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Observation (CEACR) - adoptée 2024, publiée 113ème session CIT (2025)

Convention (n° 105) sur l'abolition du travail forcé, 1957 - Zimbabwe (Ratification: 1998)

Autre commentaire sur C105

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La commission prend note des observations de la Confédération syndicale internationale (CSI) reçues le 27 septembre 2023.
Article 1, alinéa a) de la convention.Sanctions pénales comportant un travail obligatoire à l’égard de personnes qui manifestent leur opposition idéologique à l’ordre politique, social ou économique établi. Depuis plusieurs années, la commission attire l’attention du gouvernement sur plusieurs dispositions de la législation nationale qui prévoient des sanctions pénales impliquant un travail obligatoire. La commission est préoccupée par le fait que ces sanctions continuent d’être appliquées à l’égard de personnes qui ont ou expriment certaines opinions politiques, ou manifestent leur opposition idéologique à l’ordre politique, social ou économique établi. Tant la commission que la Commission de l’application des normes de la Conférence internationale du Travail, en juin 2021, ont prié instamment le gouvernement d’abroger ou de modifier ces dispositions afin d’assurer le respect de l’article 1 a) de la convention. Ces dispositions sont les suivantes:
  • les articles 31 et 33 de la loi sur le droit pénal (codification et réforme) (chapitre 9:23) (Code pénal) relatifs à la publication de fausses déclarations préjudiciables à l’État, ou qui constituent une insulte à l’endroit du Président;
  • les articles 37 et 41 du droit pénal, qui prévoient une peine d’emprisonnement pour les motifs suivants: participation à des réunions ou à des rassemblements dans l’intention de troubler l’ordre public; propos menaçants ou abusifs, ou comportement perturbateur, dans l’intention de troubler la paix;
  • les articles 7 5) et 8 11) de la loi no 9 de 2019 sur le maintien de la paix et de l’ordre (MOPA), qui prévoient des peines d’emprisonnement en cas d’absence de notification de manifestations publiques aux autorités compétentes, ou de non-respect d’un avis d’interdiction ou des conditions applicables aux rassemblements publics.
La commission note que la loi sur les prisons, qui prévoyait un travail pénitentiaire obligatoire pour les personnes condamnées à une peine d’emprisonnement, a été abrogée à la suite de l’adoption de la loi de 2023 sur les prisons et les services correctionnels. La commission note l’information du gouvernement, dans son rapport, selon laquelle les principes énoncés dans la loi sur les prisons et les services correctionnels soulignent que le travail des détenus a pour objectif essentiel leur réadaptation, et celui de faciliter ainsi le succès de leur réinsertion dans la société une fois la peine purgée. Le gouvernement déclare que sa pratique est conforme à l’Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus (Règles Nelson Mandela), qui met l’accent sur le travail aux fins de la réinsertion des détenus. Le gouvernement ajoute que les articles 7 5) et 8 11) de la MOPA prévoient des sanctions en cas de non-notification d’un rassemblement, comme l’exige la loi, et ne portent pas sur les questions relatives au travail forcé. De même, le gouvernement considère que les articles 31, 33, 37 et 41 de la loi pénale ne s’appliquent qu’aux personnes qui se livrent aux actes susmentionnés dans une intention malveillante. Dans ces deux cas, le gouvernement affirme que, étant donné les mesures correctionnelles et de réadaptation actuellement mises en œuvre dans les prisons au Zimbabwe, le recours au travail dans le cadre d’une condamnation n’est plus pratiqué au Zimbabwe.
À cet égard, la commission observe que l’article 124 de la nouvelle loi sur les prisons et les services correctionnels reprend les dispositions de l’article 76(1) de la loi sur les prisons, qui indiquent que tout détenu condamné à une peine d’emprisonnement «peut être maintenu au travail» dans l’enceinte ou à l’extérieur de la prison ou de l’établissement correctionnel, dans toutes les régions du pays, pour réaliser des activités ou des travaux approuvés par le ministre responsable des prisons et des services correctionnels. La commission note également que, en application de l’article 124 de la loi, les détenus non condamnés «peuvent choisir» de se voir confier des travaux légers. La commission observe donc que le travail pénitentiaire reste obligatoire pour les personnes condamnées à des peines d’emprisonnement. À ce sujet, la commission rappelle que, même s’il est conçu à des fins de réadaptation, le travail pénitentiaire obligatoire relève du champ d’application de la convention lorsqu’il est imposé dans l’une quelconque des circonstances couvertes par l’article 1 de la convention.
Par ailleurs, la commission note que, dans ses observations, la CSI déplore le fait que, en dépit des nombreux et fermes commentaires sur ces questions, les travailleurs au Zimbabwe font encore l’objet de sanctions pénales comportant du travail obligatoire pour avoir manifesté leur opposition idéologique à l’ordre politique, social ou économique établi, ou pour avoir participé à des grèves. La CSI affirme en outre que la MOPA et le droit pénal continuent d’être appliqués de telle sorte qu’ils restreignent les libertés publiques et les droits au travail fondamentaux des travailleurs, et donnent lieu à de lourdes amendes et à de longues peines d’emprisonnement, assorties d’un travail obligatoire pour toute infraction. Les dispositions légales en question restent inchangées et instaurent un climat de crainte et de répression, qui empêche d’exercer pleinement les libertés publiques dans le pays. La CSI mentionne les cas de syndicalistes et de travailleurs qui ont à nouveau été victimes d’actes de violence et d’arrestations arbitraires en 2022. La CSI fait notamment référence aux arrestations d’Obert Masaraure et de Robson Chere, respectivement président et secrétaire général du Syndicat unifié des enseignants ruraux du Zimbabwe (ARTUZ), qui ont été l’objet des mêmes accusations de meurtre, alors qu’une enquête judiciaire avait conclu à l’absence d’acte criminel. Ces arrestations ont fait suite à l’annonce par le syndicat, en juin 2022, de son intention d’organiser des actions de protestation. La CSI rappelle aussi qu’Obert Masaraure est également visé par trois chefs d’accusation dans trois affaires depuis 2019, en particulier le chef d’obstruction à la justice au motif d’avoir écrit sur Twitter que Robson Chere était innocent (en 2022). La CSI exige la libération inconditionnelle de Robson Chere et le retrait de toutes les affaires pénales en cours, contre lui, Obert Masaraure et tous les autres membres d’ARTUZ arrêtés en janvier 2022 lors d’une protestation salariale.
La CSI souligne aussi l’article 22A récemment introduit dans le droit pénal, qui traite de «l’atteinte délibérée à la souveraineté et à l’intérêt national du Zimbabwe». Cette disposition établit des sanctions allant de vingt ans d’emprisonnement à la réclusion à perpétuité, voire à la peine de mort, pour les personnes qui ont participé à des réunions ayant fait intervenir des agents de gouvernements étrangers, ou à des réunions convoquées par ces agents afin de discuter ou de planifier diverses actions – entre autres, intervention armée, subversion ou renversement du gouvernement constitutionnel du Zimbabwe – ou d’envisager ou de mettre en œuvre des sanctions ou des boycotts commerciaux à l’encontre du Zimbabwe. La CSI observe que ces nouvelles dispositions contreviennent à la convention et entravent encore davantage l’exercice des libertés fondamentales, notamment le droit à la liberté syndicale, le droit de réunion pacifique, la liberté d’expression et le droit à l’information.
La commission note à cet égard que, dans son rapport du 26 septembre 2022 qui a été établi à la suite de sa visite au Zimbabwe, le Rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association, rappelant qu’il avait appelé le gouvernement à revoir les sanctions applicables de manière à ne pas dissuader l’organisation de futures réunions et manifestations pacifiques, a noté que la MOPA continue de prévoir des sanctions à l’égard des organisateurs de réunions, même si aucun dommage n’a été causé, dans l’intention manifeste de dissuader dans la pratique la tenue de réunions pacifiques (A/HRC/50/23/Add.3). De plus, dans un communiqué de presse en date du 24 mai 2023, la Rapporteure spéciale des Nations Unies sur la situation des droits de l’homme s’est déclarée préoccupée par les poursuites judiciaires en cours contre le défenseur des droits de l’homme Obert Masaraure, et a demandé l’abandon des charges retenues contre lui, en indiquant qu’elle avait été témoin de ce qui semblait être «un ciblage systématique des défenseurs des droits de l’homme de l’ARTUZ» qui défendaient le droit à l’éducation et le droit à un niveau de vie adéquat pour les éducateurs dans les zones rurales du Zimbabwe.
Force est à la commission d’exprimer sa profondepréoccupation quant à la persistance des arrestations, des poursuites et des condamnations comportant l’emprisonnement de personnes qui exercent leur droit de réunion pacifique, et quant à la persistance de la base juridique qui permet d’imposer un travail à une personne condamnée à une peine d’emprisonnement, en violation de l’article 1 a) de la convention. La commission prie à nouveau instamment le gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour réviser les articles 22A, 31, 33, 37 et 41 du droit pénal, ainsi que les articles 7 5) et 8 11) de la MOPA, afin de garantir qu’aucune peine impliquant du travail obligatoire n’est imposée à l’égard de personnes qui ont ou expriment certaines opinions politiques ou manifestent leur opposition idéologique à l’ordre politique, social ou économique établi.
Dans l’attente de l’adoption de ces mesures, la commission prie le gouvernement de communiquer des informations sur l’application des dispositions susmentionnées dans la pratique, notamment sur le nombre de condamnations et de sanctions imposées et sur les faits qui ont conduit à des condamnations.
Article 1 d).Sanctions pénales comportant un travail obligatoire en tant que punition pour avoir participé à des grèves. La commission avait pris note précédemment de certaines dispositions de la loi sur le travail (articles 102 b), 104 2)-3), 109 1)-2), et 112 1)) qui établissent des peines d’emprisonnement impliquant un travail obligatoire, à l’encontre des personnes qui participent à une action collective illégale.
La commission prend note de l’information du gouvernement selon laquelle la loi no 11 de 2023 portant modification de la loi sur le travail, qui a été récemment adoptée, a ramené de 14 à 7 jours le délai de préavis d’intention de grève, en application de l’article 104(2) de la loi sur le travail. En outre, le gouvernement indique que les articles 109(1) et (2) de la loi sur le travail ont été abrogés. La commission observe que ces dispositions ont été remplacées par les nouveaux articles 109(1) et (2), qui maintiennent l’application d’une peine d’emprisonnement aux personnes qui participent à une action collective illégale. Ces nouvelles dispositions établissent expressément une distinction entre les sanctions prévues, d’une part, pour une action collective illégale qui porte sur un service essentiel (action passible d’une amende et/ou d’une peine d’emprisonnement ne dépassant pas cinq ans (sanction qui existait auparavant)) et d’autre part dans d’autres situations (passibles d’une amende ou, en cas de nonpaiement de l’amende, d’une peine d’emprisonnement ne dépassant pas un an). Les dispositions de l’article 109 2) de la nouvelle loi sur le travail établissent la même distinction.
La commission note que, dans ses observations, la CSI souligne qu’en vertu des nouveaux articles 104, 105 et 106 de la loi sur le travail, telle que modifiée en 2023, toute grève peut être considérée comme illégale si les conditions restrictives imposées pour faire grève ne sont pas respectées. La violation des ordonnances portant sur les articles 104 à 106 est passible de sanctions pénales, prévues aux articles 109, 111 et 112 de la même loi, dont une peine d’emprisonnement d’un à cinq ans et une amende. La CSI ajoute que, outre les dispositions de la loi sur le travail, la loi no 9 de 2022 portant modification de la loi sur les services de santé prévoit une amende et/ou une peine d’emprisonnement de six mois, à la discrétion du tribunal, à l’encontre des travailleurs de la santé qui participent à des grèves ou à des manifestations (articles 16A 2)-3)).
La CSI observe que la législation susmentionnée a un impact profond sur le mouvement syndical au Zimbabwe. Entre autres cas, la CSI se réfère à Jacob Ngarivhume, dirigeant de Transform Zimbabwe, qui a été condamné à quatre ans de prison pour incitation présumée à la violence après avoir appelé en 2020 à une manifestation pacifique. La CSI rappelle également qu’Obert Masaraure, président de l’ARTUZ, reste sous le coup d’accusations de subversion d’un gouvernement constitutionnellement élu (Action de grève des enseignants de 2019) et, ainsi que 15 autres personnes, de sectarisme, à la suite de l’action de grève des enseignants en juin 2022.
La commission note avec regret que, malgré ses commentaires réitérés, les dispositions de la loi sur le travail, et maintenant de la loi no 9 de 2022 portant modification de la loi sur les services de santé, prévoient toujours des peines d’emprisonnement, qui impliquent un travail pénitentiaire obligatoire, à l’encontre des personnes qui ont participé à une action collective illégale. À ce sujet, la commission souligne qu’une sanction pénale (y compris une peine d’emprisonnement impliquant un travail obligatoire) ne saurait être imposée à un travailleur pour avoir mené pacifiquement une grève, c’est-à-dire pour avoir simplement exercé un droit essentiel. De telles sanctions ne pourraient être envisagées que si, au cours d’une grève, des violences contre des personnes ou des biens, ou d’autres infractions graves au droit pénal ont été commises, ou si l’existence ou le bien-être de l’ensemble ou d’une partie de la population est mis en danger.
Par conséquent, la commission prie instamment le gouvernement de réviser les articles 102 b), 104 2) à 3), 109 1) à 2) et 112 1) de la loi sur le travail, telle que modifiée par la loi de 2023 portant modification de la loi sur le travail, ainsi que les articles 16A 2) à 3) de la loi no 99 de 2022 portant modification de la loi sur les services de santé, afin que, sauf si le bien-être de l’ensemble ou d’une partie de la population est mis en danger, aucune sanction impliquant dutravail obligatoire nesoit imposée aux travailleurs pour avoir participé à des grèves de manière pacifique.
La commission renvoie à ses commentaires au titre de la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948.
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