ILO-en-strap
NORMLEX
Information System on International Labour Standards
NORMLEX Page d'accueil > Profils par pays >  > Commentaires

Observation (CEACR) - adoptée 2024, publiée 113ème session CIT (2025)

Convention (n° 29) sur le travail forcé, 1930 - Myanmar (Ratification: 1955)

Afficher en : Anglais - EspagnolTout voir

La commission prend note des observations de la Fédération des chambres de commerce et d’industrie de la République de l’Union du Myanmar (UMFCCI) et de la Fédération des gens de mer du Myanmar (MSF), envoyées avec le rapport des autorités militaires.

Suivi des recommandations de la commission d ’ enquête (plainte déposée au titre de l ’ article   26 de la Constitution de l ’ OIT)

La commission rappelle qu’elle a précédemment prié instamment les autorités militaires de prendre des mesures pour mettre en œuvre pleinement et efficacement les recommandations formulées par la Commission d’enquête, établie par le Conseil d’administration pour examiner le non-respect de la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, et de la convention (no 29) sur le travail forcé, 1930, dans son rapport d’août 2023 . La commission note que le Conseil d’administration a examiné le suivi des recommandations de la commission d’enquête à ses 350e, 351e et 352e sessions (mars, juin et novembre 2024). À sa 352e session, le Conseil d’administration a noté avec la plus vive préoccupation qu’aucune mesure concrète n’avait été prise pour donner effet aux recommandations de la Commission d’enquête et a exprimé une nouvelle fois sa vive préoccupation face aux conclusions formulées dans le rapport de la commission quant au recours au travail forcé par les autorités militaires et a demandé que des mesures immédiates soient prises pour faire cesser, en droit et dans la pratique, tout recrutement forcé dans l’armée contraire à la convention (no 29) sur le travail forcé, 1930,y compris le recrutement forcé d’enfants. Le Conseil d’administration a également décidé d’inscrire à l’ordre du jour de la 113e session (2025) de la Conférence internationale du Travail une question concernant les mesures susceptibles d’être prises au titre de l’article 33 de la Constitution en vue d’assurer l’exécution, par le Myanmar, des recommandations de la commission d’enquête, et a demandé au Directeur général de lui soumettre, à sa 353e session (mars 2025), un projet de résolution concernant les mesures à prendre en vertu de l’article 33 de la Constitution de l’OIT, à la lumière de sa discussion.
La commission note avec une profonde préoccupation les informations ci-dessus qui montrent une absence totale de progrès dans la mise en œuvre des recommandations de 2023 de la commission d’enquête et un déni total de la part des autorités militaires de la gravité de la situation en ce qui concerne l’imposition continue et généralisée de travail forcé à la population au Myanmar.
Article 1, paragraphe 1, article 2, paragraphe 1 et article 25 de la convention.Élimination de toutes les formes de travail forcé. 1. Cadre juridique. La commission a précédemment souligné la non-conformité de la législation nationale avec la convention sur les points suivants:
  • L’article 359 de la Constitution qui autorise l’imposition de travail forcé dans le cadre d’obligations conférées à l’Union dans l’intérêt du peuple, conformément à la législation.
  • L’article 374 du Code pénal et l’article 27A de la loi sur l’administration des circonscriptions et des groupes de villages, qui prévoient les sanctions en cas d’imposition d’un travail forcé ou obligatoire. La commission rappelle que ces peines, peine d’emprisonnement d’une durée maximale d’un an ou une amende, ne peuvent être considérées comme réellement adéquates compte tenu de la gravité du crime en question.
Par conséquent, la commission réitère l’importance de mettre les dispositions susmentionnées en conformité avec la convention, dès lors que les institutions démocratiques seront rétablies, afin de garantir que la Constitution ne permet pas d’imposer du travail forcé ou obligatoire et que les sanctions pour l’exaction de travail forcé ou obligatoire sont réellement adéquates et à la hauteur de la gravité du crime.
2. Utilisation systématique et généralisée de la population par l’armée du Myanmar pour effectuer différents types de travaux ou de services. Dans leur rapport, les autorités militaires soutiennent que les informations contenues dans les observations précédentes de la commission reposaient sur de fausses nouvelles et des allégations non étayées avec des documents provenant des médias sociaux qui n’ont pas faits l’objet de vérification approfondie et se basaient sur des informations provenant d’organisations opposées et de groupes terroristes, ne reflétant pas la réalité de la situation au Myanmar. Elles affirment également que les enquêtes nécessaires ont été menées et les membres du personnel du Tatmadaw qui ont commis un crime, y compris du travail forcé, ont été identifiés à la suite d’investigations menées par des fonctionnaires de rang supérieur et de plaintes déposées par les victimes et les membres de leur famille, et que des mesures ont été prises sur la base des conclusions de ces enquêtes.
La commission note néanmoins les informations contenues dans le rapport concernant le suivi du rapport de la commission d’enquête, soumis à la 352e session du Conseil d’administration (rapport de suivi), selon lesquelles la Confédération des syndicats du Myanmar (CTUM) a indiqué que le travail forcé, en particulier à des fins de surveillance, le travail des enfants et l’utilisation de boucliers humains dans les zones de conflit ont toujours cours au Myanmar. Le rapport de suivi fait également référence à des sources des Nations Unies qui indiquent avoir reçu des rapports récents faisant état d’une escalade des pratiques de travail forcé parmi les Rohingya déplacés à l’intérieur du pays, notamment la recrutement forcé par un bataillon d’infanterie de personnes en vue de les faire travailler à la construction de routes ainsi que l’enlèvement d’une centaine de Rohingyas par jour pour travailler, sans rémunération ni soutien, sur un chantier routier, les zones traversées par la route en construction ayant été précédemment vidées de leurs habitants sur ordre de l’armée.
La commission note en outre que les éléments les plus récents recueillis par les organes des Nations Unies continuent d’étayer les informations faisant état de pratiques de recrutement forcé. Dans son rapport d’octobre 2024, le rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme au Myanmar indique que la junte a attisé les tensions entre les communautés ethniques Rakhine et Rohingya, notamment à travers la conscription de milliers de jeunes hommes Rohingya et leur déploiement sur la ligne de front (A/79/550). En outre, le rapporteur spécial indique que, comme la junte, l’armée d’Arakan a été accusée de recruter de force des hommes rohingyas et de les déployer dans les combats contre les forces de la junte, tandis que d’autres groupes militants rohingyas, s’étant ralliés aux forces de la junte, ont recruté de force des hommes et des garçons rohingyas, dans des camps de réfugiés au Bangladesh pour les déployer dans le conflit dans l’État de Rakhine.
La commission déplore vivement la persistance de l’imposition de pratiques de travail forcé au Myanmar, en particulier l’utilisation continue de personnes, y compris des personnes déplacées rohingyas, pour effectuer des travaux et des services, ainsi que la poursuite des pratiques de recrutement forcé, tant par l’armée que d’autres groupes armés. La commission prie instamment les autorités militaires de prendre toutes les mesures nécessaires pour mettre immédiatement fin à toutes ces pratiques de travail forcé, en particulier le recrutement forcé de personnes par les forces armées et les groupes armés au Myanmar.
3. Travail forcé des prisonniers. La commission note que les autorités militaires indiquent que le département des prisons ne force pas les prisonniers qui ont été condamnés à une peine d’emprisonnement simple à travailler, tandis que ceux qui ont été condamnés à une peine d’emprisonnement rigoureux (article 53 du Code pénal), travaillent dans des conditions déterminées par les règles et les procédures prévues dans la loi sur les prisons. Toutefois, la commission observe que comme indiqué dans le rapport de suivi, si les autorités militaires affirment que le travail pénitentiaire fait l’objet d’une étroite surveillance de la part de la commission nationale des droits de l’homme du Myanmar, aucune information concrète n’a été fournie concernant la recommandation de la commission d’enquête de mettre fin au travail pénitentiaire imposé suite aux condamnations pénales prononcées depuis le 1er février 2021 dans le cadre de procédures n’offrant manifestement pas les garanties d’indépendance, d’impartialité et de régularité.
La commission observe que les organes des Nations Unies font également état d’emprisonnements illicites de personnes considérées comme des opposants par le régime militaire, à la suite de détentions arbitraires et des procès manifestement inéquitables. Plus récemment, le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH) sur la situation des droits de l’homme au Myanmar, dans son rapport de septembre 2024 (A/HRC/57/56) révèle que, au cours de la période considérée, au moins 1 648 personnes ont été condamnées pour s’être opposées au pouvoir militaire au Myanmar, alors que l’absence de garanties d’un procès équitable et l’absence d’indépendance et d’impartialité du pouvoir judiciaire demeuraient très préoccupantes (paragraphe 24). Sont cités à titre d’exemples, l’absence d’acquittements ou d’appels fructueux, les reports fréquents d’audiences, les restrictions sévères imposées aux avocats de la défense, les procédures chaotiques et même, dans certains cas, l’arrestation, les mauvais traitements ou la torture d’avocats de la défense. Le HCDH a reçu des rapports faisant état de prisonniers politiques soumis à des travaux forcés ou non-volontaires dans les prisons.
La commission rappelle que pour ne pas être considéré comme du travail forcé au sens de la convention, le travail pénitentiaire obligatoire ne peut être exigé que de personnes qui ont été reconnues coupables d’une infraction et à l’issue d’une procédure régulière. Cela implique le respect de garanties telles que la présomption d’innocence, l’égalité devant la loi, la régularité et l’impartialité des procédures, l’indépendance et l’impartialité des tribunaux, les garanties nécessaires à la défense et une définition claire de l’infraction.
La commission exprime sa profonde préoccupation face au grand nombre de personnes condamnées dans le cadre de procédures judiciaires irrégulières et manquant manifestement d’indépendance et d’impartialité, en particulier les personnes qui s’opposent au pouvoir militaire au Myanmar et à qui l’on impose un travail obligatoire en prison. À cet égard, la commission se réfère également aux observations qu’elle formule au titre de la convention no 87, concernant les arrestations, la détention, les menaces et autres restrictions aux libertés publiques. La commission prie donc à nouveau instamment et fermement les autorités militaires de prendre toutes les mesures nécessaires pour mettre immédiatement fin à toutes les formes de travail forcé ou obligatoire identifiées ci-dessus, qui constituent une grave violation de la convention, et de prendre toutes les mesures nécessaires pour mettre pleinement et efficacement en œuvre les recommandations de la commission d’enquête.
4. Travail forcé imposé dans le cadre de la conscription obligatoire. La commission prend note des informations contenues dans le rapport de suivi concernant l’activation en février 2024 par le Conseil d’administration de l’État (SAC) de la loi de 2010 relative au service militaire du peuple. Cette loi exige que tous les citoyens suivent une formation militaire et servent dans les forces armées. La commission observe que la durée du service militaire sera de 24 à 36 mois pour les hommes âgés de 18 à 35 ans et les femmes âgées de 18 à 27 ans et qu’elle pourra être prolongée jusqu’à cinq ans dans les situations d’urgence. La commission note à cet égard que le 31 juillet 2024, l’état d’urgence déclaré par les autorités militaires a été prolongé jusqu’au 31 janvier 2025. La commission note que les autorités militaires n’ont pas soumis la version finale du règlement de la conscription, devant constituer la procédure standard appliquée (POS) pour le processus d’enrôlement.
À cet égard, la commission rappelle qu’en vertu de l’article 2, alinéa a) de la convention, le travail obligatoire exigé dans le cadre du service militaire obligatoire n’est exclu de la définition du travail forcé que s’il est limité à un travail revêtant un caractère purement militaire. Cette limitation de l’étendue des travaux pouvant être imposés aux conscrits vise à empêcher leur affectation à des travaux publics généraux. En outre, les conditions et la durée du service militaire doivent être strictement limitées à ce qui est nécessaire pour répondre aux exigences spécifiques de la préparation des citoyens à la défense nationale du pays. L’extension de la durée du service à cinq ans dans les situations d’urgence va au-delà de l’objectif et de la portée de l’exception.
Conformément à ce qui précède, la commission prie instamment les autorités militaires de prendre les mesures nécessaires pour garantir que, en droit et dans la pratique, tout travail imposé aux conscrits dans le cadre du service militaire obligatoire est limité à une formation militaire ou à un travail de caractère purement militaire et que la durée et les conditions de ce travail répondent spécifiquement aux exigences de la situation.
5. Traite des personnes. La commission prend note des informations fournies par les autorités militaires concernant les mesures prises pour lutter contre la traite des personnes, en particulier la loi de 2022 sur la prévention et la répression de la traite des personnes, dont les objectifs incluent la prévention et la répression effectives de la traite des personnes à travers l’identification et la poursuite, ainsi que la détection, le rapatriement, la protection et la réadaptation des victimes. Les autorités militaires fournissent des informations concernant les différentes mesures de prévention et de sensibilisation prises en application de cette loi, ainsi que le nombre de poursuites et de condamnations dans des affaires de traite. Par exemple, en 2023, neuf cas de traite des personnes ont fait l’objet d’une enquête, impliquant 18 victimes, et ont abouti à l’arrestation et à la poursuite de 33 accusés et à 11 condamnations à des peines d’emprisonnement allant de cinq à dix ans.
Par ailleurs, la commission prend note des rapports récents publiés depuis le début de 2021 concernant des opérations d’escroquerie en ligne en lien avec la traite des personnes en Asie du SudEst, y compris au Myanmar, et survenant dans le contexte d’activités criminelles numériques de grande envergure, telle que des arnaques amoureuses, des escroqueries en crypto-monnaies, du blanchiment d’argent et des jeux d’argent illégaux. Selon un rapport du HCDH de 2023 intitulé «Escroquerie en ligne et traite des personnes à des fins de criminalité forcée en Asie du Sud-Est: Recommandations pour une réponse centrée sur les droits de l’homme», les acteurs du crime organisé opèrent au Myanmar depuis des années, mais la situation se serait aggravée depuis le coup d’État militaire de février 2021, en particulier en ce qui concerne la traite à des fins d’opérations relevant d’escroquerie. Selon le rapport, au moins 120 000 personnes à travers le Myanmar pourraient être retenues dans des situations où elles sont forcées de réaliser des escroqueries en ligne, avec des centres d’escroquerie en ligne opérant autour de la frontière thaïlandaise. Il ressort du rapport que, pour diverses raisons, les trafiquants réussissent facilement à recruter frauduleusement des personnes pour réaliser ces opérations criminelles en leur promettant de vrais emplois. De nombreuses personnes qui ont réussi à fuir ces centres indiquent qu’elles ont été recrutées de manière frauduleuse, trompées en croyant qu’elles allaient occuper des emplois légitimes, et beaucoup sont privées de leur liberté dans des enceintes où elles sont enfermées. De plus, les trafiquants détiennent une dette de plus en plus importante vis-à-vis des migrants qui sont informés qu’ils doivent la rembourser pour pouvoir être libérés, ce qui les place dans une situation de servitude pour dettes.
La commission exprime sa préoccupation face à la situation de milliers de travailleurs migrants, attirés par des centres d’escroquerie en ligne sous de faux prétextes, qui se retrouvent piégés dans des conditions de travail forcé, y compris de servitude pour dettes. La commission prie instamment les autorités militaires de prendre les mesures nécessaires pour que les cas de traite à des fins d’exploitation au travail, en particulier dans les centres d’escroquerie en ligne, soient effectivement identifiés et fassent l’objet d’enquêtes, et pour renforcer les mécanismes permettant d’engager des poursuites efficaces contre les auteurs présumés, conformément à la loi de 2022 relative à la prévention et à la répression de la traite des personnes.La commission prie les autorités militaires de fournir des informations sur toute évolution à cet égard, y compris des données statistiques sur les cas identifiés, les poursuites, les condamnations et les sanctions appliquées, ainsi que sur les mesures prises pour assurer la protection et l’assistance des victimes.
La commission déplore vivement l’escalade significative du conflit au Myanmar et la crise humanitaire de grande ampleur qui sévit dans le pays depuis la prise du pouvoir par l’armée en 2021 et qui a eu de graves répercussions sur les moyens de subsistance, les possibilités d’emploi et les migrations de main-d’œuvre et, par conséquent, a placé les travailleurs, les migrants et les personnes déplacées dans une situation de vulnérabilité accrue au travail forcé, y compris à la traite des personnes. Compte tenu du fait que les autorités militaires continuent de nier la gravité de la situation et de l’absence d’institutions démocratiques, comme l’a souligné la commission d’enquête, la commission est profondément préoccupée par le sort des victimes du travail forcé qui n’ont pas accès à des mécanismes légitimes de plainte et de recours qui leur permettraient d’être reconnues comme victimes et de faire valoir leurs droits sans craindre de représailles.
Compte tenu de l’urgence et de la gravité de la situation, la commission prie instamment et fermement les autorités militaires de prendre en compte les demandes de la commission détaillées cidessus et de mettre en œuvre sans délai les recommandations de la commission d’enquête appelant à la cessation ou à l’annulation de toutes les mesures ou actions qui violent la convention, et de fournir des informations sur toutes les mesures prises à cet égard.
© Copyright and permissions 1996-2024 International Labour Organization (ILO) | Privacy policy | Disclaimer