage dans tout le pays, les auteurs doivent être poursuivis en justice de manière effective et les sanctions doivent être suffisamment dissuasives et correctement appliquées. Un état précis de la situation de l’esclavage dans le pays est essentiel afin de cibler les interventions publiques. Le gouvernement doit réaliser une étude afin de fournir des données qualitatives et quantitatives et des analyses sur les pratiques esclavagistes. Il est également important que le gouvernement travaille avec la société civile, en particulier avec les partenaires sociaux et les autorités religieuses, dans la lutte contre l’esclavage et qu’il continue à mener des campagnes de sensibilisation du public. Il est demandé au gouvernement d’assurer la protection des victimes afin qu’elles puissent faire valoir leurs droits, et l’orateur a préconisé la mise en œuvre des 29 recommandations de la feuille de route de 2014 ayant pour but de combattre les séquelles de l’esclavage. Afin qu’elle puisse remplir son mandat, il faut octroyer les moyens nécessaires à l’Agence Tadamoun dont le travail dans les zones ciblées plus exposées aux pratiques esclavagistes et où l’Etat est peu présent est remarqué. Il est également fait état de la volonté de coopérer avec le gouvernement afin de promouvoir le développement et le plein exercice des droits de l’homme.
La membre gouvernementale de la Suisse a regretté que ce cas soit à nouveau soumis à la commission. Cet état de fait montre l’urgence de lutter efficacement et rapidement contre toute forme d’esclavage. Alors que des étapes ont été franchies grâce à l’établissement de trois cours spéciales et au travail effectué par l’Agence Tadamoun, les efforts doivent continuer en collaboration avec le BIT. L’efficacité de la mise en œuvre des lois et leur application stricte sont des éléments indispensables à une lutte pleine et entière contre le travail forcé. Il y a lieu d’encourager le gouvernement à continuer ses actions de prévention et de communication et le dialogue avec les partenaires sociaux pour un engagement de tous les acteurs. Enfin, l’oratrice a exprimé l’espoir que le gouvernement puisse mettre en place des mesures de protection des victimes.
Le membre travailleur du Nigéria, s’exprimant également au nom du membre travailleur du Ghana, a salué les progrès accomplis grâce aux travaux de la commission et à l’appui du BIT depuis de nombreuses années. Un comité technique interministériel, dirigé par le Premier ministre, a été créé et les tribunaux ont instruit certains cas d’esclavage. Le gouvernement a également l’intention de mener des recherches afin de constater l’ampleur du problème et de mesurer les progrès. Toutefois, il reste beaucoup à faire. L’esclavage est une pratique profondément ancrée dans le tissu social du pays. C’est un sujet complexe. L’histoire du Nigéria et du Ghana dans ce domaine montre que, pour lutter contre un phénomène si complexe et si ancré dans la société, il faut que tous les acteurs étatiques et sociaux se confrontent à son existence, qu’ils lui enlèvent toute légitimité et qu’ils s’engagent à l’éliminer ensemble. Comme l’esclavage a une grande légitimité dans la société mauritanienne, il ne peut être traité comme un problème pénal ou un fléau social ordinaire. Il est probablement illusoire d’escompter que des institutions enracinées dans les traditions de l’esclavage s’empressent de mener des enquêtes, d’engager des poursuites et de prendre des mesures correctives pour remédier au problème. On peut raisonnablement s’attendre à ce que les victimes de l’esclavage et les militants antiesclavagistes n’aient pas confiance dans ces institutions. Le gouvernement, en tant que principal responsable du respect des obligations, devra poursuivre ses efforts, mais il est temps de demander la mise en place d’une commission indépendante et inclusive chargée de la lutte contre l’esclavage, dotée d’attributions spéciales pour mener des enquêtes, engager des poursuites et promouvoir des politiques afin d’encadrer l’élimination de cette pratique et de ses vestiges en Mauritanie. L’orateur a prié instamment le gouvernement d’impliquer les syndicats et de continuer à solliciter l’assistance technique du BIT pour améliorer la situation.
Le membre gouvernemental des Etats-Unis a rappelé que, ces dernières années, le gouvernement a pris plusieurs mesures pour s’attaquer au problème de l’esclavage. Il faut citer à cet égard la feuille de route de 2014, la loi de 2015 et la ratification du protocole de 2014. De plus, le gouvernement a accepté la mission de contacts directs effectuée à la suite des conclusions de cette commission en 2016. Ces initiatives témoignent du fait que le gouvernement est conscient de la persistance du problème et du rôle qui lui revient pour combattre l’esclavage et ses séquelles, mais les efforts entrepris pour éliminer cette pratique et traduire les auteurs en justice demeurent insuffisants. Si trois juridictions spéciales ont été créées, seules deux personnes coupables du crime d’esclavage ont été condamnées à ce jour. Ces cours manquent toujours cruellement de moyens et de personnels. Selon des informations, la police et les autorités judiciaires répugnent à enquêter ou à entamer des poursuites. Le gouvernement doit veiller à ce que les autorités compétentes disposent des ressources suffisantes pour éliminer les séquelles de l’esclavage, tout en sensibilisant davantage l’opinion publique. Plus particulièrement, le gouvernement doit financer pleinement les trois cours spéciales compétentes en matière d’esclavage et les doter des effectifs nécessaires, enquêter efficacement et engager des poursuites judiciaires en cas d’esclavage, faire en sorte que tous les membres de la société civile mauritanienne puissent exprimer de manière pacifique leur soutien ou leur opposition, notamment les militants antiesclavagistes, s’abstenir d’engager des poursuites contre des abolitionnistes pour des motifs politiques, comme le récent procès de 13 membres de l’IRA, et permettre à l’Agence Tadamoun de poursuivre sa mission qui est d’identifier et de faire en sorte que les esclavagistes soient poursuivis en justice, et offrir des programmes d’assistance et de réadaptation aux victimes d’esclavage. L’orateur a prié le gouvernement de tirer pleinement parti de l’assistance technique fournie par le BIT et de redoubler d’efforts pour assurer l’éradication totale de l’esclavage, y compris ses séquelles et les formes modernes d’esclavage.
Un observateur, représentant la Confédération syndicale internationale (CSI), a constaté que, bien que le phénomène odieux de l’esclavage constitue un affront pour la communauté internationale, une insulte à l’humanité et une violation grave des droits de l’homme, il persiste en Mauritanie. Le gouvernement mauritanien continue à fustiger, occulter et étouffer la réalité de toute une population assujettie et condamnée à vivre dans la pauvreté extrême et l’exclusion. Cette situation préoccupante détruit chez les victimes tout espoir de changer de statut et de s’insérer dans la vie active. Les anciens esclaves sont confrontés à l’absence de mesures complètes de réadaptation et de réinsertion. Le harcèlement, les intimidations, l’expropriation des terres ainsi que la discrimination dans l’emploi et l’absence d’opportunités les fragilisent et les maintiennent dans la dépendance de leurs maîtres. La commission d’experts fait référence à l’Agence Tadamoun prétendument créée pour le développement économique et social de la population harratine. Cette agence a trois missions, dont la lutte contre les séquelles de l’esclavage. Cependant, l’Etat n’a pas l’intention d’entreprendre des actions concrètes, préférant prendre des mesures pour satisfaire l’opinion internationale. Il en est ainsi de la loi foncière qui devait permettre aux anciens esclaves d’accéder à la terre ou des cours spéciales qui, dans la pratique ne sont pas opérationnelles, faute de textes d’application. Malgré des difficultés évidentes – absence de structures d’accueil, d’assistance matérielle ou d’indemnisations pour préjudice qui permettraient aux victimes d’avoir une autonomie économique, et absence de volonté gouvernementale d’endiguer le phénomène –, les esclaves continuent à manifester leur désir de quitter leur maître. Les affaires sont multiples, qu’il s’agisse du cas des travailleuses domestiques, victimes de traite vers l’Arabie saoudite, dont les plaintes n’ont pas été reçues, ou du témoignage de 10 anciens esclaves qui ont quitté leur maître en 2016. L’orateur a estimé que les mesures prises évoquées par le gouvernement ainsi que les données qu’il a communiquées ne sont ni fiables ni justes. Il est à espérer que les recommandations de la commission d’experts par rapport à la mise en œuvre de la feuille de route soient effectivement mises en œuvre par le gouvernement, en coopération avec toutes les parties concernées.
Le membre gouvernemental de la République bolivarienne du Venezuela a dit apprécier les informations communiquées par le représentant gouvernemental et a souligné la bonne disposition du gouvernement qui a accepté de recevoir une mission de contacts directs en octobre 2016. Il a mentionné en particulier les juridictions spéciales compétentes en matière d’esclavage – les tribunaux en activité, dotés du personnel nécessaire et des moyens adéquats – en formulant l’espoir qu’ils prononceront des sentences justes et exemplaires. Il faut aussi mettre en exergue la coopération technique que le Bureau fournit à la Mauritanie dans les domaines de l’application de la loi et de l’éradication des séquelles de l’esclavage, ainsi que pour le respect des recommandations contenues dans la feuille de route contre les séquelles de l’esclavage. Compte tenu de la bonne disposition et de la détermination du gouvernement mauritanien, il y aurait lieu que la commission prenne en considération les aspects positifs du cas en adoptant des conclusions objectives et équilibrées et en continuant à encourager et appuyer le gouvernement dans ses efforts pour éradiquer le travail forcé et ses séquelles.
La membre travailleuse de l’Espagne a souligné que de nombreux établissements officiels nient l’existence de l’esclavage, ce qui compromet et ralentit la lutte contre ce fléau. Le gouvernement devrait collaborer sérieusement avec les organisations de lutte contre l’esclavage plutôt que d’incriminer et de persécuter ces organisations et leurs membres. En effet, au lieu de se concentrer sur le traitement des plaintes des Mauritaniens, dont certains sont des descendants d’esclaves ou d’anciens esclaves, qui continuent de se plaindre du manque de possibilités à leur portée, le gouvernement dénonce les militants contre l’esclavage en tant que responsables des manifestations. Ces organisations et leurs membres font part d’un grand nombre de cas de mauvais traitement et de persécution. Monsieur Biram Dah Abeid, un éminent militant, a été récemment libéré grâce aux efforts considérables de groupes de défenseurs des droits de l’homme qui ont obtenu gain de cause devant la Cour suprême de justice; il risque cependant d’être à nouveau emprisonné. Par ailleurs, M. Amadou Tidjane Diop a été arrêté en juin 2016 avec 12 autres membres de l’IRA. Son arrestation est liée à une manifestation spontanée d’habitants de Bouamatou, un quartier où vit une majorité de Haratines, des descendants d’esclaves menacés d’expulsion en juillet 2016. Malgré des fouilles et des perquisitions arbitraires, la police a été incapable d’établir un lien entre les militants de l’IRA et la manifestation dans le quartier de Bouamatou. Au cours de leur détention, les militants arrêtés ont été torturés, maltraités et menacés de mort. Depuis 2008, l’IRA demande la reconnaissance de sa personnalité juridique, mais, jusqu’à présent les autorités ne l’ont ni reconnue ni autorisée. Par conséquent, tous les militants de l’IRA risquent à tout moment d’être condamnés pour appartenance à une organisation non reconnue. Les organisations de la société civile et leurs militants ont prouvé leurs capacités et leur détermination à prendre part à la solution. Il s’agirait donc de les soutenir plutôt que de les persécuter.
Le membre gouvernemental de l’Egypte a remercié le gouvernement pour les informations fournies concernant les actions prises par les autorités en vue de combattre le problème de l’esclavage, notamment sur les lois qui ont été adoptées, l’institution de cours spéciales, l’organisation de campagnes de sensibilisation et les sessions de formation. Le gouvernement développe une stratégie pour combattre le problème. L’orateur a exprimé l’espoir que l’assistance technique sollicitée par le gouvernement lui sera accordée.
Le membre employeur de l’Algérie a constaté avec satisfaction que la question de l’esclavage est bien prise en charge au niveau de la loi fondamentale du pays, qui constitue la référence et l’ancrage juridique des textes législatifs et réglementaires subséquents qui incriminent toutes les formes de travail forcé. L’orateur s’est félicité de cette grande avancée et des efforts déployés par le gouvernement pour la mise en conformité de sa législation avec la convention, efforts qui méritent tout le soutien et l’accompagnement de cette commission.
Le membre gouvernemental de l’Algérie a souligné qu’il ressort des informations fournies par le représentant gouvernemental que les mesures prises pour combattre le travail forcé revêtent un caractère pratique et efficace et qu’elles s’inscrivent dans la mise en œuvre de la feuille de route pour la lutte contre les séquelles de l’esclavage. Au-delà des mesures visant à renforcer le cadre législatif et institutionnel, des mesures de sensibilisation et de formation des acteurs concernés ont également été adoptées avec, en parallèle, la mise en place d’un mécanisme de suivi dans lequel toutes les parties prenantes et la société civile sont associées. Il apparaît donc que beaucoup de résultats positifs ont été enregistrés et qu’il existe une mobilisation collective pour mettre en œuvre les mesures visant à combattre le travail forcé. Par conséquent, il y a lieu de saluer les efforts déployés par la Mauritanie et de continuer à l’appuyer pour qu’elle poursuive sur cette voie.
La membre travailleuse de la France s’est référée au rapport de la commission d’experts soulignant que «les victimes de l’esclavage se trouvent dans une situation de grande vulnérabilité qui requiert une action spécifique de l’Etat» et qu’elles «ne connaissent pas leurs droits et une pression sociale peut s’exercer sur elles si elles dénoncent leur situation». A cet égard, le gouvernement a ratifié le protocole de 2014 qui affirme que la suppression effective et durable du travail forcé implique des mesures afin d’assurer aux victimes une protection et un accès à des mécanismes de recours et de réparation appropriés et efficaces, tels que l’indemnisation, et la nécessité d’identifier et de protéger les victimes afin de permettre leur réadaptation et de leur prêter assistance et soutien. Il y a lieu de se féliciter de cette ratification et des efforts déployés en matière législative, mais il est maintenant essentiel de mettre en œuvre l’ensemble de ces dispositions afin d’éradiquer les pratiques esclavagistes en Mauritanie. Un nombre très important de personnes sont réduites en esclavage en Mauritanie. Ceux qui osent franchir le pas de la dénonciation auprès des autorités font face au mieux à la banalisation de leur situation, au pire à la répression policière et au renvoi chez leur maître. En 2009, la Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur les formes contemporaines d’esclavage a effectué une visite en Mauritanie et a noté que l’absence d’autres moyens de subsistance, l’analphabétisme et le manque d’informations ainsi que le recours à la religion contribuaient à maintenir la domination des maîtres. Des organisations antiesclavagistes offrent différents types d’aide aux victimes, tels que des abris, des programmes de formation et d’alphabétisation et des informations concernant leurs droits. Leurs activités sont sévèrement entravées et leurs membres actifs poursuivis en justice. Rappelant que le protocole de 2014 affirme la nécessité d’associer et de consulter les organisations de travailleurs et d’employeurs, l’oratrice a appelé le gouvernement à faire preuve d’engagement et à coopérer avec les partenaires sociaux et la société civile afin de mettre en œuvre la loi de 2015 dans le but d’éradiquer l’esclavage et de mettre fin à l’impunité.
Le représentant gouvernemental a remercié les délégués étant intervenus au cours de la discussion, et en particulier ceux qui ont fait l’effort de comprendre la situation et qui ont salué les progrès tangibles réalisés par la Mauritanie dans la lutte contre les séquelles de l’esclavage, l’encourageant à persévérer sur cette voie. Le gouvernement coopère avec les instances internationales, notamment le Conseil des droits de l’homme, et donne effet aux recommandations qu’elles émettent. Cet esprit d’ouverture et de coopération participe de la volonté du gouvernement d’associer tous les acteurs concernés par cette question qui est liée aux vestiges légués par l’Histoire. Le gouvernement agit par devoir et conviction et non pas sous la pression de quiconque. Il tiendra compte des préoccupations émises par certains intervenants, et notamment ceux représentant les travailleurs. A cet égard, les programmes actuellement mis en œuvre répondent d’ailleurs déjà à certaines de ces préoccupations. Il est toutefois regrettable de constater que certaines allégations relèvent de la surenchère et ignorent les évolutions positives. Un tel esprit de négation ne sert pas les victimes. Il faut en effet déployer et conjuguer tous les efforts pour répondre à l’impératif qui consiste à bien comprendre la situation des victimes. L’orateur a conclu en réaffirmant que le gouvernement agissait et qu’il tiendrait compte des préoccupations exprimées, notamment en ce qui concerne l’étude qui est déjà programmée dans le cadre du projet Bridge.
Les membres employeurs ont déclaré avoir pris bonne note des multiples initiatives prises pour prévenir toute forme de travail forcé en Mauritanie, identifier et protéger les victimes de l’esclavage et sanctionner les abus constatés en la matière. Dans ce contexte, il convient de rappeler qu’il est de la responsabilité collective des mandants de l’OIT de garantir que, au XXIe siècle, les droits sociaux fondamentaux soient respectés dans l’ensemble des Etats Membres. Toute plainte dans ce domaine doit être sérieusement examinée par les autorités nationales, en particulier par des fonctionnaires et des magistrats compétents et indépendants. Il en est ainsi du travail forcé qui doit sans attendre être éradiqué de manière permanente. Il y a lieu de se réjouir des efforts déployés par le gouvernement; cependant, l’éradication de l’esclavage et ses séquelles requiert un arsenal de mesures préventives et curatives permanentes. Le gouvernement doit donc poursuivre ses efforts et notamment:
– renforcer l’efficacité et les capacités de tous les maillons du système administratif et judiciaire;
– récolter, analyser et fournir périodiquement des informations sur le nombre de cas d’esclavage dénoncés auprès des autorités, le nombre de ceux qui ont abouti à une action en justice, les indemnisations accordées aux victimes, et les sanctions infligées;
– continuer de mettre en œuvre les 29 recommandations de la feuille de route, en particulier celles concernant l’assistance apportée aux victimes et leur indemnisation ainsi que la lutte contre la pauvreté;
– s’assurer que le Comité technique interministériel évalue l’impact des mesures prises dans le cadre de la feuille de route, en impliquant activement tous les acteurs de la société civile, les autorités religieuses et les partenaires sociaux, y compris les syndicats représentatifs;
– sensibiliser de manière encore plus efficace la société civile, compte tenu des racines culturelles de l’esclavage, qui sont profondément ancrées dans les mentalités et qui opposent encore des forces contraires aux efforts du gouvernement.
Les membres travailleurs ont salué la volonté politique affichée par le gouvernement de faire de la lutte contre l’esclavage et ses séquelles une de ses priorités. Le gouvernement doit néanmoins assurer la concordance entre ses déclarations et les résultats de ses actions. A cette fin, il convient de mettre en place en Mauritanie une collecte permanente et systématique de données statistiques relatives à l’esclavage dans l’ensemble du pays. Le BIT bénéficie à cet égard d’une expertise dont la Mauritanie pourrait bénéficier. L’application stricte de la loi de 2015 est nécessaire afin de s’assurer que des enquêtes sont effectivement diligentées à l’égard des auteurs responsables de pratiques d’esclavage. Ces derniers doivent être poursuivis et condamnés à des peines proportionnelles à la gravité du crime commis, afin de garantir l’effet dissuasif du dispositif répressif. Toute possibilité de règlement amiable dans une affaire d’esclavage doit être exclue. Le gouvernement est également invité à mettre en place un parquet et un corps de police spécialisés en matière de lutte contre l’esclavage. La justice doit être dotée de moyens suffisants afin d’assurer que les poursuites initiées devant les trois cours spéciales sont traitées dans un délai raisonnable. Les autorités chargées de ces poursuites doivent être formées et le public doit être sensibilisé aux infractions en lien avec l’esclavage afin de mettre un terme aux réticences de la police et des autorités judiciaires constatées dans le traitement de plaintes. L’efficacité et la réussite des poursuites en matière d’esclavage passeront par le développement et la mise en œuvre de campagnes de sensibilisation à l’adresse du grand public, des victimes de l’esclavage, de la police, des autorités administratives, judiciaires et religieuses. Elles exigeront également qu’il soit accordé aux victimes une protection et des moyens de subsistance, et ce dès leur identification ou dès l’introduction d’une plainte. A cet égard, il est demandé au gouvernement de fournir des informations statistiques relatives aux poursuites entamées ainsi que des informations relatives à l’application pratique des mesures de protection prévues dans la loi de 2015. Le gouvernement devra développer des indicateurs clairs, qualitatifs et objectifs permettant de mesurer les résultats obtenus dans la lutte contre les pratiques esclavagistes. Ce point est particulièrement important pour l’analyse des résultats obtenus dans le cadre de la feuille de route. En outre, l’Agence Tadamoun devra bénéficier de tous les moyens nécessaires à la réalisation des objectifs importants qui lui sont assignés, en vue de soutenir et d’autonomiser les communautés ou les personnes affectées par l’esclavage. Le gouvernement doit pleinement saisir l’opportunité du soutien que lui apporte le projet Bridge pour la réalisation de ces recommandations. De plus, l’implication des partenaires sociaux et la société civile dans toutes les initiatives de lutte contre l’esclavage, en permettant notamment à ces acteurs de participer aux travaux de l’Agence Tadamoun et du comité interministériel chargé de la mise en œuvre de la feuille de route, est une nécessité impérieuse. Enfin, le gouvernement doit libérer dans les plus brefs délais les membres de l’IRA encore emprisonnés et cesser à l’avenir d’entraver le travail des organisations de lutte contre l’esclavage. Le gouvernement doit au contraire coopérer avec ces organisations afin d’augmenter les chances de succès de l’éradication de l’esclavage dans le pays. Pour réaliser toutes ces recommandations, qui rejoignent pour une grande partie celles formulées par les membres employeurs, il est demandé au gouvernement de solliciter l’assistance technique du BIT.
Conclusions
La commission a pris note de la déclaration orale du représentant gouvernemental et de la discussion qui a suivi.
La commission a pris note des efforts déclarés du gouvernement pour lutter contre l’esclavage et ses séquelles et a prié instamment le gouvernement de poursuivre ces efforts. Toutefois, la commission s’est déclarée vivement préoccupée par la persistance de l’esclavage à grande échelle en dépit de nombreuses discussions au sein de la commission. La commission est déçue que le gouvernement n’ait engagé que très peu de poursuites à l’égard des auteurs du crime d’esclavage depuis le dernier examen de ce cas devant la commission.
Prenant en compte la discussion qui a eu lieu sur ce cas, la commission a prié instamment le gouvernement de la Mauritanie de:
- appliquer strictement la loi de 2015 contre l’esclavage pour garantir que les responsables de pratiques esclavagistes font effectivement l’objet d’enquêtes, qu’ils sont poursuivis, sanctionnés et purgent une peine à la mesure de la gravité du crime;
- fournir des informations sur le nombre de cas d’esclavage dénoncés auprès des autorités, le nombre de ceux qui ont abouti à une action en justice, et le nombre et la nature des condamnations prononcées;
- fournir des informations sur les mesures de réparation prises en faveur des victimes;
- renforcer l’inspection du travail et autres mécanismes d’application de la loi pertinents afin de combattre l’imposition du travail forcé;
- constituer des unités spécialisées au sein du ministère public et des forces de l’ordre pour rassembler les preuves et diligenter les procédures judiciaires correspondantes;
- veiller à ce que les poursuites engagées devant les tribunaux spéciaux pour les crimes d’esclavage soient facilitées et traitées dans un délai raisonnable, des campagnes d’information étant menées sur les condamnations encourues;
- établir des indicateurs clairs et objectifs pour évaluer si la feuille de route pour la lutte contre les séquelles de l’esclavage est pleinement mise en œuvre;
- réaliser une analyse complète sur la nature et l’incidence de l’esclavage pour permettre d’affiner les actions visées pour éradiquer ce fléau;
- accroître la visibilité des campagnes de sensibilisation en direction du public, des victimes, de la police, des autorités administratives, judiciaires et religieuses;
- faciliter l’intégration sociale et économique des victimes en assurant l’accès aux services et ressources leur permettant de reconstruire leur vie et de ne pas retomber dans l’esclavage;
- fournir des informations détaillées sur les opérations, programmes et ressources dont disposent l’Agence nationale pour la lutte contre les séquelles de l’esclavage, l’insertion et la lutte contre la pauvreté, «Tadamoun»;
- veiller à ce que les victimes ayant dénoncé leur situation soient protégées contre des mesures de représailles et toutes pressions sociales, et libérer sans condition les personnes ayant dénoncé publiquement des situations d’esclavage.
A cet égard, la commission demande au gouvernement de continuer à solliciter activement l’assistance technique du BIT pour mettre en œuvre les recommandations et d’accepter une mission de haut niveau. La commission demande également au gouvernement de communiquer, à la prochaine réunion de la commission d’experts en novembre 2017, des informations détaillées sur les mesures prises pour mettre en œuvre ces recommandations.