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Observation (CEACR) - adoptée 2024, publiée 113ème session CIT (2025)

Convention (n° 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948 - Bélarus (Ratification: 1956)

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La commission prend note des observations du Congrès des syndicats démocratiques du Bélarus (BKDP), reçues les 31 août et 15 septembre 2024, et de l’Organisation internationale des employeurs (OIE), reçues le 31 août 2024, se rapportant aux questions abordées dans le présent commentaire.

Suivi des conclusions de la Commission de l ’ application des normes (Conférence internationale du Travail, 112 e   session, juin 2024)

Suivi des recommandations de la commission d ’ enquête nommée en vertu de l ’ article   26 de la Constitution de l ’ OIT

La commission rappelle que, dans sa résolution de juin 2023 concernant les mesures recommandées par le Conseil d’administration au titre de l’article 33 de la Constitution de l’OIT au sujet du Bélarus, la Conférence a prié instamment le gouvernement du Bélarus d’accueillir de toute urgence une mission tripartite de l’OIT, afin que celle-ci puisse recueillir des informations sur l’exécution des recommandations de la commission d’enquête et des recommandations ultérieures des organes de contrôle de l’OIT, y compris dans le cadre d’une visite auprès des dirigeants et des militants de syndicats indépendants qui sont emprisonnés ou placés en détention. La Conférence internationale du Travail a décidé de consacrer, lors de ses futures sessions, une séance spéciale de la Commission de l’application des normes (Commission de la Conférence) à l’examen de l’application, par le gouvernement, de la convention et des recommandations de la commission d’enquête, tant qu’il ne sera pas avéré que le gouvernement s’est acquitté de ses obligations.
La commission prend note des conclusions adoptées par la Commission de la Conférence en juin 2024 à l’issue de l’examen de l’application des conventions nos 87 et 98. La Commission de la Conférence a pris note avec une profonde préoccupation de la persistance du non-respect par le gouvernement du Bélarus des orientations, conclusions et recommandations de la commission d’enquête, des organes de contrôle et du Conseil d’administration, ainsi que de son refus de les accepter et de les mettre en œuvre. Elle a également exprimé sa profonde préoccupation et son profond regret face à l’imposition de sanctions pénales à l’encontre de syndicalistes pour avoir exercé leurs activités syndicales légitimes, et face au harcèlement judiciaire de membres syndicaux, sous la forme d’arrestations, de poursuites et d’emprisonnement. Elle a déploré la répression contre les syndicats indépendants et l’emprisonnement de syndicalistes, et a prié instamment le gouvernement de les relâcher immédiatement, d’abandonner toutes les charges et d’annuler les condamnations prononcées à leur encontre. Elle a rappelé que ce cas a déjà été examiné à plusieurs reprises par la commission avant la mise en place d’une commission d’enquête, et a profondément déploré l’absence de progrès du gouvernement du Bélarus dans l’application des conventions. La Commission de la Conférence a profondément déploré le climat de violence d’état, d’intimidation et de peur au Bélarus qui ne favorise pas le libre exercice des libertés publiques, la détérioration constante de la liberté syndicale et du droit de négociation collective, ainsi que l’érosion de l’état de droit, comme en témoigne l’absence totale d’indépendance du pouvoir judiciaire. Elle a pris note du plan d’action adopté par le Conseil d’administration en mars 2024 aux fins de la mise en œuvre de la résolution adoptée en 2023, ainsi que de la table ronde de haut niveau tenue le 28 mai 2024 pour discuter de la liberté syndicale au Bélarus, laquelle a mis en évidence la persistance d’un climat général de non-respect des libertés publiques fondamentales nécessaires à l’exercice de la liberté syndicale. La Commission de la Conférence a appelé le gouvernement à prendre de toute urgence toutes les mesures possibles pour mettre en œuvre les recommandations de la commission d’enquête, et tous les commentaires ultérieurs formulés par les organes de contrôle de l’OIT concernant le respect des conventions. Elle a également demandé au gouvernement d’accepter de toute urgence une mission humanitaire internationale visant à garantir que des médecins indépendants peuvent rendre visite à tous les syndicalistes emprisonnés afin d’évaluer leur état de santé et de leur fournir une assistance médicale, si nécessaire; et une mission tripartite de l’OIT visant à évaluer la situation et à rendre visite aux syndicalistes actuellement en prison ou en détention. La Commission de la Conférence a décidé de faire figurer les discussions et les conclusions de la séance spéciale dans une partie séparée de son rapport.
Tout d’abord, la commission note avec un profond regret que le gouvernement indique que, depuis son rapport de 2023, il n’y a pas eu changements notables, en droit ou dans la pratique, qui auraient des répercussions sur l’application de la convention, et qu’il se contente une nouvelle fois de réitérer les informations qu’il avait déjà fournies et considère que la commission comprend mal et interprète mal la situation sur le terrain.
Libertés publiques et droits syndicaux. La commission rappelle qu’elle avait prié instamment le gouvernement de libérer immédiatement tous les dirigeants syndicaux et membres de syndicats arrêtés pour avoir participé à des rassemblements pacifiques ou pour avoir exercé leurs libertés publiques dans le cadre de leurs activités syndicales légitimes, et d’abandonner tous les chefs d’accusation qui s’y rapportent. La commission avait aussi prié instamment le gouvernement de recevoir, sans plus tarder, une mission tripartite de l’OIT, afin que celle-ci puisse recueillir des informations sur la mise en œuvre des recommandations de la commission d’enquête et des recommandations ultérieures des organes de contrôle de l’OIT, y compris dans le cadre d’une visite auprès des dirigeants et des militants de syndicats indépendants qui sont emprisonnés ou placés en détention.
La commission note que le gouvernement indique qu’il a attiré l’attention, à plusieurs reprises, sur le fait que les allégations selon lesquelles les syndicats et les citoyens du pays seraient persécutés parce qu’ils mènent des activités syndicales et exercent légalement et pacifiquement leurs droits civils et leurs libertés publiques sont dénuées de tout fondement et sont totalement absurdes. Selon le gouvernement, le BIT est induit en erreur par les plaintes d’individus et d’organisations motivés par des considérations politiques et continue de supposer à tort que les manifestations de 2020 obéissaient à des considérations économiques et sociales, étaient légales et pacifiques et visaient à protéger les droits civils et les libertés publiques, y compris les droits syndicaux. Le gouvernement insiste sur le fait que les événements purement politiques, sans lien avec les processus de dialogue social sur le lieu de travail et l’exercice des droits syndicaux, ne devraient pas servir de base pour évaluer le respect de la convention et ne devraient pas être pris en compte lors du suivi de sa mise en œuvre. Les manifestations de 2020 ont été artificiellement provoquées par des forces extérieures, étaient illégales et avaient pour finalité de prendre le pouvoir par des moyens anticonstitutionnels. Les revendications des manifestants (destitution du chef de l’État, nouvelles élections, mise hors de cause des contrevenants) n’avaient rien à voir avec la protection des intérêts professionnels, sociaux et économiques des citoyens ou avec les activités que les syndicats ont le devoir d’accomplir. Le gouvernement considère que les auteurs des plaintes ont délibérément porté des questions d’ordre politique à l’attention de l’OIT afin de discréditer le Bélarus sur le plan international, de justifier l’application de mesures restrictives unilatérales sans précédent à l’encontre du pays, d’accroître la pression politique sur les autorités légitimes et de déclencher une nouvelle vague de sanctions fondées sur les décisions de l’OIT. Le gouvernement réaffirme que tous les citoyens et syndicats auxquels il est fait référence dans les plaintes et les observations des organes de contrôle de l’OIT ont été poursuivis pour des actes illégaux spécifiques, non liés à l’exercice licite et pacifique de leurs libertés et droits syndicaux. Il signale qu’il s’est déjà exprimé à plusieurs occasions sur les raisons de ces poursuites. Ces individus ont été poursuivis pour des infractions telles que: violation grave de l’ordre public ayant entraîné une perturbation des transports et des entreprises; violence à l’égard d’agents des affaires intérieures; incitation à des actes visant à porter atteinte à la sécurité nationale; incitation à l’hostilité et à la discorde ethniques ou sociales fondées sur l’appartenance ethnique ou sociale; promotion d’activités à caractère extrémiste; diffamation; et dégradation de biens publics. Un certain nombre de ces individus étaient membres de la formation extrémiste Rabochy Rukh (Mouvement des travailleurs) financée par des fonds étrangers, dont le principal objectif est d’associer des salariés d’entreprises industrielles publiques à des activités politiques radicales afin d’obtenir des informations privilégiées sur leurs activités, d’interrompre le processus de production et d’entraîner un durcissement des sanctions contre le Bélarus. En plus de commettre des infractions à caractère extrémiste, les membres de cette formation se livrent à des activités illégales visant à collecter puis à transférer à des États étrangers, à des organisations étrangères ou à leurs représentants des informations privilégiées confidentielles concernant les entités économiques du pays. Par conséquent, le gouvernement indique que les appels tendant à ce que toutes les poursuites soient abandonnées et à ce que les personnes concernées soient immédiatement libérées sont dénués de tout fondement juridique. Seuls les organes chargés d’appliquer la loi et les tribunaux sont compétents pour réexaminer les condamnations, interagir avec les personnes condamnées et décider de leur éventuelle libération; toute ingérence dans ces activités est inadmissible et engage la responsabilité de l’auteur d’un tel acte devant la loi. Le gouvernement rappelle que la Cour suprême a rendu des décisions par lesquelles elle a mis fin aux activités du BKDP et des organisations qui lui sont affiliées au motif que celles-ci enfreignaient la Constitution nationale et d’autres textes législatifs, et portaient atteinte à l’État et aux intérêts publics. Il réitère que la législation nationale ne permet pas que des copies des décisions de justice et d’autres pièces du dossier soient communiquées à des parties étrangères à la procédure. Cette pratique est prescrite par des dispositions légales visant à assurer la protection des données personnelles des individus ainsi que le respect de leurs droits et libertés dans le traitement de leurs données personnelles. Par ailleurs, étant donné que les poursuites engagées contre les individus en question n’étaient pas liées à leurs activités syndicales ni à l’exercice de leurs libertés et droits légaux garantis en vertu des conventions nos 87 et 98, le gouvernement estime que la demande de fourniture de copies des décisions de justice formulée par la commission dépasse les obligations assumées par le Bélarus au titre de ces conventions et est excessive.
En ce qui concerne les appels lancés par la commission et d’autres organes de l’OIT en faveur de la visite d’une mission tripartite de l’OIT au Bélarus afin que celle-ci puisse recueillir des informations sur l’exécution des recommandations de la commission d’enquête et des recommandations ultérieures des organes de contrôle de l’OIT, y compris rendre visite à des individus emprisonnés ou détenus, le gouvernement indique que, dans le contexte de la décision parfaitement discriminatoire et manifestement politisée prise à l’encontre du Bélarus à l’instigation des pays occidentaux lors de la 111e session de la Conférence internationale du Travail en juin 2023 dans le but d’accroître la pression illicite pesant sur l’État du Bélarus, il n’existe actuellement aucune raison politique ou pratique d’organiser une mission dans le pays (qui serait très probablement aussi utilisée pour accroître cette pression illégitime).
La commission prend note de l’indication du BKDP selon laquelle, au 14 septembre 2024, plus de 50 dirigeants et militants syndicaux faisaient l’objet de poursuites pénales et étaient emprisonnés ou sous le coup d’une peine restrictive de liberté, ou avaient été libérés mais non mis hors de cause. S’agissant de cette dernière catégorie de victimes de persécutions, le BKDP rappelle que la législation nationale a institué un système de restrictions des droits pour les personnes ayant purgé leur peine (par exemple, interdiction de quitter le pays, la ville ou même leur appartement sans l’autorisation de la police; contrôles enregistrés par vidéosurveillance plusieurs fois par jour et même la nuit; obligation de se présenter au poste de police dans le cadre de mesures préventives (entretiens ou visionnage collectif de films patriotiques pro-gouvernementaux); interdiction d’exercer certaines activités professionnelles, notamment dans la fonction publique ou dans l’enseignement; interdiction d’organiser des manifestations de masse pendant deux à cinq ans après l’exécution de la peine; gel éventuel des comptes bancaires placés sous le contrôle des services spéciaux). Le BKDP indique également que le gouvernement a validé des listes d’«extrémistes» et de «terroristes» sur lesquelles figurent tous les militants libérés et qu’il faut jusqu’à cinq ans pour être radié de la liste des «terroristes», et jusqu’à dix ans pour être radié de celle des «extrémistes». L’organisation fournit une liste de 32 dirigeants ou militants syndicaux emprisonnés (parmi lesquels Aliaksandr Yarashuk, président du BKDP et membre du Conseil d’administration du BIT) ou autrement privés de leur liberté de déplacement, ainsi qu’une liste de 28 dirigeants ou militants syndicaux libérés, mais non disculpés.
Le BKDP fournit des informations complémentaires sur la situation des syndicalistes poursuivis ci-après:
  • M. Leonid Soudalenko (avocat du travail et militant du Syndicat bélarussien des travailleurs de la radio et de l’électronique (REP)): a été condamné par contumace par un juge du tribunal régional de Gomel le 18 juin 2024 à une peine de cinq ans de prison et à une amende de 26 000 roubles bélarussiens (environ 7 700 euros) en application des dispositions du Code pénal relatives à la «facilitation d’activités extrémistes». Craignant, à juste titre, de faire de nouveau l’objet de persécutions lorsqu’il aurait purgé ses trois ans de prison en juillet 2023, M. Soudalenko a été contraint de fuir le Bélarus et n’est de ce fait pas en mesure d’exercer son droit de se défendre en l’espèce. Ses droits à une défense et à un procès équitable ont été largement enfreints au cours de la procédure, notamment parce que l’avocat qui lui a été commis par l’État a refusé de lui fournir les pièces de procédure demandées, y compris la décision introductive d’instance et une copie du jugement. M. Soudalenko a déposé des requêtes auprès du bureau du Procureur régional de Gomel et de la commission régionale d’enquête de Gomel en vue d’engager une procédure pénale contre cet avocat en vertu de l’article 204 du Code pénal («refus de communiquer des informations à un citoyen»). Il a également fait appel du jugement; l’audience était prévue pour le 17 septembre 2024.
  • Mme Volha Brytsikava (dirigeante du syndicat indépendant du Bélarus (BNP)): le 11 juin 2024, la chambre judiciaire de la Cour suprême a rejeté l’appel formé par Mme Brytsikava contre la condamnation à trois ans de prison prononcée à son encontre au titre de l’article 130 1) du Code pénal («incitation à la haine ou à la discorde raciale, nationale, religieuse ou sociale»). La procédure s’est déroulée à huis clos. Le 28 juin 2024, le ministère de l’Intérieur a inscrit Mme Brytsikava sur la liste des «extrémistes». Le 20 août 2024, un autre procès à huis clos a eu lieu concernant trois nouveaux chefs d’accusation retenus contre elle: «appel à des mesures restrictives (sanctions) et autres actions visant à porter atteinte à la sécurité nationale de la République du Bélarus» (article 361 3) du Code pénal), infraction passible d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à six ans, avec ou sans amende; «incitation à l’hostilité ou à la discorde raciale, nationale, religieuse ou sociale», infraction passible d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à cinq ans (article 130 1)); et «facilitation d’activités extrémistes» (article 361-4 1)), infraction passible d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à six ans, avec ou sans amende. Il est actuellement impossible de lui transférer de l’argent.
  • Mme Palina Sharenda-Panasiuk (militante du REP condamnée à un an de prison en vertu de l’article 411 2) du Code pénal («désobéissance malveillante aux exigences de l’administration d’un établissement pénitentiaire exécutant une peine de privation de liberté») le 10 septembre 2023, et en vertu des articles 364 («violence ou menace de violence à l’encontre d’un agent des affaires intérieures»), 369 («outrage à un représentant de l’autorité») et 368 («outrage au président de la République du Bélarus») du Code pénal le 9 juin 2021): début juillet 2024, Mme Sharenda-Panasiuk a été transférée au Centre scientifique et pratique sur la santé mentale de Minsk pour un examen psychiatrique. Il s’agit du quatrième examen qu’elle ait subi. En juillet 2024, ses proches ont reçu une communication du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, dans laquelle il était indiqué que Mme Sharenda-Panasiuk s’était vu diagnostiquer une «pancréatite chronique modérée», maladie grave qu’il est difficile de traiter en milieu carcéral. Il semblerait que Mme Sharenda-Panasiuk se trouve depuis le 14 septembre 2024 au centre de détention provisoire de Gomel, encore que sa famille soit longtemps restée sans connaître le lieu de sa détention. Elle a été placée en cellule disciplinaire le 10 septembre 2024.
  • M. Siarhei Shelest (membre de Rabochy Rukh et militant du BNP au sein de la société Naftan, condamné à quatorze ans de prison le 17 février 2023 au titre des dispositions suivantes du Code pénal: article 188 («diffamation»), article 356 1) («trahison envers l’État»), article 361-1 3) («création d’une formation extrémiste ou participation à une telle formation»): l’administration de la colonie pénitentiaire no 2 de Babruysk a artificiellement mis en scène des situations pour infliger des sanctions disciplinaires à M. Shelest. Le 1er mai 2024, M. Shelest a été placé dans un type de cellule où, selon le BKDP, les restrictions de ses droits sont encore plus drastiques qu’en cellule disciplinaire.
Le BKDP allègue par ailleurs que des détentions massives de travailleurs, organisées en coopération avec la direction de certaines entreprises, ont été effectuées pendant les heures de travail entre mai et août 2024. Les travailleurs ont été arrêtés, inculpés et condamnés à quinze jours de détention administrative en application de l’article 19.11 du Code des infractions administratives («distribution, production, stockage et transport de supports d’information contenant des incitations à des activités extrémistes ou promouvant de telles activités»). Certains ont ensuite été licenciés. Deux militants du Syndicat libre du Bélarus (SPB) ont été arbitrairement détenus par le Département des enquêtes financières pour avoir fait des dons à des victimes de violations des droits de l’homme dans le cadre de l’initiative ByHelp. Ils ont été menacés de poursuites pénales en application de l’article 361-2 du Code pénal («financement d’activités extrémistes»). Pour être libérés, ils ont dû verser respectivement 500 et 1 000 dollars É.-U. au «Centre républicain de gestion des interventions médicales», qui est une institution d’État. Le BKDP fournit des précisions au sujet de l’inscription par le gouvernement de documents appartenant à des syndicats indépendants, ou à leurs dirigeants ou militants syndicaux, sur la liste des «documents à caractère extrémiste», démarche qui a eu pour effet de restreindre le droit des travailleurs d’accéder à l’information pour coordonner leurs actions communes. La diffusion de documents à caractère extrémiste (notamment par le biais de sites Web et des réseaux sociaux) est interdite, de même que leur affichage public, leur production, leur publication, leur stockage ou leur transport pour distribution. Sur le plan juridique, le fait de qualifier des documents d’ «extrémistes» entraîne leur interdiction sur le territoire du Bélarus et fonde l’engagement de la responsabilité administrative au titre de l’article 19.11 du Code des infractions administratives, lequel prévoit à ce titre une peine d’arrestation administrative d’une durée maximale de trente jours. Le BKDP indique à cet égard que, le 15 juillet 2024, des documents du BNP qui se trouvaient dans la mine no 1 de Belaruskali ont été qualifiés d’extrémistes par le tribunal de district de Salihorsk (région de Minsk).
La commission note avec une profonde préoccupation les informations communiquées par le BKDP concernant la liste de 47 dirigeants et militants syndicaux actuellement détenus ou dont la liberté de mouvement est restreinte. Elle note aussi avec une profonde préoccupation les informations fournies par le BKDP et la Confédération syndicale internationale (CSI) au Conseil d’administration à sa 352e session, qui indiquent que les violations de la liberté syndicale et des libertés publiques, loin d’avoir été réprimées, se sont au contraire aggravées du fait de la campagne de persécution menée par l’État à l’encontre des dirigeants et militants syndicaux. Il est désormais impossible pour les syndicats indépendants et leurs membres de mener leurs activités au Bélarus. Quiconque s’associe à un syndicat indépendant et participe à ses activités s’expose à des poursuites pénales et peut, en vertu du Code pénal, se voir infliger une peine privative de liberté ou une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à dix ans. Les mesures de grâce récemment accordées (en juillet, août et septembre 2024) par M. Loukachenko à certains prisonniers politiques et prisonniers d’opinion ne sauraient être considérées comme des mesures visant le rétablissement des droits violés par l’État, puisque l’octroi de la grâce est impérativement subordonné à un aveu de culpabilité.
La commission déplore une nouvelle fois la réticence du gouvernement à prendre des mesures pour que les dirigeants syndicaux et les syndicalistes détenus soient libérés. Elle déplore aussi, une fois de plus, que, d’une part, le gouvernement réaffirme que des syndicalistes ont été poursuivis pour des actes illégaux spécifiques sans lien avec l’exercice légal et pacifique des libertés et droits syndicaux et que, d’autre part, il ne fournisse pas une copie des décisions judiciaires, ainsi que la commission lui avait précédemment demandé. La commission souligne que le droit à un procès équitable et public implique le droit à ce que le jugement ou la décision soit rendu public et que la publicité des décisions est une garantie importante des intérêts de la personne et de la société en général. L’essence même de la procédure judiciaire est que ses résultats sont connus, et la conviction que l’on acquiert de son impartialité repose sur cette publicité. La commission rappelle que l’absence de garanties d’une procédure régulière pourrait entraîner des abus et pourrait également engendrer un climat d’insécurité et de peur qui pourrait affecter l’exercice des droits syndicaux. La commission prie le gouvernement de prendre toutes les mesures nécessaires, y compris législatives, si besoin est, pour assurer le droit à un procès équitable. Sur ce même point, renvoyant aux recommandations de la commission d’enquête, elle souligne la nécessité d’assurer l’impartialité et l’indépendance du pouvoir judiciaire et de l’administration de la justice en général afin de garantir que les enquêtes sur ces graves allégations sont réellement indépendantes, neutres, objectives et impartiales. En conséquence, la commission prie également, une nouvelle fois, le gouvernement de prendre des mesures, y compris législatives, si besoin est, pour fournir des copies des décisions de justice pertinentes confirmant la détention et l’emprisonnement de travailleurs et de membres de syndicats.
En outre, la commission rappelle une nouvelle fois que, depuis plusieurs années, les organes de contrôle de l’OIT, y compris la présente commission, attirent l’attention du gouvernement sur la résolution de 1970 de la Conférence internationale du Travail concernant les droits syndicaux et leur relation avec les libertés publiques, qui souligne que les droits conférés aux organisations de travailleurs et d’employeurs doivent se fonder sur le respect des libertés publiques, car l’absence de celles-ci ôte toute signification au concept de droits syndicaux. Se référant à ses précédents commentaires et au 406e rapport (mars 2024) du Comité de la liberté syndicale sur les mesures prises par le gouvernement de la République du Bélarus pour mettre en œuvre les recommandations de la commission d’enquête, la commission considère que le fait que le gouvernement n’ait pas reconnu ni traité les allégations très graves de violation des libertés publiques ni pris de mesures pour y faire face, qu’il n’ait pas donné suite aux demandes spécifiques répétées des organes de contrôle de l’OIT, y compris celles formulées par la présente commission, et qu’il n’ait pas fourni d’informations autres que celles qui ont déjà été examinées par cette commission ainsi que par d’autres organes de contrôle de l’OIT et le Conseil d’administration, renforce la réalité de la violation délibérée par le gouvernement de ses obligations découlant de son appartenance à l’Organisation. Dans ces circonstances, la commission prie instamment et fermement le gouvernement de libérer immédiatement tous les dirigeants syndicaux et syndicalistes arrêtés pour avoir participé à des rassemblements pacifiques ou pour avoir exercé leurs libertés publiques dans le cadre de leurs activités syndicales légitimes, et d’abandonner toutes les charges y afférentes. Elle le prie de fournir des réponses détaillées à toutes les allégations exposées ci-dessus. Se référant aux conclusions de la Commission de la Conférence et à la décision prise par le Conseil d’administration à sa 352e session, la commission prie le gouvernement d’accepter de toute urgence: i) une mission humanitaire internationale visant à garantir que des médecins indépendants peuvent rendre visite à tous les syndicalistes emprisonnés afin d’évaluer leur état de santé et leur fournir une assistance médicale, si nécessaire; et ii) une mission tripartite de l’OIT visant à évaluer la situation et à rendre visite aux syndicalistes actuellement en prison ou en détention.
Application de la convention. La commission rappelle que les questions en suspens concernant l’application de la convention portent sur les points suivants, qui ont tous été soulevés par la commission d’enquête: 1) le droit de créer des organisations de travailleurs, ce qui inclut la question de l’adresse légale et le droit, dans la pratique, de constituer des syndicats en dehors de la Fédération des syndicats du Bélarus (FPB); 2) le droit des organisations de travailleurs de recevoir et utiliser une aide étrangère gratuite (financement obtenu de l’étranger); 3) le droit, en droit et dans la pratique, de manifester et d’organiser des manifestations collectives; 4) le droit de grève; 5) la consultation des organisations de travailleurs et d’employeurs; et 6) le système de règlement des conflits du travail. La commission constate avec un profond regret l’absence d’informations sur les mesures concrètes prises par le gouvernement pour donner effet aux précédentes demandes de la commission visant à répondre à ces préoccupations; au lieu de cela, le gouvernement se contente de réitérer les informations qu’il a déjà fournies et de souligner l’absence de contradiction entre la législation et la pratique nationales et la convention. La commission se voit donc dans l’obligation de prier à nouveau instamment le gouvernement de prendre des mesures pour modifier sans plus tarder le décret no 3 (sur l’enregistrement et l’utilisation de l’aide étrangère gratuite), la loi sur les activités collectives et le règlement qui l’accompagne, ainsi que les articles 342-2, 369, 369-1 et 369-3 du Code pénal prévoyant des restrictions des actions collectives et les sanctions associées, afin de les mettre en conformité avec les obligations internationales du gouvernement en ce qui concerne la liberté syndicale. En outre, elle prie instamment le gouvernement de prendre des mesures pour réviser les articles 388 1), 3) et 4), 390, 392 et 393 du Code du travail qui restreignent le droit de grève, ainsi que son article 42 7), qui autorise expressément un employeur à licencier un travailleur/résilier le contrat de travail d’un travailleur qui s’absente du travail pour purger une sanction administrative sous la forme d’une arrestation administrative; qui force d’autres travailleurs à participer à une grève ou qui appelle d’autres travailleurs à cesser d’accomplir leurs tâches sans raison valable; ou qui participe à une grève illégale ou à d’autres formes de rétention du travail sans raison valable. La commission attend du gouvernement qu’il fournisse des informations sur toutes les nouvelles mesures concrètes prises à cet égard.
Dans son précédent commentaire, la commission avait déploré l’effet de la dissolution du BKDP sur les activités du Conseil national du travail et des questions sociales (NCLSI) et du Conseil tripartite pour l’amélioration de la législation dans le domaine social et du travail (le Conseil tripartite). À cet égard, la commission avait noté qu’à la suite de la dissolution du BKDP, la seule représentation de la voix des travailleurs au sein de ces structures était désormais la FPB, qui bénéficiait du soutien publiquement exprimé des autorités de l’État au plus haut niveau, et dont l’indépendance par rapport aux autorités était discutable. Dans ces conditions, la commission s’est interrogée sur la légitimité de la NCLSI et du Conseil tripartite. Considérant que le développement d’organisations libres et indépendantes et leur participation au dialogue social sont indispensables pour permettre à un gouvernement d’affronter ses problèmes sociaux et économiques et de les résoudre dans le meilleur intérêt des travailleurs et de la nation, la commission avait prié instamment le gouvernement de prendre des mesures pour réexaminer dans cette optique la situation des syndicats dissous, afin de garantir qu’ils puissent à nouveau fonctionner. La commission note avec une profonde préoccupation l’indication du gouvernement selon laquelle le BKDP et les syndicats qui en font partie n’ont aucune existence légale au Bélarus, ainsi que l’absence de toute mesure pour réexaminer la situation des syndicats dissous afin de garantir qu’ils puissent à nouveau fonctionner et participer pleinement aux organes tripartites nationaux. La commission réitère avec la plus grande fermeté ses demandes antérieures et attend du gouvernement qu’il indique les mesures concrètes prises à cette fin.
Tout en notant les informations fournies par le gouvernement selon lesquelles la FPB est la seule centrale syndicale nationale, la commission prend note du rapport de 2024 de la Rapporteure spéciale sur la situation des droits de l’homme au Bélarus, qui donne un aperçu des principales préoccupations relatives aux droits de l’homme au Bélarus entre le 1er avril 2023 et le 31 mars 2024. Il ressort de ce rapport, qui porte principalement sur la liberté syndicale, que toutes les associations indépendantes sont systématiquement éliminées au Bélarus depuis 2021. Cette situation touche les organisations et initiatives de la société civile, y compris les syndicats. Dans ses conclusions et recommandations, la Rapporteure spéciale, «[c]ompte tenu du manque d’indépendance de la [FPB], […] recommande que la participation de celle-ci à la Conférence internationale du Travail soit suspendue». La commission prend également note de l’indication du BKDP selon laquelle la FPB reste très liée au gouvernement et manque d’indépendance. Des événements de nature idéologique et relevant de la propagande ont été régulièrement organisés dans des entreprises bélarussiennes avec la participation de la direction, de dirigeants de syndicats affiliés à la FPB, de fonctionnaires gouvernementaux et d’agents des forces de l’ordre. Selon le BKDP et la CSI, les syndicats affiliés à la FPB ont récemment tenu une «célébration» pour fêter le trentième anniversaire de l’arrivée au pouvoir d’Alexandre Loukachenko; l’un des syndicats en question («Belkhimprofsoyuz») a organisé des excursions sur le lieu de naissance de Loukachenko et aux endroits où il avait vécu avant son accession à la présidence. La commission note que le Conseil d’administration du BIT a prié le Directeur général de porter à l’attention de la Commission de vérification des pouvoirs de la Conférence internationale du Travail, à la 113e session (2025) de la Conférence, les informations que le Conseil d’administration a notées et examinées à sa 352e session (octobre-novembre 2024), afin que la commission puisse en tenir compte aux fins du suivi de la désignation de la délégation des travailleurs du Bélarus conformément à la décision prise par la Conférence à sa 112e session (2024) et de l’examen de toute nouvelle objection qui pourrait être formulée sur cette question.
La commission avait précédemment noté que la loi no 225-Z du 12 décembre 2022 sur les associations d’employeurs prévoyait la notion de «confédération des employeurs de la République du Bélarus», définie comme l’organisation d’employeurs la plus représentative. Elle avait observé que deux organisations d’employeurs étaient membres du Conseil tripartite et signataires de l’Accord général et prié le gouvernement d’indiquer les effets de la certification d’une organisation d’employeurs en tant que confédération en vertu de la loi sur la composition du Conseil tripartite. La commission prend note de l’indication du gouvernement selon laquelle, conformément à la loi, une «confédération des employeurs de la République du Bélarus», en tant qu’association nationale d’employeurs la plus représentative, doit coordonner les activités des associations d’employeurs dans le cadre du système de partenariat social. Une organisation nationale d’employeurs à laquelle plus de la moitié des associations nationales d’employeurs opérant au Bélarus appartiennent doit être reconnue comme la confédération des employeurs de la République du Bélarus. Le gouvernement informe que la décision no 29 du ministère du Travail et de la Protection sociale du 29 août 2023 a été adoptée en application de la loi. La décision énonce, entre autres, des instructions sur les arrangements relatifs à l’adoption d’une décision de reconnaissance d’une association nationale d’employeurs en tant que confédération des employeurs de la République du Bélarus. Le gouvernement indique qu’actuellement, la Confédération des industriels et entrepreneurs (employeurs) et l’Union des entrepreneurs et des employeurs du professeur M.S. Kuniavsky figurent toutes deux dans le registre des associations d’employeurs en tant qu’associations nationales. Aucune décision de reconnaissance d’une association nationale d’employeurs en tant que confédération des employeurs de la République du Bélarus n’a pour l’heure été prise. Les deux associations nationales d’employeurs sont représentées au NCLSI et au Conseil tripartite et jouent un rôle actif dans la rédaction du nouvel Accord général entre le gouvernement, les associations nationales d’employeurs et les associations syndicales pour 2025-2027, même si seule l’association la plus représentative est habilitée à signer un accord, et qu’il s’agit actuellement de la Confédération des industriels et entrepreneurs (employeurs). La commission prie le gouvernement de fournir une copie de la décision no 29 du 29 août 2023 susmentionnée et de l’informer de toute décision relative à la certification d’une association en tant que confédération des employeurs.
La commission déplore l’absence totale de progrès dans la mise en œuvre des recommandations de la commission d’enquête de 2004 et dans la suite donnée aux recommandations en suspens des organes de contrôle de l’OIT, et déplore également la détérioration constante de la liberté syndicale dans le pays. La commission prie à nouveau instamment le gouvernement de s’engager auprès de l’OIT en vue de mettre en œuvre sans plus tarder toutes les recommandations en suspens des organes de contrôle de l’OIT.
La commission note que la Commission de la Conférence prévoyait que le Directeur général du BIT nommerait un envoyé spécial pour: 1) superviser la conduite de toutes les activités nécessaires pour assurer une application rapide et effective des recommandations de la commission d’enquête et, à cette fin, collaborer avec toutes les parties prenantes, y compris le gouvernement et les organismes des Nations Unies; et 2) rendre systématiquement et régulièrement compte au Conseil d’administration des travaux qu’il aura menés en vue d’assurer la mise en œuvre de la résolution de la Conférence. Tout en notant que le gouvernement n’a pas encore exprimé sa volonté de coopérer en ce sens, la commission encourage le gouvernement à coopérer avec l’envoyé spécial en vue de la mise en œuvre des recommandations des organes de contrôle de l’OIT, car elle est convaincue qu’une action menée de concert avec le gouvernement à cet égard sera bénéfique pour l’ensemble de la société bélarusse.
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