ILO-en-strap
NORMLEX
Information System on International Labour Standards
NORMLEX Page d'accueil > Profils par pays >  > Commentaires

Cas individuel (CAS) - Discussion : 2019, Publication : 108ème session CIT (2019)

Convention (n° 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948 - Türkiye (Ratification: 1993)

Autre commentaire sur C087

Cas individuel
  1. 2019
  2. 2011
  3. 2010
  4. 2009
  5. 2007
  6. 2005
  7. 1997

Afficher en : Anglais - EspagnolTout voir

 2019-TUR-C087-Fr

Discussion par la commission

Représentant gouvernemental – Avant de commencer mes remarques, je souhaite plein succès aux président et vice-présidents de cette commission dans leurs efforts visant à rendre plus fructueux les travaux de cette commission, cela dans un esprit de dialogue constructif, digne du centenaire de l’OIT.

Depuis le dernier examen de ce cas par votre commission à la 100e session de la Conférence internationale du Travail en 2011, la législation de la Turquie sur les syndicats a considérablement évolué. Une nouvelle loi sur les syndicats et les conventions collectives du travail (no 6356) a été adoptée en 2012. Elle a remplacé les lois nos 2821 et 2822 qui avaient suscité des critiques de la commission d’experts pendant de nombreuses années et fait l’objet, à plusieurs reprises, de discussions au sein de cette commission. La nouvelle loi s’applique à toutes les personnes qui sont liées par un contrat de travail dans les secteurs privé et public et régit leur droit de s’organiser et de négocier collectivement. Cette loi est le fruit d’un dialogue social et d’un consensus entre les parties qui, à l’époque, n’étaient pas gagnés d’avance.

Autre changement législatif très important: la modification en 2012 de la loi no 4688 sur les syndicats des fonctionnaires, dont le titre est désormais «loi sur les syndicats de fonctionnaires et les conventions collectives du travail». Elle comporte de nombreuses modifications de grande portée qui visent à reconnaître le droit des fonctionnaires à la négociation collective.

Après avoir esquissé l’évolution des dix dernières années, je voudrais aborder la question des allégations faites par nos partenaires sociaux. En ce qui concerne l’allégation de la TÜRK-IS selon laquelle les travailleurs temporaires occupés par des agences d’emploi privées ne peuvent pas jouir des droits syndicaux parce qu’ils changent souvent de secteur d’activité, je voudrais souligner que ce type de contrat est appelé contrat de travail triangulaire. En vertu de ce contrat, une personne est occupée par une agence de travail temporaire et travaille pour un employeur différent. Ces travailleurs ont le droit de se syndiquer dans la branche d’activité où l’agence de placement déploie ses activités.

En ce qui concerne l’allégation relative aux pressions exercées sur les travailleurs d’entités du secteur public pour qu’ils s’affilient ou non à certains syndicats, je voudrais souligner que la Constitution, le Code pénal et la législation du travail contiennent des dispositions garantissant la protection contre la discrimination antisyndicale. Tant les syndicats que les travailleurs disposent de moyens administratifs et judiciaires pour contester des actes de ce type.

Les actes de discrimination antisyndicale commis par un employeur sont considérés comme des infractions passibles d’une peine allant jusqu’à trois ans d’emprisonnement, conformément aux articles 118 et 135 du Code pénal. En outre, la législation du travail prévoit dans ces cas une indemnisation dont le montant équivaut au moins à un an de salaire et, en cas de licenciement, la possibilité pour la victime d’être réintégrée. Etant donné que les employeurs publics sont également tenus de respecter pleinement la loi dans l’exercice de leurs fonctions, leur responsabilité au regard du droit public est aussi engagée.

En ce qui concerne les libertés civiles, je voudrais rappeler que la Turquie est un pays démocratique, qui respecte l’état de droit. Dans notre pays, aucun syndicat n’a été dissous et aucun de ses responsables n’a été suspendu ou licencié en raison d’activités légitimes.

Avec l’adoption de la loi no 6356 et la modification substantielle de la loi no 4688, le taux de syndicalisation s’accroît constamment et atteint 22 pour cent, secteurs public et privé confondus.

Dans tous les pays démocratiques, il existe un cadre réglementaire pour organiser les réunions et les manifestations. La Turquie ne fait pas exception à la règle. Dans ce contexte, lorsque des syndicalistes enfreignent la loi, détruisent des biens publics ou privés ou cherchent à imposer leurs propres règles pendant des réunions et des manifestations, les forces de l’ordre sont naturellement obligées d’intervenir pour assurer la sécurité publique. Bien sûr, moyennant préavis, des défilés et des manifestations peuvent être organisés.

Il est bizarre de discuter du manque de liberté pour organiser des réunions et des manifestations dans un pays où, cette année, dans plusieurs villes, le 1er mai a été fêté pacifiquement et avec enthousiasme par tous les syndicats et confédérations.

Nous avons surmonté une tentative de coup d’Etat terrible et meurtrière et nous n’aimerions pas qu’un autre pays en fasse l’expérience; 251 citoyens innocents y ont perdu la vie et il y a eu 2 391 blessés. La communauté internationale a également condamné cette tentative de renversement d’un pays démocratique.

Les allégations contenues dans le rapport concernent la période de l’état d’urgence entre juillet 2016 et juillet 2018, lorsque notre pays s’est efforcé de défendre la sécurité nationale et publique. A cet égard, du haut de quelque tribune que ce soit, la dissolution d’organisations liées au terrorisme, qui revêtaient l’apparence de syndicats, ne devrait pas servir de prétexte à l’encontre de la Turquie. En Turquie, les libertés et droits fondamentaux, y compris les droits syndicaux, sont et seront toujours protégés par la Constitution.

Outre le droit de saisir la justice contre tous les actes et actions des diverses administrations, toute personne a également le droit de saisir la Cour constitutionnelle si elle estime que la puissance publique a violé l’un quelconque de ses droits fondamentaux et les libertés garanties par la Constitution, laquelle relève de la portée de la Convention européenne des droits de l’homme.

Comme l’a demandé la commission d’experts, j’ai transmis au secrétariat à titre d’exemple plusieurs textes de décisions de la Cour constitutionnelle qui montrent que les syndicats ou les membres de syndicats disposent de voies de recours efficaces.

Les syndicats et leurs membres sont tenus de respecter la légalité, comme l’exige l’article 8 de la convention no 87. Par exemple, la Cour constitutionnelle a souligné ce point dans un arrêt où elle indique que l’affiliation syndicale ne doit pas nécessairement conduire les agents de l’Etat à agir contrairement à leurs devoirs et responsabilités, même s’ils jouissent de droits constitutionnels. Heureusement, peu de syndicalistes sont liés aux organisations terroristes et se servent de leurs activités pour dissimuler leurs actes illicites. Lorsque ces syndicalistes sont poursuivis en justice, on les présente comme des syndicalistes poursuivis en raison de leurs activités syndicales.

Puisque cela est directement lié à la question des libertés civiles, je voudrais informer votre commission qu’une stratégie de réforme judiciaire a été lancée le 30 mai 2019 par le Président de la République lui-même. Ses principaux objectifs sont: renforcer l’état de droit; protéger et promouvoir plus efficacement les droits et libertés; renforcer l’indépendance du pouvoir judiciaire et améliorer l’impartialité; rendre le système plus transparent; simplifier le processus judiciaire; faciliter l’accès à la justice; renforcer le droit de se défendre et protéger efficacement le droit à un procès dans un délai raisonnable. Un plan d’action clair et évaluable sera également élaboré, et le ministère de la Justice présentera des rapports annuels de suivi.

En ce qui concerne l’article 15 de la loi sur les syndicats des fonctionnaires, je voudrais indiquer que, pour déterminer les catégories de fonctionnaires qui seraient exclues du champ d’application de l’article 15, il a été tenu compte du deuxième paragraphe de l’article 1 de la convention (nº 151) sur les relations de travail dans la fonction publique, 1978. Comme vous vous en souvenez, cette disposition se lit comme suit: «La mesure dans laquelle les garanties prévues par la présente convention s’appliqueront aux agents de niveau élevé dont les fonctions sont normalement considérées comme ayant trait à la formulation des politiques à suivre ou à des tâches de direction ou aux agents dont les responsabilités ont un caractère hautement confidentiel sera déterminée par la législation nationale.»

En principe, tous les fonctionnaires ont le droit de jouir des droits syndicaux mais, en raison de la nature de leurs fonctions, un nombre limité de fonctionnaires sont exclus du champ d’application de la loi. Les restrictions se limitent aux hauts fonctionnaires et aux fonctionnaires de services publics, tels que la sécurité et la justice, dont l’interruption ne peut être compensée.

Sur la question de la suspension de la grève dans les transports publics urbains des municipalités métropolitaines et dans les services bancaires, j’aimerais préciser que le pouvoir de suspendre une grève dans les transports publics urbains n’appartient pas aux municipalités métropolitaines.

L’interdiction de la grève et la suspension de la grève sont deux choses différentes qui sont réglementées dans deux articles distincts de la loi no 6356. Les services dans lesquels les grèves sont interdites sont déterminés à l’article 62 de la loi, tandis que la possibilité, sous certaines conditions, de suspendre la grève pendant soixante jours dans les services susmentionnés est régie par l’article 63.

Il faut garder à l’esprit que, lorsqu’une action de grève est menée pendant une négociation collective en Turquie, elle s’applique à l’entreprise ou au lieu de travail faisant l’objet de la négociation collective, dans son intégralité et pour une durée indéterminée. Par conséquent, si une grève compromet la santé générale, la sécurité nationale ou les transports publics urbains de municipalités métropolitaines, ou encore la stabilité économique et financière des services bancaires, la grève peut être reportée de soixante jours.

Comme l’a demandé la commission d’experts, nous transmettons également copie du décret présidentiel no 5 concernant le Conseil de surveillance de l’Etat. Nous fournirons des informations plus détaillées avec notre rapport, mais je tiens à informer votre commission que le Conseil de surveillance de l’Etat n’a jamais mené d’enquête ou d’audit sur une organisation syndicale ni suspendu un responsable syndical en application du décret présidentiel no 5.

A ce stade, je voudrais indiquer que le conseil tire ce pouvoir de la disposition de l’article 108 de la Constitution, qui existe depuis l’adoption de la Constitution en 1982. En vertu de cette disposition, le conseil avait déjà la faculté d’effectuer toutes sortes d’examens, d’enquêtes et d’inspections dans toutes les entités et organisations publiques, y compris les organisations professionnelles publiques et les syndicats. Je tiens à préciser que le Conseil de surveillance de l’Etat n’a pas le pouvoir de licencier ou de suspendre des responsables syndicaux. Ce pouvoir ne s’applique qu’aux fonctionnaires, et le conseil n’est jamais intervenu dans le fonctionnement interne de syndicats.

Par ailleurs, la dissolution de syndicats et la suspension de leurs dirigeants sont une question qui relève de la législation relative aux syndicats. Comme il s’agit d’une législation spéciale, elle ne peut être annulée ni par des décrets présidentiels ni par des lois à caractère général. En vertu de l’article 31 de la loi sur les syndicats et les conventions collectives du travail, seuls les tribunaux compétents sont habilités à dissoudre des syndicats et, le cas échéant, à suspendre les dirigeants syndicaux responsables d’actes illicites.

Je tiens à souligner que la loi sur les syndicats et les conventions collectives du travail a été élaborée avec la participation active des partenaires sociaux et en tenant compte des dispositions des conventions pertinentes de l’OIT, des directives de l’Union européenne et de la Charte sociale européenne révisée. Elle élargit les droits et les libertés des syndicats et de leurs représentants et garantit leur indépendance.

L’article 29 et le règlement y afférent énoncent les principes du contrôle interne et des audits externes des syndicats. Conformément à leurs dispositions, le contrôle administratif et les audits financiers des syndicats et de leurs confédérations sont effectués par le conseil de surveillance, conformément aux dispositions de leurs statuts et aux décisions de l’assemblée générale de ces organisations.

Sur le dernier point concernant la dissolution de syndicats après la tentative de coup d’Etat du 15 juillet 2016, je voudrais souligner que ces syndicats avaient des liens très étroits avec l’organisation terroriste FETÖ. Comme je l’ai déjà dit, la dissolution de ces syndicats n’est nullement fonction ou établie sur la base de leur statut ou de leurs activités syndicales légitimes.

Néanmoins, je voudrais indiquer que tous les syndicats qui ont été dissous et tous les fonctionnaires licenciés en application d’un décret d’état d’urgence ont le droit de demander à la commission d’enquête une révision de la dissolution ou du licenciement. Même la confédération et les neuf syndicats dissous en raison de leurs liens avec l’organisation terroriste FETÖ ont présenté une demande à la commission d’enquête.

J’aimerais souligner qu’il n’y a eu licenciement ou dissolution directement par décret impératif que pendant l’état d’urgence et que toutes les voies de recours judiciaires contre les décisions de la commission d’enquête existent dans le système judiciaire, y compris la Cour constitutionnelle de la Turquie et la Cour européenne des droits de l’homme.

Enfin, nous présenterons notre rapport en 2019, contenant des informations détaillées sur les faits nouveaux, et nous transmettrons copie des documents que la commission a demandés en vue d’un examen plus approfondi. Nous espérons que, en élaborant ses conclusions, la commission tiendra compte de l’évolution révolutionnaire de la législation turque sur les syndicats.

Membres travailleurs – Nous examinons l’application de la convention par la Turquie et il s’agit d’un cas de double note de bas de page, ce qui n’a rien de surprenant au vu de la gravité et de la persistance des violations de la liberté syndicale qui, nous pouvons le craindre maintenant, sont bien enracinées dans l’attitude du gouvernement vis-à-vis des travailleurs. La dernière fois que nous avons examiné l’application de cette convention par la Turquie remonte à 2011. A l’époque, la commission avait exprimé sa vive préoccupation devant les restrictions imposées aux libertés publiques des syndicats et de leurs membres et l’exclusion arbitraire des syndicats de l’exercice des libertés et droits garantis par la convention.

Bien que le temps ait passé depuis, le rapport de la commission d’experts qui nous est présenté ne montre hélas aucun progrès. Au contraire, la situation s’est encore fortement dégradée ces dernières années, avec la persistance des arrestations arbitraires et la suppression de libertés publiques et de l’exercice pacifique d’activités syndicales légitimes. Le gouvernement a pris des mesures autoritaires en s’ingérant dans les affaires intérieures des syndicats et en imposant de lourdes restrictions au droit d’organisation. La situation est telle que les syndicats sont pratiquement dans l’impossibilité de fonctionner en Turquie.

Depuis 2016 en particulier, le gouvernement justifie les violations continuelles des libertés publiques au prétexte de l’état d’urgence et des décrets qui y sont associés.

La loi sur les réunions et les manifestations est systématiquement utilisée pour interdire de nombreuses activités syndicales légitimes. En septembre 2018, par exemple, quelque 600 travailleurs ont été arrêtés de nuit dans leurs dortoirs pour avoir participé à une action de protestation contre des infractions à la santé et à la sécurité commises pendant la construction du nouvel aéroport d’Istanbul où, d’après des chiffres officiels, 57 travailleurs sont décédés des suites de diverses infractions aux règles de santé et de sécurité. Bien que beaucoup aient été remis en liberté après une détention provisoire, 31 le sont sous caution et dans des conditions de contrôle judiciaire strictes en attente de leur procès pénal.

Dans le cadre des attaques dirigées contre des syndicats indépendants, les autorités ont aussi licencié à plusieurs reprises des travailleurs en raison de leurs activités syndicales. Plus de 11 000 représentants et membres de la Confédération des syndicats de fonctionnaires (KESK) ont été suspendus ou renvoyés pour leurs activités syndicales, au prétexte de la sécurité nationale et des pouvoirs d’urgence. Elles ciblent aussi des activités syndicales pacifiques qu’elles taxent de terroristes, suivant des critères aussi larges que vagues. Cette stigmatisation a eu clairement pour effet de refroidir les travailleurs désireux de se syndiquer. Les syndicats ne sont pas des terroristes, ce climat de crainte doit cesser!

L’absence de respect pour les libertés publiques vide de son sens le concept de droits syndicaux. Le Comité de la liberté syndicale a souligné que la sécurité nationale et les mesures d’urgence ne justifient pas de déroger aux obligations découlant de la convention. La garantie de la liberté d’expression, de la liberté de réunion et de la liberté des activités syndicales ne peut en aucun cas être considérée comme une menace pour la sécurité nationale. Le gouvernement a violé des libertés publiques parce que, prétendument, les syndicats et les travailleurs n’auraient pas respecté ni tenu compte des impératifs de l’état d’urgence ou parce qu’ils auraient eu des activités politiques. A cet égard, nous réitérons l’appel adressé par la commission d’experts au gouvernement pour qu’il prenne des mesures pour «assurer un climat exempt de violence, de pressions ou de menaces de toutes sortes de manière à ce que les travailleurs puissent exercer pleinement et librement leurs droits, conformément à la convention».

Deuxièmement, nous soulevons la question des restrictions imposées aux fonctionnaires qui désirent créer des syndicats et y adhérer. La commission d’experts a souligné en particulier que l’article 15 de la loi no 4688 empêche les agents publics, les magistrats et les gardiens de prison d’exercer leur droit de créer librement des organisations syndicales et d’y adhérer. Bien que cette disposition ait entre-temps été déclarée inconstitutionnelle, nous notons avec préoccupation que des restrictions continuent d’être imposées aux fonctionnaires. Le libellé de l’article 2 de la convention reconnaît le droit des travailleurs, sans distinction d’aucune sorte, de constituer des organisations de leur choix et de s’y affilier. Malgré cela, le gouvernement empêche dans une large mesure un fonctionnaire sur six de se syndiquer, même s’il n’appartient pas aux forces armées ni à la police. Il s’agit là d’une violation flagrante de l’article 2. Le gouvernement devrait revoir d’urgence les chapitres concernés de la loi no 4688, y compris le chapitre 15, en concertation avec les partenaires sociaux.

Troisièmement, nous notons les vives préoccupations exprimées par la commission d’experts à propos d’ingérences excessives des autorités dans les activités syndicales, ce qui est contraire à l’article 3 de la convention. Le principe de non-ingérence dans les activités, les programmes et la gestion des syndicats protège l’indépendance de l’action des syndicats, y compris leur droit de déclencher des grèves.

La commission d’experts souligne en particulier que l’article 63(1) de la loi no 6356 contrevient à l’article 3 de la convention. Cette disposition permet au Conseil des ministres de suspendre les grèves pendant soixante jours et de soumettre unilatéralement le fond du différend à un arbitrage obligatoire si aucun accord ne survient après soixante jours. Bien que la loi indique qu’une telle suspension doit se limiter aux grèves pouvant avoir un effet préjudiciable sur la santé ou la sécurité nationale, elle a donné lieu à une interprétation très large qui a eu pour effet que des grèves dans des services non essentiels ont aussi été interdites dans les faits. Ces excès de pouvoir qui permettent de s’ingérer dans l’activité syndicale légitime ont encore été étendus par le décret no 678 qui permet au conseil de reporter de soixante jours des grèves dans des compagnies locales de transport et des institutions bancaires, contrairement à un précédent arrêt de la Cour constitutionnelle.

En outre, le groupe des travailleurs a de sérieuses préoccupations devant l’adoption du décret no 5 qui expose encore davantage les syndicats à des ingérences indues des autorités. Suivant ce décret, le Conseil de surveillance de l’Etat – une émanation des services de la présidence – est habilité à investiguer et auditionner à tout moment des syndicats et autres associations. De par cette prérogative, tous les documents et toutes les activités des syndicats et d’autres associations peuvent faire l’objet d’une enquête sans les garde-fous et les garanties offerts précédemment par une procédure judiciaire. Cela a pour conséquence que les syndicats sont empêchés d’exercer pleinement et librement leur droit de poursuivre sans crainte leurs activités légitimes. Les syndicats sont forcés d’autocensurer leurs activités et leurs programmes pour ne pas subir de constantes et malveillantes enquêtes et investigations répondant à des motivations politiques. Il s’agit là d’une ingérence et d’une forme déguisée d’autorisation préalable contraire à la convention. C’est un exemple de plus qui montre que la Turquie est devenue un Etat où règnent la crainte et l’oppression.

Toute loi qui donne, de manière directe ou indirecte, aux autorités un droit de regard sur le fonctionnement interne des syndicats, par exemple en allant au-delà de l’obligation pour un syndicat de soumettre des rapports financiers annuels, est incompatible avec la convention. Le gouvernement doit fournir à la commission d’experts des détails sur toute enquête et/ou tout audit qu’il a effectués sur des syndicats, notamment les résultats de ces enquêtes et audits ainsi que les destitutions ou sanctions infligées à des syndicats et à leurs dirigeants.

Enfin, nous sommes vivement préoccupés par la dissolution des syndicats imposée par le gouvernement turc en violation de l’article 4 de la convention. Le décret no 667 prévoit que les syndicats qui s’avèrent avoir des contacts, avoir communiqué avec des groupes et organisations terroristes ou représentant une menace pour la sécurité nationale ou y avoir adhéré seront interdits. La loi ne fait pas de distinction entre le syndicat en tant qu’organisation ayant un but public objectif et ses acteurs individuels. En effet, le décret considère tous les membres du syndicat coupables par association des conséquences d’une dissolution du syndicat.

Conformément à l’article 4 de la convention, les organisations de travailleurs ne sont pas sujettes à dissolution ou suspension du fait du gouvernement. Les organes de contrôle ont conclu que la dissolution ou la suspension d’une organisation syndicale est une forme extrême d’ingérence des autorités dans les activités internes d’organisations de travailleurs. En tant que tels, tous les garde-fous et toutes les garanties nécessaires doivent accompagner toute action à cet égard. Nous regrettons qu’aucun garde-fou ni aucune garantie n’aient été prévus dans le cadre de ce décret. Bien que le gouvernement ait constitué une commission d’enquête pour vérifier son intervention, y compris sous forme de dissolution, après coup, cette procédure ne bénéficie pas de la confiance des victimes et des organisations syndicales en raison de la manière dont elle a été instituée et des résultats enregistrés jusqu’à présent. Elle est entachée d’un manque d’indépendance institutionnelle, de longs délais d’attente, d’une absence de garde-fous qui permettent aux particuliers de réfuter des allégations ou des preuves défaillantes invoquées dans des décisions pour étayer des destitutions.

Pour conclure, nous mettons en avant la nécessité d’un changement de fond pour concrétiser l’application de la convention au bénéfice des travailleurs en Turquie. La source de défis réels ou perçus pour la sécurité n’est pas à trouver chez des syndicats libres et indépendants ni dans la garantie des droits fondamentaux qui définissent une démocratie. En fait, si nous avons appris quelque chose en un siècle d’existence de l’OIT, c’est que la garantie du droit à la liberté syndicale est indispensable pour la justice sociale et la paix.

Membres employeurs – Le groupe des employeurs tient à commencer par remercier le gouvernement pour son intervention de ce jour. Nous notons en particulier l’engagement pris par le gouvernement d’accompagner son rapport de 2019 d’informations détaillées et de fournir copie des documents demandés aux fins d’examen complémentaire par la commission d’experts. Les informations que le gouvernement a communiquées aujourd’hui sont très importantes en ce qu’elles nous permettent de mieux comprendre la manière dont la Turquie applique la convention, les défis qu’elle rencontre et les formules qu’elle a trouvées pour en surmonter certains.

Si l’on considère l’historique de ce cas, il est important de souligner que la Turquie a ratifié la convention en 1993. La commission a discuté de son application par la Turquie à six reprises entre 1997 et 2011, et nous notons que la commission d’experts a formulé au total 19 observations sur l’application de cette convention par la Turquie au cours des années passées. Nous notons également que la Turquie a bénéficié de l’assistance technique du BIT dans le cadre du projet de l’Union européenne sur l’amélioration du dialogue social dans la vie active qui avait pour objet d’accroître la capacité des partenaires sociaux et des institutions publiques concernées à tous les niveaux, y compris par de nombreuses activités de formation aux normes internationales du travail en 2016, 2017 et 2018.

Les questions abordées dans ce cas auquel la commission d’experts a attribué cette année une double note de bas de page concernent quatre grands points que nous allons aborder séparément.

Le premier point cité par la commission d’experts est celui des libertés publiques. Notons tout d’abord que la Confédération syndicale internationale (CSI) et des syndicats turcs font état d’entraves continues aux libertés publiques telles que l’interdiction de manifestations et de communiqués de presse de la part de syndicats turcs, des arrestations de syndicalistes et de responsables syndicaux, et la confiscation des passeports de cadres syndicaux destitués.

Nous notons dans l’observation de la commission d’experts que le gouvernement évoque des situations dans lesquelles les exigences de l’état d’urgence ont été ignorées ou n’ont pas été respectées de manière persistante, ou des activités menées en violation de la loi, par exemple des activités en extérieur contraires à la loi no 291, ou dans lesquelles des fonctionnaires se sont engagés en politique en violation de leur statut. Le gouvernement indique aussi que des voies de recours administratives ou judiciaires internes existent pour contester tous les actes de l’administration. Nous remercions le gouvernement pour les informations qu’il a fournies aujourd’hui à ce sujet parce qu’elles précisent le contexte à prendre en considération.

Le groupe des employeurs est convaincu que le respect effectif des libertés publiques des travailleurs et des employeurs est à la base même de l’exercice de la liberté syndicale au titre de la convention. C’est pourquoi les employeurs invitent le gouvernement à communiquer à l’administration toutes les instructions qui sont nécessaires pour faire en sorte que les violations des libertés publiques, qui sont à la base de la liberté syndicale que défend la convention, ne se répètent plus à l’avenir. Le gouvernement doit aussi fournir des informations sur les résultats éventuels de voies de recours administratif ou judiciaire auxquelles des membres de syndicats ont fait appel.

S’agissant du deuxième point, le droit des travailleurs sans distinction de constituer des organisations et de s’y affilier qui fait l’objet de l’article 2 de la convention, nous notons que, suivant l’article 15 de la loi no 4688 modifiée en 2012, les hauts fonctionnaires, magistrats et gardiens de prison ne jouissent pas du droit d’organisation. Nous croyons comprendre que, dans un arrêt de 2015, la Cour constitutionnelle avait abrogé partiellement cette interdiction, à savoir l’article 15A relatif au personnel de l’organisation administrative de l’Assemblée nationale de Turquie. Nous croyons savoir que les autres restrictions de l’article 15 sont toujours en vigueur.

A notre avis, le gouvernement tente de justifier ces restrictions en invoquant le fait qu’elles se limitent aux services publics dont l’interruption ne peut être compensée, comme la sécurité, la justice et la haute fonction publique.

Les employeurs voudraient profiter de l’occasion pour souligner que le droit de constituer des organisations et de s’y affilier inscrit à l’article 2 de la convention ne donne pas le droit d’interrompre des services ou de faire grève. En d’autres termes, selon nous, le gouvernement ne serait pas empêché par la convention de limiter ou d’exclure le droit de grève pour les hauts fonctionnaires, les magistrats ou les gardiens de prison. Nous avons mis en avant cette position des employeurs à de nombreuses occasions. Il semble par conséquent que les appréhensions du gouvernement ne sont donc pas justifiées et qu’il ne devrait pas priver des travailleurs ou fonctionnaires du droit d’organisation. C’est pourquoi les employeurs invitent le gouvernement à apporter les changements nécessaires à la loi, en particulier à l’article 15 de la loi no 4688, pour faire en sorte que tous les fonctionnaires jouissent du droit d’organisation. Seuls les membres des forces armées et de la police peuvent être exemptés, comme le prévoit la convention.

Sur le troisième point se rapportant au droit des organisations de travailleurs d’organiser leurs activités et de formuler leur programme d’action, les observations de la commission d’experts portent essentiellement sur des dispositions légales qui permettent de suspendre des grèves sous certaines conditions. Pour l’instant, les employeurs souhaitent simplement faire remarquer sur ce point que, à leur avis, ces questions sortent du champ d’application de la convention. De même, le groupe gouvernemental avait, dans sa déclaration de 2015, expliqué que, pour lui, le droit de grève est réglementé au niveau national. Ce point de vue est partagé par les employeurs qui pensent que ces questions peuvent être réglées à l’échelon national.

Les employeurs profitent de cette occasion pour faire prendre acte de leur position suivant laquelle le Comité de la liberté syndicale n’est pas compétent pour vérifier la conformité avec la convention. Son mandat se limite strictement à examiner les allégations d’infractions aux principes de la liberté syndicale et la réalité de la reconnaissance du droit de négocier collectivement inscrit dans la Constitution de l’OIT, dans la Déclaration de Philadelphie et tel que l’exprime la résolution de l’OIT de 1970.

Par conséquent, les employeurs réitèrent que, en l’absence de toute règle relative à l’action du travail dans la convention, le gouvernement peut arrêter et appliquer ses propres règles dans la législation et la pratique nationales en ce qui concerne la question de l’action du travail. Les explications et requêtes formulées par la commission d’experts sur cette question doivent être prises dans ce contexte. En outre, nous notons que, suivant une allégation de la CSI, le décret no 5 de juillet 2018 autorise le Conseil de surveillance de l’Etat (DKK), une institution dépendant directement des services de la présidence, à enquêter et investiguer ainsi qu’à destituer ou changer la direction des syndicats et de certaines autres associations. Sur ce point, nous notons que le gouvernement explique dans son rapport que le DKK ne fait que vérifier la légalité, le bon fonctionnement et l’amélioration de l’administration et qu’il n’existe aucune intention de s’ingérer dans le fonctionnement interne des syndicats.

Nous déduisons du rapport du gouvernement que la compétence en matière de destitution ou de suspension d’administrateurs de syndicats ne s’applique qu’aux fonctionnaires. A cet égard, les employeurs notent qu’il n’appartient pas aux organes du gouvernement de prendre des mesures visant à assurer le bon fonctionnement des syndicats s’agissant de leur gestion. A dire vrai, cette question relève de l’autonomie des organisations syndicales, laquelle est protégée par l’article 2 de la convention.

Toute compétence accordée au DKK, quels que soient les buts poursuivis, pour investiguer ou contrôler des organisations syndicales ou des organisations d’employeurs, qui irait au-delà de la simple demande de déposer des rapports financiers annuels ne serait pas, comme l’a fait remarquer M. Leemans, dans la ligne de la convention. Nous prions le gouvernement de fournir à la commission d’experts un exemplaire du décret no 5, ainsi que des informations sur son application dans la pratique, afin de pouvoir examiner comme il se doit sa compatibilité avec la convention, en particulier pour ce qui est du droit des organisations syndicales et des organisations d’employeurs d’organiser leurs activités sans l’ingérence des autorités gouvernementales.

Enfin, s’agissant du dernier point de la discussion, celui de la dissolution des organisations syndicales, le KHK no 667 prévoit que des syndicats peuvent être interdits sur proposition d’une commission, moyennant l’approbation du ministre concerné, lorsqu’il s’avère qu’ils sont liés à des formations menaçant la sécurité nationale ou à des organisations terroristes, ou qui communiquent avec elles ou y adhèrent. Suivant les allégations formulées par la confédération des syndicats de fonctionnaires DISK, 19 organisations syndicales affiliées représentant 52 000 adhérents ont été dissoutes pour avoir eu des contacts avec une organisation terroriste, la Structure étatique parallèle. Entre-temps a été constituée une commission d’enquête qui traite les plaintes déposées contre des dissolutions d’organisations syndicales. Ses décisions peuvent être contestées devant les juridictions administratives. Bien que le gouvernement n’ait pas donné son point de vue sur ces allégations à la commission d’experts en 2018, il a fourni des informations sur cette question dans sa communication d’aujourd’hui. Nous croyons comprendre que le gouvernement a indiqué que la dissolution des syndicats est une matière réglementée par la législation sur les syndicats et que, suivant l’article 31 de la loi sur les syndicats et les conventions collectives, seules les juridictions compétentes sont habilitées à prononcer la dissolution de syndicats. Bien qu’il apprécie les informations fournies par le gouvernement aujourd’hui, le groupe des employeurs prie le gouvernement de fournir des informations détaillées à ce propos et sur les circonstances entourant en toute situation la dissolution d’un syndicat à la commission d’experts, ainsi que des informations relatives à la restauration des syndicats faisant suite à des décisions de la commission d’enquête ou d’arrêts de juridictions administratives. Ces informations favoriseraient une meilleure compréhension, plus approfondie, de cette question. Le groupe des employeurs remercie le gouvernement pour son exposé d’aujourd’hui et nous profitons de l’occasion pour signifier au gouvernement combien il est important de l’encourager à prendre des mesures pour se conformer totalement à la convention en s’inspirant des commentaires qui lui ont été faits.

Membre employeur, Turquie – J’aimerais présenter les vues et suggestions des employeurs turcs à ce sujet. En ce qui concerne la convention, la commission d’experts prend tout d’abord en considération les plaintes de différentes organisations de travailleurs au sujet des libertés civiles. Compte tenu des observations de la commission d’experts à ce sujet, nous, employeurs turcs, estimons nécessaire d’informer cette commission sur certaines questions.

La première est que le droit à la liberté et à la sécurité de la personne est régi par l’article 19 de la Constitution de la République de Turquie, et que les circonstances et les conditions dans lesquelles ces droits peuvent être restreints sont également spécifiées dans cet article. Ainsi, ces mesures légales assurent la création et l’existence de conditions permettant aux travailleurs et aux employeurs d’exercer pleinement et librement leurs droits découlant de la convention sans être soumis à la violence, à l’oppression ou à la menace. En tant qu’employeurs turcs, nous pensons que la réalisation de ces conditions est nécessaire pour appliquer la convention et que l’écosystème de la vie professionnelle turque est parfaitement conforme aux normes de l’OIT.

Les observations de la commission d’experts sur la Turquie dans le cadre de l’article 2 de la convention visent à rendre l’article 15 de la loi sur les syndicats de fonctionnaires compatible avec la convention. En tant qu’employeurs turcs, nous estimons que tous les travailleurs, sauf quelques exceptions, occupés dans le secteur public devraient jouir du droit syndical. A quelques exceptions près, c’est le cas en Turquie, mais pas seulement: c’est une sorte d’approche conventionnelle dans la plupart des pays.

De fait, la convention no 151, autre convention de l’OIT que la Turquie a ratifiée, dispose que la législation nationale détermine la mesure dans laquelle les garanties prévues par la convention s’appliquent aux agents de niveau élevé, aux personnes dont les responsabilités ont un caractère hautement confidentiel, aux forces armées et à la police. Or les personnes visées à l’article 15 de la loi no 4688 n’ont pas le statut d’agent public, à savoir les travailleurs occupés dans le secteur public, mais le statut d’agent officiel, c’est-à-dire le statut de fonctionnaire. Au regard du droit, ces personnes n’ont pas le statut de travailleur mais celui de fonctionnaire. En conséquence, nous n’avons pas été en mesure de comprendre le raisonnement selon lequel la commission d’experts veut comparer la disposition d’une loi nationale qui s’applique aux fonctionnaires et celle d’une convention qui ne vise que les travailleurs.

De fait, étant donné qu’il existe une disposition spécifique d’une convention relative à cette question et que les dispositions de la législation nationale sont conformes à cette disposition, il n’est pas approprié de procéder à une évaluation dans le cadre de l’article 2 de la convention no 87. La convention no 87 dispose que les travailleurs/fonctionnaires de ces groupes peuvent constituer leurs propres organisations autonomes ainsi que celui de s’affilier à ces organisations. Cela ne signifie pas que les travailleurs/fonctionnaires de ces groupes ou leurs organisations ont le droit de négocier collectivement, voire le droit de faire grève en application de la convention.

Les observations de la commission d’experts sur la Turquie, au titre de l’article 3 de la convention, portent principalement sur les reports de grève et sur leur exécution. Toutefois, la commission d’experts formule une observation sur un sujet pour lequel elle n’est pas autorisée. De fait, la convention ne mentionne ni le mot grève ni le droit de grève et ne garantit en aucune façon ce droit. Par conséquent, le groupe des employeurs est également d’avis que la commission d’experts n’est pas autorisée à commenter les dispositions relatives au report d’une grève ou à la limitation du droit de grève reconnues par la législation nationale. En fait, la faculté d’interpréter les conventions de l’OIT appartient exclusivement à la Cour internationale de Justice.

Conformément à la position du groupe gouvernemental, le droit de grève en Turquie est réglementé par la législation nationale. En Turquie, des lois déterminent la portée du droit de grève, en accord avec le système national des relations professionnelles. Ces lois ont été adoptées dans le cadre d’un processus régulier et démocratique. Leur application peut être contestée devant la Cour constitutionnelle, ce qui a été fait à plusieurs reprises.

Autre point concernant les observations de la commission d’experts sur la Turquie, au sujet de l’article 3 de la convention: l’affirmation selon laquelle la faculté qu’a le Conseil de surveillance de l’Etat de vérifier les comptes des syndicats et d’enquêter sur les syndicats n’est pas conforme aux dispositions de la convention. La faculté de l’Etat de procéder à des inspections administratives et financières des organisations d’employeurs et de travailleurs, prévue par l’article 52 de la Constitution de la République de Turquie, a été supprimée en application de l’article 3 de la loi no 4121. Parallèlement à cette modification, l’article 29 de la loi no 6356 sur les syndicats et les conventions collectives du travail dispose que le contrôle des syndicats est exercé par leurs propres organes de contrôle et que l’audit financier est effectué par des experts-comptables agréés.

Ainsi, l’article 108 de la Constitution de la République de Turquie régit le Conseil de surveillance de l’Etat. Le conseil procède à ses examens dans le but de veiller à la légalité, au fonctionnement régulier et efficace et à l’amélioration de l’administration. L’affirmation selon laquelle le Conseil de surveillance de l’Etat a le pouvoir de licencier ou de changer les administrations syndicales, entre autres allégations de la CSI, est sans fondement puisque le pouvoir de licenciement ou de suspension est une disposition qui vise uniquement les fonctionnaires. Dans ce contexte, le décret présidentiel no 5 n’impose aucune réglementation en dehors du cadre prévu par la Constitution en matière de liberté syndicale et de droit d’organisation.

Autre point concernant les observations de la commission d’experts sur la Turquie, au sujet de l’application de l’article 4 de la convention: la dissolution de syndicats.

Comme on s’en souviendra, il n’y a pas longtemps, on a tenté de renverser le gouvernement turc: 251 personnes ont été tuées et plus de 2 000 blessées à la suite de cette tentative de coup d’Etat. Les employeurs turcs condamnent toutes les attaques terroristes ou actes inconstitutionnels visant à prendre le pouvoir et à renverser la démocratie. Après la tentative de coup d’Etat du 15 juillet 2016, une commission d’enquête a été instituée. Elle peut recevoir des demandes contre la dissolution de syndicats pendant l’état d’urgence, et ses décisions sont susceptibles de recours devant les tribunaux administratifs d’Ankara. Les motifs de dissolution de syndicats peuvent être examinés par les tribunaux administratifs en Turquie à la suite d’une demande, ce qui constitue un recours légal régulier et effectif.

Enfin, je tiens à souligner que les employeurs turcs accordent la priorité absolue au système de contrôle de l’OIT. Nous estimons que la crédibilité et la transparence doivent être respectées au sein de la commission afin d’assurer un niveau élevé d’observation des normes internationales du travail.

Membre travailleur, Turquie – Le droit des travailleurs d’adhérer librement à un syndicat est garanti par l’article 51 de notre Constitution et par l’article 19 de la loi no 6356 sur les syndicats et les conventions collectives.

L’article 31 de la loi no 2821 sur les syndicats qui était d’application avant la loi no 6356 prévoyait que le fait d’employer un travailleur ne peut être associé à une affiliation syndicale spécifique. Une peine d’emprisonnement et une amende judiciaire étaient prévues en cas de violation de cette disposition. Or la nouvelle loi no 6356 ne prévoit qu’une amende judiciaire. En fait, l’article 118 du Code pénal turc prévoit aussi une peine de prison au cas où des travailleurs sont forcés de s’affilier à un syndicat ou d’en démissionner. Mais vu que le maximum est de deux ans, la peine d’emprisonnement peut se terminer par la suspension du prononcé du jugement. C’est pourquoi il faudrait durcir les sanctions pour les cas de violation des droits d’organisation ou de la législation en vigueur. Le rapport de la commission d’experts comporte une série de situations dans lesquelles le certificat de compétence à négocier collectivement peut être retiré par les autorités. Ce sont en particulier la désignation des branches d’industrie ou des compétences et la durée des procédures judiciaires qui sont sujettes à préoccupation.

Nous convenons des améliorations apportées à la législation depuis que ce cas est discuté par la commission. Toutefois, nous sommes toujours confrontés à des licenciements pour cause d’affiliation syndicale, en particulier dans le secteur privé. Les syndicats et les travailleurs qui doivent résoudre tous les problèmes de procédure sont alors confrontés aux pressions exercées par les employeurs. Ils sont contraints de démissionner de leur syndicat ou de s’affilier à des syndicats que leur désignent leurs employeurs.

Il faut des sanctions légales pour protéger les droits d’organisation des travailleurs, et les mettre dans les conditions nécessaires exemptes de toute pression ou menace nécessite un changement de mentalités et une prise de conscience que les problèmes doivent être réglés par le dialogue social.

Conformément à nos demandes précédentes et aux discussions de ce cas par la commission, des seuils ont été négociés avec les gouvernements, et le seuil national a été abaissé de 10 à 1 pour cent. C’est la conséquence du consensus obtenu à l’issue des négociations entre les parties. Ce point a aussi été discuté en détail lors des précédentes missions du Bureau.

Du fait de cet abaissement du seuil national et de la demande d’affiliation par voie électronique qui remplace l’onéreuse procédure antérieure devant notaire, on a vu progresser les taux de syndicalisation. Toutefois, comme le signale le rapport de la commission d’experts, nous avions indiqué précédemment qu’il n’est pas toujours facile d’atteindre les seuils de 50 pour cent d’un lieu de travail et 40 pour cent d’une entreprise dans un contexte de progression des régimes d’emploi flexible, sachant que nous sommes favorables au principe d’«un syndicat compétent par lieu de travail».

Comme il est dit dans le rapport de la commission d’experts, la loi no 6356 stipule qu’une grève peut être reportée de soixante jours par voie de décret pour motif d’atteinte à la santé publique ou à la sécurité nationale. Le gouvernement devrait veiller à ce qu’il ne soit pas fait mauvais usage de cette disposition. Quelque 800 000 travailleurs sous-traitants sont employés dans les lieux de travail correspondants en application d’un décret no 696 de 2018. Il faudrait aussi que le gouvernement s’assure que ces travailleurs transférés d’entreprises sous-traitantes jouissent pleinement de leurs droits en matière d’organisation et de négociation collective.

Comme l’indique le rapport de la commission d’experts, la Turquie a traversé une période de crise aiguë après la tentative ratée de coup d’Etat. L’organisation terroriste FETO qui était derrière ce coup d’Etat voulait supprimer toutes les institutions démocratiques et constitutionnelles et renverser le gouvernement, et elle est responsable de la mort de 251 citoyens turcs, y compris nos six membres, et de plus de 2 300 blessés dans la population civile. Sur cette question, les canaux administratifs et judiciaires devraient rester ouverts et les commissions en activité devraient rapidement achever leur travail.

Etant un des pays qui bénéficient beaucoup de l’OIT et de sa structure tripartite, nous aimerions que le gouvernement trouve des solutions à tous ces problèmes en étroites concertation et coopération avec les partenaires sociaux.

Un autre membre travailleur, Turquie – Je vais concentrer mon intervention sur les questions liées aux agents de la fonction publique. La Turquie a approuvé la convention no 87 ainsi que beaucoup d’autres conventions au début des années quatre-vingt-dix. Notre confédération TURKiYE KAMU-SEN (Confédération turque des syndicats de fonctionnaires) a vu le jour en 1992, lorsqu’il n’existait aucune base législative ni constitutionnelle sur une quelconque affiliation syndicale des fonctionnaires. La raison en est qu’à l’époque les agents de la fonction publique ne jouissaient pas des droits syndicaux, et il leur a été interdit de s’affilier à un syndicat jusqu’en 2011 quand a été adoptée la première loi no 4688 sur la fonction publique.

Entre 2001 et 2012, les syndicats des agents de la fonction publique fonctionnaient comme des organisations ordinaires plutôt que comme des syndicats. Cela s’explique par le peu de droits accordés par la Constitution et par la loi. En 2010, certains articles de la Constitution, dont ceux portant sur les syndicats, ont été modifiés par voie de référendum et, du fait de ces modifications, certains articles de la loi sur les syndicats de fonctionnaires ont été changés deux ans après ledit référendum.

Bien entendu, les syndicats de fonctionnaires ont obtenu des améliorations pour le syndicalisme de la fonction publique, mais il existe encore de nombreuses entraves en termes de liberté syndicale, du point de vue de la convention comme dans la pratique. Malgré une base législative nationale et internationale identique, les droits syndicaux des fonctionnaires souffrent toujours de 12 handicaps par comparaison avec les droits syndicaux de la population active.

En ce moment, la Turquie accueille un grand nombre d’immigrants et subit beaucoup de tentatives terroristes. La plus importante a été la tentative de coup d’Etat qu’ont fait avorter en sept heures les forces de sécurité, le gouvernement, les syndicats, beaucoup d’autres institutions démocratiques et une très grande partie de la société. Cette tentative de coup d’Etat était organisée par le groupe terroriste FETO. Toutes ces tentatives avaient pour but de mettre à bas la stabilité économique et sociale de la Turquie.

Après le 15 juillet 2016, en particulier, beaucoup de fonctionnaires ont fait l’objet d’enquêtes et ont été destitués en grand nombre. Au cours de cette période extraordinaire, tout n’était pas seulement blanc ou noir. Actuellement, la situation se normalise en Turquie, et une commission d’enquête composée de sept membres issus principalement de hautes juridictions a été constituée pour se pencher sur la question. Sa tâche devrait être ardue pour régler ce problème dans de brefs délais pour les personnes qui pourraient être innocentes.

Enfin, le cas de la Turquie a été discuté pour des motifs divers plus de dix fois par la commission depuis 2003. Ces dernières années, la Turquie a accueilli une mission de haut niveau du BIT. Certaines années, elle était supposée soumettre à la commission un rapport attestant d’une amélioration de la situation.

Actuellement, nous sommes plus optimistes parce que nous avons une nouvelle et très jeune ministre du Travail. Elle et son équipe sont au courant des problèmes et connaissent les enjeux. Sur le plan législatif, nous disposons de tous les types de mécanismes de dialogue social qu’il faut encore mettre en œuvre en pratique. L’OIT définit une vision de son centenaire axée sur une vie de travail décent et dans la paix. Dans le cas de la Turquie, nous devons nous attacher à une même vision pour notre avenir, afin de résoudre tous les problèmes, y compris celui de la liberté syndicale.

Membre gouvernemental, Roumanie – Je m’exprime au nom de l’Union européenne (UE) et de ses Etats membres. La Norvège, pays membre de l’Association européenne de libre-échange (AELE) et de l’Espace économique européen (EEE), s’associe à cette déclaration. Nous nous sommes engagés, au titre de notre cadre stratégique en matière de droits de l’homme, à promouvoir la ratification universelle et l’application des huit conventions fondamentales, et nous accordons la plus haute importance à la liberté syndicale et au droit de négociation collective. A cet égard, le respect des conventions nos 87 et 98 de l’OIT est essentiel. La Turquie est un partenaire essentiel de l’UE, ainsi qu’un pays candidat. Lors du dernier Conseil d’association UE-Turquie, qui s’est tenu à Bruxelles en mars 2019, l’UE a réaffirmé l’importance des relations entre l’UE et la Turquie. L’UE et ses Etats membres ont immédiatement et fermement condamné la tentative de coup d’Etat du 15 juillet 2016. Toutefois, trois ans plus tard et alors que l’état d’urgence a été levé, nos inquiétudes demeurent quant à la situation qui reste profondément préoccupante en ce qui concerne les droits fondamentaux et l’état de droit, ainsi que les pressions que subit la société civile, notamment compte tenu des nombreuses arrestations et des interdictions récurrentes de manifestations et d’autres types de rassemblement. Nous insistons aussi sur l’importance de veiller à ce que la commission d’enquête sur les mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence constitue une voie de recours efficace pour les personnes injustement touchées par les mesures collectives adoptées à grande échelle à la suite de la tentative de coup d’Etat. En ce qui concerne le cas qui nous occupe aujourd’hui, relatif à la convention sur la liberté syndicale et la négociation collective, nous souhaitons souligner que la mise en place d’un environnement propice au dialogue social et à la confiance entre les employeurs, les travailleurs et le gouvernement est essentielle à la stabilité sociale et économique. Nous sommes préoccupées par les récentes arrestations de membres et de responsables syndicaux lors de manifestations – notamment contre les conditions de travail et de vie sur le chantier du nouvel aéroport d’Istanbul – et par le retrait du passeport à des dirigeants syndicaux et d’autres restrictions des libertés civiles, comme l’interdiction de manifester et de faire des déclarations à la presse. Nous croyons savoir que des procès sont toujours en cours, et nous espérons que les décisions de justice respecteront l’état de droit et les conventions nos 87 et 98 que la Turquie a ratifiées. Les travailleurs doivent disposer du droit de se syndiquer et de s’affilier aux organisations de leur choix, y compris dans le secteur public. Nous prenons dûment note des allégations de la KESK selon lesquelles des restrictions sont toujours imposées à un fonctionnaire sur six en Turquie. Dans ses précédents commentaires, la commission d’experts a déjà prié le gouvernement de revoir l’article 15 de la loi no 4688, telle que modifiée. Nous prions donc le gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour modifier cette loi afin de lever les restrictions du droit de se syndiquer, contraires à la convention, et de faire en sorte que tous les fonctionnaires, y compris dans les secteurs de la justice et de la sécurité, et les hauts fonctionnaires aient le droit de constituer des organisations syndicales de leur choix et de s’y affilier. Nous insistons aussi sur le fait que les travailleurs doivent être libres de s’affilier aux syndicats de leur choix sans subir aucune pression de la part de leur employeur. En outre, il ne doit y avoir aucune ingérence des autorités publiques dans le programme et l’organisation des syndicats. D’après le rapport de la commission d’experts, le Conseil de surveillance de l’Etat – une institution rendant directement compte au bureau du Président – a été investi de pouvoirs très vastes, comme celui d’investiguer et de vérifier à tout moment les comptes de syndicats et d’associations professionnelles. Selon la CSI, ce conseil peut aussi en remplacer la direction. Le rapport de la commission d’experts rappelle que de tels pouvoirs ne devraient pas dépasser l’obligation de soumettre des rapports financiers annuels ni permettre le contrôle du fonctionnement interne des syndicats, faute de quoi ils seraient incompatibles avec la convention. Nous souhaiterions donc davantage d’informations sur le rôle et les activités du Conseil de surveillance de l’Etat, sur les enquêtes déjà menées sous son autorité et sur leurs résultats. Nous sommes également préoccupés que l’application de l’article 63 de la loi no 6356 et du décret ayant force de loi (KHK) no 678 enfreigne indûment le droit des organisations de travailleurs d’organiser leurs activités sans ingérence du gouvernement. La commission d’experts rappelle qu’une série de grèves ont été suspendues sur la base de ces textes pourtant déclarés inconstitutionnels par la Cour constitutionnelle. Nous souhaiterions avoir plus d’informations de la part du gouvernement sur l’application de ces deux lois. Enfin, nous tenons à souligner la situation particulièrement catastrophique et incertaine de nombreux membres syndicaux du secteur public qui ont été licenciés et de syndicats qui ont été dissous après la tentative de coup d’Etat. Il est essentiel de veiller à ce que toutes les organisations et tous les membres syndicaux qui souhaitent que leur situation soit réexaminée puissent saisir la commission d’enquête et à ce que la commission et les juridictions administratives d’appel étudient attentivement les motifs de dissolution des syndicats ou de licenciement des membres syndicaux. Nous souhaiterions avoir plus d’informations sur les travaux de cette commission et surtout sur le nombre de demandes présentées par des syndicats dissous et de cas examinés par la commission et sur les conclusions de cet examen. En ce qui concerne les syndicalistes du secteur public qui ont été licenciés, nous nous inquiétons de l’importante accumulation de cas toujours en suspens concernant des personnes touchées par les mesures adoptées lors de l’Etat d’urgence et du très faible nombre de réintégrations (7,5 pour cent en mai 2019). Nous prions instamment le gouvernement de la Turquie d’adopter rapidement les mesures nécessaires pour garantir un climat exempt de violence, de discrimination, de pressions ou de menaces afin que tous les travailleurs et tous les employeurs puissent exercer les droits qui leur sont reconnus par la convention dans le pays. L’UE et ses Etats membres continueront de coopérer avec la Turquie et de suivre la situation de près.

Membre gouvernemental, Qatar – La Constitution turque garantit l’égalité entre tous les citoyens devant la loi sans discrimination aucune fondée sur la langue, la race, la couleur de peau, la confession, etc. Le gouvernement a pris des mesures à la suite de la tentative de coup d’Etat. A notre avis, ces dispositions ne visaient pas les syndicats, il s’agissait simplement de mesures contre ceux qui avaient préparé ce coup d’Etat militaire.

Nous avons noté que le nombre de syndicats a augmenté entre 2013 et 2019. En fait, il a triplé. Cela montre clairement que le gouvernement turc a créé un cadre favorable aux syndicats, qui garantit et protège les droits de leurs membres. Qui plus est, la Constitution turque a reconnu toutes les libertés fondamentales, y compris la liberté syndicale.

Notre pays considère que la Turquie lutte pour la justice sociale, conformément à l’objectif de notre Organisation. Nous demandons donc à la commission d’évaluer le cas de la Turquie en ayant à l’esprit ce que je viens d’exposer. Nous appuyons la déclaration du gouvernement turc à ce sujet et nous demandons à la commission d’en tenir compte lorsqu’elle arrivera à ses conclusions.

Observateur, Confédération syndicale internationale (CSI) – Je tiens à exprimer mon souhait pour que nos réunions apportent des solutions aux problèmes rencontrés par les travailleurs, et pour cela je vais dresser un bilan général des événements survenus dans le cadre de la convention.

Le gouvernement soutient ouvertement les confédérations et les syndicats affiliés qui sont dans la même ligne politique que la sienne. Bien que cela soit contraire aux normes de l’OIT, le gouvernement adopte une pratique discriminatoire selon les confédérations et les syndicats. La discrimination syndicale s’étend de la promotion à l’affectation à une place du système de convention collective ainsi qu’aux nominations dans le secteur public, par exemple lors des examens de promotion. La décision est prise non en fonction des connaissances et de la compétence des employés dans le secteur public, mais en fonction du syndicat auquel ils sont affiliés.

Les nouvelles mesures qui sont entrées en vigueur lors de l’état d’urgence sont devenues permanentes et, ainsi, le droit d’association a pris un sérieux coup. Avec les décrets ayant force de loi promulgués pendant l’état d’urgence, environ 130 000 travailleurs du secteur public ont été licenciés sans aucune enquête ni procédure judiciaire, et ce sans aucune possibilité de défense. A l’heure actuelle, 4 510 travailleurs publics membres de syndicats affiliés aux caisses sont toujours démis de leurs fonctions. Les sanctions de licenciement durant la période de l’état d’urgence étaient uniquement fondées sur l’avis des cadres du secteur public, des responsables administratifs, dont la plupart d’entre eux sont nommés par le pouvoir politique, des dénonciations anonymes et un système de personnes fichées. Les moyens d’opposition à cette injustice pour les employés licenciés du service public ont été bloqués.

Une commission appelée «Commission de l’état d’urgence» a été créée environ six mois après l’annonce de l’état d’urgence et a commencé ses activités treize mois après. Tous les membres de cette commission, composée de sept personnes, ont été nommés par le gouvernement, et le président a été autorisé à les démettre de leurs fonctions. Dans ces circonstances, il est impossible de s’attendre à ce que la commission prenne une décision juste. Ainsi, la commission a statué sur environ 70 406 demandes sur un total de 126 120 demandes déposées à ce jour. Pour 65 156 d’entre eux, ce qui fait 92,5 pour cent, cela a abouti à un rejet. Seuls 7,4 pour cent d’entre eux, ce qui fait un total de 5 250 employés du secteur public, ont été réintégrés dans leurs fonctions.

Ainsi, permettez-moi de souligner ces deux points: le nombre de travailleurs du secteur public interdits de se syndiquer est en augmentation et l’interdiction de grève continue. En Turquie, les obstacles juridiques pour les travailleurs du secteur public de s’affilier à un syndicat se sont accrus. Un employé sur neuf du secteur public est empêché par la loi d’être membre d’un syndicat. Ceci est également expliqué en détail dans le rapport de la commission d’experts. Malgré cela, le régime d’interdiction de la grève des travailleurs du secteur public en Turquie est toujours en vigueur; deuxièmement, la répression sur le KESK a augmenté. Pour ce qui est des droits et de la liberté syndicale, notons que toute manifestation collective et tous les communiqués de presse que nous souhaitons faire sont entravés pour des raisons sans fondement juridique.

Membre gouvernemental, Ukraine – Il est largement admis que la convention no 87 est un instrument essentiel de l’OIT, un élément fondamental du tripartisme, de la négociation collective et du dialogue social, sans lequel la liberté syndicale et l’égalité au travail ne seraient pas possibles. L’Ukraine est partie à la convention depuis 1956. Elle reconnaît pleinement et apprécie toute l’importance que joue ce document international indispensable en tant que mécanisme efficace pour garantir les principes qui permettent aux travailleurs et aux employeurs d’exercer librement leur droit d’organisation. Malgré son importance, la convention reste malheureusement l’une des moins ratifiées de toutes les conventions fondamentales de l’OIT. Le rapport récurrent sur le dialogue social, qui a été examiné l’année dernière lors de la session de la Conférence internationale du Travail, ainsi que le rapport récurrent de la Commission pour les principes et droits fondamentaux au travail, présenté en 2017, soulignent fermement la nécessité de promouvoir davantage l’universalisation et le respect de ce traité essentiel. L’Ukraine reconnaît donc les efforts entrepris par son pays voisin, la Turquie, pour se conformer à la convention, en particulier ceux déployés pour adopter une législation syndicale nationale pertinente. L’Ukraine espère une coopération plus fructueuse entre la Turquie et l’OIT dans tous les domaines sociaux et du travail nécessaires, y compris le renforcement du dialogue social aux niveaux national et international.

Membre travailleur, Belgique – Avant-hier précisément, on nous a montré une vidéo rappelant l’importance de la Commission de l’application des normes, les moments forts de cette commission et tout ce que l’Organisation internationale du Travail dans son ensemble a vécu au cours de son siècle d’existence. Parmi ces moments forts figure la contribution très appréciée de l’OIT à la création et à la reconnaissance d’un syndicat réellement indépendant et autonome en Pologne.

- La Turquie a ratifié la convention en 1993. Le texte de la convention est clair: «Les travailleurs et les employeurs, sans distinction d’aucune sorte, ont le droit, sans autorisation préalable, de constituer des organisations de leur choix, ainsi que celui de s’affilier à ces organisations, à la seule condition de se conformer aux statuts de ces dernières.»

- «Les organisations de travailleurs et d’employeurs ont le droit d’élire librement leurs représentants.»

- «Les autorités publiques doivent s’abstenir de toute intervention de nature à limiter ce droit ou à en entraver l’exercice légal.»

- «La législation nationale ne devra porter atteinte ni être appliquée de manière à porter atteinte aux garanties prévues par la présente convention.»

Malgré l’absence d’ambiguïté de ces textes, à notre grand regret, la Turquie a adopté en juillet 2018 le décret présidentiel no 5 instituant le Conseil de surveillance de l’Etat, qui est investi de l’autorité d’investiguer et de vérifier à tout moment les comptes de syndicats, d’associations professionnelles, de fondations et d’associations. Il a même un pouvoir discrétionnaire qui l’habilite à remplacer ou modifier la direction de syndicats. Il s’agit là de l’une des violations les plus flagrantes et les plus incontestables d’une des conventions fondamentales de l’OIT qui porte sur l’un des principes et droits fondamentaux au travail, à savoir sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical. Il incombe à notre commission de garantir la bonne application des normes de l’OIT.

Dans ce cas, la conclusion s’impose: la Turquie doit faire en sorte que les syndicats turcs soient réellement indépendants et autonomes. Le fait que le gouvernement a la possibilité de remplacer ou de changer la direction des syndicats n’a pas seulement pour effet de restreindre le fonctionnement de syndicats réellement indépendants et autonomes, elle rend tout simplement impossible leur fonctionnement en tant que tels. Soyons clairs, cela ne se limite pas aux organisations syndicales; le fait de pouvoir remplacer ou changer la direction d’organisations d’employeurs constituerait une violation tout aussi grave de la convention.

Pour conclure cette intervention, nous renvoyons à l’abondant recueil de décisions du Comité de la liberté syndicale. Le chapitre 7 de ce recueil publié l’an dernier traite en profondeur du droit des organisations d’élire librement leurs représentants. Il va sans dire que le remplacement d’une direction constitue une grave entrave au libre exercice des droits syndicaux et n’est pas compatible avec le principe de la liberté syndicale, que ce soit dans le cas des salariés du privé ou dans celui des salariés du secteur public.

Membre gouvernementale, Maroc – Je voudrais tout d’abord remercier le gouvernement de la Turquie pour les informations qu’il a fournies et qui constituent des éléments de réponse aux différents commentaires et observations formulés à cet égard par la commission d’experts.

En effet, les commentaires de la commission d’experts portent sur un certain nombre de sujets en relation directe avec la mise en œuvre de la convention, notamment en ce qui concerne les droits des fonctionnaires de constituer ou de s’affilier à des organisations de leur choix, le contrôle du fonctionnement interne des syndicats, la dissolution des syndicats.

Le représentant de la Turquie a apporté des explications et des éclaircissements importants tout en signalant que la Turquie a vécu une situation particulière en étant confrontée à une menace pour sa sécurité nationale en 2016.

En se référant à ses explications et particulièrement au fait que les droits et les libertés fondamentaux sont protégés par la Constitution, les fonctionnaires turcs ont le droit de s’organiser, et que les restrictions sont limitées aux hauts fonctionnaires dans certains domaines tels que la sécurité et la justice, les organisations de travailleurs ont le droit d’organiser librement leurs activités dans la mesure où elles sont conformes à la législation nationale. Tous les syndicats ont le droit de contester les décisions de dissolution en s’adressant à la commission d’enquête.

A cet effet, nous appuyons les efforts déployés par le gouvernement de la Turquie et nous l’invitons à redoubler d’efforts pour mettre en conformité la législation et la pratique nationales avec les dispositions et les principes de la convention no 87.

Observateur, Internationale de l’éducation (IE) – Plusieurs infractions sont reprises sous l’intitulé «Libertés publiques». En tant que membre d’un syndicat du secteur de l’éducation, je dois dire que les licenciements, les suspensions, les déportations, les transferts d’un lieu de travail à un autre sans l’assentiment du travailleur sont des pratiques auxquelles les syndicalistes turcs sont confrontés depuis très longtemps, et tout cela est consigné dans le rapport de la commission d’experts.

Lorsqu’il est interrogé à ce sujet, le gouvernement répond habituellement que ces syndicalistes ont des activités contraires à la législation. Or, en réalité, les actions de ces syndicalistes ne font pas l’objet d’enquêtes et ne sont pas réprimées en raison du fait qu’elles sont contraires à la législation. Les mesures prises par les gouvernements découlent d’une volonté de réprimer des syndicats considérés comme dissidents. De même, les responsables syndicaux sont confrontés chaque jour à des interdictions de manifestations, de réunions de masse, de rassemblements de syndicalistes et à des arrestations, destitutions et procès qui, comme l’expliquent les rapports de la commission d’experts, mettent les syndicalistes turcs dans l’impossibilité de mener une activité syndicale indépendante. A titre d’exemple, le secrétaire général d’Egitim Sen a été arrêté le 4 mai pour avoir assisté à une conférence de presse. Du fait de cette arrestation, il n’a pas été autorisé à se rendre à l’étranger, les autorités locales lui ayant interdit de voyager et ayant confisqué son passeport. Il aurait dû être parmi nous, à cette Conférence de l’OIT, mais il en a été empêché. Alors, peut-on parler de liberté syndicale et de droit d’organisation dans ce type de situation? La discrimination à l’encontre d’organisations syndicales en raison de leur proximité ou non avec le pouvoir est un autre problème de dimension. Utiliser la puissance et les instruments de l’Etat pour favoriser des syndicats progouvernementaux est une autre façon d’agir inacceptable. Comment un syndicaliste peut-il, dans de telles conditions, jouir du droit à la liberté syndicale et du droit d’organisation? Ces droits ne peuvent devenir une réalité que lorsqu’ils sont tous protégés par la législation nationale ou le droit international et les conventions internationales.

Les droits syndicaux et les libertés syndicales sont ou doivent être protégés par des conventions internationales, notamment par les conventions de l’OIT et par les législations nationales. L’article 90 de la Constitution turque considère que les conventions internationales dûment rectifiées priment sur la législation nationale. Or on voit bien que le gouvernement ne se conforme pas à ces obligations à cet égard. Par conséquent, dans le cas présent, les rapports et les interventions montrent clairement que la convention est considérablement violée et bafouée.

Membre gouvernementale, Cuba – Ma délégation souhaite réaffirmer l’importance de continuer à promouvoir le tripartisme et le dialogue social dans tous les pays, en vue d’éliminer les différences qui existent dans le monde de travail et favoriser une meilleure protection des droits des travailleurs; c’est là un objectif que nous devrions tous poursuivre en permanence. C’est pourquoi nous reconnaissons les progrès accomplis par le gouvernement de la Turquie et nous l’encourageons à poursuivre ses efforts en ce sens.

Nous soulignons aussi qu’il convient de continuer à promouvoir, dans le cadre de l’OIT, les mesures et les programmes qui appellent à l’assistance technique aux pays et qui permettent aux gouvernements de relever les défis qui se posent dans le monde du travail, dans un esprit de coopération et d’échange.

Observateur, Fédération internationale des ouvriers du transport (ITF) – Lorsque nous examinons des cas individuels de violation des droits civils dont sont victimes les syndicalistes en Turquie, il est toujours intéressant de s’intéresser à la situation générale parce qu’on constate généralement qu’une série de violations de la convention surviennent dans le contexte d’une répression gouvernementale contre des activités syndicales légitimes.

Permettez-moi de vous communiquer un exemple concernant TÜMTIS, un syndicat affilié à l’ITF. A la fin de 2017, lorsque le personnel d’une grande entreprise de fret de la province de Gaziantep a rejoint TÜMTIS, l’employeur a tenté d’obliger les travailleurs à quitter le syndicat. Face au refus des travailleurs, la société a renvoyé neuf personnes et les a violemment expulsées des locaux. Les certificats d’incapacité que les services médicaux ont délivrés aux travailleurs concernés attestent du niveau de violence dont ils ont été victimes.

Lorsque Kenan Ozturk, le président de TÜMTIS, et quatre autres responsables du syndicat ont rendu visite aux travailleurs injustement licenciés et ont organisé une conférence de presse, ils étaient loin de s’imaginer que le procureur était déjà occupé à rédiger un acte d’accusation à leur encontre. M. Ozturk et ses collègues ont été accusés d’avoir enfreint la désormais tristement célèbre loi no 2911 sur les rassemblements et les manifestations. Le procureur réclame des peines allant de dix-huit mois à trois ans de prison parce que ces responsables ont eu l’audace de tenir une conférence de presse et de parler avec leurs membres.

La deuxième audience pour ce dossier aura lieu dans quatre semaines, le 9 juillet. Cette affaire contre TÜMTIS et ses dirigeants n’est pas un cas isolé. La présente commission connaît le dossier du cas no 3098 examiné par le Comité de la liberté syndicale. En effet, un dirigeant de TÜMTIS, Nurettin Kilicdogan, croupit en prison à l’heure où je vous parle. Un tel niveau de harcèlement judiciaire engendre un climat d’intimidation et de crainte, préjudiciable au développement des activités syndicales.

J’aimerais aussi informer la présente commission du cas d’une autre grève qui a été repoussée en vertu de l’article 631 de la loi no 6356 depuis que la commission d’experts a publié ses observations. Une grève qu’un syndicat de cheminots affilié à l’ITF souhaitait organiser à Izmir a été officiellement suspendue par un décret présidentiel le 8 janvier 2019. Le décret, signé par le Président Erdogan lui-même, confirme que la grève a été reportée parce qu’elle était, je cite, de nature à «perturber les services de transport publics urbains». C’était la première fois que l’article 631 était invoqué pour le secteur des transports internes.

Pour reprendre les propos du bâtonnier d’Izmir, «cette décision est un coup porté aux droits au travail, à la démocratie et au droit de faire grève. Elle est dépourvue de tout fondement juridique et est contraire à la Constitution, aux lois nationales et aux conventions internationales». Pour les travailleurs des transports et leurs syndicats en Turquie, la situation devient désespérée. Nous espérons sincèrement que, tôt plutôt que tard, les travailleurs et les syndicats du secteur des transports, et évidemment tous les travailleurs et syndicats, pourront exercer pleinement leurs droits syndicaux en toute liberté.

Membre gouvernemental, Azerbaïdjan – Nous sommes persuadés que cette importante commission devrait servir d’enceinte pour des discussions constructives axées sur l’amélioration du respect des normes internationales du travail. Nous accueillons avec satisfaction les informations communiquées par le gouvernement de la Turquie et nous le félicitons de sa volonté et de son engagement à interagir et à coopérer de manière constructive avec l’OIT. Nous nous félicitons en particulier de l’empressement du gouvernement turc à fournir à la commission d’experts le complément d’information qui devrait lui permettre de mieux évaluer la situation en Turquie.

Nous invitons le gouvernement de la Turquie à continuer à poursuivre ses efforts pour modifier les lois concernées en concertation avec les parties concernées, en particulier les partenaires sociaux, et à continuer à fournir des informations sur les progrès accomplis à cet égard. Nous appelons l’OIT et ses Etats Membres à soutenir le gouvernement de la Turquie et à lui fournir l’assistance technique qu’il pourrait solliciter à cet égard.

Membre travailleuse, Allemagne – En 1970, la Conférence internationale du Travail a adopté à une large majorité la résolution concernant les droits syndicaux et leurs relations avec les libertés civiles. Ce texte reconnaît que «les droits conférés aux organisations de travailleurs et d’employeurs se fondent sur le respect des libertés civiles, qui ont été énoncées notamment dans la Déclaration universelle des droits de l’homme et dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, et que l’absence des libertés civiles enlève toute signification au concept des droits syndicaux».

Les libertés civiles constituent le socle à partir duquel doivent s’exercer tous les droits garantis par la convention. Nous considérons la liberté syndicale comme une des pierres angulaires de l’OIT. Je ne suis pas architecte mais, même moi, je sais qu’une pierre angulaire doit reposer sur un terrain solide. Or, si nous considérons la situation en Turquie, nous constatons avec une vive préoccupation que le terrain est très fragile. Dans son rapport de 2019 sur la Turquie, la Commission européenne constate «de sérieux reculs dans les domaines de la liberté d’expression, de réunion et d’association ainsi que dans les droits de la procédure et les droits de propriété». Les droits syndicaux sont toujours l’objet de fortes pressions.

En novembre 2018, par exemple, le dirigeant syndical turc Abdullah Karacan a été abattu alors qu’il rencontrait des travailleurs dans une usine de pneus. Deux autres représentants syndicaux ont été blessés au cours du même incident. Arzu Çerkezoglu, le président du syndicat du personnel soignant et de la confédération syndicale DISK passe actuellement en jugement et risque trois ans de prison pour avoir simplement participé à un débat public sur le thème «Quo vadis Turquie». Pour des motifs tout aussi dénués de fondement, l’exercice de la liberté d’expression est systématiquement réprimé par l’interdiction des communiqués de presse et des manifestations syndicales. Le droit à la liberté de réunion est extrêmement limité, les défilés et les manifestations étant régulièrement interdits et les protestataires soumis à des ripostes policières disproportionnées et à des interpellations.

L’état d’urgence est invoqué pour autoriser toutes les entraves aux libertés civiles et aux fondements des droits syndicaux. Mais, même après juillet 2018, beaucoup de lois d’urgence restent d’application et avec elles se perpétue le climat d’intimidation contre les syndicalistes.

En conséquence, nous invitons instamment le gouvernement turc à abroger les lois et décrets promulgués pendant l’état d’urgence et à prendre immédiatement des mesures afin de mettre sa législation et sa pratique en conformité avec ses obligations au titre de la convention no 87 et avec le droit international sur les droits de l’homme.

Membre gouvernemental, Algérie – L’Algérie remercie le gouvernement turc pour son rapport substantiel sur la situation du droit syndical et le droit de grève et soutient l’ensemble de ses commentaires.

Nous saluons également les efforts entrepris par le gouvernement turc, en particulier sa disposition à coopérer avec le BIT. L’Algérie salue l’ouverture syndicale aux travailleurs temporaires employés par des agences d’emploi privées. Nous saluons les progrès réalisés dans l’instauration des voies de recours judiciaires contre les violations des libertés syndicales et restons déterminés à soutenir la Turquie dans ses efforts visant à renforcer l’Etat de droit, protéger et promouvoir plus efficacement les droits et les libertés, renforcer l’indépendance du pouvoir judiciaire et faciliter l’accès à la justice.

L’Algérie partage de nombreuses priorités avec la République turque en matière de liberté syndicale, et l’Algérie réitère son plein soutien dans les limitations apportées au droit de grève afin de préserver la paix du travail dans les services essentiels, s’ils sont définis comme des services dont l’interruption mettrait en danger dans l’ensemble ou dans une partie de la population la vie, la sécurité ou la santé de la personne, ou s’ils sont justifiés par le risque d’atteinte à l’ordre public. C’est ainsi le cas par exemple des magistrats et des personnels des services pénitentiaires.

Observateur, Internationale des services publics (ISP) – Je me limiterai à trois points. Premièrement, des dizaines de milliers de travailleurs du secteur public ont été licenciés arbitrairement en application de décrets qui ont été pris pendant l’état d’urgence: 796 membres du Syndicat des travailleurs de la santé publique et des services sociaux (SES) ont été licenciés de l’administration publique, et seuls 17 d’entre eux ont été réintégrés. Le gouvernement a créé la commission d’enquête sur les mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence. Tous les fonctionnaires licenciés doivent d’abord s’adresser à cette commission avant de saisir les tribunaux. A ce jour, la commission d’enquête a examiné 117 demandes de membres du SES, dont 42 ont été acceptées et ont fait l’objet d’une décision positive, et 58 rejetées.

Deuxièmement, une nouvelle mesure, appelée «contrôle de sécurité», a été introduite dans la procédure de recrutement des fonctionnaires. Les personnes qui ne réussissent pas ce contrôle ne sont pas recrutées dans des institutions publiques. L’ampleur du contrôle est telle qu’il est impossible de savoir qui sera refusé et selon quels critères. L’application de cette procédure est illicite et arbitraire. Autrement dit, le droit des citoyens à l’emploi est enfreint par un contrôle injuste. On considère que des personnes ne conviennent pas à un poste public au motif de leur origine ethnique ou religieuse, de leurs opinions politiques ou du syndicat qu’elles ont choisi.

Troisièmement, en plus du contrôle de sécurité, les entretiens sont monnaie courante dans le recrutement dans le secteur public. Ces entretiens ne visent pas à déterminer objectivement si les compétences professionnelles sont compatibles avec les exigences du poste. Les entretiens sont devenus maintenant un mécanisme qui permet de s’assurer de la loyauté de chacun des candidats, mais aucune trace de ces entretiens n’est laissée. Ce mécanisme est totalement arbitraire, si bien que des personnes qui avaient déjà obtenu une note mais qui ont échoué à l’examen ont considéré que cet échec était dû à l’entretien. La situation est donc très difficile pour les personnes qui travaillent dans ce secteur, et le mécanisme susmentionné, en l’absence de sécurité d’emploi, est utilisé comme moyen de subordination. Aucun travailleur dans le secteur public ne peut exercer sa liberté d’expression, son droit de participer à la vie politique, son droit de s’affilier à un syndicat, etc. Cela nuit à la qualité de nos services publics. Notre lutte dans ces conditions, en tant que syndicat SES, est menée de différentes manières. Les autorités publiques entravent des activités syndicales courantes – distribution de prospectus, ouverture de stands d’information, autres questions relatives à notre travail, réunions, affichage d’informations, etc. Ces activités sont soumises à des contrôles particuliers, et c’est l’employeur qui décide quelles informations peuvent être données. Tout cela montre que le droit d’exercer la liberté d’association est enfreint en faveur des autorités et par les autorités. Malgré ces problèmes difficiles et d’ordre ethnique dans notre secteur, nous continuons à lutter avec détermination pour les droits des travailleurs et des syndicats.

Membre gouvernemental, Kazakhstan – Nous saluons l’engagement de la Turquie en faveur de l’OIT. Nous tenons à souligner qu’il y a huit ans la commission a examiné la situation en Turquie au regard de la convention. Immédiatement après cette discussion, la Turquie a adopté en 2012 une nouvelle législation syndicale conforme aux changements constitutionnels et aux conventions de l’OIT et a exigé que la loi sur les syndicats des fonctionnaires reconnaisse aux fonctionnaires le droit de négociation collective.

Nous croyons que la Turquie œuvrera avec l’OIT et les partenaires sociaux dans le même esprit de coopération constructive, en ce qui concerne l’OIT et les normes internationales du travail, avec la plus grande considération et qu’elle respectera ses obligations en matière de présentation de rapports ainsi que les dispositions des conventions de l’OIT qu’elle a ratifiées.

Membre travailleur, Royaume-Uni – En 2018, le Syndicat britannique de la fonction publique UNISON a envoyé une délégation rencontrer les collègues turcs. Elle a donné une description lugubre d’un pays où les droits des travailleurs et la règle de droit ont considérablement reculé, bien que l’état d’urgence ait été officiellement levé. Le rapport d’UNISON, distribué à ses 1,3 million d’adhérents, recense des abus systématiques, avec notamment des arrestations de leaders syndicaux, l’interdiction de manifestations pacifiques et la mise hors-la-loi des actions de grève pour des motifs fallacieux invoquant la sécurité nationale et la santé publique. Une grève dans une verrerie n’a pas été autorisée parce qu’une pénurie de verre pourrait entraîner une pénurie de médicaments contenus dans des flacons en verre. Cette logique ténue et tortueuse a été utilisée pour transformer, en pratique, une grève dans le secteur manufacturier en une grève dans un service essentiel, ce qui est en parfaite contradiction avec les définitions de l’OIT ainsi qu’avec l’article 51 de la Constitution de la Turquie. Comme vous l’avez entendu, ce souci de la santé et de la sécurité était absent à la construction du troisième aéroport d’Istanbul, pour laquelle les chiffres officiels montrent que plus de 50 travailleurs ont perdu la vie sur ce chantier. Lorsque les travailleurs se sont mis en grève pour que soient revues les conditions de travail terribles qui leur étaient imposées, 600 d’entre eux ont été arrêtés. Il ne semble pas que des poursuites aient été engagées contre les responsables des décès de plus de 50 travailleurs.

En 2018, 132 travailleurs turcs d’une usine de cosmétiques ont été licenciés. Après trois cents jours de manifestations acharnées, certains ont été réintégrés, mais seulement à la condition qu’ils démissionnent de leur syndicat. L’Etat devrait s’attaquer à ce genre de procédé s’il veut être en règle avec ses obligations internationales, mais il semble que rien n’a été fait. Nos collègues ont aussi exprimé leurs préoccupations quant au traitement de leurs homologues du secteur public. Il est tout particulièrement déprimant de trouver dans le rapport de la commission d’experts la même demande au gouvernement pour qu’il revoie l’article 15 de la loi no 4688. Le texte de la convention ne peut être plus clair: les travailleurs doivent pouvoir constituer des organisations de leur choix et s’y affilier. Leurs statuts de hauts fonctionnaires ou de gardiens de prison ne doivent avoir aucune incidence sur le droit d’être membres de syndicats indépendants, comme pourraient en attester mes collègues de la British First Division Association, qui représente les plus grands serviteurs de l’Etat, ou de la British Prison Officers’ Association.

Membre gouvernementale, Pakistan– Ma délégation tient à remercier le gouvernement de la Turquie pour la réponse détaillée qu’il a fournie. Nous saluons également la volonté du gouvernement turc d’entretenir un dialogue et de fournir d’autres informations. Nous prenons note des efforts déployés par la Turquie pour collaborer étroitement avec l’OIT dans plusieurs domaines, notamment pour renforcer le dialogue social, aux niveaux national et international. Nous l’encourageons à continuer de prendre des mesures à cet égard. Les observations de la commission d’experts sur la Turquie contiennent beaucoup de points où celle-ci demande des informations et des précisions complémentaires concernant la législation et les décisions judiciaires dans ce domaine, de manière à mieux évaluer la situation. La Turquie a pris plusieurs mesures depuis le dernier examen de ce cas par la commission en 2011. Le gouvernement de la Turquie a fait montre de son engagement et de sa volonté de collaborer avec la commission pour apporter des améliorations sur le terrain. C’est pourquoi nous demandons aussi que la commission tienne compte de tous les efforts réalisés par la Turquie et de donner à la commission d’experts davantage de temps pour examiner correctement les informations communiquées par la Turquie.

embre gouvernemental, Pays-Bas – C’est avec la plus vive préoccupation que l’organisation syndicale néerlandaise FNV constate la violation constante de la convention que la Turquie a ratifiée en 1993. Alors que l’état d’urgence a été levé le 19 juillet 2018, certaines pratiques, comme l’imposition de la loi martiale dans plusieurs provinces, indiquent qu’il a toujours cours et, dans bien des cas, ce n’est pas sans conséquence pour les activités syndicales.

Aux Pays-Bas, de nombreux membres entretiennent des contacts intensifs et coopèrent étroitement avec leurs collègues syndicaux en Turquie. Ils ont observé une augmentation drastique des politiques antisyndicales depuis la tentative de coup d’Etat, donnant lieu à des mesures répressives aux conséquences radicales pour les carrières et la vie personnelle des travailleurs concernés.

Amnesty International a relaté les arrestations de travailleurs qui protestaient contre les conditions sur le chantier du nouvel aéroport d’Istanbul en 2018: «En incarcérant et en persécutant ces ouvriers qui demandaient simplement des conditions de travail dignes et sûres, les autorités turques font savoir que toute personne qui tente de défendre ses droits sera sanctionnée.» Il existe donc clairement des pratiques antisyndicales, y compris dans les entreprises multinationales, comme dans l’exemple évoqué plus tôt par mon collègue de ces 132 travailleuses d’une filiale turque d’une société de cosmétiques qui ont été injustement licenciées parce qu’elles étaient affiliées à un syndicat.

C’est aussi la première fois en Turquie qu’autant de fonctionnaires publics sont suspendus ou démis de leurs fonctions depuis la tentative de coup d’Etat militaire du 15 juillet 2016. Selon la Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, environ 150 000 fonctionnaires ont été licenciés et près de 40 000 ont été suspendus dans le pays. On note une tendance à la criminalisation et une politique de diffamation dont sont victimes les fonctionnaires publics en général et, plus particulièrement, les membres de l’organisation syndicale indépendante KESK.

Pour illustrer clairement les politiques antisyndicales et la diffamation à l’encontre des membres et militants syndicaux, nous souhaitons mentionner le cas de 25 femmes, membres de la KESK, qui ont été accusées d’appartenir à une organisation terroriste armée, ainsi que celui de 72 autres membres de la KESK (hommes et femmes), dont son ancien président, M. Lami Özgen, l’actuel vice-président, M. Mehmet Bozgeyik, et plusieurs autres membres du comité de direction, tous accusés d’appartenir à une organisation terroriste armée.

Nous condamnons donc fermement la pratique actuelle consistant à invoquer l’ancien état d’urgence pour justifier le licenciement de membres syndicaux qui ont fait valoir leurs libertés et droits syndicaux.

Membre travailleur, Ukraine – Je tiens à appeler l’attention de la commission sur l’attaque portée contre des travailleurs du bâtiment sur le chantier du nouvel aéroport d’Istanbul qui luttent pour leurs droits fondamentaux au travail et leurs droits de l’homme, dont le droit de constituer un syndicat et de mener des actions collectives, conformément à la convention.

Fin 2018, sur les 26 000 travailleurs du chantier du nouvel aéroport d’Istanbul, près de 22 000 travaillaient en sous-traitance, employés par 281 entreprises. Le principal entrepreneur était Airport Construction Ordinary Partnership Joint Stock Company (IGA). En outre, d’après l’Internationale des travailleurs du bâtiment et du bois (IBB), ils travaillent dans des conditions déplorables (bas salaires, paiement tardif des salaires, conditions de travail dangereuses, conditions de logement de qualité inférieure aux normes, harcèlement et violations des droits de l’homme en série).

Au plus fort de la crise, un affrontement grave a eu lieu et a conduit à l’arrestation de 24 travailleurs. Des syndicats turcs, dont Yol-Is, plaident activement en faveur des droits des travailleurs qui travaillent en sous-traitance, et dans le secteur du bâtiment, notamment du droit de s’affilier à un syndicat et de négocier des conventions collectives.

Nous espérons que suite sera donnée aux plaintes et préoccupations relatives au fait que les travailleurs ont des droits et qu’une solution permanente et durable sera trouvée quant au fond afin de garantir que les droits fondamentaux au travail et les droits de l’homme, dont la liberté syndicale pour les travailleurs en sous-traitance au nouvel aéroport d’Istanbul, dans toute la Turquie sont garantis.

Représentant gouvernemental – Nous avons écouté attentivement les porte-parole des employeurs et des travailleurs ainsi que les orateurs qui ont pris part à la discussion. Nous attachons une grande importance aux travaux de cette commission et nous estimons que c’est une enceinte propice à un dialogue tripartite constructif. Toutefois, nous constatons avec regret que cette enceinte sert aussi parfois à défendre des intérêts politiques et pas toujours à entretenir un dialogue constructif. J’emploierai le temps qui m’est imparti pour revenir sur certaines questions soulevées par les orateurs qui se sont exprimés. Je n’aborderai pas les allégations touchant aux questions qui ne relèvent pas du champ d’application de la convention.

Tout d’abord, j’aimerais faire des observations sur les allégations de la KESK selon lesquelles elle serait la cible de licenciements et ferait l’objet de discrimination. Nous disposons de chiffres qui démontrent le contraire. En effet, le nombre de syndicalistes appartenant aux confédérations les plus représentatives de fonctionnaires qui ont été licenciés en vertu du décret d’application de la loi, lors de l’état d’urgence, se décline comme suit: MEMUR-SEN: 10 600; TOURKiYE KAMU-SEN: 4 454; KESK: 4 269.

La KESK ne cesse de dire qu’elle est la cible de licenciements ou fait l’objet de discrimination, mais c’est en fait la MEMUR-SEN qui compte le plus grand nombre de licenciements. La KESK elle-même a indiqué dans une communication présentée dans le cadre des rapports dus au titre de la convention que, sur les 588 décisions prises par la commission d’enquête concernant des membres de la KESK, 199 étaient en faveur de leur réintégration. On s’aperçoit donc qu’une décision sur trois est favorable aux membres de la KESK, ce ratio étant largement supérieur à la moyenne qui est d’une décision sur dix.

Concernant l’allégation d’arrestations illégales et de harcèlement lors de la construction de l’aéroport d’Istanbul: environ 30 000 travailleurs étaient occupés à la construction de l’aéroport d’Istanbul, sur lesquels 2 000 travailleurs environ ont participé à une manifestation le 14 septembre 2018, sans avoir respecté les procédures prévues par la loi sur les réunions et manifestations. Alors que les forces de l’ordre tentaient de contrôler la situation, des négociations ont été tenues entre le gouverneur local, les responsables et les travailleurs concernés, sans pour autant déboucher sur le règlement de la situation. Malgré tous ces efforts, les manifestations et actions illégales, les violations du droit et les dommages à la propriété, tout cela constituant des délits, ont continué. Des travailleurs ou des représentants des travailleurs ont aussi pénétré dans le camp d’hébergement des travailleurs pour les inciter à l’action. Devant les troubles de l’ordre public provoqués par cette agitation sociale, les forces de l’ordre sont intervenues pour empêcher que celle-ci ne se propage et pour prévenir aussi tout autre dommage susceptible d’être causé au public et aux biens publics. Sur les 420 personnes inquiétées, 360 ont été relâchées par décision du ministère public après contrôle d’identité sans qu’aucun chef d’accusation n’ait été retenu contre elles; 62 suspects ont été mis en prison. Vingt-cinq suspects ont été relâchés sous contrôle judiciaire, et les 37 autres ont été accusés de délits pour violation des dispositions de la loi sur les réunions et les manifestations et du Code pénal.

Six suspects ont ensuite été relâchés par le tribunal compétent. Il s’avère que huit suspects n’étaient pas employés par la société de construction et ne se trouvaient là que pour inciter les travailleurs à l’action. Ces allégations ne reflètent donc pas la réalité.

Passons maintenant à la question de la syndicalisation. Un représentant travailleur a indiqué que les conditions actuelles en Turquie empêchaient les syndicats de fonctionner. Mais les chiffres et la pratique ne corroborent pas ces propos. Si l’on examine le taux de syndicalisation en 2013, juste après l’entrée en vigueur de la nouvelle loi sur les syndicats et la convention collective de travail, on s’aperçoit que le taux de syndicalisation dans le secteur privé était de 9,21 pour cent. En janvier 2019, il était de 13,86 pour cent. On constate la même évolution pour les fonctionnaires du secteur public. En juillet 2018, le taux de syndicalisation était de 67,65 pour cent, alors qu’il n’était que de 47,9 pour cent en 2002 après l’entrée en vigueur de la loi no 4688. Ces seuls chiffres démontrent l’évolution positive que connaît la Turquie aujourd’hui.

Au vu de la concurrence actuelle entre cinq fédérations syndicales dans le secteur privé et neuf confédérations syndicales de fonctionnaires dans le secteur public, soit au total 14 fédérations, on peut dire que la liberté syndicale et la possibilité de choisir sont patentes dans le pays.

S’agissant des allégations de recours excessif à la force de la part des forces de sécurité ces dernières années, nous avons déjà répondu à la question et nous allons répéter à peu près la même chose aujourd’hui. Le gouvernement a pris les mesures nécessaires pour prévenir les incidents de ce type, qui se produisent essentiellement pour deux raisons. La première est liée à l’infiltration d’organisations illégales lors de défilés et de manifestations organisés par les syndicats, l’autre au fait que les syndicats tiennent à organiser ces réunions dans des rues ou sur des places qui ne s’y prêtent pas. Les forces de sécurité sont intervenues dans 2 pour cent des 40 016 actions et activités qui ont eu lieu en 2016; 0,8 pour cent des 38 976 activités qui ont lieu en 2017; et 0,7 pour cent des 36 925 activités qui ont lieu en 2018. Au 7 mai 2019, le taux d’intervention était d’environ 0,8 pour cent.

L’intervention des forces de sécurité n’a lieu que si des actes de violence et des attaques contre les forces de sécurité et les citoyens se produisent et que le cours de la vie ordinaire est considérablement perturbé. Le taux d’intervention montre que des activités et des manifestations pacifistes légales se déroulent sans entrave en Turquie.

En ce qui concerne les travaux de la commission d’enquête, j’ajouterai que c’est une voie de recours efficace qui rend des décisions individuelles et motivées sur environ 1 200 demandes par semaine, grâce à un système d’examen qui est à la fois rapide et approfondi. Avec un tel taux, on peut raisonnablement escompter qu’elle terminera ses travaux en moins d’un an.

Membres travailleurs – Nous avons écouté toutes les interventions attentivement et je dois dire que nous avons apprécié tout particulièrement l’intervention de l’Union européenne qui était claire et utile. Il est important de rappeler que nombre des violations de la convention relevées dans les observations de la commission d’experts, dont il est question devant cette commission, étaient déjà manifestes avant 2008 et la déclaration de l’état d’urgence. On se souviendra qu’en 2008 déjà l’OIT a envoyé une mission de haut niveau en Turquie et que, en 2010, une mission bipartite de haut niveau s’est rendue dans le pays. Ces missions visaient à aider le gouvernement à remplir ses obligations découlant de la convention. Le gouvernement ne saurait donc invoquer l’état d’urgence pour justifier ces manquements vis-à-vis de ses obligations au titre de la convention. D’ailleurs, les instances de contrôle n’ont cessé d’indiquer au gouvernement que l’état d’urgence ne l’autorise pas à déroger à ses obligations au titre de la convention. Le gouvernement est censé agir raisonnablement eu égard aux mesures de sécurité nationale et d’urgence qu’il met en œuvre.

C’est justement dans le contexte des mesures de sécurité nationale et d’urgence, où le pouvoir d’ingérence de l’Etat est à son comble, que les garanties offertes par la convention sont particulièrement utiles puisqu’elles empêchent que des dommages irréversibles ne soient causés à des individus innocents et à des organisations de travailleurs. Par conséquent, en l’absence des garanties nécessaires, le système de contrôle de l’OIT doit examiner dans les détails toute volonté de compromettre, restreindre ou empêcher l’exercice de ces droits.

L’état d’urgence a donné lieu au renvoi de 110 000 fonctionnaires et de 5 600 universitaires environ, ainsi qu’à l’annulation du permis de travail de quelque 22 500 travailleurs dans des institutions publiques; 19 syndicats ont été dissous et environ 24 000 travailleurs font actuellement l’objet de différentes formes de mesures disciplinaires pour avoir participé à des protestations, etc.

Nous constatons avec préoccupation que, sur les 42 000 décisions de la commission, seules 3 000 ont été acceptées, 39 000 décisions ayant donc été rejetées. Nous sommes encore plus préoccupés par le fait que des organisations syndicales indépendantes soient la cible de mesures visant à affaiblir leur capacité à protéger et à faire progresser les intérêts sociaux et économiques de leurs membres. C’est bien là une façon déguisée de contrôler et d’affaiblir les syndicats libres et indépendants en Turquie.

Nous appelons le gouvernement à mettre fin à ces pratiques inacceptables. Nous réaffirmons que toute loi ou mesure ayant pour effet de conférer aux autorités le pouvoir de contrôler directement ou indirectement le fonctionnement interne des syndicats, empêchant par-là même les organisations de travailleurs et d’employeurs de réaliser leurs objectifs organisationnels en toute liberté et indépendance, n’est pas compatible avec la convention.

Le gouvernement doit, à tout le moins, consulter les partenaires sociaux pour mettre au point un plan d’action visant à réviser toutes les lois qui ne sont actuellement pas conformes à la convention. Le gouvernement doit aussi consulter les partenaires sociaux pour veiller à ce qu’une procédure judiciaire équitable, acceptable et indépendante, jouissant de la confiance des partenaires sociaux, soit en place pour revoir les mesures prises contre les syndicats et leurs membres. Nous appelons aussi le gouvernement à accepter une mission de l’OIT afin d’évaluer les progrès en la matière avant la prochaine Conférence internationale du Travail.

Enfin, je souhaite également réagir à certains commentaires des employeurs, en ce qui concerne le droit de grève. Notre ferme position est toujours la même: la convention no 87 protège le droit de grève. Le système de contrôle de l’OIT, et notamment la commission d’experts, a employé des méthodes d’interprétation bien établies pour parvenir à cette conclusion. Cela fait partie du droit à la liberté syndicale, un droit fondamental qui permet aux travailleurs de faire entendre leurs voix auprès de gouvernements et d’employeurs qui souvent ne les entendent pas. Le droit de grève est non seulement régi par la convention no 87, mais il relève aussi du droit international coutumier, comme l’a indiqué le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme.

En ce qui concerne les commentaires des employeurs concernant le droit de grève des fonctionnaires, il convient de souligner que des restrictions à cet égard ne sont imposables qu’aux fonctionnaires exerçant une autorité au nom de l’Etat et à ceux occupés dans les services essentiels au sens strict du terme.

Le Comité de la liberté syndicale a défini son mandat de manière claire et transparente. Celui-ci consiste à examiner la conformité de la législation et des pratiques nationales avec les principes de la liberté syndicale et de la négociation collective, tels que prévus dans les conventions pertinentes.

Membres employeurs – J’aimerais commencer en remerciant le gouvernement pour les informations qu’il a présentées devant la commission et je retiendrai en particulier les commentaires constructifs dans lesquels il reconnaît que la commission constitue une plateforme propice à un dialogue permanent et constructif, des propos auxquels nous souscrivons.

Nous ne sommes pas d’accord avec les déclarations des membres travailleurs à propos de la pertinence des observations de la commission d’experts sur le droit de grève et, clairement, beaucoup d’observations ont déjà été faites à ce propos. Nous ne pouvons pas accepter que des orientations soient données au gouvernement à cet égard; de tels éléments ne peuvent figurer dans les conclusions relatives à ce cas. Nous avons à coup sûr une conception légèrement différente de celle des membres travailleurs sur certains autres aspects de ce cas et, par conséquent, nous ne sommes pas en mesure de nous associer à une demande conjointe de mission du BIT en ce moment; nous ne pensons pas qu’une telle réaction soit appropriée. Nous pensons plutôt qu’on voit clairement ce qui relève d’une action de suivi appropriée et des indications qui devraient figurer dans les conclusions.

Nous pensons que, pour ce qui est de faire en sorte que le gouvernement reconnaisse que le respect des libertés publiques des travailleurs et des employeurs constitue le fondement même de l’exercice de la liberté syndicale au titre des engagements pris sous la convention no 87, il faut encourager le gouvernement à donner à son administration les instructions nécessaires pour faire en sorte que les violations des libertés publiques ne se produisent plus à l’avenir. Nous l’encourageons également à fournir à la commission d’experts des informations sur les éventuels résultats des voies de recours administratif ou judiciaire utilisées par des syndicalistes dans des cas de violations des libertés publiques.

Nous pensons également qu’il est judicieux, dans l’examen de ce cas, de prier le gouvernement d’effectuer les changements à la loi qui s’imposent, en particulier l’article 15 de la loi no 5688, pour donner à tous les fonctionnaires le droit de s’organiser, les membres des forces armées et de la police étant, comme nous en avons discuté, les seuls à pouvoir être exemptés, suivant les termes de la convention, de ces obligations et de ces prérogatives.

Nous notons aussi que, comme cela a été dit dans certaines interventions, il est important pour le gouvernement d’agir pour que ses organes prennent des mesures afin d’assurer la régularité et l’efficacité, qu’ils ne s’ingèrent pas dans l’organisation et l’autonomie des syndicats sous le prétexte d’assurer la régularité et l’efficacité de leur fonctionnement, c’est-à-dire toute intervention autre que découlant de l’obligation pour les syndicats de remettre des extraits ou rapports financiers. A cet égard, nous prions le gouvernement de transmettre à la commission d’experts un exemplaire du décret no 5 ainsi que des informations sur son application dans la pratique afin que la commission d’experts puisse en faire un examen approprié, et tout particulièrement en ce qui concerne le droit des organisations d’employeurs et de travailleurs d’organiser leurs activités sans interférence de la part des autorités publiques.

S’agissant des allégations relatives à la question de la dissolution des syndicats, nous demandons au gouvernement de fournir des informations détaillées sur les fondements et les circonstances concernant tous les cas de dissolution ainsi que des informations sur le rétablissement des syndicats suite aux décisions de la commission d’enquête ou des tribunaux administratifs.

Donc, en conclusion, nous considérons que les informations fournies par le gouvernement aujourd’hui sont utiles. Nous l’encourageons cependant à soumettre son rapport de 2019 accompagné d’informations détaillées, comme il a indiqué qu’il le ferait, et de fournir copie des documents demandés par la commission d’experts afin que les questions discutées soient davantage analysées.

Clairement, nous demandons au gouvernement de le faire avec un esprit constructif et de poursuivre ce dialogue constructif.

Conclusions de la commission

La commission a pris note des informations fournies par le représentant gouvernemental et de la discussion qui a suivi.

La commission a rappelé que le respect des libertés civiles est un préalable essentiel de la liberté syndicale. La commission a noté avec préoccupation les allégations de restrictions imposées aux organisations de travailleurs en matière de création, d’affiliation et de fonctionnement.

Prenant en compte la discussion, la commission prie instamment le gouvernement:

- de prendre toutes les mesures appropriées afin de garantir que, quelle que soit l’affiliation syndicale, le droit à la liberté syndicale peut s’exercer dans des conditions normales, dans le respect des libertés civiles et dans un climat exempt de violence, de pressions et de menaces;

- de s’assurer qu’une procédure judiciaire régulière et en bonne et due forme est garantie aux organisations de travailleurs et d’employeurs et à leurs membres;

- de réviser la loi no 4688 en concertation avec les organisations de travailleurs et d’employeurs les plus représentatives afin d’accorder à tous les travailleurs sans aucune distinction, y compris aux travailleurs du secteur public, la liberté syndicale conformément à la convention, en droit et dans la pratique;

- de réviser le décret présidentiel no 5 pour exclure les organisations de travailleurs et d’employeurs de son champ d’application; et

- de s’assurer que la dissolution d’organisations syndicales est le résultat d’une décision de justice et que les droits de la défense et la régularité de la procédure sont pleinement garantis dans un système judiciaire indépendant.

La commission prie le gouvernement de faire rapport à la commission d’experts sur les progrès accomplis s’agissant des recommandations précitées pour sa réunion de novembre 2019.

Représentant gouvernemental– Nous remercions les pays et les partenaires sociaux qui ont débattu de manière constructive de ce cas et ont pris acte des développements positifs et des progrès accomplis en Turquie concernant cette question. Nous continuerons à œuvrer avec nos partenaires sociaux aux niveaux national et international pour répondre à leurs préoccupations et informerons la commission d’experts, dans notre prochain rapport, de la suite donnée aux questions qu’elle a soulevées dans ses rapports.

© Copyright and permissions 1996-2024 International Labour Organization (ILO) | Privacy policy | Disclaimer