National Legislation on Labour and Social Rights
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Un représentant gouvernemental a déclaré que l’amendement constitutionnel qui est entré en vigueur le 12 septembre 2010 doit être considéré comme un progrès majeur. Cet amendement est extrêmement important et démontre la sincérité du gouvernement ainsi que son attachement au processus démocratique et à la promotion des droits syndicaux. Les réformes constitutionnelles incluent l’abolition de l’interdiction de certaines formes d’action revendicative, de l’appartenance simultanée à plus d’un syndicat de la même branche, de la conclusion de plus d’une convention collective sur le même lieu de travail pour la même période. En outre, la disposition relative à la responsabilité civile des syndicats pour tous dommages matériels causés au cours d’une grève a été abrogée. En outre, il a été constitué un Conseil d’arbitrage des fonctionnaires, qui est compétent pour rendre des décisions définitives en matière de conclusion de conventions collectives applicables aux fonctionnaires et le pouvoir discrétionnaire du Conseil des ministres dans ce domaine a été supprimé. Le champ couvert par les conventions collectives applicables aux fonctionnaires a été étendu aux droits économiques et sociaux, le droit de saisir le Médiateur a été garanti, et toutes les décisions d’ordre disciplinaire rendues par de hauts fonctionnaires et concernant des fonctionnaires sont désormais susceptibles de recours devant les tribunaux. Le droit d’appel devant la Cour constitutionnelle est désormais reconnu à tous en cas d’atteinte aux droits fondamentaux de l’homme, droits syndicaux compris. Enfin, le Conseil économique et social a acquis un statut constitutionnel. Les réformes constitutionnelles ont nécessité l’adaptation substantielle de la législation et des projets de loi sur les syndicats, y compris en ce qui concerne les syndicats de fonctionnaires. Un processus soutenu de consultations entre les partenaires sociaux et les organismes publics compétents s’est poursuivi à la lumière de ces réformes. L’intervenant s’est déclaré confiant que les projets de loi révisés qui seront issus de ce processus se révéleront conformes aux attentes de la commission d’experts en matière de législation syndicale. Il est important cependant que les partenaires sociaux soutiennent et encouragent davantage ce processus. Un tel soutien est particulièrement nécessaire à propos de certaines questions très controversées qui restent à régler, comme celle de la création de syndicats sur la base du lieu de travail et de la profession, celle de la création de fédérations, et enfin celle de l’élimination des seuils déterminant la compétence d’un syndicat de négocier collectivement. Dans ce contexte, l’orateur a indiqué que, en raison des prochaines élections législatives qui se tiendront le 12 juin 2011 et du temps nécessaire à la révision de la législation sur le système des relations professionnelles, le processus d’harmonisation de la législation n’a pas été pleinement finalisé. Il n’est donc pas possible de fournir un calendrier prévoyant les futurs changements législatifs.
Evoquant certaines mesures positives démontrant les bonnes intentions du gouvernement en ce qui concerne l’adhésion des fonctionnaires à des syndicats, il a informé la commission qu’une nouvelle loi contenant des dispositions sur la promotion de la syndicalisation dans le secteur public a été adoptée par le Parlement en février 2011. Elle prévoit le versement d’une prime à chacun des membres de syndicats de la fonction publique, abroge les dispositions restrictives restantes du décret no 399 sur le personnel contractuel dans la fonction publique, et précise leurs droits de constituer des syndicats. Un décret ayant force de loi a également été adopté récemment à cette fin. Les mesures prises pour prévenir le recours excessif à la force par les services de sécurité ont produit les résultats escomptés. Les célébrations du 1er mai ont été pacifiques cette année et aucun incident n’a eu lieu. Cependant, les allégations concernant la détention de certains dirigeants et membres syndicaux pendant les défilés portent sur des cas exceptionnels qui ne constituent pas la règle. Lors des nombreux défilés et manifestations organisés par les syndicats l’année dernière, quelques individus seulement ont été mis en garde à vue, essentiellement pour avoir jeté des pierres et des cocktails Molotov à la police, causé des dommages à la propriété publique et privée, ou organisé des rassemblements ou des défilés dans des lieux non autorisés. En tout état de cause, les allégations de mauvais traitements infligés par les autorités publiques peuvent faire l’objet d’actions devant les tribunaux. Concernant les dispositions sur la vérification de la comptabilité des syndicats en vertu de la loi sur les associations, selon les données fournies par le ministère de l’Intérieur, ces dispositions n’ont pas été appliquées dans la pratique. Pour conclure, l’orateur a indiqué que le gouvernement est profondément déçu par le fait que la Turquie ait figuré sur la liste des cas individuels, malgré les progrès réalisés. Ces progrès n’ont pas été pris en considération lors de l’établissement de la liste. Devant les réformes accomplies, la commission aurait pu exprimer davantage sa satisfaction et ses encouragements. L’inclusion de la Turquie sur la liste des cas ne peut que saper la crédibilité des méthodes de travail de la commission et pourrait laisser entendre que des considérations politiques ont primé sur les aspects techniques de la question.
Les membres travailleurs ont rappelé que c’est la cinquième fois en sept ans que ce cas est examiné. La mission de haut niveau en Turquie, demandée par la commission en 2007, a abouti à une évaluation détaillée des changements législatifs requis. Compte tenu des suggestions faites à la suite de cette évaluation et de la volonté politique exprimée par le gouvernement, il semble que la solution soit à portée de main. Toutefois, en 2009, la commission a conclu qu’aucun changement législatif véritable n’a été adopté. Néanmoins, l’adoption de la loi no 5982 en 2010 a abouti à l’abrogation de certaines dispositions de la Constitution qui avaient été critiquées parce qu’elles restreignaient la liberté syndicale. Toutefois, pour que de tels amendements constitutionnels aient une incidence sur les droits des syndicats, il faut mettre en place une législation d’application. Or une telle législation n’a même pas été proposée. De surcroît, la loi no 4688 sur les syndicats des fonctionnaires n’a pas changé depuis que l’examen de ce cas a commencé en 2005, et les travailleurs du secteur public n’ont pas participé au dialogue social depuis 2007. En outre, les lois nos 2821 et 2822 comportent certaines restrictions au droit syndical et des changements spécifiques ont été demandés, tant par la présente commission que par la commission d’experts. Malgré l’indication du gouvernement selon laquelle un projet de loi sur les syndicats réglant la question des dispositions permettant l’ingérence gouvernementale dans les affaires intérieures des syndicats a été élaboré, on ne constate aucun progrès dans la soumission de ce projet au législateur et ce projet ne traite pas de toutes les questions soulevées par la commission d’experts. En particulier, la commission d’experts a indiqué que les travailleurs indépendants, les travailleurs à domicile, les apprentis, les fonctionnaires de haut rang et les travailleurs retraités doivent avoir le droit de s’organiser, que les restrictions au droit de grève doivent être limitées aux fonctionnaires exerçant une autorité au nom de l’Etat et aux services essentiels au sens strict du terme et que le délai de préavis avant la convocation d’une grève doit être réduit.
Les membres travailleurs ont souligné qu’aucun progrès n’a été réalisé depuis les amendements de la Constitution, lesquels avaient déjà été notés à la précédente session de la commission. Cela est particulièrement inquiétant étant donné les violations sans cesse plus nombreuses des droits syndicaux dans la pratique. Les mesures prises par le gouvernement au sujet des libertés civiles et de l’utilisation de la violence n’ont pas été efficaces et le gouvernement doit être instamment prié de garantir un climat exempt de violence, pressions ou menaces de toute sorte. Cela inclut, entre autres, le harcèlement judiciaire, notamment les cas dans lesquels des syndicalistes ont été arrêtés pour des motifs peu clairs et la procédure judiciaire a été prolongée pendant des périodes de temps significatives. Concernant la question du seuil de 50 pour cent plus un, requis dans une entreprise pour avoir le droit à la négociation collective, les membres travailleurs ont souligné que le résultat en est que seul un très petit nombre de syndicats ont bénéficié de ce droit. Seul un petit pourcentage de travailleurs turcs syndiqués sont couverts par une convention collective et cela constitue un obstacle majeur à la constitution de syndicats. En outre, la législation n’offre pas de protection contre le licenciement dans les entreprises employant moins de 30 salariés, d’où il découle un manque de protection contre les licenciements injustifiés pour les travailleurs. Il en résulte un faible taux de syndicalisation dans les petites entreprises, où la protection des syndicats serait la plus nécessaire. La croissance de l’économie turque, sans droits garantis pour les travailleurs, aboutira à une croissance déséquilibrée et à la répartition inéquitable des bénéfices. Les membres travailleurs se sont dits déçus du fait que le gouvernement n’a pas tenu ses promesses. Il n’a fourni aucun plan d’action assorti de délais clairs, comme l’a demandé la commission en 2009 et 2010, et n’a pas non plus eu recours à l’assistance du BIT pour réviser la législation. Toutefois, une conformité totale avec la convention est possible, et le gouvernement a été instamment prié de faire tous les efforts nécessaires pour mettre de toute urgence sa législation et la pratique en conformité avec la convention.
Les membres employeurs ont rappelé que la discussion tenue sur ce cas l’an dernier a été positive et qu’ils espéraient qu’elle le soit aussi cette année. Plus particulièrement, l’approche incohérente du dialogue social peut être discutée et abordée de façon constructive. La réponse du gouvernement à la mission de haut niveau réalisée en mars 2010 s’est traduite par l’amendement de la Constitution en 16 jours seulement, cet amendement ayant été approuvé par l’électorat en septembre 2010. Le gouvernement a précédemment indiqué que certains amendements législatifs étaient nécessaires A cet égard, un projet de loi sur les syndicats a été élaboré en vue d’amender les lois nos 2821 et 2822, en consultation avec les partenaires sociaux, ce qui démontre que le dialogue social est en cours de développement. La commission d’experts a noté que le projet de loi semble traiter d’un certain nombre de préoccupations précédemment soulevées, notamment huit améliorations concrètes, et l’on peut en féliciter le gouvernement. Néanmoins, la commission d’experts a insisté sur le fait que le projet de loi ne couvre pas toutes les questions, et qu’aucun amendement n’a été apporté à la loi no 4688. Les membres employeurs ont reconnu les défis et les difficultés rencontrés pour ce qui est d’élaborer une législation portant sur les questions restantes. Ils ont souligné que les conclusions de la commission sur ce cas ne pourront pas porter sur les observations de la commission d’experts concernant le droit de grève. En ce qui concerne la nouvelle approche du gouvernement concernant l’usage de la force par la police, notée par la commission à sa dernière session, les membres employeurs ont rappelé que les libertés civiles constituent une condition préalable essentielle à la liberté syndicale. Une formation doit être dispensée à la police et le changement culturel nécessaire mettra du temps à intervenir, et certains problèmes demeurent concernant les syndicats et la police. Les conclusions de la commission doivent prier instamment le gouvernement de continuer à prendre rapidement toutes les mesures nécessaires pour instaurer un climat exempt de toute violence, pressions ou menaces de toute sorte, afin de permettre aux travailleurs et aux employeurs d’exercer pleinement et librement leurs droits au titre de la convention. Le gouvernement doit être prié instamment de réexaminer, en consultation avec les partenaires sociaux, toute législation susceptible d’avoir été appliquée dans la pratique de façon contraire à la convention. Le gouvernement doit aussi fournir un rapport, contenant suffisamment d’informations, avant la prochaine session de la commission d’experts. Si un certain temps est nécessaire pour traiter les questions par le biais d’un processus législatif, il est à espérer que l’examen de ce cas accélérera l’évolution de la situation. Les membres employeurs ont souligné que des progrès ont été accomplis, et que d’autres mesures doivent être prises pour parachever ce processus.
Un membre travailleur de la Turquie a indiqué que la modification constitutionnelle de 2010 était un progrès qu’il convenait de relever, mais a souligné que les demandes concernant les restrictions au droit de grève et la définition des termes «fonctionnaires» et «travailleurs employés dans le secteur public» n’avaient pas été prises en compte lors de ce processus. Malgré les modifications apportées aux lois nos 2821 et 2822, celles-ci sont encore loin d’entretenir un climat de paix sur le lieu de travail pendant le déroulement des activités syndicales. Deux exemples ont été donnés pour montrer les violations fréquentes de la convention no 87 et de la convention (no 98) sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949. Comme les travailleurs qui adhèrent à un syndicat sont licenciés, que des formes d’emploi flexibles sont mises en place et que l’on recourt à la sous-traitance, il est devenu pratiquement impossible de se syndiquer. Le gouvernement a élaboré un projet de loi sur les syndicats afin de rendre la législation conforme à la convention, mais ce projet n’est pas acceptable pour les partenaires sociaux, car il ne tient pas suffisamment compte des besoins des travailleurs, et qu’il comporte plusieurs restrictions. Enfin, après la tenue de deux réunions tripartites en 2010 et 2011, certaines sources de conflit demeurent. Le gouvernement devrait donc prendre de solides engagements auprès de la commission, notamment celui d’élaborer un plan d’action assorti d’un échéancier précis.
Un autre membre travailleur de la Turquie a rappelé qu’une loi sur les activités syndicales des fonctionnaires a été approuvée en 2001 par l’Assemblée nationale. Cela étant, les fonctionnaires sont toujours privés du droit de grève et de négociation collective. La Constitution interdit également aux fonctionnaires dans certains secteurs de former des syndicats ou d’y adhérer. La Turquie a été inscrite sur la liste finale des cas individuels à cinq reprises au cours des sept dernières années et, chaque fois, le gouvernement a promis d’entreprendre les réformes nécessaires à la mise en conformité avec la convention. En 2010, un référendum a été organisé pour modifier certains articles de la Constitution, mais les syndicats des travailleurs du secteur public n’ont pas été consultés faute de dialogue social et les amendements ont été préparés sans consensus. Le dialogue social ne fonctionne pas. Aucune mesure n’a été prise pour modifier les dispositions de la loi no 4688 afin de la rendre conforme à la convention. Pour résoudre les problèmes auxquels les syndicats des travailleurs du secteur public et leurs membres sont confrontés, la commission devrait prier instamment le gouvernement d’engager sans attendre des négociations avec les représentants des fonctionnaires afin de mettre la loi no 4688 en conformité avec la convention. Des délais précis doivent être fixés pour que le nécessaire soit fait avant la session de 2012 de la Conférence internationale du Travail.
Le membre employeur de la Turquie a fait valoir que certains faits récents suscitent des inquiétudes au sein de la Confédération turque des associations d’employeurs (TISK). En dépit de l’importance du tripartisme, le texte soumis à la mission de haut niveau en mai 2010 n’a pas été discuté ou approuvé par les partenaires sociaux turcs. Ce texte ne constitue pas un progrès, contrairement à ce qu’estime la commission d’experts, car les partenaires sociaux n’y ont pas participé. Les discussions concernant les lois nos 2821 et 2822 sont toujours inscrites à l’ordre du jour pour les partenaires sociaux, et la TISK a organisé des réunions tripartites à ce sujet. Les textes, dont la version finale a fait l’objet de négociations, sont acceptables, à l’exception des dispositions permettant l’établissement de fédérations et de syndicats professionnels sur la base du lieu de travail, car elles ne cadrent pas avec la tradition turque des relations professionnelles et pourraient contribuer à la rupture des relations pacifiques sur le lieu de travail. Trois confédérations syndicales ont également émis des réserves à cet égard durant les discussions. Des consultations entre les partenaires sociaux à propos de ces amendements se poursuivront jusqu’à ce qu’un consensus soit atteint. Après les élections générales imminentes, l’orateur a indiqué que les employeurs turcs continueront à soutenir les efforts que déploie le gouvernement pour améliorer les lois dans ce domaine.
Un observateur représentant la Confédération syndicale internationale (CSI) a évoqué la mémoire d’un enseignant retraité et ancien syndicaliste qui est décédé au cours d’une manifestation le 31 mai 2011. Mentionnant ensuite l’arrestation et l’emprisonnement de deux syndicalistes ainsi que la traduction en justice le 3 juin 2011 de 111 militants syndicaux risquant des peines allant jusqu’à cinq ans d’emprisonnement, il a signalé que, d’après l’enquête annuelle de la CSI, en Turquie, 66 pour cent des licenciements sont consécutifs à l’exercice d’activités syndicales. Les événements survenus cette année pendant le cours même de la Conférence internationale du Travail montrent que, dans ce pays, on n’hésite pas à faire obstacle aux activités syndicales par le meurtre, le harcèlement judiciaire, des arrestations et des licenciements. La législation du travail n’est pas conforme aux conventions de l’OIT et 5 pour cent seulement des travailleurs ont le droit de négocier collectivement. Près de la moitié de la population active exerce dans l’économie informelle et 25 pour cent de la population vit en deçà du seuil de pauvreté. La principale cause de cette situation réside dans la restriction des droits syndicaux. La législation nationale sur les syndicats continue d’imposer un seuil de représentativité de 10 pour cent d’un secteur et de 50 pour cent d’un lieu de travail, d’imposer un acte notarié pour pouvoir s’affilier à un syndicat ou cesser d’y appartenir, d’interdire la grève et d’imposer des procédures particulièrement longues dès lors qu’il est question de réintégration, ce qui est contraire aux normes internationales. Quatre procédures tendant à la dissolution de syndicats sont en cours devant les juridictions. Le gouvernement n’a pas procédé aux amendements nécessaires de la législation. Bien que les amendements constitutionnels aient été adoptés assez rapidement, le nombre des licenciements et celui des arrestations, de leur côté, n’a cessé de croître. Le gouvernement doit être rappelé dans des termes fermes à mettre en oeuvre la convention.
Une autre observatrice représentant la CSI a ajouté à la déclaration de l’orateur précédent qu’un demi-million de fonctionnaires n’ont pas le droit de se syndiquer. Les membres élus de haut rang des exécutifs syndicaux, de même que les membres de base, dont la plupart sont des femmes, sont en butte au harcèlement judiciaire, aux licenciements et à l’éviction de leur lieu de travail pour avoir organisé ou participé à des activités syndicales. Citant des exemples spécifiques de femmes syndicalistes faisant l’objet de telles mesures, l’oratrice a indiqué que ces cas restent exceptionnels mais que le risque est élevé de les voir se généraliser. La commission devrait par conséquent inclure ses conclusions sur ce cas dans un paragraphe spécial de son rapport.
La membre travailleuse de la France, s’exprimant également au nom de l’Internationale de l’éducation et de l’Internationale des services publics, a évoqué un certain nombre de violations de la convention qui ont été perpétrées au cours de ces dernières années à l’encontre de syndicalistes de la fonction publique et de l’enseignement en Turquie. Elle a cité le cas de plusieurs syndicalistes (Metin Findik, Seher Tumer et 31 membres de la Confédération des syndicats de fonctionnaires et de son syndicat enseignant Egitim-Sen, dont des dirigeants syndicaux) qui avaient été arrêtés sans que les charges retenues contre eux leur soient communiquées. Certains d’entre eux ont subi des mesures de représailles, telles que des coupes salariales, des licenciements, l’interdiction d’exercer dans les services publics, l’interdiction de se rendre à l’étranger et donc de participer à des réunions syndicales internationales. Le verdict n’a toujours pas été rendu deux ans après l’ouverture du procès, ce qui va à l’encontre de la jurisprudence de l’OIT selon laquelle des procédures rapides doivent être mises en oeuvre dans les cas de jugement de syndicalistes. Les tribunaux doivent rendre leur décision dans les plus brefs délais, afin que cessent les pressions exercées sur les prévenus. Par ailleurs, la multiplication des contrats de travail précaires incite les enseignants à renoncer à adhérer à un syndicat, et ceci dans le but d’obtenir un emploi. En outre, le droit de grève des fonctionnaires est limité voire inexistant, la participation à une grève demeurant un motif de destitution de la fonction publique. Les modifications législatives demandées sur ce point par la commission d’experts n’ont toujours pas été adoptées. A cet égard, l’oratrice s’est référée à la décision rendue par la Cour européenne des droits de l’homme en avril 2009 dans l’affaire Enerji Yapi-Yol Sen versus Turquie, dans laquelle la Cour a souligné que, si le droit de grève n’est pas absolu et peut être soumis à certaines conditions et restrictions, une interdiction appliquée à tous les fonctionnaires constitue une restriction trop vaste et est contraire à la Convention européenne des droits de l’homme. Le gouvernement doit appliquer strictement la convention, cesser d’interférer dans les affaires syndicales, et garantir les droits de l’homme, civils et syndicaux.
La membre travailleuse de la Finlande a fait valoir que le problème ne tient pas seulement au fait que la législation n’est pas pleinement conforme aux normes internationales, mais aussi qu’elle n’est pas appliquée de manière effective. Les actes de discrimination antisyndicale, qui sont courants, et les carences du système judiciaire demeurent des problèmes très graves. Ces derniers mois, des centaines de travailleurs ont été licenciés en raison de leurs activités syndicales. L’oratrice s’est référée à un incident survenu en 2008. Alors que, selon les conclusions de l’enquête menée à ce sujet par le ministère du Travail, les licenciements étaient illégaux, l’entreprise a refusé de payer les amendes. Les poursuites judiciaires ont traîné en longueur. Malheureusement, l’employeur a interjeté appel contre la décision qui était en faveur des travailleurs concernés, et l’affaire est pendante devant la Cour suprême. Cet exemple n’est pas isolé: depuis le début de 2011, 163 travailleurs ont été licenciés en raison d’activités syndicales dans le seul secteur de la métallurgie. Les actes de discrimination antisyndicale, notamment des licenciements abusifs, faute d’un recours rapide, constituent l’une des plus graves violations de la liberté syndicale car ils compromettent l’existence même des syndicats. En tant que partie à la convention no 87, à la convention (nº 98) sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949, et à la Convention européenne des droits de l’homme, la Turquie est tenue de protéger les droits des travailleurs de former des syndicats et d’y adhérer, ainsi que le droit à la négociation collective.
Le membre travailleur de l’Allemagne, s’exprimant également au nom du membre travailleur de l’Autriche, a exprimé sa préoccupation face aux violations persistantes des droits syndicaux. Les atteintes à la liberté syndicale, à la liberté de rassemblement et au droit de négociation collective revêtent une importance particulière pour les syndicats allemands et autrichiens, en raison du grand nombre d’entreprises de ces pays qui sont implantées en Turquie. Les droits syndicaux ne sont pas encore suffisamment garantis et les réformes doivent être accélérées. Les droits sociaux et syndicaux devront bénéficier de la plus haute priorité lors des négociations en vue de l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne. Il ne s’agit pas seulement de modifications législatives, mais aussi de l’amélioration de la pratique et de la protection juridique. L’orateur a pleinement appuyé la déclaration faite par les membres travailleurs, ainsi que celles des membres travailleurs de la Turquie.
Le représentant gouvernemental a souligné que les partenaires sociaux sont associés au processus de révision de la législation en cours. Etant donné qu’il était apparu que les projets de lois précédents ne répondaient pas aux interrogations soulevées par la commission d’experts, des révisions ont été engagées et plusieurs réunions se sont tenues à ce sujet avec les partenaires sociaux. Il ne subsiste que quelques points de divergence. S’agissant de la discrimination antisyndicale, l’orateur a souligné qu’il existe des dispositions de loi interdisant de telles pratiques et qu’en la matière les voies de droit sont ouvertes aux travailleurs comme aux employeurs. L’activité antisyndicale fait encourir à l’employeur une peine de trois ans d’emprisonnement, sans préjudice des indemnisations dues aux travailleurs, lesquelles ne peuvent être d’un montant inférieur à une année de salaire, avec possibilité de réintégration. Cette disposition couvre tous les travailleurs et tous les lieux de travail. S’agissant des allégations d’arrestations de militants syndicaux, l’orateur a fait valoir que les charges retenues contre les intéressés n’avaient rien à voir avec une activité syndicale. Certains syndicalistes sont également membres d’organisations illégales. L’appareil judiciaire est indépendant, et nul n’est poursuivi, sur quelque chef que ce soit, sans des preuves concrètes d’activités illégales. S’agissant de la mort d’un syndicaliste, la manifestation au cours de laquelle ce fait est survenu revêtait un caractère politique et non pas celui d’une activité syndicale. Néanmoins, une instruction a été ouverte et les mesures qui se révéleront appropriées seront prises. L’emprisonnement d’un ancien dirigeant syndical n’avait rien à voir avec son activité syndicale ni avec le fait que cette personne avait été dirigeant d’un syndicat. S’agissant de l’arrestation de 111 travailleurs syndiqués, le représentant gouvernemental a précisé que les charges retenues contre ces personnes concernaient l’organisation d’une manifestation en un lieu où cela n’est pas autorisé. S’agissant des syndicats nouvellement constitués, la nouvelle législation autorisera la constitution de syndicats qui pourront négocier collectivement. Les fonctionnaires peuvent constituer des associations pour la défense de leurs intérêts, sauf à des fins de négociation collective.
Les membres employeurs ont indiqué que rien de ce qui avait été dit au cours de la discussion ne justifiait de modification à leur déclaration initiale. Par conséquent, leurs remarques introductives sur ce cas servent également de remarques finales.
Les membres travailleurs ont déclaré que la discussion et les informations fournies par le représentant gouvernemental ont renforcé leur conviction qu’il est à la fois urgent et faisable de rendre la législation conforme à la convention. Quelques amendements à la Constitution ont été faits, mais la législation pertinente reste inchangée par rapport à 2005 et le gouvernement n’a fourni aucun plan d’action assorti d’un échéancier clair, comme l’avait demandé la présente commission. Le gouvernement n’a pas fait usage de l’assistance continue du BIT qui avait été recommandée pour réviser la législation et n’a pas fourni non plus d’informations nouvelles quant au fond. Plusieurs exemples évoqués au cours de la discussion montrent que les droits des travailleurs de constituer librement des syndicats et celui de s’affilier à de telles organisations sont soumis à encore plus de pressions. Il serait possible de procéder aux changements nécessaires dans un délai relativement court parce que, grâce au concours de la commission d’experts et du BIT, les changements nécessaires sont maintenant parfaitement clairs. Les deux missions effectuées ont permis d’avancer et les membres travailleurs demandent qu’une nouvelle mission de haut niveau se rende en Turquie pour faciliter les efforts tendant à rendre la législation conforme aux conventions nos 87 et 98, en consultation avec les partenaires sociaux et pour faciliter le dialogue social. Il est également demandé au gouvernement de produire un échéancier en vue des mesures à prendre; d’accepter l’assistance technique du BIT pour mener à bien ce processus aussitôt que possible; et de faire rapport d’ici la prochaine session de la commission d’experts sur les amendements législatifs adoptés. Pour que le gouvernement comprenne l’urgence de la situation, les membres travailleurs ont demandé que les conclusions de la commission relatives à ce cas figurent dans un paragraphe spécial de son rapport.
Conclusions
La commission a pris note des informations fournies par le représentant gouvernemental et de la discussion qui a suivi.
La commission a noté les explications du représentant gouvernemental sur les amendements constitutionnels qui sont entrés en vigueur et prennent en compte les demandes formulées par la commission d’experts depuis de nombreuses années. Il a évoqué la nécessité d’un plus grand soutien des partenaires sociaux dans le processus de réforme législative visant à mettre en oeuvre toutes les demandes de la commission d’experts encore en suspens, en particulier en ce qui concerne des questions controversées. Bien que le gouvernement se soit engagé à améliorer la législation syndicale, il a rappelé que le processus de révision prend du temps dans toute démocratie et que ce processus avait pris du retard car l’Assemblée nationale n’avait pas siégé au cours des trois derniers mois à cause de la campagne électorale. C’est pour cette raison qu’il n’était pas en mesure de fournir un calendrier des éventuelles modifications législatives. Il s’est référé à l’adoption, en février 2011, d’une loi prévoyant une prime de convention collective pour les membres des syndicats de fonctionnaires et à l’abrogation d’une disposition critiquée concernant le personnel contractuel dans la fonction publique. Il a déclaré que des résultats positifs avaient été constatés dans la prévention de l’usage excessif de la force par les services de sécurité et a observé que, cette année, les célébrations du 1er mai s’étaient déroulées sans incident. La détention de certains dirigeants et affiliés syndicaux au cours de défilés et manifestations publics concernaient principalement des cas individuels liés à des actes de violence, de dégradation de biens ou à l’organisation de défilés dans des lieux non prévus à cet effet. Il a également évoqué d’autres personnes mentionnées devant la commission et a affirmé qu’elles avaient été condamnées pour avoir commis des actes criminels. En ce qui concerne l’audit des syndicats prévu en vertu de la loi sur les associations, il a déclaré que cette disposition n’avait pas été utilisée dans la pratique.
La commission a rappelé qu’elle avait discuté de ce cas à plusieurs reprises. La commission a accueilli favorablement l’entrée en vigueur de l’amendement constitutionnel introduit par la loi no 5892 à la suite du référendum de septembre 2010, qui abroge plusieurs dispositions de la Constitution qui, auparavant, restreignaient les droits syndicaux. Toutefois, la commission a noté avec préoccupation les nouvelles allégations de restrictions imposées à la liberté syndicale et à la liberté de réunion des syndicalistes. A cet égard, elle a de nouveau rappelé que le respect des libertés publiques est une condition préalable indispensable à l’exercice de la liberté syndicale et a prié instamment le gouvernement de continuer à prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir l’existence d’un climat exempt de toute forme de violence, de pressions ou de menaces de toutes sortes afin que les travailleurs et les employeurs puissent pleinement et librement exercer leurs droits prévus dans la convention. La commission a prié instamment le gouvernement de réexaminer, en pleine consultation avec les partenaires sociaux, toute législation susceptible d’avoir été appliquée d’une manière contraire à ce principe fondamental et d’envisager toute modification ou abrogation qui apparaîtrait nécessaire.
La commission a regretté qu’aucun progrès spécifique n’ait été réalisé en ce qui concerne le projet de loi tant attendu sur les syndicats, portant modification des lois nos 2821 et 2822, et qu’aucun calendrier n’ait été communiqué à cet égard. Elle a regretté en outre que plusieurs dispositions non conformes à la convention aient été maintenues: l’exclusion du bénéfice du droit syndical de certaines catégories d’agents de la fonction publique; des travailleurs indépendants; des travailleurs à domicile; des apprentis et des chômeurs; et des restrictions au droit d’élire leurs représentants en toute liberté et d’exercer librement leurs activités. La commission a également noté avec regret l’absence de nouvelles propositions visant à modifier la loi no 4688 sur les syndicats des agents de la fonction publique.
La commission a prié instamment le gouvernement, comme elle l’avait déjà fait l’année précédente, d’élaborer un plan d’action comportant des délais clairs et de le soumettre à la commission d’experts afin qu’elle puisse assurer un suivi et de continuer à se prévaloir de l’assistance technique continue du BIT. La commission a prié le gouvernement de discuter avec le BIT avant la fin de la Conférence au sujet de la façon dont cette assistance technique pourrait être rendue la plus efficace possible, en vue de l’adoption rapide des modifications nécessaires aux lois nos 2821, 2822 et 4688. Elle a prié le gouvernement de fournir des informations détaillées et complètes sur tous les progrès accomplis sur ces questions et de transmettre tous les textes législatifs pertinents à la commission d’experts avant sa prochaine session.