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Cas individuel (CAS) - Discussion : 2024, Publication : 112ème session CIT (2024)

Convention (n° 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949 - Türkiye (Ratification: 1952)

Autre commentaire sur C098

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Discussion par la commission

Président – J’invite la représentante gouvernementale de la Türkiye, Conseillère auprès du ministre du Travail et de la Sécurité sociale, à prendre la parole.
Représentante gouvernementale – Je tiens tout d’abord à vous féliciter, vous et vos viceprésidents, pour votre élection au bureau de la commission. Je vous souhaite plein succès dans les efforts que vous déploierez pour rendre les travaux de la commission plus fructueux, plus objectifs et plus significatifs, dans un esprit de dialogue constructif.
Je tiens tout d’abord à appeler l’attention de la commission sur le fait que la Türkiye est le deuxième pays à avoir ratifié la convention no 98 après la Finlande, parmi les États Membres qui sont parties à l’ensemble des conventions fondamentales de l’OIT. Cela traduit bien l’engagement de la Türkiye en faveur des normes internationales du travail qu’elle intègre activement dans la législation tripartite par la voie du dialogue social, reflet de son attachement à la démocratie, à l’état de droit et aux normes juridiques universelles. En tant que membre fondatrice du Conseil de l’Europe, du G20 et de l’Organisation de coopération et de développement économiques et dix-neuvième économie du monde, la Türkiye est également un grand bailleur de fonds pour l’aide publique au développement.
Nous regrettons cette inscription sur la liste définitive des cas individuels, pour ce qui concerne la convention no 98 et avec une double note de bas de page, et rappelons notre partenariat de longue date avec l’OIT. Malgré les difficultés géopolitiques et les autres embûches rencontrées, dont une tentative de coup d’État, des tremblements de terre et la pandémie de COVID-19, la Türkiye prie instamment la commission de reconnaître les progrès considérables accomplis, en insistant sur l’importance de préserver la crédibilité du mécanisme de contrôle.
Depuis la dernière discussion, en 2013, des avancées significatives ont été réalisées dans la législation du travail, au sujet de l’essence même des articles révisés relatifs à la détermination de la branche d’activité; à la protection des délégués syndicaux; au champ d’application et au niveau des conventions collectives ainsi qu’aux bénéficiaires des conventions collectives; à la règlementation de la question de la compétence; au règlement des conflits collectifs du travail; à la règlementation relative à l’interdiction et au report des grèves et du lock-out; aux services d’affiliation électronique pour les syndicats dans quelques pays du monde; et à l’engagement des procédures de médiation, ce qui couvre les réglementations concernant la branche d’activité et l’étendue des conventions collectives. Dans le même temps, les prestations découlant de ces accords, les objections concernant la détermination de la question de la compétence, la compétence elle-même et les interdictions concernant les grèves et les lock-out sont couvertes.
Ces questions ont une importance indéniable dans le domaine du travail, aux niveaux national et international, et sont traitées de manière clairement favorable aux salariés. La législation nationale du travail place la protection des salariés au premier plan, compte tenu du fait qu’ils sont la partie la plus faible dans la relation de travail.
Je commencerais par aborder les préoccupations de la commission concernant le champ d’application personnel de la convention, en particulier s’agissant du personnel pénitentiaire. Les conventions collectives prévoient des prestations pour l’ensemble des fonctionnaires, y compris le personnel pénitentiaire, qui ne peut adhérer à un syndicat en vertu de l’article 15, et aux fonctionnaires à la retraite.
Un arrêt de 2023 de la Cour constitutionnelle autorise les chefs de département, les doyens de faculté ainsi que les directeurs d’institut et de lycée et leurs adjoints à constituer des syndicats et à s’y affilier, ce qui laisse penser que leur rôle au sein d’une autorité publique ne les empêche pas automatiquement de s’affilier à un syndicat. La justification de cette décision peut servir de jurisprudence édifiante face à la diminution du nombre de fonctionnaires ne pouvant pas se syndiquer.
En ce qui concerne les travailleurs suppléants et certains fonctionnaires travaillant sans contrat écrit, tels que les enseignants, le personnel infirmier et les sages-femmes, leur relation de travail est régie par les lois sur le statut d’emploi et non par un contrat. Leur exclusion des syndicats est donc conforme aux dispositions juridiques, comme indiqué dans la loi sur les fonctionnaires.
Aussi, le Conseil consultatif tripartite, présidé par le ministre du Travail et de la Sécurité sociale, M. Vedat IŞIKHAN, s’est réuni le 20 octobre 2023, pour le «Dialogue social au siècle de la Türkiye». Des représentants du ministère, des institutions affiliées, des travailleurs et des confédérations d’employeurs ont participé à cette réunion consacrée aux difficultés que rencontre le pays sur ces points. Il a par la suite été décidé d’établir des sous-commissions de travail et de commencer immédiatement à collaborer avec les confédérations, les syndicats, des juristes, des professeurs d’université et les autorités publiques compétentes.
La sous-commission de travail a tenu sa première réunion le 23 mai 2024, consacrée aux difficultés intrinsèques à la loi sur les syndicats en vigueur, en particulier s’agissant de la détermination de l’autorisation ainsi que de la liberté syndicale. Il a commencé à examiner d’éventuelles modifications à y apporter à cet égard. Il a été convenu d’organiser une deuxième réunion le 26 juin 2024.
S’agissant des licenciements massifs allégués dans le secteur public, après la tentative de coup d’État de 2016, des fonctionnaires, y compris des représentants syndicaux, ont été démis de leurs fonctions au motif de leurs liens présumés avec des organisations terroristes. La commission d’enquête sur les mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence, opérationnelle entre 2017 et 2023, avait pour but d’analyser et de traiter ces licenciements.
Ces cinq dernières années, des efforts juridiques conséquents ont été déployés pour traiter des questions évoquées par la commission.
Ainsi, il est indispensable de noter que le Président de la République a lancé une stratégie de la réforme judiciaire, en mai 2019, dans le cadre de laquelle le huitième train de mesures judiciaires, publié en mars 2024, a élargi le mandat et l’autorité de la Commission d’indemnisation dans le domaine des droits de l’homme, établie en 2013, afin de raccourcir la procédure du contentieux.
La commission d’indemnisation a un mois pour examiner une demande liée aux retards de procédure à compter de la date de l’enquête, du procès ou de la décision définitive. Elle analyse également les requêtes individuelles à la Cour constitutionnelle dans les trois mois et les requêtes déposées auprès de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) dans les trois mois qui suivent la décision de rejet de la Cour constitutionnelle ou, depuis le 10 octobre 2023, la notification de la décision d’irrecevabilité.
En ce qui concerne les allégations faisant état d’un manque de protection contre les licenciements et la discrimination antisyndicaux dans les secteurs privé et public, sur les près d’un million et demi de décisions du bureau du Procureur général, seules 791 étaient liées à une entrave aux droits syndicaux et il a été décidé de ne pas engager de poursuites dans 357 cas. Cela laisse penser que la procédure judiciaire est juste et équitable.
D’après les décisions des bureaux du Procureur général motivées par les lois spéciales, on constate que seuls 1 465 dossiers sur 433 000 relèvent de la loi sur les réunions et les manifestations et qu’il a été décidé de ne pas engager de poursuites dans 877 cas.
Les derniers ateliers de la stratégie nationale pour l’emploi, menés par le ministère du Travail et de la Sécurité sociale en 2024, visent à prévenir la discrimination sur les lieux de travail et à promouvoir les libertés publiques par la collaboration avec les partenaires sociaux. Ces prochaines années, l’Institution des droits de l’homme et de l’égalité de Türkiye (TİHEK) mènera des réunions, des recherches, des ateliers et des programmes de formation en vue de renforcer ces objectifs.
Les primes à la négociation collective sont directement versées aux syndicalistes pour garantir l’unité, la simplicité et la commodité. Les cotisations syndicales sont déduites du salaire et versées sur le compte du syndicat.
S’agissant des observations du Syndicat des services de santé (SAHİM-SEN) sur les primes à la négociation collective, l’arrêt de 2024 de la Cour constitutionnelle a annulé le seuil de 2 pour cent. Depuis, l’ensemble des fonctionnaires syndiqués a commencé à recevoir une aide à la négociation collective. Je suis convaincue que toutes ces réalités statistiques et ces avancées juridiques reflètent une tendance positive sur la voie de l’amélioration et du développement des droits syndicaux en Türkiye.
Les conventions collectives peuvent être établies à différents niveaux, notamment le lieu de travail, l’entreprise ou un groupement d’employeurs, et par la voie d’accords-cadres. Ce système évolue au fil du temps dans le cadre solide des relations professionnelles de la Türkiye.
Afin de faire progresser le droit de négociation collective et les droits syndicaux dans notre pays, le Conseil consultatif tripartite se concentre sur les stratégies visant à améliorer l’organisation syndicale en Türkiye. Il a anticipé la modification des seuils de représentativité syndicale et les difficultés rencontrées au moment de définir les processus d’autorisation de la négociation collective. À la fin de la réunion, deux sous-commissions de travail, incluant les partenaires sociaux, ont été créées et chargées de réviser la loi sur le travail et la loi actuelle sur les syndicats. La sous-commission chargée de la loi sur le travail a tenu ses premières réunions en janvier 2024, puis en a tenu trois autres. En mai 2024, la sous-commission chargée de la loi sur les syndicats a tenu sa première réunion à laquelle ont participé les partenaires sociaux.
Par ailleurs, en ce qui concerne la portée des droits de négociation collective visés par la loi sur les fonctionnaires, le Conseil consultatif du personnel de la fonction publique s’est réuni en novembre 2023, sous la présidence du ministre, pour améliorer le dialogue social dans le secteur public et s’attaquer aux difficultés rencontrées par les fonctionnaires, ainsi que pour examiner la question de l’élargissement de la portée du dialogue et celle du mécanisme d’élection du président et des membres du Conseil d’arbitrage pour les fonctionnaires.
À l’issue de la réunion, il a été décidé d’établir des sous-commissions chargées d’examiner ces questions, et en particulier chargées de l’examen et la révision de la législation. Il leur incombait non seulement d’examiner la loi sur les fonctionnaires, mais aussi les questions du développement du cadre des droits financiers et sociaux tels que le remboursement et l’allocation pour repas des fonctionnaires en question.
Dernier point, mais non le moindre, la treizième assemblée du travail, qui n’avait pas pu se réunir après sa dernière réunion de 2019 du fait de la pandémie et des tremblements de terre dévastateurs, s’est retrouvée à Ankara, en avril 2024, en présence du ministre, M. Vedat Işıkhan, de la Sous-directrice générale et Directrice régionale du Bureau régional de l’OIT pour l’Europe et l’Asie centrale, Mme Beate Andrees, du chef de l’Unité du dialogue social au BIT, M. Youcef Ghellab, et de l’équipe du Bureau de pays de l’OIT pour la Türkiye. Le Directeur général du BIT, M. Gilbert Houngbo, s’est exprimé devant l’assemblée par message vidéo interposé; il a félicité toutes les parties pour leur attachement au dialogue social et leur contribution au travail décent et à la justice sociale.
L’assemblée, réunie sous le thème «La vie des travailleurs dans le siècle turc: l’avenir des travailleurs, la syndicalisation et l’emploi», a bénéficié de la participation active d’experts, d’universitaires, de représentants des autorités, d’organisations de travailleurs et d’employeurs, de syndicats de fonctionnaires et d’associations. Les discussions, auxquelles ont participé un millier de personnes, se sont concentrées sur la progression de la syndicalisation, les procédures de négociation collective, l’accélération des processus judiciaires relatifs aux droits au travail et la garantie de la poursuite effective du dialogue social.
Au cours de l’assemblée, pour ce qui concerne l’actuelle loi sur les syndicats, les représentants des partenaires sociaux ont notamment abordé les questions suivantes: seuils de représentativité des syndicats, processus de détermination de l’autorité de négociation collective, réintégration et procédures judiciaires en cas de refus de l’employeur, et décisions de report d’une grève. En ce qui concerne la loi sur les fonctionnaires, ils ont parlé de la couverture de l’article 15, qui dispose que les agents de la fonction publique ne peuvent pas devenir membres de syndicats, de la portée des conventions collectives dans le secteur public, des travailleurs suppléants et de la structure du Haut conseil d’arbitrage.
Après cette séance, une déclaration sera publiée, dès que le Conseil scientifique l’aura finalisée. Le Conseil scientifique dirige des travaux universitaires dans les domaines de la législation du travail et des relations professionnelles. Cette déclaration accélèrera les travaux des deux sous-commission grâce à la participation des partenaires sociaux concernés à l’examen et à la refonte de la législation sur les questions abordées lors de l’assemblée du travail, compte tenu des avis et des analyses de la commission d’experts.
Nous tenons à fournir régulièrement à votre commission des informations actualisées sur les faits nouveaux à ce sujet. Cela assurera la transparence et la justification des progrès accomplis sur la voie de l’amélioration des droits au travail et du dialogue social.
L’élan suscité par trois réunions plénières et sept réunions des sous-commissions au cours des sept derniers mois donnera lieu à des progrès significatifs, en particulier à des changements législatifs essentiellement, sur les questions soulevées par les partenaires sociaux concernant la loi sur le travail, l’article 15 de la loi sur les fonctionnaires et les articles 25, 34 et 41 de l’actuelle loi sur les syndicats.
Nous avons commencé à examiner et à réviser les questions susmentionnées selon le programme de travail des sous-commissions, en concertation avec nos partenaires sociaux. Nous sommes convaincus qu’ensemble, gouvernement et partenaires sociaux, nous y parviendrons.
Membres travailleurs – Notre commission examine l’application de la convention par le gouvernement de la Türkiye. Ce cas a déjà été soumis onze fois à notre commission et la commission d’experts l’a classé dans la catégorie des «cas faisant l’objet d’une double note de bas de page», soulignant la gravité des violations des droits syndicaux dans le pays.
Depuis 2016, le gouvernement poursuit sans relâche un programme antisyndical, usant de lois sur l’état d’urgence pour justifier le licenciement massif et la rétrogradation de milliers de fonctionnaires. Depuis lors, de nombreux syndicalistes ont cherché à obtenir réparation auprès d’une commission d’enquête sur les mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence, chargée d’examiner les recours.
La commission d’experts a constaté que la commission d’enquête examinait uniquement si un lien, même indirect, pouvait être établi entre les fonctionnaires licenciés et des groupes désignés comme terroristes par le Conseil de sécurité nationale. Les demandeurs ne pouvaient nullement prendre connaissance des informations les concernant et encore moins les contester. Comme l’a indiqué le gouvernement, ces licenciements avaient pour but de «mettre un terme à l’existence d’organisations terroristes et d’autres structures engagées dans des activités portant atteinte à la sécurité nationale au sein des institutions publiques» et la commission d’enquête s’est uniquement attachée à établir si les licenciements étaient justifiés à cet égard. La commission d’enquête a rendu plus de 127 000 décisions dont seulement 14 pour cent étaient des décisions d’acceptation.
Le gouvernement n’a transmis aucune information spécifique concernant les recours introduits par des syndicalistes et des responsables syndicaux. Nous notons avec une profonde préoccupation que quatre confédérations, 19 fédérations et 19 syndicats ont été dissous après que les tribunaux eurent conclu à leur affiliation avec une organisation terroriste. Nous notons également avec préoccupation que selon la Confédération des syndicats de fonctionnaires (KESK), 4  267 de ses membres issus de tous les secteurs publics ont fait l’objet d’un licenciement arbitraire en vertu des lois d’urgence.
Nous déplorons que le gouvernement n’ait pas mis en place une procédure indépendante, efficace et équitable d’examen des recours introduits par les fonctionnaires contre leur licenciement antisyndical. Nous notons que le mandat de cinq ans de la commission d’enquête est venu à échéance. Aujourd’hui, les travailleurs doivent passer par de longues procédures devant les tribunaux pour que leur cas soit examiné. Nous prions instamment le gouvernement de mettre en place des enquêtes et des voies de recours indépendantes, rapides et approfondies pour les cas de licenciements antisyndicaux dans le cadre de lois d’urgence.
En outre, nous notons avec préoccupation que bien que l’état d’urgence soit levé, les gouverneurs et les ministères continuent à utiliser des dispositions législatives exceptionnelles pour licencier des fonctionnaires.
Une deuxième question soulevée depuis longtemps est l’absence de protection des travailleurs contre la discrimination antisyndicale dans les secteurs public et privé. Comme l’a indiqué la commission d’experts, la loi no 6356 (loi sur les syndicats et les conventions collectives), qui réglemente expressément les licenciements antisyndicaux, dispose simplement qu’en cas de «rupture du contrat de travail au motif d’activités syndicales», une «indemnité syndicale» doit être ordonnée, tandis que l’employeur peut légalement refuser de verser des indemnités. Les licenciements antisyndicaux ne sont passibles d’aucune sanction pénale ou administrative. De même, dans le secteur public, aucune disposition légale ne prévoit de sanction à l’endroit des personnes responsables de discrimination antisyndicale ni d’indemnisation pour les victimes.
Cette absence de protection efficace et l’existence de sanctions dissuasives dans la législation ont créé un environnement qui permet que les employeurs se livrent à des pratiques antisyndicales. Au fil des ans, les syndicats du pays ont dénoncé d’innombrables exemples de licenciements ciblés de syndicalistes et de travailleurs qui tentaient de constituer des syndicats ou d’y adhérer.
Les organes de contrôle de l’OIT soulèvent ces questions depuis des années. Toutefois, jusqu’à présent, leurs recommandations sont restées sans écho. En 2013, la commission a prié le gouvernement de mettre en place un système de collecte des données sur la discrimination antisyndicale dans les secteurs public et privé. Onze ans plus tard, le gouvernement ne peut afficher aucun progrès à cet égard.
Ce climat général antisyndical associé à un cadre juridique restrictif a des conséquences néfastes sur la capacité des travailleurs à mener des négociations collectives. La commission d’experts a formulé de nombreux commentaires sur la nécessaire révision de la loi no 6356, qui impose des conditions strictes à la négociation collective dans le secteur privé.
En premier lieu, le seuil pour devenir agent de négociation collective au niveau de l’entreprise est particulièrement élevé: le syndicat doit représenter au moins 1 pour cent des travailleurs engagés dans la branche d’activité considérée et plus de 50 pour cent des travailleurs en poste sur le lieu de travail et 40 pour cent des travailleurs de l’entreprise pour participer à la négociation collective.
Ces conditions ont une incidence directe sur la capacité des syndicats à représenter et à défendre leurs membres dans le cadre d’une négociation collective. Selon les données de 2023 fournies par le gouvernement, près des trois quarts des syndicats du pays ne répondraient pas aux critères pour devenir agent de négociation en raison de l’application du seuil sectoriel de 1 pour cent. Ces règles engendrent des obstacles considérables à la négociation collective dans le pays, en particulier pour les syndicats minoritaires, puisqu’il n’existe pas de dispositions légales concernant leur droit de négociation collective. De ce fait, d’après les données d’ILOSTAT, seuls 7,4 pour cent des salariés de Türkiye étaient couverts par une convention collective en 2019.
En outre, les syndicats turcs qui tentent de contester la reconnaissance d’un syndicat en tant qu’agent de négociation exclusif se retrouvent engagés dans une longue procédure judiciaire pouvant prendre six à sept ans, au cours de laquelle le processus de négociation collective reste en suspens et les travailleurs sont privés de la couverture des conventions collectives.
En deuxième lieu, la loi no 6356 ne permet pas la négociation sectorielle régionale et syndicale, ce qui limite de manière injustifiée l’autonomie des partenaires sociaux s’agissant de la décision des niveaux de négociation collective.
Dans le secteur public, le champ d’application de la négociation collective est réduit aux «droits sociaux et financiers», excluant les autres aspects de la vie professionnelle de travailleurs publics. En outre, la représentation syndicale dans les processus de négociation collective du secteur public se limite à un rôle d’observation. Les syndicats majoritaires, bien qu’autorisés à participer à la Délégation des syndicats d’employés des services publics, ne sont pas habilités à faire des propositions pour les conventions collectives, notamment lorsque leurs revendications sont qualifiées de générales ou applicables à plus d’une branche.
En outre, le gouvernement ignore systématiquement l’appel de la commission d’experts à revoir la composition du Conseil d’arbitrage des salariés du secteur public. Actuellement, sept des onze membres de ce conseil sont désignés par le Président de la République, ce qui suscite des doutes quant à son indépendance et à son impartialité.
En dernier lieu, nous notons avec préoccupation que le gouvernement ne fait toujours rien pour permettre au personnel pénitentiaire, aux travailleurs suppléants et aux fonctionnaires sans contrat écrit d’exercer leurs droits d’organisation et de négociation collective.
Compte tenu de ce climat antisyndical persistant et des lourdes restrictions légales qui s’appliquent aux droits d’organisation et de négociation collective, les travailleurs et les syndicats de Türkiye ne peuvent pas véritablement défendre leurs droits et leurs intérêts. Nous appelons le gouvernement à prendre de toute urgence des mesures, en consultation avec les partenaires sociaux, pour lever les obstacles juridiques au plein exercice des droits garantis par la convention, et à prendre des mesures concrètes et efficaces pour lutter contre la discrimination antisyndicale tant dans le secteur public que privé.
Membres employeurs – La convention no 98 est l’une des 10 conventions fondamentales de l’OIT. La Türkiye a adhéré à l’OIT en 1932 et a ratifié au total 59 conventions, y compris les 10 conventions fondamentales. La Türkiye a ratifié la convention no 98 en 1952. Aujourd’hui, c’est la douzième fois que la commission examine l’application en droit et dans la pratique de cette convention par la Türkiye. Plus précisément, la commission d’experts a déjà formulé une trentaine d’observations depuis 1989 concernant la protection contre les actes de discrimination antisyndicale et la liberté de négociation collective.
Après la tentative de coup d’État le 15 juillet 2016, l’état d’urgence avait nécessité de prendre certaines mesures exceptionnelles afin de garantir la sécurité nationale. Cet état d’urgence a pris fin le 18 juillet 2018. Très récemment, avec le soutien de l’OIT, le dialogue social tripartite a été renforcé au sein de l’assemblée tripartite du travail qui s’est réunie en avril 2024. Une responsable de haut niveau du BIT y participait. En outre, un important projet de l’OIT financé par l’Union européenne a été lancé avec la participation des partenaires sociaux turcs, qui couvrira la liberté d’association et le droit à la négociation collective en tant que piliers de l’agenda des droits fondamentaux.
Dans ses dernières observations, la commission d’experts demande au gouvernement de prendre les mesures nécessaires, sur la base des articles 1, 2, 3, 4 et 6 de la convention, pour que les actes de discrimination antisyndicale soient interdits et sanctionnés efficacement, qu’une procédure efficace et impartiale soit utilisée lorsque de tels actes se produisent, et enfin que la négociation collective soit davantage promue par les autorités.
Dans sa réponse à nos interventions de l’année dernière, le gouvernement a notamment précisé les éléments suivants:
  • les personnes occupées dans des organisations d’importance stratégique telles que le personnel pénitentiaire et celles qui impliquent des postes de pouvoir de police et de renseignement au nom de l’État ne peuvent pas s’affilier à un syndicat ni en former un. Ces limitations seraient principalement dues à l’importance d’assurer de manière impartiale la fourniture de services publics essentiels par ces fonctionnaires. Néanmoins, ces travailleurs étaient couverts par les conventions collectives conclues pour le secteur public. Le gouvernement confirme également que certains travailleurs suppléants ne sont pas non plus autorisés par la loi à s’affilier à un syndicat ou à en former un et qu’ils ne sont pas non plus couverts par des conventions collectives;
  • le gouvernement soutient que, entre le 22 décembre 2017 et le 22 janvier 2023, l’ensemble des plaintes contre les licenciements massifs dans le secteur public pour des raisons soidisant antisyndicales auraient fait l’objet d’une procédure impartiale devant la commission d’enquête. Celleci a rendu un total de 127 292 décisions (dont 17 960 décisions d’acceptation). Les personnes ont eu ensuite la possibilité d’intenter un recours judiciaire;
  • le gouvernement soutient que la législation nationale est conforme à la convention (no 158) sur le licenciement, 1982, de l’OIT que la Türkiye a ratifiée en 1994. Selon la loi turque, un travailleur licencié pour des raisons syndicales a le droit d’intenter une action en justice en vue de sa réintégration et, si le tribunal décide que le licenciement est dû à des raisons syndicales, ou antisyndicales, il fixe également le montant de l’indemnité à verser si le travailleur n’est pas réintégré. En revanche, empêcher l’exercice des droits syndicaux constitue un délit et entraîne des sanctions pénales. Par ailleurs, il reste très compliqué de développer une méthodologie sur la collecte des données concernant les licenciements antisyndicaux. Un rapport développé en 2018 avec le BIT et un atelier tripartite organisé à l’époque n’ont pas permis de développer une solution;
  • selon le gouvernement, le concept légal de convention collective de groupe permettrait déjà aux partenaires sociaux du secteur privé de conclure des conventions collectives au niveau de la branche. Cependant, le gouvernement n’apporte aucune clarification pour permettre de conclure des conventions collectives intersectorielles;
  • le double seuil pour être reconnu comme un syndicat représentatif dans le secteur privé a été validé par la Cour constitutionnelle. En outre, le taux de syndicalisation dans le secteur privé était de 10,6 pour cent dans les premières statistiques en janvier 2015 publiées après l’abaissement du seuil à 1 pour cent. Le taux de syndicalisation n’a cessé d’augmenter depuis lors: il atteint 74,5 pour cent dans le secteur public et 14,8 pour cent dans le secteur privé. Ces chiffres indiquent une évolution positive sur le terrain;
  • en ce qui concerne le Conseil d’arbitrage des fonctionnaires, le gouvernement précise que ces magistrats ne sont pas subordonnés au pouvoir exécutif et que l’indépendance du pouvoir judiciaire est garantie.
Les membres employeurs réaffirment l’importance capitale du respect de la convention no 98, par tous les pays Membres de l’OIT, en tant que convention fondamentale. Le droit d’organisation et de négociation collective, tant pour les employeurs que pour les travailleurs, est une condition essentielle pour garantir l’application de toutes les normes de l’OIT. Nous insistons pour que les législations et les pratiques nationales garantissent ce droit fondamental. Les actes antisyndicaux doivent donc être sanctionnés de manière juste et efficace. Les gouvernements doivent promouvoir activement la liberté de négociation collective par les partenaires sociaux.
Les membres employeurs souhaitent faire les remarques suivantes sur ce point: nous considérons que la législation actuelle, qui prévoit un seuil de représentativité de 1 pour cent des travailleurs du secteur pour la capacité des syndicats à négocier collectivement, est compatible avec l’article 4. Il s’agit de déterminer la meilleure façon d’atteindre l’objectif de promotion de la négociation collective. L’article 4 laisse une marge d’appréciation aux gouvernements pour régler cette question. Avec la loi no 6356, la réduction du seuil légal de 3 pour cent à 1 pour cent des travailleurs de la branche d’activité a eu un impact positif sur le mécanisme de négociation collective. Les partenaires sociaux étaient parvenus à un consensus préalable pour réduire ce seuil, car ils craignaient que sa suppression pure et simple n’entraîne des pratiques malveillantes et un retour à une organisation chaotique des relations industrielles. Vu qu’il existe 228 syndicats en Türkiye, le groupe des employeurs estime légitime de fixer des seuils objectifs audelà desquels un syndicat peut être autorisé à conclure des conventions collectives. Actuellement, 60 syndicats sur 228 répondraient à ces critères. Les membres employeurs précisent que, si une organisation d’employeurs ou un syndicat librement créé refuse de respecter les conditions de représentativité ou ne respecte pas les règles du dialogue social, alors il faudrait plutôt les considérer comme de simples groupes de pression. La qualification de partenaires sociaux implique une rigueur liée à la représentativité des membres, un fonctionnement démocratique et une prise de responsabilité pour négocier des accords sociaux équilibrés, contrairement à la qualification d’organisation non gouvernementale (ONG). Seuls les partenaires sociaux peuvent demander l’intervention de l’OIT lorsque leurs droits sont menacés ou violés.
Les membres employeurs soulignent l’importance des discussions nationales tripartites qui ont eu lieu en avril dernier au sein de l’assemblée du travail. Cette réunion donnera prochainement lieu à une déclaration commune qui contiendra des engagements de toutes les parties afin de renforcer la démocratie sociale. Conformément aux décisions de cette assemblée du travail, des souscommissions ont été créées pour examiner la législation sur les syndicats et la loi sur la négociation collective dans la fonction publique. Ces souscommissions ont déjà commencé leurs travaux.
Je termine mon intervention par deux points d’attention. D’une part, il est important que la législation sur la négociation collective dans le secteur public soit applicable à tous les travailleurs des services publics, conformément à la convention, même si certaines exceptions sont justifiables dans le secteur public. D’autre part, le niveau de négociation collective dans le secteur privé devrait être librement choisi et fixé par les partenaires sociaux euxmêmes plutôt que par la loi. Nous espérons que les partenaires sociaux discuteront notamment du niveau intersectoriel dans le prolongement de l’assemblée du travail initiée en avril.
Membre travailleur, Türkiye – Cela fait des années que nous examinons, au sein de cette commission, le cas de la Türkiye concernant la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, et la convention no 98. Nous sommes ravis de constater les progrès accomplis, comme l’introduction du système du portail électronique de l’État qui remplace l’ancien système d’enregistrement des syndicats et de démission.
Malgré ces efforts, les problèmes concernant la législation et sa mise en œuvre persistent. Les licenciements antisyndicaux demeurent un problème important. Le cadre juridique réglementant la protection de l’emploi n’est pas adéquat. La réintégration des travailleurs en cas d’injustice et de licenciement antisyndical est rare dans la pratique. Lorsqu’une décision de justice ordonne la réintégration, les employeurs préfèrent généralement payer les indemnités et la période de préavis plutôt que d’opter pour la réintégration. Lorsqu’il est mis fin unilatéralement au contrat de travail, l’employeur notifie aux autorités de ne pas verser d’indemnités. Si un travailleur affirme qu’il y a un licenciement abusif, il doit porter l’affaire en justice, ce qui représente une procédure longue et coûteuse pour le plaignant. En outre, si la moitié des travailleurs qui démissionnent en Türkiye semblent le faire de leur plein gré, ils sont en fait contraints de signer le document de démission au préalable. Il s’agit d’une stratégie de l’employeur lui permettant d’invoquer des motifs juridiques pour ne pas verser d’indemnités. En outre, les travailleurs ne peuvent pas prétendre à des prestations de chômage puisqu’ils ont démissionné soi-disant volontairement.
Les procédures judiciaires prolongées visant à déterminer la compétence en matière de conclusion de conventions collectives constituent un autre problème important, ainsi que l’une des principales causes de désyndicalisation. Un autre aspect de cette question est la contestation de la compétence, qui ouvre la voie à une procédure judiciaire peu claire, entraînant aussi des démissions du côté des syndicats. Au niveau de la branche, le seuil était de 10 pour cent par le passé. Il a été ramené à 1 pour cent en 2015, grâce au consensus auquel sont parvenus les partenaires sociaux. Une mission technique du BIT s’est également rendue en Türkiye et a participé au dialogue.
En vertu de l’article 41 (1) de la loi no 6356, le seuil au niveau de la branche joue un rôle de réglementation qui permet la participation des syndicats les plus représentatifs et les plus puissants.
Il convient d’affirmer clairement qu’une organisation syndicale au niveau du lieu de travail, là où les employeurs et les partis politiques peuvent intervenir, n’est pas un système qui serait dans l’intérêt collectif des travailleurs en Türkiye. L’absence de seuil au niveau de la branche peut entraîner la multiplication de la dispersion syndicale. Outre ce risque, les organisations au niveau microéconomique peuvent être influencées par les employeurs, en cherchant à affaiblir le mouvement syndical organisé. En outre, en vertu de la législation en vigueur, il ne peut y avoir qu’un seul syndicat autorisé à conclure la convention collective sur un même lieu de travail. Ces accords ont été conclus dans le cadre d’un dialogue avec les partenaires sociaux, en tenant compte d’expériences passées. D’une manière générale, le pouvoir législatif devrait interpréter plus largement le droit d’organisation, de manière à en garantir l’exercice à toutes les personnes présentes sur le marché du travail. Je ne veux pas empiéter sur le temps de mon collègue qui parlera du droit d’organisation et de négociation collective des fonctionnaires, auquel la commission d’experts se réfère largement dans son rapport.
Autre membre travailleur, Türkiye – Au nom de la Confédération turque des associations d’employés du secteur public (Türkiye KAMU-SEN), l’une des confédérations représentatives des employés du secteur public en Türkiye, je souhaiterais ajouter quelques informations relatives aux problèmes des travailleurs du secteur public.
D’après le rapport de la commission d’experts, l’article 15 de la loi no 4688 sur les syndicats de fonctionnaires non seulement interdit au personnel pénitentiaire, aux travailleurs suppléants et aux fonctionnaires travaillant sans contrat de travail écrit de s’affilier à un syndicat, mais prévoit aussi une interdiction générale qui couvre environ 20 pour cent des agents de la fonction publique. Nombre de ces travailleurs, à l’exception des membres des forces armées, de la police et des fonctionnaires commis à l’administration de l’État, sont toujours privés de leurs droits d’organisation et de négociation collective en raison de l’interdiction actuelle prévue dans cet article.
Le rapport de la commission d’experts mentionne également la question des fonctionnaires licenciés dans le cadre de l’état d’urgence, instauré en raison de circonstances exceptionnelles liées à une tentative de coup d’État militaire en 2016, appuyée par l’organisation terroriste FETÖ. Toutes les forces judiciaires, les ONG et la quasi-totalité de notre population ont pris position contre la FETÖ, en fermant les routes et les espaces publics et en manifestant. Nous avons réussi à nous en débarrasser en six heures. Notre pays a perdu 252 personnes et les milliards de dollars perdus ont ruiné notre économie. Comme suite à cette tentative manquée, l’état d’urgence a été immédiatement décrété et les institutions et les organisations de l’État ont ouvert une vaste enquête pour repérer toutes les activités de la FETÖ et d’autres organisations terroristes, ainsi que pour établir leurs liens avec des agents de la fonction publique. Comme suite aux analyses menées, les agents pour lesquels il a été établi qu’ils avaient des liens avec la FETÖ et d’autres groupes terroristes, à des fins judiciaires, devaient être démis de leurs fonctions et bénéficier de la protection requise pendant les enquêtes judiciaires, comme le prévoient la loi sur les fonctionnaires et le Code pénal. Toutefois, compte tenu de certaines décisions judiciaires internes et externes et des décisions de la commission d’enquête mentionnées dans le rapport, il ne fait aucun doute que certains licenciements ont eu lieu sans passer par les procédures administratives, judiciaires et d’investigation régulières. Les autorités ont déclaré, à la fin de ce processus, que des remboursements et des indemnités pour les pertes économiques et morales avaient été pris en compte. Mais les procédures sont toujours en cours et le problème demeure. Il est important que le gouvernement établisse une nouvelle réglementation dès que possible pour préciser les étapes du processus concernant les fonctionnaires qui se trouvent dans cette situation. La discrimination antisyndicale dans ce secteur est une réalité depuis de nombreuses années, comme l’a dûment noté la commission d’experts. Malgré des centaines de plaintes déposées à leur encontre, aucun administrateur public concerné par la discrimination antisyndicale des fonctionnaires n’a été sanctionné.
D’autre part, la question du seuil de représentativité de 2 pour cent mentionnée dans le rapport de la commission d’experts, au profit du syndicalisme des agents de la fonction publique, vise à ouvrir la voie à un syndicalisme constructif. Des seuils similaires sont généralement établis dans le syndicalisme, de manière à encourager des syndicats représentatifs plus puissants, dans le contexte d’un syndicalisme constructif. Le seuil appliqué dans notre pays permet d’avoir des syndicats représentatifs puissants en raison du nombre de membres, au lieu de répartir le pouvoir entre de multiples petits syndicats marginaux qui manquent de poids. Nous soutenons donc l’application de ce seuil, de manière à mettre en place des syndicats autorisés plus puissants.
Compte tenu du processus de négociation collective, de sa durée, de sa portée, de l’autorisation accordée aux représentants, de la compétence en matière de signature, de l’inadéquation des réglementations des systèmes de négociation collective de branche et générale, le droit syndical des travailleurs du secteur public se heurte à de nombreux problèmes.
Par conséquent, je souhaiterais proposer au gouvernement et à tous nos syndicats de se réunir sous la direction du gouvernement, ainsi que de revoir et de mettre en œuvre la loi sur les syndicats de travailleurs du secteur public sur la base de la convention.
Membre employeur, Türkiye Les observations de la commission d’experts sur la Türkiye, concernant la mise en œuvre des articles 1, 2 et 3 de la convention, se fondent principalement sur des licenciements massifs dans le secteur public en application des décrets adoptés pendant l’état d’urgence.
Après la tentative de coup d’État du 15 juillet 2016, une commission d’enquête a été créée suite aux demandes présentées contre des décisions ordonnant la dissolution de syndicats pendant l’état d’urgence, décisions qui peuvent faire l’objet d’un recours devant les tribunaux administratifs d’Ankara. Les motifs de dissolution des syndicats et de licenciement des syndicalistes peuvent être examinés par les tribunaux administratifs à la suite d’une demande, ce qui constitue un recours légal régulier et effectif.
La commission d’experts a également formulé des observations sur l’application de l’article 1 de la convention concernant la protection adéquate contre les licenciements antisyndicaux. Les dispositions de la loi no 4857 sur le travail concernant les licenciements injustifiés sont conçues dans le droit fil de la convention (no 158) sur le licenciement, 1982, qui n’impose pas non plus la réintégration.
Conformément à l’article 25 de la loi no 6356, un travailleur pour lequel il a été mis fin au contrat de travail pour raison syndicale a le droit d’engager une action en justice en vue de sa réintégration dans un poste de travail. Si, lors d’un procès visant à la réintégration, il est établi qu’il a été mis fin au contrat de travail pour raison syndicale, une indemnité syndicale doit être versée, dont le montant ne doit pas être inférieur à une année de salaire du travailleur. Ce montant fait office de mesure dissuasive destinée à la protection du travailleur contre les licenciements antisyndicaux.
Par ailleurs, l’article 118 du Code pénal prévoit la sanction pénale encourue pour licenciement antisyndical. Aux termes de cet article, le recours à la force pour empêcher l’exercice des droits syndicaux est une infraction, passible d’une peine de prison et quiconque emploie la force ou la menace à l’égard d’une personne afin de la contraindre à s’affilier ou non à un syndicat, à participer aux activités d’un syndicat ou à quitter son poste dans un syndicat ou à la direction d’un syndicat, encourt entre six mois et deux ans de prison. Contrairement à ce qu’indiquent les observations de la commission d’experts, cette disposition concerne bien les licenciements antisyndicaux.
En outre, en vertu de l’article 78 (1) de la loi no 6356, toute personne qui inscrit un membre à un syndicat par la force ou sous la pression, en violation de la liberté syndicale, ou qui oblige un travailleur à rester affilié ou à démissionner, est passible d’une amende administrative pour chaque cas.
Nous, employeurs turcs, considérons donc que toutes ces dispositions contiennent une protection juridique adéquate contre les licenciements antisyndicaux, tant dans le secteur privé que dans le secteur public.
L’article 15 de la loi sur les syndicats de fonctionnaires est un autre point concernant les observations de la commission d’experts au titre de l’application de l’article 2 de la convention qui prennent en compte les plaintes déposées par différentes organisations de travailleurs concernant le champ d’application de l’article 2 de la convention. En ce qui concerne les plaintes, les observations de la commission d’experts portent sur la mise en conformité de l’article 15 de la loi sur les syndicats de fonctionnaires avec la convention.
Aux termes de la phrase ajoutée au cinquième paragraphe de l’article 90 de la Constitution de la République, en 2004, «en cas de conflit entre les traités internationaux en matière de libertés et droits fondamentaux dûment mis en vigueur et les lois nationales, les dispositions des traités internationaux priment».
Dans ce contexte, la décision de la Cour constitutionnelle sur la question de savoir si les fonctionnaires travaillant à la direction des palais nationaux de la présidence peuvent être privés du droit de se syndiquer est en instance. En appel de la décision concernant ce point, la neuvième chambre civile de la Cour de cassation, ne tenant pas compte de l’interdiction prévue par la législation, a considéré les conventions de l’OIT au regard des termes de l’article 90, paragraphe 5, de la Constitution, et conclu que ces fonctionnaires avaient le droit de se syndiquer. Ainsi, en dépit de l’interdiction figurant à l’article 15 de la loi no 4688, les conventions de l’OIT auxquelles la Türkiye est partie ont fondé cette décision.
Ces décisions démontrent les progrès réalisés par les organes judiciaires sur la voie de la reconnaissance des droits syndicaux des fonctionnaires en Türkiye. Nous, employeurs turcs, pensons que tous les agents, à quelques exceptions près, travaillant dans le secteur public devraient jouir du droit de se syndiquer.
Une autre question concernant les observations de la commission d’experts sur l’application de l’article 4 de la convention concerne la promotion de la négociation collective en vue de modifier l’article 34 de la loi no 6356 (loi sur les syndicats et les conventions collectives de travail) afin de garantir que les parties du secteur privé qui le souhaitent peuvent, sans entrave, conclure des accords intersectoriels régionaux ou nationaux.
Une autre question concernant les observations de la commission d’experts sur l’application de l’article 4 de la convention concerne la détermination du syndicat le plus représentatif et les droits des syndicats minoritaires. Le système existant est le produit d’un système de relations professionnelles bien établi depuis longtemps en Türkiye. L’abaissement en 2015 de 3 à 1 pour cent des seuils de représentativité au niveau des branches pour devenir un agent de négociation sur le lieu de travail a eu un impact positif sur le taux de syndicalisation.
Toutefois, les employeurs turcs ne pensent pas que la suppression du seuil de représentativité au niveau de la branche aura un impact positif similaire sur le taux de syndicalisation ainsi que sur la capacité des syndicats, en particulier des syndicats indépendants non affiliés à de grandes confédérations, à utiliser les mécanismes de négociation collective.
Enfin, je tiens à souligner que les employeurs turcs accordent la plus haute priorité au système de contrôle de l’OIT. Nous estimons qu’il faut respecter la crédibilité et la transparence de la commission si l’on veut parvenir à un haut niveau de conformité avec les normes internationales du travail.
Membre gouvernementale, Belgique – J’ai l’honneur de m’exprimer au nom de l’Union européenne (UE) et de ses États membres. La Macédoine du Nord et le Monténégro, pays candidats, et l’Islande et la Norvège, pays de l’Association européenne de libre-échange et membres de l’Espace économique européen, souscrivent à cette déclaration.
L’UE et ses États membres sont attachés à la promotion, à la protection, au respect et à la réalisation des droits de l’homme, y compris les droits au travail.
Nous encourageons activement la ratification et la mise en œuvre universelles des normes internationales fondamentales du travail. Nous soutenons l’OIT dans son rôle indispensable d’élaboration, de promotion et de contrôle de l’application des normes internationales du travail ratifiées et des conventions fondamentales en particulier.
L’UE et ses États membres ont un intérêt stratégique en ce qui concerne le développement d’une relation de coopération mutuellement bénéfique avec la Türkiye, pays candidat et partenaire clé de l’UE. C’est une relation tissée de longue date, avec un accord d’association conclu en 1963 et une union douanière convenue en 1995.
Nous prenons note avec une profonde préoccupation des observations de la commission d’experts selon lesquelles, après les licenciements massifs ayant fait suite à la tentative de coup d’État de 2016, les fonctionnaires affirmant que leur licenciement en vertu de l’application des lois d’urgence était motivé par des raisons antisyndicales n’ont pas eu accès à une procédure efficace, rapide et équitable les protégeant contre le licenciement antisyndical. Compte tenu que le mandat de la commission d’enquête sur les mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence est venu à échéance, nous invitons le gouvernement à prendre les mesures adéquates pour garantir la tenue d’enquêtes indépendantes, rapides et approfondies sur ces allégations, par voie de procédures efficaces et rapides, assorties des garanties nécessaires d’une procédure régulière, et de faire part des mesures prises. En l’absence de système de recours et de réparation efficace et rapide contre les licenciements prononcés pendant l’état d’urgence, nous nous faisons l’écho de la préoccupation exprimée par la commission d’experts quant au manque d’informations sur le fait que les pouvoirs d’exception continuent d’être exercés. Nous invitons le gouvernement à accéder à la demande de la commission d’experts et à communiquer ses observations au BIT sur cette question.
Les licenciements antisyndicaux demeurent une préoccupation s’agissant du secteur privé également. Nous prenons note de l’absence d’indemnité minimum et de sanction administrative ou pénale en cas de licenciement antisyndical et relevons que l’employeur qui choisit de verser une indemnité financière peut refuser d’exécuter une décision de réintégration rendue par la justice. Comme la commission d’experts, nous appelons le gouvernement à adopter des sanctions efficaces et suffisamment dissuasives contre les licenciements antisyndicaux dans le secteur privé et à fournir des informations sur la pratique judiciaire au moment de déterminer le montant de l’indemnité accordée aux travailleurs licenciés pour des motifs antisyndicaux.
Comme la commission d’experts, nous demandons au gouvernement de garantir une protection adéquate contre la discrimination antisyndicale dans le secteur public, de prendre des mesures pour que la législation garantisse l’indemnisation complète pour le préjudice subi, du point de vue tant professionnel que financier, et de prévoir des sanctions efficaces et suffisamment dissuasives.
Les mesures prises par le gouvernement pour protéger l’ordre public ne devraient pas priver les organisations de travailleurs de leur droit d’organiser des manifestations pacifiques et des réunions publiques pour défendre leurs intérêts. À cet égard, nous rappelons l’appel lancé par la commission d’experts qui a demandé au gouvernement de s’abstenir d’arrêter, de placer en détention et de poursuivre des travailleurs et des syndicalistes pour avoir participé à des réunions publiques pacifiques.
Nous regrettons que le gouvernement dise que la collecte et l’enregistrement des données sur la discrimination antisyndicale dans les secteurs public et privé continuent de poser des difficultés conséquentes. Nous rappelons que la Commission de la Conférence a adressé cette demande au gouvernement en 2013 et nous invitons le gouvernement à améliorer les systèmes de collecte de données et les bases de données institutionnelles.
Nous invitons le gouvernement à répondre aux préoccupations de la commission d’experts afin de garantir que davantage d’organisations de travailleurs, y compris minoritaires, peuvent participer à la négociation collective, et à faire rapport au BIT sur cette question.
Nous nous faisons l’écho de l’appel lancé par la commission d’experts et nous invitons la Türkiye à mettre sa législation nationale en conformité avec les prescriptions de la convention fondamentale no 98 afin de garantir que les hauts fonctionnaires, les magistrats, le personnel pénitentiaire, les travailleurs suppléants, les fonctionnaires sans contrat écrit et les retraités peuvent jouir du droit de constituer des organisations et de s’y affilier, ainsi que l’exercer.
Nous regrettons de lire les informations fournies par la commission d’experts d’après lesquelles les dispositions juridiques actuelles empêchent la négociation de conventions collectives à tous les niveaux et nous invitons le gouvernement à donner suite aux recommandations de la commission afin de veiller à ce que les parties du secteur privé souhaitant conclure des accords intersectoriels régionaux ou nationaux puissent le faire.
Nous encourageons le gouvernement à garantir la pleine application de la convention en consultant pleinement les partenaires sociaux.
L’UE et ses États membres demeurent attachés à un dialogue constructif commun avec la Türkiye et saluent l’engagement récent du gouvernement auprès de l’OIT. Nous encourageons la poursuite des échanges entre le gouvernement et l’OIT dans le but de mettre en œuvre les recommandations de la commission d’experts.
Membre gouvernemental, Kazakhstan – Ma délégation remercie la représentante gouvernementale pour son intervention. Nous prenons note de la volonté du gouvernement d’observer les conventions de l’OIT et nous félicitons des progrès qu’il a accomplis afin de donner suite aux recommandations de la commission d’experts.
Ces dernières années, le gouvernement a fait preuve d’efforts dans le but de renforcer son cadre législatif et de l’adapter pour le mettre en conformité avec les normes de l’OIT, en particulier en modifiant les textes sur les syndicats et en améliorant les conditions de travail. Il faut tenir compte des changements apportés récemment au règlement des conflits collectifs du travail par l’organisation des procédures de médiation en la matière, l’élargissement des compétences de la Commission d’indemnisation des droits de l’homme et l’alignement des droits syndicaux sur les normes de l’OIT.
Nous nous félicitons de la bonne volonté du gouvernement qui souhaite entamer un débat ouvert sur ce qu’il y a lieu de faire pour améliorer davantage la situation des syndicats. Nous invitons le gouvernement à poursuivre ses efforts. Nous sommes persuadés que la Türkiye, qui remplit ses obligations en matière de rapports sur les conventions qu’elle a ratifiées, continuera à travailler étroitement avec l’OIT et les partenaires sociaux.
Membre travailleur, Pays-Bas – Je m’exprime également au nom des travailleurs coréens, nordiques et belges. La convention no 98 porte sur le droit d’organisation et de négociation collective dont l’article premier dit que «[l]es travailleurs doivent bénéficier d’une protection adéquate contre tous actes de discrimination tendant à porter atteinte à la liberté syndicale en matière d’emploi».
Bien que la Constitution de la Türkiye et sa loi sur les syndicats disposent que chaque travailleuse et chaque travailleur a le droit de choisir son organisation syndicale, il n’en va pas de même dans la réalité. L’exercice de la liberté syndicale est conditionné par la conception qu’a le gouvernement de ce droit, ce qui se traduit, dans les faits, par de la discrimination antisyndicale.
Le gouvernement a des politiques et des pratiques, comme la loi antiterroriste et le Code pénal, qu’elle utilise pour museler les syndicats lorsque, par exemple, la KESK mène ses activités syndicales habituelles en distribuant du matériel syndical et en organisant des actions qui ne vont pas dans le sens des politiques du gouvernement.
La commission d’experts a pris note des observations de la KESK, d’après lesquelles, en tout, ce sont 4 267 de ses adhérents qui ont été licenciés, dans tous les secteurs publics, en application des décrets-lois de l’état d’urgence. Selon la KESK, ces licenciements furent arbitraires et opaques et ne permettaient aucune voie de recours. Des agents de la fonction publique n’ont pu avoir connaissance des accusations portées contre eux et n’ont pu se défendre. La KESK affirme que la commission d’enquête n’a apporté aucun recours efficace contre les licenciements antisyndicaux et qu’elle a plutôt servi à punir les syndicalistes par l’absence d’une procédure judicaire régulière et de décisions de justice raisonnables.
Comme la KESK en a témoigné devant la commission d’enquête, il n’existe pas de mécanisme transparent qui permettrait aux fonctionnaires de contester les moyens de preuve retenus contre eux. La KESK déclare enfin que, maintenant que la commission d’enquête a achevé ses travaux, ses membres et ses cadres licenciés doivent se tourner vers la justice administrative et entamer des procédures qui pourraient durer jusqu’à dix ans avant d’obtenir une décision définitive. Dans la pratique, l’article 1 de la convention est violé de multiples manières. Le gouvernement et les dirigeants d’institutions publiques privilégient certaines confédérations tandis qu’ils exercent des pressions accrues sur les membres et les dirigeants des syndicats indépendants et démocratiques. Ce qui explique qu’ils soient mutés de force. Les pouvoirs publics se comportent de manière très arbitraire et les syndicats indépendants sont en butte à la discrimination. Il n’existe aucune sanction dissuasive pour les responsables publics qui violent leurs droits.
Interprétation de l’arabe: Membre gouvernementale, Tunisie – Ma délégation souhaite la bienvenue à la délégation du gouvernement de la Türkiye et exprime ses remerciements pour les informations données sur les efforts déployés par le pays pour mettre en œuvre les dispositions de la convention.
Nous nous félicitons des procédures administratives prises par le gouvernement pour respecter les normes internationales en révisant son Code du travail ainsi que le droit syndical, pour assurer l’efficacité du dialogue social et des procédures de négociation collective. Ma délégation se félicite des efforts faits pour renforcer les mécanismes de consultation. Des décisions ont été adoptées pour améliorer les droits des travailleurs et des employeurs. Ces mesures montrent l’engagement du pays pour défendre les normes internationales. En raison des engagements pris, la délégation félicite le gouvernement des résultats obtenus et l’encourage à poursuivre ses efforts pour que sa législation soit alignée sur les normes internationales en tenant compte des remarques de la commission et de la commission d’experts.
Interprétation de l’allemand: Membre travailleuse, Allemagne – C’est avec une vive préoccupation que nous avons appris que beaucoup de collègues sont toujours détenus dans les prisons turques à la suite de leurs activités du 1er mai 2024 et nous prions instamment le gouvernement de les remettre en liberté et de libérer d’autres détenus.
Le rapport de la commission d’experts fait état d’un défaut de protection dans la législation. Si un employeur licencie un travailleur en raison de son activité syndicale, celui-ci peut se pourvoir devant les tribunaux, mais la procédure n’aboutira pas à une réintégration, seulement à une indemnisation. Le montant de cette indemnité n’est pas précisé dans la loi et, dans les faits, nous avons constaté que les sommes versées sont bien trop faibles pour avoir le moindre effet dissuasif. En outre, les procédures légales sont beaucoup trop longues pour les travailleurs concernés, jusqu’à quatre ans.
Le fait qu’en Türkiye les collègues ne soient pas suffisamment protégés contre le licenciement pour activités syndicales a déjà été corroboré par la CEDH en 2017, dans l’affaire Tek Gıda İş Sendikası, mais nous sommes toujours dans la même situation aujourd’hui. Le recours au licenciement pour empêcher la syndicalisation est la forme la plus répandue de pratique antisyndicale.
Une protection effective contre le licenciement est d’une importance capitale, en particulier au début de la syndicalisation du personnel d’une entreprise, sinon il est trop facile pour les employeurs de licencier des travailleurs syndiqués contre le paiement de sommes modiques.
C’est ce que démontre aussi de manière impressionnante une étude du Syndicat turc des ouvriers de la métallurgie: sur un an et demi, 875 de ses adhérents ont été licenciés au cours des premiers pas de l’organisation.
La protection contre le licenciement illicite d’un travailleur en raison de son affiliation syndicale qu’énonce l’article 1 de la convention constitue une base essentielle de l’exercice du droit d’organisation. Son absence rend impossible l’exercice du droit de négociation collective. Les employeurs peuvent alors faire ce que bon leur semble à moindre frais. L’exigence minimale de cette protection est le droit à la réintégration, comme énoncé dans le rapport de la commission d’experts et comme c’est de pratique courante en Allemagne.
Dans ces conditions, nous appelons le gouvernement à instituer un droit légal au maintien de l’emploi en cas de licenciement pour cause d’activité syndicale.
Membre gouvernemental, Pakistan – Nous reconnaissons et prenons note de l’engagement que manifeste la République de Türkiye envers le système de contrôle de l’OIT. Nous rappelons que le dialogue et l’engagement restent les meilleurs outils pour répondre à toutes les préoccupations et promouvoir les droits au travail et les normes du travail. Le Pakistan salue les mesures positives prises par la République de Türkiye en vue de l’application de la convention au sein du cadre tripartite de l’OIT. Nous nous félicitons des efforts que déploie la Türkiye en matière de législation du travail et de réforme judiciaire, de dialogue social et de coopération internationale. Ces initiatives témoignent d’une grande détermination à faire progresser les droits des travailleurs et à les aligner sur les normes de l’OIT. Le Pakistan salue les efforts de la Türkiye et prie instamment l’OIT de prendre en considération ses réalisations et les défis auxquels elle est confrontée.
Membre travailleur, Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord – Je m’exprime au nom des travailleurs du Royaume-Uni et la Fédération américaine du travail et Congrès des organisations professionnelles (AFL-CIO) des États-Unis d’Amérique s’associe à ma déclaration.
De nombreux travailleurs de Türkiye, ayant subi un licenciement pendant l’état d’urgence, sont, bien des années plus tard, pris au piège d’une procédure judiciaire interminable et différée. Ces travailleurs, licenciés sans aucun procès, ne peuvent reprendre leur vie professionnelle sans une série d’interventions d’une justice lente et manquant de moyens.
Dans un cas, le gouvernement a fait ouvertement et arbitrairement preuve d’injustice en appliquant rétrospectivement les dispositions liées à l’état d’urgence en réaction à la publication d’une déclaration conjointe – qui relève de l’exercice pacifique de la liberté d’expression – avant la survenue de l’état d’urgence. Il a arrêté, visiblement de manière aléatoire, une partie des personnes à l’origine de la déclaration et a ensuite laissé le soin à un système judiciaire sous-financé d’anéantir lentement tout espoir de réintégration. Dixsept pour cent des personnes concernées ont finalement été innocentées, mais près de la moitié d’entre elles ont ensuite perdu un appel interjeté par le gouvernement et ont à nouveau perdu leur emploi. En fin de compte, à peine 10 pour cent des personnes qui avaient été injustement arrêtées et surtout placées sur liste noire ont récupéré un semblant de vie normale.
Les victimes de licenciements massifs doivent d’abord s’adresser aux tribunaux administratifs – nous signalons ici que 100 000 personnes dans ce cas attendent toujours que justice soit rendue. Or il n’y a pas plus de dix tribunaux administratifs. Les syndicats turcs ont estimé que, sans moyens supplémentaires, il faudra dix ans à ces tribunaux pour résorber l’arriéré; dix années pendant lesquelles ces travailleurs ne pourront pas exercer leurs compétences ni faire valoir leur expérience dans leur domaine, souvent contraints d’accepter des emplois mal rémunérés. Et, à la fin de cette longue attente, si le tribunal administratif leur donne raison, leur cas doit passer devant la juridiction supérieure et enfin devant la Cour constitutionnelle, ce qui prend encore plusieurs années. À cette étape, une victoire en justice peut leur permettre d’obtenir l’application de leur recours dans un délai de deux ans, ce qui n’arrive que très rarement avant cette échéance.
Un fonctionnaire au sommet de sa carrière au moment de son licenciement prendra sa retraite, probablement sans ressources, après avoir été empêché de donner la pleine mesure de ses capacités pendant la moitié de sa vie professionnelle.
Déjà en 2018, la commission d’experts faisait part de sa profonde préoccupation face à la situation telle qu’elle avait évolué, compte tenu du nombre élevé de suspensions et de licenciements que continuaient de subir des responsables et des membres syndicaux, et espérait que les tribunaux réintégreraient tous les syndicalistes licenciés pour des raisons antisyndicales ou relevant de l’ingérence.
Six ans plus tard, ces syndicalistes pris au piège de ce simulacre de justice évoluant à la vitesse d’un escargot attendent toujours réparation. L’inaction du gouvernement témoigne d’un mépris cruel pour leur vie et, pour dire les choses franchement, pour le système de contrôle de l’OIT.
L’attente a assez duré. Au moins 60 membres de syndicat se sont suicidés en attendant la fin de ce processus et, sombre rebondissement, nombre d’entre eux ont finalement été blanchis. Non seulement l’attitude mollassonne du gouvernement gâche des vies, mais elle en prend aussi.
Membre gouvernemental, Azerbaïdjan – Tout d’abord, nous voudrions souligner que la Türkiye entretient depuis longtemps des relations étroites avec l’OIT et qu’elle a été l’un des premiers pays à ratifier la convention.
Ces onze dernières années, la Türkiye a apporté d’importants changements à sa législation du travail et notamment aux lois sur les syndicats. Ces réformes ont grandement amélioré le dialogue social, les droits syndicaux et les procédures de négociation collective en les rendant plus accessibles et efficaces.
Nous estimons que l’extension du mandat et des pouvoirs de la Commission d’indemnisation dans le domaine des droits de l’homme, dont la mission est d’accélérer les procédures judiciaires dans le cadre des récentes réformes de la justice, est un progrès significatif pour la Türkiye. De ce fait, et grâce à des procès plus courts, les cas liés aux questions syndicales pourraient être réglés plus rapidement. La relance des mécanismes de consultation tripartite en Türkiye est également louable.
Les efforts constants de la Türkiye, tant en ce qui concerne les réformes de la législation du travail et du système judiciaire, que le dialogue social et la coopération internationale, témoignent de la volonté du pays d’améliorer les droits des travailleurs et de se conformer aux normes de l’OIT.
Membre travailleur, Sri Lanka – Avant toute chose, je souhaite faire remarquer que la Türkiye entretient depuis longtemps des relations étroites avec l’OIT et les organisations de travailleurs et d’employeurs concernées pour promouvoir les normes du travail et les droits des travailleurs, et qu’elle s’est engagée à consolider ces droits.
La Türkiye a procédé à des changements importants au cours des dix dernières années, notamment en ce qui concerne la détermination de la branche d’activité, la réglementation de la question de la compétence, la mise en place d’un service électronique d’affiliation syndicale et l’adoption de procédures de médiation dans le cadre de sa législation du travail, en consultation avec les partenaires sociaux.
La commission devrait tenir compte des efforts considérables et des progrès significatifs accomplis dans le monde du travail malgré les difficultés rencontrées dans le même temps. Je suis très fier de participer à la Conférence; le certificat «drapeau blanc», qui vise à encourager la syndicalisation et l’emploi enregistré, constitue une évolution très positive et importante que nous appuyons.
Nous félicitons le gouvernement pour sa participation au groupe de coordination de la Coalition mondiale pour la justice sociale. En tant que travailleurs, nous sommes heureux de participer à ce processus.
La Türkiye a relancé l’un des dispositifs les plus importants du dialogue social, le mécanisme de consultation tripartite. Nous sommes convaincus que les sous-commissions établies dans ce cadre aboutiront à des résultats tangibles en matière de vie professionnelle lors de la révision de la législation.
Nous sommes 25 pays, 33 confédérations et 30 millions de travailleurs à la Conférence. Je m’exprime donc à la Conférence au nom des travailleurs des plantations du Sri Lanka.
Interprétation de l’arabe: Membre gouvernemental, Soudan – Nous nous alignons sur les déclarations du gouvernement de la Türkiye. Nous appuyons les amendements et les réformes menés par la Türkiye pour mettre sa législation en conformité avec les normes internationales du travail et les conventions ratifiées, notamment ici la convention no 98 sur le droit d’organisation et de négociation collective.
Le Soudan considère que le gouvernement a adopté des mesures fondamentales et des législations qui amélioreront les droits des travailleurs ainsi que d’autres mesures qui permettront aux travailleurs de jouir de leurs droits syndicaux, conformément aux articles de la Constitution et des normes internationales du travail, conformément à la justice sociale, au dialogue social et à la négociation collective.
Le Soudan croit à ce qu’a fait la Türkiye, c’est pourquoi il demande que l’on supprime le pays de la liste des cas individuels, en raison des efforts accomplis.
Membre gouvernemental, Algérie – La délégation algérienne a suivi avec beaucoup d’attention la déclaration faite par la représentante gouvernementale, qui témoigne de la volonté du gouvernement et de son engagement à continuer de collaborer avec l’OIT et à améliorer les normes du travail et les droits des travailleurs. Nous soulignons que la Türkiye a été l’un des premiers pays à signer la convention.
L’Algérie se félicite des mesures positives et essentielles prises par la Türkiye et de ses succès notables dans l’amélioration des conditions de travail, malgré les défis auxquels le gouvernement est confronté. À cet égard, la délégation algérienne a pris note des efforts déployés par le gouvernement pour modifier sa législation du travail, en particulier les textes sur les syndicats. Ces réformes ont grandement amélioré le dialogue social, les droits syndicaux et les procédures de négociation collective, les rendant plus accessibles et plus efficaces, en particulier pour les travailleurs.
En outre, nous notons que la Türkiye a démontré sa volonté d’aligner les droits syndicaux et les procédures de négociation collective sur les normes de l’OIT, en consultation avec les partenaires sociaux. Il s’agit notamment de dispositions et d’améliorations concernant: la détermination de la branche d’activité; la protection des délégués syndicaux; la réglementation de la question de la compétence; le règlement des conflits collectifs du travail; la réglementation de l’interdiction et du report des grèves et des lock-out; la mise en place d’un service électronique d’affiliation syndicale et la revitalisation des mécanismes de consultation tripartites.
La Stratégie nationale pour l’emploi 2024-2028 met l’accent sur l’établissement de partenariats avec les organisations sociales pour lutter contre la discrimination et améliorer les libertés publiques sur le lieu de travail.
Enfin, la délégation algérienne reste convaincue que cette collaboration mutuelle favorise la consolidation des bonnes pratiques en vigueur afin de renforcer les mesures déjà mises en œuvre par le gouvernement pour garantir le respect des normes internationales du travail.
Membre gouvernemental, Philippines – Notre délégation souhaiterait exprimer son soutien à la Türkiye pour sa collaboration continue avec l’OIT et son engagement en matière de normes du travail et de droits des travailleurs. Partenaire de longue date de l’OIT et comptant parmi les premiers signataires de la convention, le pays affirme son engagement envers ces principes fondamentaux.
Ses efforts déployés dans les réformes judiciaires et du droit du travail, dans le dialogue social et dans la coopération internationale témoignent de sa volonté de renforcer les droits des travailleurs et de se conformer aux normes de l’OIT; il en va de même de ses réformes déterminantes de la loi sur les syndicats. En tant que pays pionnier de l’Alliance 8.7, qui se consacre à l’élimination du travail des enfants, et membre actif de la Coalition mondiale pour la justice sociale, la Türkiye démontre qu’elle s’engage en faveur de la défense et de la promotion de la justice sociale, tant à l’échelle nationale qu’internationale.
Il conviendrait d’encourager et de soutenir ses efforts consentis pour se conformer aux normes de l’OIT et faire évoluer les droits des travailleurs en lui fournissant l’assistance technique continue du BIT et des États Membres de l’OIT.
Membre gouvernementale, Indonésie – L’Indonésie félicite la Türkiye pour sa relation solide et de longue date avec l’OIT et pour son engagement total à respecter la convention. La collaboration continue entre le pays et l’OIT souligne l’attachement de la Türkiye à renforcer les normes du travail et à protéger les droits des travailleurs. La commission d’experts devrait reconnaître à la fois les défis importants auxquels la Türkiye a fait face et les progrès remarquables qu’elle a accomplis dans l’amélioration des conditions de travail. Au cours des onze dernières années, elle a mené des réformes substantielles en matière de législation du travail, notamment de législation syndicale, ce qui a contribué à améliorer grandement le dialogue social, les droits syndicaux et les procédures de négociation collective. Cette réforme s’aligne sur les normes de l’OIT qui ont été élaborées en concertation avec les partenaires sociaux et qui améliorent la détermination des branches d’activité, protègent les délégués syndicaux et définissent le champ d’application et le niveau des conventions collectives du travail. Les efforts innovants de la Türkiye, comme la mise en place des services d’adhésion des syndicats et le certificat «drapeau blanc» remis aux entreprises qui respectent les normes de l’OIT, semblent être des approches efficaces pour promouvoir les droits des travailleurs. L’attachement de ce pays pionnier de l’Alliance 8.7 à l’élimination du travail des enfants et sa participation active à la Coalition mondiale pour la justice sociale reflètent son engagement en faveur de la justice sociale également à l’échelle mondiale. La récente réforme visant à renforcer le rôle et les pouvoirs de la Commission d’indemnisation dans le domaine des droits de l’homme mérite d’être soulignée, car elle garantit un règlement rapide des questions d’ordre syndical. En outre, l’approche de la Stratégie nationale pour l’emploi pour 20242028, qui met l’accent sur la lutte contre la discrimination au travail et l’amélioration des libertés publiques, est tournée vers l’avenir. La relance du mécanisme de consultation tripartite et les résultats fructueux des plus de dix réunions avec les partenaires sociaux mettent en évidence l’engagement de la Türkiye en faveur du dialogue social. La création de la sous-commission dans ce contexte permettra de réaliser les premiers examens législatifs professionnels. Au vu de ces actions globales et continues en matière de droit des travailleurs, de réforme législative, d’amélioration du système judiciaire et de coopération internationale, l’Indonésie soutient pleinement les efforts déployés par la Türkiye pour se conformer aux normes de l’OIT. Nous encourageons la commission d’experts à prendre en compte les excellents résultats et l’engagement soutenu du pays en faveur de l’amélioration des droits des travailleurs comme témoignage de son engagement envers la justice sociale et la promotion des droits des travailleurs.
Interprétation du russe: Membre gouvernemental, Fédération de Russie – Nous remercions le gouvernement d’avoir fourni des éclaircissements sur les mesures prises au niveau national en ce qui concerne le respect de la convention. Nous prenons note des progrès significatifs réalisés sur le plan social et du travail, grâce aux efforts du gouvernement, en particulier au cours des onze dernières années, à la suite d’une réforme complète du droit du travail dans le pays. Cela a contribué à renforcer le dialogue social, à améliorer les droits syndicaux et à consolider l’efficacité de la négociation collective. Nous souhaiterions notamment mettre en avant la réforme judiciaire qui a permis de renforcer l’efficacité de la Commission d’indemnisation dans le domaine des droits de l’homme, ainsi que la relance du mécanisme de consultation tripartite. Dans l’ensemble, les mesures prises par le gouvernement témoignent de ses efforts considérables et systématiques déployés pour renforcer les normes du travail, en vue d’améliorer les mécanismes de dialogue tripartite et de garantir les droits des travailleurs en particulier.
Dans ce contexte, nous ne voyons aucune raison d’inclure la Türkiye dans la liste des cas individuels examinés par la commission et encore moins de la classer comme cas «faisant l’objet d’une double note de bas de page». Nous espérons donc que la commission adoptera une approche constructive sur cette question.
Observateur, Confédération syndicale internationale (CSI) – Je m’exprime au nom de la CSI, mais j’appartiens aussi à un syndicat de métallurgistes de Türkiye. C’est pourquoi, avant de commencer mon intervention, je dois dire qu’à l’heure actuelle et depuis le 1er mai, environ 60 travailleurs sont en prison pour le simple fait d’avoir participé à la manifestation du 1er mai. Cet exemple donne une idée de la liberté syndicale en Türkiye à l’heure actuelle. Ainsi, comme beaucoup d’entre vous le savent déjà, la couverture de la négociation collective en Türkiye est assez faible et il ne s’agit pas d’une simple coïncidence, mais bien de problèmes structurels, qui sont très bien définis dans le rapport de la commission d’experts.
Premièrement, il existe un seuil sectoriel national. Selon les propres statistiques du ministère du Travail, plus de 120 000 membres de 171 syndicats différents ne peuvent exercer leur droit d’organisation et leur droit de négociation collective en raison de ce seuil sectoriel. Le gouvernement affirme, d’après le rapport de la commission, qu’il peut modifier ce seuil, mais que les partenaires sociaux ne sont pas d’accord sur ce point. C’est pourquoi ils ne le modifient pas. On ne peut pas supprimer les droits de 100 000 personnes simplement parce que d’autres personnes ne veulent pas qu’elles les exercent.
Supposons qu’un syndicat se situe au-dessus de ce seuil, il lui faut alors 50 pour cent de membres sur le lieu de travail concerné pour entamer des négociations collectives. C’est l’un des seuils les plus élevés au monde et il est pratiquement impossible pour de nombreux travailleurs de jouir de leur droit de négociation collective.
En outre, les membres d’un syndicat peuvent être licenciés pour le simple fait d’avoir adhéré à un syndicat, sans bénéficier de la moindre protection réelle. Les tribunaux ne peuvent même pas ordonner la réintégration des syndicalistes licenciés. Contrairement à ce que notre collègue des employeurs vient de dire au début de cette réunion, cette situation est également dénoncée par la CEDH, qui déclare dans sa décision qu’il n’existe pas de véritable protection contre les licenciements antisyndicaux en Türkiye.
Les licenciements ne sont pas l’apanage du secteur privé, comme le souligne le rapport de la commission d’experts, puisque plus de 100 000 employés du secteur public ont été licenciés en application des décrets-lois adoptés pendant l’état d’urgence. Ces membres sont privés de voies de recours efficaces.
Le rapport de la commission d’experts mentionne également les recours formés par les employeurs contre les certificats de syndicat. La réponse du gouvernement indique que ces procédures judiciaires sont réglées en trois mois, y compris l’appel. Cette affirmation est démentie par les faits. On ne connait aucun cas qui se soit réglé en trois mois. Je ne prétends pas que le gouvernement ait intentionnellement donné des informations erronées à la commission, mais il y a probablement eu un malentendu. Mon propre syndicat a l’expérience de procès qui ont duré sept ans, en moyenne, soit 1 100 jours dans notre cas.
C’est pourquoi nous pensons qu’il est de la plus haute importance d’organiser une mission de haut niveau de l’OIT pour traiter ces problèmes en suspens de manière constructive et productive.
Observateur, Internationale des services publics (ISP) – Je m’exprime également au nom de la KESK en Türkiye. Le rapport de la commission d’experts couvre les questions qui relèvent de la convention; ce n’est pas la première fois qu’elle aborde cette question. Dans mon intervention, je me concentrerai sur les licenciements dans le secteur public. Il ressort de cet examen qu’un nombre considérable de licenciements allaient à l’encontre du droit au travail, et qu’ils ont eu un impact négatif sur les droits syndicaux en Türkiye. Le motif de ces licenciements n’était ni objectif ni justifié mais, bien au contraire, subjectif et arbitraire. La justification générique de ces licenciements, vague, a été appliquée largement à 4 267 membres de la KESK qui critiquaient le gouvernement. Cette justification générique et vague répond aux politiques du gouvernement constitutives de discrimination syndicale. Si nous nous penchons sur la commission d’enquête sur les mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence, laquelle a achevé son mandat, nous constatons que la présomption d’innocence n’a pas été respectée. En effet, la commission d’enquête, comme l’indique le rapport de la commission d’experts, n’a pas assuré de recours efficaces contre les licenciements antisyndicaux, mais a servi à punir les syndicalistes. En réalité, c’est leur caractère «arbitraire» qui prédomine dans ces licenciements injustes. De fait, des membres de la KESK continuent de subir les conséquences de ces licenciements, alors que huit années se sont écoulées depuis 2016, c’est-à-dire depuis la tentative manquée de coup d’État. Et la procédure judiciaire que les membres de la KESK licenciés ont engagée prendra encore plusieurs années. Rien n’indique que le gouvernement envisage d’accélérer cette action en recours par la voie d’autres mécanismes. On peut donc en déduire qu’il n’y a pas de voies de recours effectif pour les fonctionnaires qui ont été licenciés, comme l’indique le rapport.
On notera aussi que les membres des syndicats œuvrent au quotidien pour sensibiliser à cette question, mais que la plupart de ces activités sont interdites par les autorités publiques ou entravées par les agents de sécurité. Les manifestations du 1er mai à Istanbul en sont un exemple récent. La semaine dernière, le dirigeant du syndicat de l’éducation a été arrêté pour le simple motif d’avoir organisé une action de solidarité avec d’autres syndicats. Toutes ces politiques et pratiques visent à créer et à entretenir un climat de peur. Par conséquent, il faut un contrôle plus actif de l’OIT et, à cet égard, une mission de haut niveau est nécessaire en Türkiye pour examiner toutes ces questions à partir de différentes perspectives dans le pays.
Observateur, IndustriALL Global Union (IndustriALL) – Mon organisation représente 20 syndicats sectoriels des principales industries d’exportation de la Türkiye. Comme mentionné dans le rapport de la commission d’experts, malheureusement, aucun progrès n’a été réalisé dans l’application des conventions nos 87 et 98. Bien que l’article 51 de la Constitution prévoie le droit de constituer librement des syndicats ainsi que de s’y affilier, dans la réalité, ce droit ne peut être exercé en raison de nombreux obstacles dans la pratique.
Je souhaiterais partager avec vous la réalité des secteurs de la fabrication, de l’énergie et de l’exploitation minière.
L’article 17 de la loi nº 6356 sur les syndicats et les conventions collectives prévoit que l’affiliation à un syndicat se fait via le système électronique de l’État. Néanmoins, les travailleurs sont contraints de communiquer leur mot de passe aux employeurs, afin qu’ils vérifient leur affiliation syndicale, ce qui est illégal. IndustriALL reçoit tous les jours des témoignages de travailleurs qui adhèrent à des syndicats, mais qui sont victimes de discrimination antisyndicale. Les syndicalistes subissent des sanctions et des représailles agressives, notamment des intimidations, des menaces ou sont licenciés pour avoir adhéré à nos syndicats affiliés.
Des milliers de travailleurs sont licenciés simplement parce qu’ils font usage de leur droit à la liberté syndicale, protégé et garanti par la Constitution et les conventions internationales.
Les travailleurs licenciés et leurs syndicats saisissent le système judiciaire, et une écrasante majorité des affaires se concluent en faveur des travailleurs avec des verdicts clairs selon lesquels ils ont été licenciés en raison de leur appartenance à un syndicat.
Cela montre clairement qu’il existe une discrimination antisyndicale systémique et généralisée à l’encontre des syndicalistes et que les garde-fous nécessaires pour garantir la liberté syndicale n’ont pas été mis en place.
En outre, je souhaiterais attirer votre attention sur les obstacles dressés par le gouvernement pour empêcher les syndicats d’obtenir une accréditation de négociation collective. Même si un syndicat turc réussit à recruter plus de 50 pour cent des travailleurs sur un lieu de travail ou 40 pour cent dans une entreprise disposant de plusieurs sites, ces deux seuils sont extrêmement élevés. En outre, le processus judiciaire est largement utilisé à mauvais escient pour bloquer l’accréditation des négociations collectives.
Dès lors que le ministère du Travail et de la Sécurité sociale délivre un document officiel certifiant que le syndicat dispose d’une majorité suffisante de membres sur un lieu de travail pour pouvoir participer aux négociations collectives, l’employeur conteste le document de compétence du ministère en affirmant que le syndicat concerné ne dispose pas de la majorité requise. Cette contestation s’effectue par la voie d’une simple requête, sans qu’il soit nécessaire de fournir des preuves à l’appui.
En raison de ces manœuvres dilatoires de la part des employeurs et du manque d’application du droit des travailleurs, les affaires traînent pendant des années, en moyenne pendant trois ans. C’est inacceptable.
Les règles législatives ne peuvent pas protéger les comportements malveillants. Le principal objectif du droit du travail devrait être de protéger les travailleurs. Or, dans ce cas, ce sont les employeurs malveillants qui sont protégés et les travailleurs qui exercent leurs droits fondamentaux qui sont punis.
Puisque le gouvernement, malgré le soutien et l’assistance technique du BIT, n’a réalisé aucun progrès dans la protection des droits de travailleurs à la négociation collective, IndustriALL prie l’OIT de prendre des mesures supplémentaires, y compris de décider d’une mission de haut niveau, afin de remédier aux violations de la convention commises par la Türkiye.
Observateur, Fédération internationale des ouvriers du transport (ITF) – Des protections adéquates contre les licenciements antisyndicaux sont nécessaires pour protéger les droits des travailleurs et leurs moyens de subsistance, mais elles sont aussi essentielles pour garantir l’existence même des syndicats.
Hélas, l’ITF a dû se présenter devant cette commission à plusieurs reprises au cours de la dernière décennie pour dénoncer la discrimination antisyndicale, en particulier les licenciements et les atteintes contre le droit d’organisation dans plusieurs secteurs de l’économie de la Türkiye, plus particulièrement dans l’aviation civile, la logistique et le transport ferroviaire.
Aujourd’hui, nous souhaitons signaler un cas de discrimination antisyndicale dans un port de la province de Bursa, dans le nord-ouest de la Türkiye.
Le 2 mars 2024, il y a tout juste trois mois, le syndicat LIMAN-İŞ a commencé à se constituer dans ce port. Quatre-vingt-cinq pour cent des travailleurs d’une entreprise ont décidé de s’affilier au syndicat. Le 20 mars, six travailleurs ont été licenciés au seul motif de leur affiliation. Leurs collègues ont entamé un arrêt de travail de quatre jours pour protester contre ces licenciements. Alors que ces travailleurs étaient l’objet d’intimidations de la police, des députés du Parlement sont intervenus et ont joué un rôle de médiation dans le conflit, à la suite de quoi les travailleurs ont été réintégrés. L’entreprise s’est alors engagée à ne plus entraver la constitution du syndicat.
Mais la situation s’est détériorée. Presque immédiatement, l’employeur a commencé à menacer les travailleurs et a exigé qu’ils renoncent à leur affiliation syndicale.
À partir du 13 mai, 37 travailleurs ont été mis en congé, d’abord sans solde. Puis, le 21 mai, ils ont été licenciés – ils en ont été informés par un SMS – simplement parce qu’ils refusaient de renoncer à leur affiliation syndicale. Ces 37 travailleurs étaient des organisateurs ou des interlocuteurs syndicaux. Deux semaines après ces faits, la situation persiste et l’ITF a coordonné une action de solidarité mondiale pour soutenir ces travailleurs licenciés.
Notre discussion ici à Genève porte sur des situations concrètes. Ces 37 travailleurs et leurs familles ne représentent qu’une fraction des personnes affectées par le fait que, depuis longtemps, la Türkiye ne protège pas les travailleurs contre les licenciements antisyndicaux dans le secteur privé. Cela ne peut tout simplement pas durer.
Même si la Constitution et le droit national protègent le droit à la liberté syndicale, la Türkiye a manqué à plusieurs reprises à ses obligations juridiques nationales et internationales, notamment à celles qui découlent de la convention no 98.
La Türkiye doit prendre, de toute urgence, des sanctions efficaces et suffisamment dissuasives contre les licenciements antisyndicaux et veiller à ce que les travailleurs qui ont subi ce préjudice, en particulier ces 37 travailleurs, aient le droit d’être réintégrés dans leur emploi et d’obtenir une pleine indemnisation financière. En prenant ces mesures, la Türkiye respecterait mieux la convention.
En dernier lieu, je voudrais ajouter que, si ces garanties contre les licenciements antisyndicaux ne sont pas établies, cela conduira à la disparition des syndicats au niveau de l’entreprise. La commission ne peut pas laisser cette situation perdurer.
Président – Je ne vois plus de demande de parole. J’invite donc la représentante gouvernementale à prendre la parole pour ses remarques finales.
Représentante gouvernementale Nous avons écouté avec attention les remarques des représentants des travailleurs et des employeurs ainsi que des représentants des États Membres. Les réalités de la situation en Türkiye sont très éloignées de ce qui s’est dit pendant la discussion ici. La Türkiye est l’un des pays ayant figuré à l’ordre du jour de la commission à plusieurs reprises, depuis de nombreuses années. Une démarche qui se concentre uniquement sur les manquements, et ne voit pas les évolutions positives, ne devrait pas être la bonne pour encourager à se conformer aux normes internationales. Je voudrais porter à l’attention de la commission les événements et progrès les plus significatifs survenus dans le domaine du travail depuis 2013, en particulier en ce qui touche la convention no 98 et les demandes de l’OIT concernant notre actuelle loi sur les syndicats. De grandes avancées ont été réalisées dans la législation grâce à une décision de la Cour constitutionnelle. Des arrêts de 2013 et 2014 ont supprimé les barrières qui empêchaient les fonctionnaires du ministère de la Défense nationale, des forces armées turques et de la Direction générale de la sécurité de se syndiquer. Ces arrêts rétrécissaient le champ d’application de l’article 15 de la loi sur les fonctionnaires. La création de services d’affiliation électronique pour les syndicats et la suppression, en novembre 2013, de l’obligation de passer devant un notaire ont simplifié la procédure et réduit la charge financière à la fois pour les travailleurs et leurs organisations. Une modification de l’article 50 de l’actuelle loi sur les syndicats a institué une procédure de médiation qui permet aux parties à une négociation de régler pacifiquement leurs différends avant de recourir à la grève, en sélectionnant un médiateur dans une liste officielle. En 2014, la Cour constitutionnelle a aboli la distinction entre lieux de travail sur la base du nombre de salariés. L’article provisoire 6 de la loi sur les syndicats en vigueur a été modifié pour y inclure le droit de négocier collectivement même si le seuil de la branche d’activité n’est pas atteint. En 2019, la Cour constitutionnelle a rendu un arrêt disant que les services bancaires et les transports publics ne sont pas considérés comme des services essentiels au sens donné par l’OIT, ce qui a eu pour effet d’encore réduire le champ de l’interdiction de la grève. L’application de l’actuelle loi sur les syndicats et des modifications importantes à la loi sur les fonctionnaires ont abouti à une hausse soutenue des effectifs syndicaux. Depuis janvier 2013, le taux de syndicalisation a progressivement augmenté, passant de 9,2 à 15,2 pour cent, en janvier 2024. Cette tendance se constate aussi chez les agents du secteur public, avec des taux de syndicalisation qui ont progressé de 47,9 pour cent en 2002 à 74,5 pour cent en janvier 2024. Ces chiffres témoignent des progrès accomplis par la Türkiye au fil des ans alors que les taux de syndicalisation sont en recul partout dans le monde. En outre, le certificat «drapeau blanc» a été créé afin de promouvoir l’enregistrement, l’emploi et l’affiliation syndicale en Türkiye. Il consiste à décerner une distinction sous forme de drapeau blanc avec le slogan «Travail décent, lieu de travail syndiqué» aux entreprises qui appliquent des conditions de travail réglementées, des normes de santé et de sécurité conformes aux principes directeurs de l’OIT. Je tiens à répéter que, parallèlement à ce changement positif, l’impulsion qu’a donnée l’an dernier la participation des partenaires sociaux à un mécanisme de consultation tripartite amènera de nouvelles réglementations et de nouveaux amendements.
Au cours de ce processus, la Türkiye a délaissé les réformes pour s’efforcer de relever les défis intérieurs et extérieurs, notamment la tentative de coup d’État du 15 juillet, tout en maintenant son attachement à la démocratie et à l’état de droit. Hélas, force est de souligner que le rapport de la commission d’experts ne prend pas convenablement en compte les efforts déployés par le gouvernement pour rétablir la démocratie, défendre l’état de droit, associer les partenaires sociaux, préserver la république et les libertés individuelles dans un contexte de graves menaces terroristes. En cinq ans, la commission d’enquête sur les mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence a traité quelque 130 000 dossiers et rendu près de 127 000 décisions, dont des licenciements dans la fonction publique et d’autres mesures basées sur des critères de liens avec des organisations terroristes et de financement. Les plaignants, dont des détenus et des condamnés, ont pu introduire leurs recours par voie électronique depuis les institutions pénitentiaires, les décisions étant supervisées par le Système national d’information judiciaire UYAP et sujettes à appel devant neuf cours administratives spécialisées à Ankara. Je tiens à souligner sans ambages que, à titre de voie de recours légal contre les licenciements dans le service public, après que la commission d’enquête eut achevé ses travaux, des unités compétentes ont été constituées dans les ministères concernés pour assurer un suivi efficace et finaliser les procédures administratives, conformément à l’article provisoire 5 de la loi no 7075. Par ailleurs, comme nous l’avons répété à plusieurs reprises, il serait mal avisé de traiter les questions sécuritaires comme si elles étaient inhérentes au monde du travail. Qui plus est, nous pensons aussi que l’OIT devrait aborder ces questions d’une manière non déformée. En outre, aucun syndicaliste ne peut prétendre à l’immunité et échapper à des poursuites pour des actes illicites, quelles que soient ses affiliations ou son implication dans le terrorisme. À la suite de la pandémie de COVID–19, la Türkiye a subi, en février 2023, deux grands tremblements de terre qui ont frappé 11 provinces du sud-est du pays et 14 millions d’habitants, soit 16 pour cent de la population et 9 pour cent de l’économie. Nous exprimons ici nos chaleureux remerciements aux organisations internationales et aux États Membres, et en particulier à l’OIT, pour leur soutien en ces temps difficiles. Au cours des sept années écoulées, la Türkiye a participé activement aux initiatives de l’OIT, elle a collaboré, avec le ministère du Travail et de la Protection sociale et d’autres parties prenantes, à des manifestations et des programmes tels que la 10e réunion régionale européenne, et à la lutte contre le travail des enfants. Reconnue comme un exemple en la matière, la Türkiye a obtenu le statut de pays pionnier de l’Alliance 8.7 et fait office de pays coordinateur pour la Coalition mondiale pour la justice sociale de l’OIT, aux côtés de la Belgique et de la Suisse dans la région.
Face à l’importance et à la confiance que nous témoigne l’OIT et devant notre longue histoire de dialogue avec les partenaires sociaux, le gouvernement est disposé à négocier, dans le cadre de la loi sur les syndicats et la loi sur les fonctionnaires en vigueur, si les parties concernées le souhaitent, en particulier le niveau de la négociation collective, les seuils syndicaux et le processus d’autorisation des conventions collectives.
Je tiens à faire remarquer que le gouvernement est prêt à envisager les changements à l’actuel système de négociation collective qui sont proposés, en particulier pour ce qui est des articles 34 et 41 (1) de l’actuelle loi sur les syndicats. Ces modifications seront examinées si elles sont proposées conjointement par les partenaires sociaux et si un consensus se dégage.
Le gouvernement est disposé à étudier les modifications proposées conjointement par les partenaires sociaux à propos de divers paragraphes des articles 46, 47, 49, 51, 60 et 63 de la loi sur les syndicats en vigueur. Quoi qu’il en soit, il est intéressant de noter que la mise en application de ces articles est assurée, sur un mode collaboratif, par les organisations d’employeurs et de travailleurs. Le processus de négociation collective régi par ces articles fonctionne bien et sans hésitation.
La Türkiye a récemment manifesté sa volonté d’apporter des changements et de réglementer ces matières en coopération avec les partenaires sociaux en convoquant l’assemblée du travail, le Conseil consultatif tripartite, le Conseil consultatif du personnel du secteur public, avec leurs sous-commissions de travail.
S’agissant des allégations d’entrave à la liberté de se réunir pacifiquement et aux manifestations du 1er mai, en Türkiye, tous les rassemblements et toutes les manifestations pacifiques, quelle que soit leur forme, se déroulent dans la sécurité et sans restriction. Le principe de la primauté du droit prévaut et les seules limites imposées sont celles inscrites dans la législation. De plus, 227 actions ou manifestations ont été organisées et ont rassemblé près de 245 000 personnes dans 78 provinces, partout en Türkiye, en 2024, à l’occasion du 1er mai (Journée du travail et de la solidarité), et des procédures judiciaires ont été ouvertes contre 269 personnes pour des actions illégales commises à ces dates.
À Istanbul, une manifestation organisée par la DISK et la KESK s’est tenue au parc Saraçhane, l’un des plus grands espaces de rencontre et de manifestation de la ville, en présence de 10 000 participants. Cette manifestation s’est déroulée pacifiquement sans nécessiter aucune intervention.
En revanche, la place Taksim ne figure pas au nombre des lieux où peuvent être organisées des réunions et des manifestations en raison de la forte densité de véhicules et de piétons, de la difficulté d’appliquer des mesures de sécurité et de protéger les droits et libertés des personnes, mais surtout parce que la nécessité d’assurer la sécurité des biens et des personnes du public aurait des conséquences irréparables. Je tiens à souligner que la place Taksim n’est soumise à aucune interdiction, sauf pour le 1er mai. C’est pourquoi l’allégation disant que le gouvernement a interdit les manifestations du 1er mai n’est pas le reflet de la réalité.
En outre, je voudrais attirer votre attention sur le fait que, dans la même démarche que celle que nous avons adoptée s’agissant de la convention no 98, nous avons entamé la procédure d’adoption du protocole de 2014 relatif à la convention sur le travail forcé, 1930. En outre, la procédure de ratification de la convention du travail maritime, 2006, telle qu’amendée (MLC, 2006), doit aboutir bientôt.
Enfin, nous nous attendons à ce que les conclusions de votre commission tiennent dûment compte des explications que je viens de donner. Comme l’a demandé la commission d’experts, nous soumettrons notre rapport en 2024, avec des informations détaillées sur les derniers développements en date et accompagné de copies des documents demandés en vue d’un complément d’examen par la commission.
Membres employeurs – Les membres employeurs ont bien pris note des informations fournies, mais certaines informations données ce soir concernant la CEDH ne semblent pas correctes.
L’une des principales missions de l’OIT est de promouvoir la négociation collective dans le monde entier. Cette mission lui a été fixée en 1944 dans la Déclaration de Philadelphie qui fait partie de la Constitution de l’OIT. La négociation collective contribue à ce que soient établies des conditions de travail équilibrées et équitables, et contribuer, par-là, à la paix sociale.
Comme indiqué dans l’Étude d’ensemble de 2012, paragraphe 198: «[a]ux termes de la Déclaration de l’OIT relative aux principes et droits fondamentaux au travail, 1998, la négociation collective constitue un droit fondamental accepté par les États Membres du seul fait de leur appartenance à l’OIT, qu’ils ont l’obligation de respecter, promouvoir et réaliser de bonne foi.»
Autre citation, paragraphe 168: «[l]e champ d’application de la convention [...] couvre l’ensemble des travailleurs et des employeurs, ainsi que leurs organisations respectives, tant dans le secteur privé que dans le secteur public, qu’il s’agisse ou non de services essentiels. Les seules exceptions autorisées concernent les forces armées et la police ainsi que les fonctionnaires publics commis à l’administration de l’État.»
Les catégories exclues doivent donc être interprétées de manière restrictive. Nous estimons que le personnel pénitentiaire ne devrait pas en être exclu, mais que des modalités particulières de négociation collective pourraient être fixées pour cette catégorie, comme mentionné au paragraphe 213.
Dernière citation, paragraphe 200: «[e]n vertu de l’article 4 de la convention [no 98], la négociation collective doit être libre et volontaire et doit respecter le principe de l’autonomie des parties. En revanche, les pouvoirs publics sont tenus d’en assurer la promotion.»
Nous estimons que les partenaires sociaux eux-mêmes plutôt que la loi sont les mieux placés pour décider à quel niveau ils souhaitent négocier de manière collective et conclure des conventions collectives. Ils doivent ainsi pouvoir conclure des conventions collectives aux niveaux intersectoriel, sectoriel, régional ou au niveau de l’entreprise.
Nous constatons que des évolutions encourageantes sont intervenues pour l’avenir en Türkiye. Toutes les confédérations syndicales et les organisations d’employeurs se sont réunies depuis avril dernier pour lancer un nouvel agenda social afin de répondre aux défis quotidiens des relations industrielles. En outre, un projet important a été lancé par le Bureau de pays de l’OIT pour la Türkiye avec la participation des partenaires sociaux, qui couvrira la liberté d’association et le droit de négociation collective en tant que piliers de l’agenda des droits fondamentaux. Ce projet renforcera la compréhension et la mise en œuvre des normes internationales du travail en Türkiye.
Les membres employeurs encouragent les autorités gouvernementales à intensifier ces consultations avec les organisations représentatives des employeurs et des travailleurs, pour promouvoir les négociations collectives à tous les niveaux. La promotion des négociations collectives concerne tant le secteur privé que le secteur public, même si certaines exceptions sont justifiables dans le secteur public en raison de son rôle spécifique pour garantir la sécurité nationale.
Les membres employeurs invitent également le gouvernement à fournir au BIT toutes les informations demandées par la commission d’experts. Je terminerai en précisant qu’il faut surtout renforcer les incitants pour que les partenaires sociaux s’organisent librement et négocient de manière libre et autonome.
Membres travailleurs – Nous remercions le gouvernement pour ses remarques. Nous remercions également tous les intervenants qui ont pris la parole et toutes les personnes encore présentes dans la salle.
Malgré les informations supplémentaires fournies par le gouvernement, nous restons préoccupés par les nombreuses violations des droits d’organisation et de négociation collective dans le pays.
La discrimination et les pratiques antisyndicales sont omniprésentes tant dans le secteur public que privé. Le cadre juridique national régissant l’exercice des droits syndicaux est très restrictif. Les seuils de représentativité excessifs pèsent lourdement sur le syndicalisme. De plus, nous sommes en désaccord avec la qualification utilisée par les membres employeurs, décrivant les syndicats minoritaires comme de «simples groupes de pression» qui ne bénéficient d’aucun droit ni d’aucune protection en vertu de la convention. Nous rappelons fermement qu’en vertu de la convention no 98, l’octroi de droits exclusifs à l’organisation la plus représentative ne doit pas signifier que l’existence d’autres syndicats auxquels certains travailleurs concernés pourraient souhaiter adhérer est interdite. Les organisations minoritaires devraient avoir le droit de mener leurs activités et, au moins, de s’exprimer au nom de leurs membres et de les représenter.
Nous sommes profondément préoccupés par la position hostile adoptée par le gouvernement à l’égard des syndicats et de leurs membres depuis 2016, comme en témoignent les actes de violence policière qui se produisent presque chaque année le 1er mai. Cette année, par exemple, les membres et les dirigeants de la KESK se sont vu interdire l’accès à la place Taksim. Les forces de police ont violemment dispersé la manifestation, utilisant des gaz lacrymogènes et des balles en caoutchouc contre les travailleurs; 215 travailleurs ont été arrêtés ce jour-là.
Nous prions instamment le gouvernement de cesser de s’ingérer dans les activités syndicales légitimes et de s’abstenir de recourir à la violence contre les membres syndicaux et les travailleurs. Nous demandons au gouvernement de prendre d’urgence des mesures pour lever tous les obstacles juridiques au plein exercice des droits garantis par la convention, notamment en révisant, en concertation avec les partenaires sociaux, les dispositions législatives concernant: les seuils pour devenir agent de négociation collective; le droit de négociation collective des syndicats minoritaires; les restrictions à la négociation collective à tous les niveaux dans le secteur privé; et les restrictions s’appliquant au personnel pénitentiaire, aux travailleurs suppléants et aux fonctionnaires sans contrat de travail écrit.
En outre, nous prions instamment le gouvernement de prendre des mesures significatives et efficaces pour lutter contre la discrimination antisyndicale dans les secteurs privé et public, notamment en établissant un processus indépendant, rapide et approfondi d’enquête et de recours pour les cas de licenciements antisyndicaux dans le secteur public, dans le cadre des lois d’urgence; mais aussi en abrogeant toutes les dispositions qui permettent aux autorités d’exercer les pouvoirs de l’état d’urgence et de licencier sommairement les syndicalistes; en adoptant, en concertation avec les partenaires sociaux, des sanctions efficaces et suffisamment dissuasives contre les licenciements antisyndicaux, ainsi que des mécanismes efficaces et rapides permettant aux travailleurs de demander réparation; et enfin en élaborant et en mettant en œuvre, avec les partenaires sociaux et l’assistance technique du BIT, des campagnes et des programmes de sensibilisation pour assurer la formation des forces de police et de sécurité, du système judiciaire et de l’administration en matière de droits syndicaux.
Nous demandons également au gouvernement de mener un examen plus complet, en consultation avec les partenaires sociaux et avec l’assistance technique du BIT, des mécanismes judiciaires et non judiciaires afin que les cas de discrimination antisyndicale fassent sans tarder l’objet d’enquêtes et de réparations efficaces.
Compte tenu de la gravité et de la persistance des violations dans le pays, nous demandons au gouvernement d’accepter une mission de haut niveau.

Conclusions de la commission

La commission a pris note des informations orales fournies par le gouvernement et de la discussion qui a suivi.
La commission a pris note avec préoccupation du nombre élevé de cas de discrimination antisyndicale dans le pays et de l’absence de sanctions suffisamment dissuasives pour combattre ce phénomène, en droit et dans la pratique. La commission a pris note avec préoccupation des lacunes importantes, en droit et dans la pratique, concernant la portée de la négociation collective.
Prenant en compte la discussion qui a eu lieu, la commission a appelé le gouvernement, en consultation avec les partenaires sociaux, à prendre des mesures adéquates et efficaces pour:
  • garantir la tenue d’enquêtes indépendantes, rapides et approfondies sur les licenciements antisyndicaux présumés, pratiqués en application des décrets adoptés pendant l’état d’urgence, dans le cadre de procédures offrant toutes les garanties d’une procédure régulière;
  • adopter des sanctions efficaces et dissuasives contre la discrimination antisyndicale, y compris les licenciements antisyndicaux, dans les secteurs public et privé, et garantir que les travailleurs ayant subi de tels préjudices ont droit à des voies de recours et de réparation adéquates (y compris la réintégration, l’indemnisation financière, etc.);
  • mener un examen complet des mécanismes judiciaires et non judiciaires afin que les cas de discrimination antisyndicale fassent sans délai l’objet d’enquêtes et de réparations efficaces;
  • établir un système solide de collecte de données relatives à la discrimination antisyndicale dans les secteurs public et privé;
  • prévenir l’ingérence dans les activités syndicales légitimes ainsi que le recours de la violence à l’égard des syndicalistes et des travailleurs;
  • modifier l’article 34 de la loi no 6356 en vue de permettre aux parties du secteur privé souhaitant conclure des accords régionaux ou sectoriaux intersectoriels de le faire;
  • veiller à ce que les syndicats minoritaires soient en mesure d’exercer leurs droits protégés par la convention;
  • garantir que les procédures judiciaires concernant la valeur juridique des certificats de majorité syndicale sont conclues dans des délais raisonnables;
  • modifier l’article 28 de la loi no 4688 afin de lever les restrictions sur la portée matérielle de la négociation dans le secteur public et de faire en sorte que les parties concernées puissent décider, en toute autonomie, des sujets de la négociation;
  • modifier la législation en vigueur afin de garantir que le personnel pénitentiaire, les travailleurs suppléants et les fonctionnaires dépourvus de contrat écrit puissent effectivement exercer leur droit d’organisation et de négociation collective garanti par la convention;
  • fournir des voies de recours efficaces et rapides en cas de licenciement de syndicaliste fondé sur les pouvoirs d’exception;
  • revoir la méthode de nomination des membres du conseil d’arbitrage de salariés du secteur public afin d’en garantir l’indépendance et l’impartialité;
  • élaborer et mettre en œuvre des campagnes et des programmes de sensibilisation afin de faire connaître les droits syndicaux aux forces de sécurité, au pouvoir judiciaire et à l’administration; et
  • communiquer toute information manquante demandée par la commission d’experts avant sa prochaine session, ainsi que des informations détaillées sur les mesures prises pour mettre en œuvre ces recommandations et sur les résultats obtenus.
La commission a invité le gouvernement à se prévaloir de l’assistance technique du BIT afin de mettre efficacement en œuvre l’ensemble des recommandations de la commission.
Représentant gouvernemental – Tout d’abord, je voudrais dire que cette décision de la commission est regrettable. Elle va à l’encontre de l’engagement de notre gouvernement qui vous a été présenté et dans le cadre duquel des résultats concrets sont attendus dans un future proche, grâce aux efforts des partenaires sociaux. En tout état de cause, il aurait été opportun que la commission nous accorde un délai raisonnable pour que le gouvernement, en collaboration avec les partenaires sociaux, mette en œuvre les arrangements nécessaires. Nous espérons que ce processus aura un résultat positif pour les relations entre l’OIT et notre pays et ses partenaires sociaux.
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